Intervention de Alain Bruneel

Séance en hémicycle du jeudi 22 juillet 2021 à 15h00
Prévention d'actes de terrorisme et renseignement — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAlain Bruneel :

Reconnaître la réalité du phénomène terroriste dans notre pays ne saurait nous dispenser de concilier la prévention des atteintes à l'ordre public et le respect des droits et libertés fondamentales. De même, agir avec fermeté contre le terrorisme n'implique pas nécessairement d'ajouter des dispositions nouvelles à celles qui existent déjà.

Alors que nous examinons en lecture définitive un texte qui s'inscrit dans la lignée de lois sécuritaires, conférant de larges pouvoirs à l'autorité administrative et lui permettant de prendre des mesures restrictives des droits et libertés, une question apparaît essentielle : la multiplication des textes répressifs est-elle efficace dans la lutte contre le terrorisme ? Pour nous, la réponse est non. Notre législation antiterroriste est en effet déjà substantielle. Elle a connu un renforcement graduel et de nombreux experts et de hauts magistrats considèrent qu'elle est largement suffisante.

Aujourd'hui, alors qu'aucun bilan complet et détaillé de l'efficacité des nombreuses lois « antiterroristes » n'a été dressé, qu'aucune évaluation indépendante de l'impact de ces mesures sur les droits humains n'a eu lieu, vous nous demandez de pérenniser le renforcement du pouvoir exécutif en étendant les prérogatives de police administrative et en anticipant la répression de comportements considérés comme potentiellement dangereux.

Depuis 2015 et l'instauration de l'état d'urgence, nous vous avions pourtant alertés sur le risque de banaliser l'usage de dispositifs exceptionnels tout en affirmant la nécessité de renforcer notre socle de droits fondamentaux. Malheureusement, nous n'avons pas été entendus et ce projet de loi confirme nos craintes.

Ainsi, vous nous demandez de pérenniser les dispositifs de police administrative prévus par la loi SILT, eux-mêmes issus de l'état d'urgence, tout en les renforçant. Je rappellerai que notre groupe s'était fermement opposé à la loi SILT, loi de normalisation de l'état d'urgence, comme l'avaient fait l'ensemble des associations de défense des droits de l'homme, de nombreux experts, des organisations internationales et des autorités administratives indépendantes. Nous vous avions alors mis en garde sur les risques et les dérives attachés aux mesures d'exceptions, lesquelles sont de nature à fragiliser l'État de droit et l'exercice des libertés fondamentales.

Nous réitérons également notre opposition à l'extension des mesures expérimentales de la loi relative au renseignement, qui autorise la surveillance automatisée des réseaux par des algorithmes. En 2015, les députés communistes, fermement opposés à toute forme de surveillance de masse, avaient dénoncé une réforme qui ne parvenait pas à l'équilibre entre le renforcement de la politique de renseignement et le strict respect des libertés individuelles. En toute logique, nous refusons aujourd'hui que le trafic internet soit analysé par un algorithme classé secret défense, d'autant que ce dispositif, placé entre les mains de l'exécutif, éviterait le contrôle par le juge judiciaire de mesures pourtant gravement attentatoires aux libertés individuelles.

Pour ce qui est, enfin, de l'article 19, nous partageons pleinement les inquiétudes exprimées par les archivistes, les historiens et les juristes : son seul objectif est de restreindre encore plus l'accès aux archives publiques. Son adoption risque donc de provoquer un recul sans précédent de la recherche et de la connaissance historiques sur des périodes comme celle de la guerre d'Algérie. Nous déplorons votre refus de faire évoluer ce dispositif, pourtant complètement remis en cause par la décision du Conseil d'État du 2 juillet 2021, qui a jugé illégale l'instruction générale interministérielle n° 1300 sur la protection du secret de la défense nationale. Nous le réaffirmons solennellement : les archives n'appartiennent pas aux seules administrations qui les produisent, elles sont le bien commun de la nation.

Aujourd'hui comme hier, nous considérons que l'État de droit ne peut s'accoutumer des atteintes aux libertés et droits fondamentaux, ni accepter comme un effet collatéral les abus et dérives causés par des dispositifs dérogatoires. S'il est indispensable de lutter contre le terrorisme, le respect de la séparation des pouvoirs, le respect des libertés individuelles et leur contrôle ne doivent souffrir aucune faille. Pour toutes ces raisons, nous voterons contre ce texte.

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