Intervention de Sabine Rubin

Séance en hémicycle du jeudi 8 juillet 2021 à 9h00
Projet de loi de finances rectificative pour 2021 — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSabine Rubin :

Cette séquence pourrait porter le titre de la thèse de Gilles Deleuze : Différence et répétition – mais surtout répétition. En effet, ce énième PLFR reconduit pour l'essentiel les mesures et dispositifs déjà mis en place lors de la crise pandémique.

Répétition, déjà, avec la reconduction de la bien mal nommée « prime Macron », qui devrait plutôt s'appeler « prime gilets jaunes », puisqu'elle a été gagnée de haute lutte par ces derniers. Certes, cela représente une embellie significative pour les travailleurs, mais son caractère discrétionnaire, abandonné au libre choix de l'employeur, pose un grave problème d'équité ; et, surtout, le financement de cette prime se fonde sur une exonération de cotisations qui fragilise une fois encore notre système de protection sociale, déjà durement sollicité. La sécu est fragilisée, comme le sont les recettes de l'État, que vous continuez d'altérer, multipliant les aides indirectes et non conditionnées. Répétition encore.

Parmi les mesures qui suivent cette logique, je prendrai l'exemple du soutien apporté au spectacle vivant. Si la grave crise du monde de la culture et la précarisation des intermittents ne devaient pas rester sans réponse des pouvoirs publics, le choix d'une hausse exceptionnelle d'un crédit d'impôt dont l'inefficacité n'est plus à démontrer favorisera les mastodontes du secteur, quand il aurait fallu privilégier les dispositifs ciblés en faveur des petites et moyennes structures : c'est encore ce qu'il faut bien nommer nos industries culturelles qui seront favorisées.

Quant au report de la hausse de la TICPE sur le gazole non routier, voilà bien la mesure la plus aberrante. Reportée pour la troisième fois par votre majorité, la réduction de cette niche fiscale polluante et inutile aurait pourtant été un premier pas, pour nos enfants et notre planète, ainsi que pour nos recettes fiscales.

La lecture du dernier rapport du Haut Conseil pour le climat, qui pointe la timidité de ce gouvernement en matière de transports, ne suffit-elle pas à vous convaincre ? Que cette niche soit non seulement anti-écologique mais aussi très coûteuse pour le contribuable ne vous gêne-t-il pas ? Pour le seul gazole routier, la facture aura été de près de 1 milliard d'euros pour le contribuable en 2019.

Mais votre rengaine ne se borne pas à la logique des aides apportées : elle concerne aussi les victimes de votre politique sociale. Cette fois, ces victimes, ce sont les migrants aspirant à vivre et à travailler dans notre pays. En effet, l'article 9 A, voté conforme par le Sénat, permet suspendre le versement d'une allocation sur la base d'une simple suspicion, quand bien même cette dernière déboucherait sur un non-lieu. En réalité, il s'agit vraiment d'une inutile obsession puisque cette disposition existe depuis 2017.

Je ne vous cache pas que nous aurions aimé vous voir déployer autant de fougue et d'énergie pour lutter contre les fraudeurs fiscaux – qui, selon Les Échos de ce matin, battent des records.

Nous aurions également préféré que, du Sénat, vous reteniez les quelques avancées progressistes plutôt que cette mesure rétrograde. Mais l'une des répétitions, l'un de vos entêtements les plus notables est le refus de toute conditionnalité, mesure pourtant votée par le Sénat. Exit la proposition de conditionner les aides aux exportateurs de bois de chêne à la transformation de ce bois sur le sol européen, et non en Chine. Dans la même veine, vous avez jeté aux oubliettes la conditionnalité du carry back. Nous sommes hostiles sur le fond à cette mesure, mais la clause de non-versement de dividendes par l'entreprise bénéficiaire représentait tout de même une avancée, et même une mesure de bon sens. Je rappelle qu'une entreprise du CAC 40 comme Engie a pu subir 1,5 milliard de pertes tout en versant 1,2 milliard de dividendes ! La seule suppression de cette clause constitue, de votre part, un aveu de soutien aux grands oligarques.

Mais enfin voici venir les vacances, et je ne conclurai pas mon propos par des mots d'amertume. En particulier, nous notons la compensation de certaines recettes pour les collectivités : bien qu'insuffisante, elle est bienvenue. Compenser les pertes en matière de restauration scolaire, les taxes non perçues sur les remontées mécaniques, les séjours… C'est une timide avancée, mais une avancée tout de même pour nos départements, que vous privez cependant de la possibilité d'augmenter les droits de mutation à titre onéreux (DMTO).

J'ai commencé mon propos en citant cet ouvrage : Différence et répétition. Il se trouve que celui-ci a été publié dans la collection « Épiméthée ». C'est le nom du frère de Prométhée : dans la mythologie, ces deux frères doivent répartir les ressources terrestres entre les différentes espèces vivantes ; à la suite d'une erreur d'Épiméthée, les hommes se retrouvent démunis, sans ressources. Eh bien, pour nous, vous êtes des Épiméthée.

Nous voterons donc à nouveau contre ce PLFR.

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