Intervention de François Ruffin

Séance en hémicycle du jeudi 8 juillet 2021 à 15h00
Protection des enfants — Explications de vote

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois Ruffin :

…donc par un membre des Républicains et une ex-marcheuse.

Une ex-marcheuse et un membre des Républicains : vous voyez que je ne suis pas sectaire ! Ils ont posé un diagnostic clair, mais les mesures prises ne sont pas à sa hauteur.

Leur rapport évoque « le constat de défaillances structurelles du système : ruptures dans les parcours de vie des enfants quand prévaut la préservation d'une autorité parentale chancelante » ; cette défaillance structurelle demeure. Puis il mentionne « les ravages que la tension irrésolue entre les droits des parents et l'intérêt de l'enfant peut causer pour ces derniers » ; ils sont eux aussi irrésolus. Il parle par ailleurs de « mesurer les limites de la décentralisation en matière d'aide sociale à l'enfance et de poser plus globalement la question de la gouvernance », mais cette question n'a pas été posée. Il dit encore qu'« il est nécessaire que l'État revienne plus clairement dans le jeu » et que « L'État, via les préfectures, a donc tout son rôle à jouer » ; pourtant, dans le texte, l'État ne revient pas. « Cette logique apparaît à bout de souffle, et doit amener à réinterroger sans tabou la gouvernance de la protection de l'enfance au regard de la décentralisation », mais ce tabou n'a pas été réinterrogé. Enfin, il insiste sur le fait que le dispositif de la protection de l'enfance « ne doit pas occasionner de différences de traitement, selon les départements » ; il y a pourtant bien des différences en la matière, et elles vont subsister.

Toutes les citations du rapport ne sont pas traitées dans ce qui doit être un projet de loi sur la protection de l'enfance. On nous dit que le budget consacré à l'ASE va du simple au triple selon les départements. Seulement un tiers des départements ont mis en place les CESSEC. Les budgets alloués à la formation des professionnels varient de un à dix.

Selon le rapport, il est nécessaire de définir une véritable politique nationale de protection de l'enfance. Or elle n'est pas définie dans ce projet de loi. La rapporteure, nous dit-on, n'est pas convaincue que le conseil départemental est à même de mener à bien ces contrôles. Or nous n'avons pas institué d'organe de contrôle qui soit indépendant des départements. Il est écrit : « La situation pourrait donc être utilement clarifiée en renforçant la compétence de contrôle étatique. » Ce n'est ni clarifié ni renforcé.

Tout le rapport est comme ça. Le traitement n'a pas été à la hauteur. De belles lois, de superbes lois, il y en a plein, m'a dit un jour un éducateur. Et d'ajouter que ce qui manque, c'est la volonté de les appliquer et les moyens pour qu'elles deviennent réalité.

Nous avons fonctionné ici dans une espèce de magie : nous avons modifié des mots, pensant que cela changerait les choses ; nous avons fabriqué des organismes comme si nous étions habités de la croyance que nos mots allaient changer le réel, même sans mettre un euro de plus.

Nous sommes à 1 000 lieues du désarroi d'Anthony que je vous ai décrit à la tribune. Nous sommes aussi à 1 000 lieues de celui de Johnny, de Laëtitia, qui sont ballottés entre les foyers et leurs parents, qui sont placés, déplacés, replacés, subissant le saucissonnage des administrations. Tout cela n'est pas résolu.

Nous sommes à 1 000 lieues des frustrations de Stéphane, éducateur qui doit s'occuper d'un groupe de quinze gamins avec un seul collègue. Il aimerait bien donner de la tendresse, de l'affection en tête à tête. Il demande : « Qui va porter leurs désirs si nous ne le faisons pas ? Comment le faire quand on doit s'occuper de sept, huit ou dix enfants en même temps ? »

Ce n'est pas à la hauteur pour Valérie, assistante familiale, qui est confrontée à une solitude à laquelle ce texte n'apporte pas de réponse.

Les avis rendus sur votre texte sont plus que mitigés, qu'ils viennent de la Défenseure des droits, du Conseil national de la protection de l'enfance, de la CIMADE, de l'UNICEF ou de la Commission nationale consultative des droits de l'homme. Dans l'avis qu'elle a rendu cet après-midi même, cette dernière indique que « les objectifs poursuivis ne pourront pas être pleinement atteints par cette réforme organisationnelle. »

Alors, que va-t-on faire face à un texte qui nous apparaît comme du bidouillage, du gribouillage et du bricolage, aux avancées nuancées, donnant dans l'affichage publicitaire alors que l'ASE méritait mieux, qui n'est pas à la hauteur des enjeux ? Eh bien, nous allons aussi bricoler, bidouiller, gribouiller notre vote. À un texte mou, nous allons offrir un vote mou : nous allons nous abstenir. Nous aurions aimé soutenir avec fierté un projet de loi sur l'ASE ; à regret, nous n'allons pas le faire.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.