Monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur général, chers collègues, nous voici dans la dernière ligne droite de l'examen du PLF pour 2018 qui, avant d'être soumis au Sénat, a été rectifié en deux temps. Il a d'abord été alourdi de 10 milliards d'euros de dépenses supplémentaires du fait des actionnaires qui ont réclamé encore plus d'argent et d'une décision de Bruxelles. Il a été aussi l'occasion, malheureusement, d'instaurer le prélèvement de l'impôt sur le revenu à la source, que nous sommes beaucoup à juger coûteux, inutile, complexe et dangereux.
Ce texte revient du Sénat, à l'image de ce qu'ont proposé ici les membres du groupe les Républicains, alourdi de dépenses nouvelles – je pense notamment à l'ISF, le Sénat ayant décidé de rétablir l'égalité entre riches en supprimant complètement l'ISF, que ce soit pour les biens mobiliers ou immobiliers – et aggravé aussi dans le sens d'une plus grande austérité.
Je note cependant quelques améliorations, sur des points sur lesquels nous avions les mêmes préoccupations, que ce soit les quelques progrès en matière de lutte contre l'optimisation fiscale ou contre les abus en ce qui concerne la flat tax ou le relèvement de certains plafonds, conformément à des revendications des syndicats de la Banque de France.
J'espère que ce ne seront pas seulement les amendements qui aggravent ce PLF pour 2018 dans le sens de plus d'austérité et d'inégalité qui seront adoptés ici, mais je ne crois malheureusement pas que les quelques amendements d'amélioration auront été votés ce soir.
De toute façon, cela ne changera pas fondamentalement ce que nous propose ce PLF que l'on pourrait résumer ainsi : beaucoup de cadeaux aux plus riches et une note salée pour la quasi-totalité de nos concitoyens.
Rappelons-en les grandes lignes. Vous attribuez 9 milliards de cadeaux fiscaux aux plus riches au travers de la suppression de l'ISF sur les biens mobiliers – 3,5 milliards – ; la flat tax, qui plafonne l'imposition des revenus du capital à 30 % – 1,5 milliard – ; la suppression de la taxe sur les dividendes, demandée par Bruxelles puis le Conseil constitutionnel, sans même d'ailleurs remettre en question au niveau de Bruxelles cette taxe sur les dividendes dans les années à venir. Et je ne parle même pas de la taxe sur les hauts salaires, que vous supprimez.
Tout cela s'ajoute au CICE, ce cadeau mirifique aux entreprises qui n'est assorti d'aucune contrainte et dont on peut estimer le montant à 100 milliards pour à peu près 100 000 emplois créés ou simplement maintenus, ce qui fait très cher l'emploi. Et je ne parle pas non plus de la baisse de l'impôt sur les sociétés, qui n'est elle non plus assortie d'aucun contrôle, d'aucune contrainte, d'aucun fléchage vers l'emploi ou l'égalité des salaires, par exemple.
En outre, ce texte est largement insincère – il fera très certainement à ce titre l'objet d'un recours devant le Conseil constitutionnel des groupes Nouvelle Gauche, GDR et France insoumise.
En effet, les diminutions de recettes prévues du fait tant de la suppression de l'ISF que de l'instauration de la flat tax, seront très vraisemblablement très sous-estimées, je l'ai dit ici il y a quelques semaines, notamment en raison du véritable bouclier fiscal que vous instaurez pour les plus riches.
Gabriel Zucman, dans un article paru dans Le Monde du 25 octobre 2018, soit un mois après que la loi a été déposée, a montré de manière totalement limpide qu'à partir du moment où l'on taxe moins les dividendes que les revenus directs du travail, que ce soit les salaires des cadres dirigeants ou les honoraires des gestionnaires, on crée un effet d'aubaine favorisant un transfert de ces revenus vers les dividendes. Calculer le produit de cette flat tax à partir des dividendes actuels n'a donc aucun sens : il faut le calculer à partir de la masse des dividendes qui seront versés à l'année n+ 1 ou n+2 et qui, selon Gabriel Zucman, se chiffrent au minimum à dix milliards d'euros. De ce fait, cette flat tax va coûter beaucoup plus cher à l'État que vous ne le dites dans votre budget.
N'oublions pas que cette flat tax, c'est quinze points d'écart supplémentaires en faveur de la fiscalité du capital par rapport à celle du travail, soit la plus grande disparité de l'histoire de la Ve République, voire de notre République tout court, en faveur des revenus du capital non investis.
Lorsque nous vous alertions sur ce danger de transfert vers les dividendes, monsieur le ministre, vous nous avez répondu qu'en imaginant que cela puisse arriver, que quelqu'un ait cette idée dans une entreprise française, cela ne concernerait qu'un tout petit nombre de salariés actionnaires et que le contrôle fiscal serait évidemment dur pour le contribuable en cause et pour les entreprises.
Je ne sais pas pourquoi, monsieur Darmanin, le contribuable français serait plus vertueux que le contribuable américain. Je ne sais pas sur quelle étude vous vous fondez pour établir une telle différence. Et quand dans la même phrase vous jugiez pharamineux ce chiffre de 10 milliards, j'aimerais savoir sur quelle évaluation, concrète, rationnelle, vous vous fondez pour contredire les propos de Gabriel Zucman – nous aurons peut-être l'occasion au cours de cette séance d'entendre vos explications.
Quant à la transformation de l'ISF en IFI, elle donnera elle aussi beaucoup d'occasions d'optimisation fiscale – le journal Capital en a fait la liste. On pourra ainsi allonger la durée de l'emprunt sur les actifs immobiliers ou alors acheter des titres de sociétés commerciales immobilières plutôt que du patrimoine mobilier. La suppression de l'ISF sur les biens mobiliers coûtera donc en réalité beaucoup plus cher que prévu à l'État et nous serons donc très certainement bien au-delà des 9 milliards de cadeaux fiscaux que j'évoquais tout à l'heure, à moins, chers collègues, que vous ne réagissiez cet après-midi ou à moins que le Conseil d'État ne retoque cette partie du budget, ce que j'espère.