Intervention de Cathy Racon-Bouzon

Séance en hémicycle du jeudi 8 juillet 2021 à 15h00
Protection des enfants — Article 15

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCathy Racon-Bouzon :

Je veux vous parler d'Ibrahim. Je l'ai rencontré le 4 juin dernier à Marseille, devant le centre de premier accueil des mineurs non accompagnés, où ces enfants doivent se rendre lorsqu'ils arrivent dans notre ville, pour demander une mise à l'abri. La France s'y engage, conformément à la Convention internationale des droits de l'enfant.

Ibrahim a 17 ans, il en fait moins ; il est arrivé à Marseille en provenance de Gambie, après un périple de plusieurs mois qui l'a conduit à vivre l'enfer d'un séjour en Libye – pas besoin d'en dire plus. Ibrahim n'est jamais allé à l'école, il ne sait ni lire ni écrire ; nous échangeons en anglais par messages vocaux, sur WhatsApp. Les services du département des Bouches-du-Rhône l'ont mis à l'abri dans un hôtel le 24 juin, vingt jours après qu'il s'était présenté au centre de premier accueil, où il avait demandé de l'aide.

Qu'a-t-il fait pendant ces trois semaines ? Précisément, je n'en sais rien, malgré nos échanges, souvent nocturnes, lorsqu'il m'appelait à l'aide. Il a vécu à la rue, dans une station de métro. Comment s'est-il nourri, lavé, habillé ? Je l'ignore. Ce que je sais, c'est qu'il a dû revenir plusieurs fois là où je l'ai rencontré pour remonter dans la liste des personnes devant être mises à l'abri, sans que jamais personne ne lui donne un ticket de métro pour se déplacer dans le respect des règles. Ce que je sais, c'est que quand on lui a dit qu'il n'y avait pas de place pour lui et qu'on ne savait pas quand il y en aurait, on ne lui a pas donné non plus de coupons alimentaires, ni un kit d'hygiène, ni une couverture. Pas de kit de survie et retour à la rue, à 17 ans, peut-être moins, à Marseille, en France, en 2021.

Ibrahim a eu de la chance, il a été mis à l'abri en trois semaines. Cet hiver, d'autres enfants ont dû attendre quatre mois – un temps infini pendant lequel ils sont condamnés à l'errance ; les plus chanceux croiseront la route de citoyens solidaires qui, par humanité, leur porteront assistance.

Ce témoignage ne vise pas à occulter les difficultés que nos institutions rencontrent pour prendre en charge ces mineurs de plus en plus nombreux sur le territoire : il faut les regarder avec lucidité. Mais les discours accusateurs qui associent aux mineurs non accompagnés les mots « délinquance », « mensonge » et « appel d'air » ont trop longtemps occulté la réalité que nous imposons à ces enfants.

Ce texte, enrichi lors de l'examen en commission, est déjà en mesure d'améliorer les conditions de leur accueil en France, notamment en interdisant la réévaluation de leur minorité lorsqu'il a été statué sur celle-ci, mais nous pouvons encore collectivement prendre des mesures pour mieux les protéger. Comme tous les enfants de France, ils ont des droits, qui nous obligent.

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