Monsieur le Premier ministre, nous venons enfin de vous entendre énoncer, de manière explicite, la position du Gouvernement quant aux dates des élections régionales et départementales : elles auront lieu les 20 et 27 juin prochains. Cette annonce est bienvenue, tant parce qu'elle était indispensable – nous sommes tout de même le 14 avril, à peine plus de deux mois avant le premier tour – que parce qu'une polémique invraisemblable enflait depuis plusieurs jours au sujet de ce scrutin.
C'est par ce point que j'ouvrirai mon propos, en dressant la liste de nos regrets. Je vous dirai nos regrets, tout d'abord, de voir le Gouvernement rouvrir un débat qu'il avait lui-même clos lors du vote de la loi reportant ce scrutin de mars à juin. Ici-même, Mme Marlène Schiappa a clairement dit et répété qu'il ne s'agirait pas, début avril, de discuter de nouveau de la tenue ou non des élections, mais simplement d'adapter les modalités d'organisation de la campagne et du scrutin aux conditions sanitaires. Vous n'avez pas tenu parole.
Je vous dirai nos regrets, ensuite, d'assister à une manipulation grossière de votre part, depuis la remise du rapport du Conseil scientifique : puisque ses conclusions renvoyaient à la seule responsabilité qui vaille en la matière – la vôtre –, vous avez décidé de consulter les formations politiques : à l'immense majorité, elles se sont prononcées pour la prééminence du devoir démocratique et le maintien des élections. Leur position a été confortée par l'avis majoritaire des associations d'élus, que vous avez également consultées – sans pour autant leur faire confiance, puisque, dans leur dos, vous avez interrogé directement les maires de France, un vendredi soir à dix-heures passées, à grands renforts de SMS et courriels de relance des préfets, sommés de recourir aux grands moyens, ceux qu'on mobilise pour les urgences. Qu'y avait-il de si urgent, alors que vous disposiez du rapport du Conseil scientifique depuis plus de dix jours et que les maires sont tenus d'organiser les élections, en leur qualité d'agents de l'État ? Leur réponse a d'ailleurs démontré à quel point ils étaient, pour leur part, conscients de leurs devoirs.
Je vous dirai enfin nos regrets de vous voir considérer les assemblées parlementaires comme de simples chambres d'enregistrement. Avant même d'ouvrir le débat avec nous, vous en avez livré les conclusions – le fin mot – aux médias, faisant ainsi peu de cas des représentants des Français.
Outre ces remarques sur la forme, je tiens à souligner trois aspects sur le fond. C'est de la démocratie qu'il s'agit ici, principe fondamental dont il paraît incroyable de vouloir se passer, même dans un contexte sanitaire inédit. Le cynisme de cette consultation des maires, dans leurs fonctions d'agents de l'État, alors que, pas une seule fois, durant la crise, vous ne les avez consultés dans leurs fonctions d'élus, sur les contraintes infligées à leurs compétences – ouvrir et fermer les écoles, leur imposer des jauges… –, est édifiant.
La loi reportant les élections de mars à juin stipulait précisément qu'il conviendrait d'adapter les modalités de tenue du scrutin : augmentation des plafonds des dépenses de campagne, achat de purificateurs d'air pour les bureaux de vote ou envoi de stylos à chaque électeur avec les bulletins. De nombreuses solutions simples étaient envisageables, mais vous n'avez rien fait, rien envisagé ni rien prévu, préférant spéculer sur un éventuel report des élections.
In fine, vous défendez le statu quo, mais cet épisode laissera un goût amer – celui du jeu sorcier auquel vous avez tenté de vous livrer pour ôter aux Français la possibilité de s'exprimer ; celui, aussi, d'un sentiment d'impréparation chronique.
Même au terme de votre intervention, monsieur le Premier ministre, nous manquons cruellement de précisions concernant les dates de la campagne, les nouvelles dispositions que vous souhaitez introduire, et les modalités précises des élections : vous les avez renvoyées aux circulaires que M. le ministre de l'intérieur adressera aux candidats. Ces précisions, il nous les faut, et les candidats en ont besoin au plus vite. Dans cette attente, tout doit être fait pour que le rendez-vous démocratique des élections régionales et départementales de juin soit un succès.