Intervention de Olivier Dussopt

Séance en hémicycle du lundi 19 juillet 2021 à 16h00
Modernisation de la gestion des finances publiques et financement de la sécurité sociale — Présentation commune

Olivier Dussopt, ministre délégué chargé des comptes publics :

La LOLF, qui fêtera ses vingt ans dans onze jours, est née d'un principe fondamental, celui posé à l'article 14 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : « Tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique ». À l'orée des années 2000, le besoin d'évaluer la dépense de l'État et d'en rendre compte était devenu patent, une vingtaine d'années après le vote du dernier budget en équilibre. Plus généralement, plus personne ne pouvait ignorer le décalage entre ce principe cardinal et les conditions d'examen et d'application des lois de finances.

Vingt ans après l'adoption de cette loi d'orientation, nous pouvons examiner lucidement le bilan de son application pour souligner ses qualités et les avancées qu'elle a permises mais aussi discerner, avec vous et grâce à vous, ce qu'il importe d'améliorer.

La LOLF a mis en avant une logique de performance jusqu'alors inexistante ; elle a amélioré les droits du Parlement en matière budgétaire, bien trop limités auparavant. Cela explique le fait que la réforme de 2001, d'essence démocratique, soit née du Parlement. Et je rendrai à mon tour hommage aux pères fondateurs de cette loi, Alain Lambert et Didier Migaud, qui ont contribué de manière déterminante à améliorer notre architecture budgétaire.

Vingt ans après, il apparaît que la LOLF est un succès.

Tout d'abord, elle a approfondi les droits du Parlement de multiples façons. Je me limiterai à quelques exemples. Vous examinez et votez les moyens de l'État par politique publique et non plus par ministère, ce qui permet de discuter de la destination des crédits. Vous votez la totalité des crédits de chaque mission budgétaire, alors qu'avant la LOLF les crédits de l'année précédente étaient reconduits par un simple vote unique. Vous amendez les crédits budgétaires, car la LOLF a considérablement élargi le droit d'amendement. Si le Parlement reste soumis à la contrainte de l'article 40 de la Constitution, ce que personne ne se prive de rappeler, il faut avoir à l'esprit que la LOLF l'a grandement assouplie en rendant possible le dépôt d'amendements parlementaires destinés à augmenter certains moyens budgétaires – ceux des programmes et non des missions –, chose inenvisageable avant.

S'agissant de la performance, les progrès apportés par la LOLF sont, là aussi, indéniables. Nous disposons d'un outil à fort potentiel, et la documentation budgétaire française est considérée comme la meilleure du monde, ainsi que l'a souligné un rapport de l'OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) et en 2018. Grâce à sa transparence, elle permet de bien mesurer l'efficacité de la dépense.

Si l'on porte un regard lucide sur cette loi d'orientation, il faut toutefois reconnaître que la pratique n'a pas toujours été à la hauteur des possibilités qu'elle offrait. Saisissons-nous donc de cette boîte à outils.

Beaucoup a déjà été fait pour que les règles de comptabilité et de gestion budgétaires accompagnent le mouvement de la LOLF. Les efforts doivent se poursuivre, tant du côté du Parlement que du Gouvernement, pour que l'évaluation de la performance de la dépense soit autre chose qu'un vœu pieux et pour que la justification au premier euro remplace vraiment la discussion sur les seules mesures nouvelles, à la fois au Parlement et au sein de l'administration. Nous devons y veiller sans tomber dans le piège de la bureaucratisation de la réforme, que pointaient déjà Alain Lambert et Didier Migaud, en 2006.

Au-delà de la pratique, la loi organique relative aux lois de finances comme la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale (LOLFSS) doivent être portées par un nouveau souffle. C'est la volonté à la fois de Laurent Saint-Martin et d'Éric Woerth pour ce qui concerne la première, et de Thomas Mesnier pour la seconde. Je tiens à les remercier pour la qualité de leurs travaux et, à travers eux, l'ensemble des parlementaires qui y ont contribué.

La proposition de loi organique relative à la LOLF s'inscrit dans la lignée du rapport de la mission d'information sur la mise en œuvre de celle-ci, qui, en septembre 2019, venait déjà conclure plusieurs mois de travaux. Je sais que ses auteurs ont encore travaillé ces derniers mois et ces derniers jours à des ajustements rédactionnels, notamment après les avis du Conseil d'État.

Les deux propositions de loi organiques et les deux propositions de loi qui les accompagnent constituent des avancées décisives pour le pilotage de nos finances publiques et pour les pouvoirs du Parlement. Elles nous semblent poser une pierre de plus à l'édifice de la décision budgétaire, en améliorant sa qualité et son efficacité au service de la maîtrise de nos finances publiques.

