Nous procédons donc à la lecture définitive de la proposition de loi visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l'inceste. Un accord important a été trouvé entre les deux assemblées, nécessaire à une adoption rapide par le Parlement de ce texte. Si nous nous réjouissons bien évidemment de cette procédure et du futur accord d'une grande majorité d'entre nous – voire, nous l'espérons, d'une unanimité –, plusieurs sujets méritent encore notre attention.
La rédaction de cette proposition de loi, même si elle renforce la protection des mineurs, reste complexe. Il faudra dorénavant distinguer viol, viol sur mineur de 15 ans, viol incestueux, agression sexuelle, atteinte sexuelle, circonstances aggravantes – et toutes ces infractions pourront s'avérer difficilement applicables.
Il n'en demeure pas moins que le texte présente plusieurs avantages majeurs : il simplifie la qualification du viol, évite la requalification pour défaut d'élément constitutif et, cumulé avec le dispositif des cours criminelles qui protège la victime de la solennité de la cour d'assises ou de la lourdeur de sa procédure, écarte le risque de requalification d'opportunité, lui permettant ainsi d'obtenir une réponse rapide tout en étant reconnue comme victime d'un crime et non d'un délit. Ces avancées nous paraissent indispensables. Nous les devons à nos enfants.
La question de la différence d'âge, à laquelle nous étions également opposés, jugeant que ce dispositif manquait de clarté, aurait été réglée plus simplement s'il avait été inscrit dans le texte que la relation avec un mineur de 15 ans devait être punie de vingt ans de réclusion criminelle. L'exception créée revient à fixer un interdit en dessous de 13 ans, ce qui, à nos yeux, reste insuffisant : il faut tenir compte de la particulière vulnérabilité des enfants dans l'appréciation des violences sexuelles et des difficultés à établir, au cas par cas, la nature d'une relation sexuelle entre un jeune mineur et un majeur ainsi que le consentement y afférant.
Le Sénat a toutefois approuvé ce dispositif, jugeant que l'Assemblée nationale avait fait preuve de créativité en retenant le seuil de 15 ans et en l'assortissant d'un écart d'âge. Il a estimé que la solution retenue par l'Assemblée nationale, en répondant à ses préoccupations, constituait la base d'un accord politique entre les deux chambres et méritait donc d'être conservée. Dont acte – même si nous estimons qu'elle ne réglera pas tout et que cette disposition soulèvera des questions en ne répondant que partiellement à l'avis rendu par le Conseil d'État en 2018.
De nombreux points ont été améliorés au cours de la navette parlementaire. Je songe notamment à la cohérence de l'échelle des peines, avec la création de nouvelles circonstances aggravantes, ou à la meilleure coordination permise par l'extension du nouveau délit de « sextorsion » sur internet : ce dernier protégera ainsi tous les mineurs, et non seulement ceux de moins de 15 ans, comme c'est déjà le cas pour le délit de corruption de mineur ou pour les infractions protégeant les mineurs de la pornographie. La commission des lois du Sénat a également simplifié la rédaction de l'article 227-25 du code pénal relatif à l'atteinte sexuelle en supprimant la disposition qui permet de considérer que le délit n'est pas constitué en l'absence de pression sur le mineur, préférant laisser au parquet le soin d'apprécier au cas par cas s'il convient ou non d'engager des poursuites dans ces affaires.
Si nous approuvons ces modifications, nous regrettons toutefois qu'elle ne soit pas revenue sur l'article 4 quater relatif à la prescription glissante des crimes sexuels sur mineur, lequel sera donc adopté conforme. Comme je l'ai précisé lors de précédentes discussions, le régime des prescriptions assure pourtant la stabilité de notre système juridique, garante de la paix sociale. Il faut donc le modifier non pas d'une main tremblante, mais d'une plume prudente. La rédaction de cet article, confuse, conduira à une imprescriptibilité de fait – ou au moins dans l'inconscient collectif. De plus, le maintien, pour des délits, d'un dispositif de prescription glissante pouvant courir sur plus de quarante ans crée une instabilité juridique : il semble impossible, après une si longue période, de prouver et d'établir avec certitude des faits au cours desquels la victime était souvent seule avec son bourreau. On risque d'exposer cette dernière à des procédures judiciaires illusoires, qui ne pourront aboutir à des condamnations, ajoutant ainsi de la douleur à la douleur.
Nonobstant ces observations, ce texte constitue, comme je le soulignais précédemment, un réel progrès en matière de protection des mineurs, auxquels nous devons la plus absolue attention. Nous le voterons, en espérant qu'il soit adopté à l'unanimité.