… mais je sais ce que nous perdrons en proximité avec la population, avec les élus locaux, avec les associations.
Quand je pense à nos travaux à l'Assemblée, quand je lis les articles évoquant le surmenage qui guette des collègues – je peux le comprendre – , les députés auront-ils plus de force, d'énergie et de temps, demain, pour représenter des circonscriptions rassemblant 250 000 habitants et couvrant 300 communes et, en même temps, être les élus de la nation qui contrôlent, enquêtent, légifèrent ? S'agissant de l'examen du budget de la nation, du projet de loi de finances, gagneront-ils en efficacité pour étudier de manière approfondie, sincère et efficace tous ses articles et toutes les demandes qui leur seront adressées ? Auront-ils les moyens de relayer l'ensemble des amendements qu'ils recevront, comme nous en recevons depuis quelques jours pour l'examen de ce budget en nouvelle lecture ?
Je pense par exemple à l'amendement no 289 adopté par les sénateurs, que les associations d'anciens combattants nous demandent de conserver – vous avez dû les recevoir comme moi. Je pense à l'amendement portant sur l'enseignement français à l'étranger, ou encore à cet amendement à l'article 10 du projet de loi de programmation des finances publique, relatif aux dotations aux collectivités, que vous avez évoqué, monsieur le ministre, et qui a été distribué à Cahors lors de la Conférence nationale des territoires. Je pourrais vous en citer une vingtaine de ce type, que vous avez reçus comme moi ces derniers jours dans vos boîtes aux lettres électroniques.
Nous consacrons tellement de temps et d'énergie à chacun de ces amendements ! Tel a été le cas pour l'amendement portant sur la rénovation des logements du bassin minier, qui me tient particulièrement à coeur, vous le savez, et que nous sommes parvenus à faire gagner, à force de travail avec les uns et les autres. Je peux vous dire que, quand cet amendement a été adopté à l'unanimité en commission, nous avons été submergés par l'émotion. Je salue d'ailleurs la disponibilité des services de la commission des finances, du rapporteur général et des collègues députés des différents groupes que je suis allé rencontrer pour défendre cet amendement. Oui, nous dépensons beaucoup d'énergie pour faire gagner parfois un modeste amendement, tant attendu par des populations – c'était le cas de celui-ci, attendu, chez moi, par les familles du bassin minier du Nord et du Pas-de-Calais.
Alors oui, il faut du temps et de l'énergie pour mener chacune de ces batailles, pour répondre à chacune de ces sollicitations qui nous viennent de partout et qui méritent toutes que l'on y réponde en prenant le temps de la réflexion. C'est pourquoi je ne crois pas que la démocratie et notre République y gagneront si l'on réduit le nombre de députés ou le temps de nos discussions. Oui, à l'aune de ce premier budget que nous sommes en train d'étudier – d'ailleurs, pour beaucoup d'entre nous, c'est la première fois – , ces réformes risquent d'affaiblir gravement nos missions et notre démocratie. Dès lors, vous comprendrez que nous militions, pour notre part, en faveur d'une VIe République soucieuse des droits des représentants élus par le peuple et donnant plus de pouvoirs au Parlement.
Hier, monsieur le président de la commission des finances, vous avez parlé, à propos de cette discussion budgétaire, de « circonstances exceptionnelles ». Or celles-ci tendent, subtilement, à devenir la norme, empêchant les parlementaires que nous sommes, nos collaborateurs et le personnel de notre assemblée, notamment les administrateurs, de faire correctement leur travail. J'ajouterai que ces délais de travail très courts fragilisent considérablement les droits des groupes minoritaires, tel celui auquel j'appartiens, qui disposent de peu de moyens humains et financiers.
Par ailleurs, mes chers collègues, avec de tels délais, il n'est pas étonnant que les défaillances techniques se soient multipliées. Ainsi, nous avons eu droit à un bug informatique sur la plate-forme numérique dédiée aux amendements, qui a empêché le dépôt d'amendements modifiant les crédits en vue de l'examen en commission des finances. Et, hier matin, la réunion de la commission des finances a été émaillée d'un incident technique qui a nécessité une suspension de séance pour le moins inédite.
Au-delà de la forme, je reviens sur le fond, sur la teneur de ce budget que nous examinons en nouvelle lecture et sur les raisons pour lesquelles nous formulons la présente demande de renvoi en commission.
Je rappelle les inégalités fortes qui frappent notre pays – M. de Courson et M. Coquerel viennent de les évoquer, abordant ainsi le débat de fond. En 2016, les 10 % de Français les plus riches détenaient 56 % des richesses, quand les 50 % les plus pauvres se partageaient 5 % de ces mêmes richesses. Plus d'un tiers des Français ont vécu la pauvreté. Le seuil de pauvreté perçu s'établit à un niveau toujours plus élevé – 1 015 euros par mois désormais – se rapprochant ainsi dangereusement du niveau du salaire minimum – 1 140 euros actuellement. Cette pauvreté qui prend racine dans notre pays a évidemment des conséquences concrètes dans la vie de nos concitoyens : 20 % d'entre eux déclarent avoir renoncé à des soins dentaires du fait de leur coût, 12 % à l'achat de lunettes et 16 % à une consultation chez un médecin spécialiste.
Le concept d'égalité est quelque peu mis à mal dans notre République : lorsque l'on porte le regard vers le sommet de la pyramide, vers les « premiers de cordée », on se dit qu'il y a effectivement quelque argent en ce bas monde. À cet égard, je voudrais citer ce fameux magazine qui établit, tous les ans à la même période, le classement des 500 plus grandes fortunes de notre pays : « Le constat saute aux yeux : à voir l'évolution du classement des 500 fortunes professionnelles depuis [la] première édition [du magazine] en 1996, le patrimoine des ultra-riches en France a considérablement progressé depuis deux décennies. Les chiffres attestant de leur prospérité impressionnent. Le nombre des milliardaires a explosé, de 11 à 92, et, au total, la valeur des 500 fortunes est passée de 80 à 570 milliards, multipliée par sept. »
Nous pourrions également mentionner, à titre d'exemple, le cas des 3 250 ménages les plus riches de France, qui ont transféré 140 milliards d'euros dans les paradis fiscaux de par le monde. C'est l'occasion de rappeler le scandale de l'évasion fiscale. Comme l'a déclaré mon collègue communiste Éric Bocquet la semaine dernière au Sénat, ce scandale est régulièrement révélé de manière spectaculaire dans les médias, puis, quand le tumulte médiatique s'apaise au bout de quelques jours, le silence se fait, mais le scandale continue. Mes chers collègues, rappelons-le sans cesse : la République perd chaque année entre 60 et 80 milliards d'euros à cause de l'évasion fiscale, soit l'équivalent du déficit de la France. Ce combat doit nous rassembler au-delà de nos sensibilités propres et doit être mené sans faiblesse, sans compromission. C'est la mère des batailles, au nom de la République et de la démocratie.
Monsieur le ministre, vous comprendrez que, pour toutes ces raisons de forme comme de fond, nous demandions le renvoi de ce budget en commission : nous ne pensons pas qu'il soit une réponse au constat accablant qui s'impose à notre pays.