Pour ce qui est d'abord du pilotage des finances publiques, l'un de vos objectifs est d'instaurer une véritable dimension pluriannuelle dans la discussion budgétaire comme dans la LFSS, ce qui nous paraît essentiel. Le constat dressé par la commission sur l'avenir des finances publiques, présidée par Jean Arthuis, comme par la Cour des comptes est similaire : pour assainir les finances publiques, nous avons besoin d'une programmation pluriannuelle des budgets renforcée.

Je partage cet objectif et j'ajoute que cela doit être particulièrement le cas en matière de dépenses publiques. Vous souhaitez d'ailleurs, comme nous, instaurer une règle en dépenses qui nous permettra de nous inscrire dans la maîtrise pluriannuelle de nos finances publiques. Cet objectif aura d'autant plus de valeur que le Gouvernement pourra compter sur la vigilance du Haut Conseil des finances publiques pour constater les écarts entre ce qui a été prévu et ce qui a été fait, et demander les justifications idoines. C'est là une étape majeure dans le redressement de la trajectoire des finances publiques. Gageons que nous saurons lui donner tout le poids nécessaire.

Sur cet aspect comme sur d'autres, les deux propositions de loi organique sont complémentaires, puisque celle de Thomas Mesnier prévoit au sein de l'annexe B de la LFSS la création d'un compteur des écarts cumulés en dépenses entre la programmation pluriannuelle de la loi de programmation des finances publiques et les prévisions à date sur ce même horizon. Cet outil de pilotage, qui complète, sans s'y substituer, les autres leviers de pilotage de la LFSS, contribuera à inscrire le pilotage annuel des finances sociales dans la programmation pluriannuelle des finances publiques.

De même, vous proposez de créer un article liminaire en PLFSS, qui englobe l'ensemble du sous-secteur des administrations de sécurité sociale, afin de disposer d'une meilleure vision de l'ensemble des finances de la sphère sociale entendue au sens le plus large. La proposition de loi organique des membres de la commission des finances propose parallèlement d'affermir les débats consacrés à la gestion de la dette publique grâce à la remise d'un rapport sur la dette publique mais aussi à la tenue d'un débat annuel sur les modalités de son financement. Cette volonté forte tant du rapporteur général que du président de la commission des finances est tout à fait cohérente avec l'objectif que nous nous sommes fixé d'amorcer la décrue de la dette à l'horizon 2027, objectif qui ne sera atteint qu'en examinant de manière précise les conditions de sa gestion. Le contexte actuel de taux bas et la politique monétaire expansionniste ne doivent pas nous faire oublier les risques attachés à une dette publique trop élevée qui deviendrait insoutenable.

Le deuxième objectif de ces propositions de loi organique est de renforcer la sincérité des lois financières. De ce point de vue, ce gouvernement et cette majorité ont déjà beaucoup fait pour mettre en conformité la pratique avec l'esprit de la LOLF et de la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale. Il faut aller plus loin en faisant en sorte que le HCFP éclaire davantage le Parlement et les citoyens, comme le recommande Jean Arthuis dans son rapport. Cet organisme ne donne aujourd'hui qu'un avis consultatif sur les prévisions économiques, et la proposition de loi que vous présentez permet de renforcer les compétences de celui-ci.

Aussi la proposition de loi organique renforce-t-elle son rôle d'adjuvant de sincérité. Le Gouvernement devra présenter les raisons d'éventuelles déviations de la trajectoire de la loi de programmation des finances publiques avant le dépôt du projet de loi de finances. C'est, au fond, une disposition en faveur d'un cycle budgétaire toujours plus transparent, que le Gouvernement s'est d'ailleurs attaché à améliorer.

Elle prévoit également, au service de la sincérité budgétaire, le contrôle du Haut Conseil des finances publiques (HCFP) sur la compatibilité des dispositions des projets de lois de programmation sectorielles avec celles de la loi de programmation des finances publiques pluriannuelle ; nous soutenons cette disposition, qui tend à asseoir la crédibilité des lois de programmation des finances publiques, en évitant que d'autres lois de programmation sectorielles ne fragilisent son respect.

Par ailleurs, la proposition de loi organique étend les sujets sur lesquels le HCFP peut être amené à se prononcer. Si le texte est adopté, l'examen du Haut Conseil portera dorénavant sur le réalisme des recettes et des dépenses des PLF et des PLFSS de l'année. La sincérité n'a de sens que si les lois financières sont compréhensibles : c'est un enjeu démocratique.

Cette proposition de loi organique a donc pour ambition de réorganiser la présentation des lois de finances, pour améliorer leur lisibilité et leur transparence. Ainsi, votre texte entend d'abord améliorer l'information délivrée au Parlement, dans le prolongement de la loi organique de 2001. Dans son rapport d'information, Alain Lambert résumait ainsi l'esprit de cette loi : « Le contrôle parlementaire sur les finances publiques est une ardente obligation sans laquelle les fonctions du Parlement ne sauraient être réellement exercées. » C'est ce que l'article 4 vise à renforcer, en prévoyant notamment la remise d'un rapport au Parlement sur la situation des finances publiques locales, qui ouvrira ainsi la possibilité de réserver un temps de discussion budgétaire ad hoc.

Les propositions de loi améliorent par ailleurs le processus législatif, et nous considérons avec vous que le renforcement des pouvoirs du Parlement passe aussi par une réorganisation du calendrier législatif.

S'agissant du cadrage général, le débat d'orientation des finances publiques serait supprimé et remplacé par une obligation faite au Gouvernement de fournir au Parlement, avant le 15 juillet, les plafonds de crédits envisagés par mission pour l'année à venir. Il y aurait donc un débat unique portant sur l'orientation des finances publiques au moment de la présentation du programme de stabilité, au mois d'avril.

La proposition de loi de Thomas Mesnier contribue aussi à la rationalisation du cadre global des finances publiques, puisqu'elle propose d'aligner les dates de dépôt du PLF et du PLFSS, pour renforcer la vision budgétaire globale, toutes administrations publiques confondues. Cela permettra notamment à la représentation nationale de prendre connaissance de l'ensemble des projets de lois financières pour une année donnée, de façon cohérente.

Je souhaite que cet alignement s'accompagne également d'une dissociation de ce dépôt avec le début de computation des délais d'examen, de manière similaire au procédé déjà en vigueur pour le PLF. De cette façon, cet alignement n'engendrerait pas de risque de dépassement des délais prévus par la Constitution ni d'inversion. Nous pensons que les dispositions que vous proposez permettent cette dissociation.

Dans la même logique, le décalage au 1er mai du délai de dépôt du projet de loi de règlement (PLR) entérinera la pratique actuelle afin de laisser davantage de temps au Parlement pour ses travaux d'évaluation. Je souhaite souligner combien le Printemps de l'évaluation, instauré à l'initiative de la majorité actuelle, est utile à nos yeux. Notre tendance à concentrer notre attention sur l'avenir et sur les objets nouveaux nous prive souvent de temps pour l'analyse salutaire des dépenses passées et d'un regard lucide sur leur efficacité. La proposition symétrique de Thomas Mesnier consistant à prévoir la création d'un projet d'approbation des comptes de la sécurité sociale déposé au printemps est tout à fait opportune et le Gouvernement soutiendra cette disposition.

La proposition de loi organique de Laurent Saint-Martin et d'Éric Woerth refonde également la présentation de l'article d'équilibre et la récapitulation des crédits du budget général et des comptes spéciaux, en les organisant autour de la distinction de ce qui relève du fonctionnement et de ce qui relève de l'investissement dans les ressources comme dans les charges. Cette approche permettra au Parlement et aux citoyens de jeter un regard nouveau sur le budget de l'État.

Enfin, le Gouvernement accueille favorablement la rationalisation de l'organisation de l'examen parlementaire des exonérations de cotisations sociales formulée dans la proposition de loi organique présentée par Thomas Mesnier.

Toutes ces dispositions entendent faciliter le travail parlementaire, en simplifiant les éléments les plus structurels de la discussion budgétaire, à savoir le texte, le calendrier et les débats. Le doyen Gaston Jèze rappelait qu'« il n'y a aucune raison pour soustraire une dépense quelconque au contrôle du Parlement », et vos initiatives confortent ce principe élémentaire. Vous choisissez d'embrasser les enjeux actuels de la pluriannualité et la nécessité de disposer d'une vision claire sur les finances de l'ensemble des administrations publiques. Vous proposez une règle en matière de dépenses pluriannuelles, propre à favoriser la maîtrise des finances publiques et de l'évolution de ces dépenses. Nous en avons besoin plus que jamais. Vous dotez ainsi l'État et la sécurité sociale d'outils rénovés et précieux, à la fois pour le Parlement et pour le Gouvernement.

C'est pourquoi le Gouvernement attendait avec impatience et motivation l'ouverture de ces débats et l'examen des articles et des amendements, certain qu'ils permettront de trouver la voie d'un consensus qui améliore à la fois la pratique budgétaire du Gouvernement et l'information du Parlement, et renforce les prérogatives de ce dernier.

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