Pour la troisième fois en trois mois, l'Assemblée nationale est appelée à se prononcer en séance sur une proposition de loi visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l'inceste. Ce calendrier, particulièrement dense, nous oblige. Sur une telle question, relative à la protection des mineurs, il est important que le Parlement s'exprime d'une voix forte : le consensus des assemblées doit s'ajouter à l'unanimité des députés pour envoyer un message clair et audible à nos concitoyens.
J'admets avoir beaucoup appris durant cette période : parlementaire depuis six mois et demi seulement, je dois reconnaître, avec le recul, quelle chance ce fut de pouvoir, dès mon arrivée, déposer au nom de mon groupe une proposition de loi visant à fixer un seuil de non-consentement de 15 ans et à affirmer qu'un enfant de moins de 18 ans ne saurait consentir à l'inceste, et de la voir unanimement adoptée en première lecture le 18 février.
Ce travail parlementaire se poursuit par l'examen de la proposition de loi de la sénatrice Annick Billon. Le Gouvernement a retenu ce véhicule législatif, que nous avons, à l'occasion de son adoption en première lecture le 15 mars dernier, enrichi de nos travaux collectifs – dont les propositions formulées par Mme Louis en sa qualité de rapporteure – et des apports du Gouvernement, pour parvenir au texte présenté aujourd'hui après son examen en deuxième lecture par le Sénat. Au fond, ce texte est une coconstruction du Parlement, ce dont je me félicite.
Aussi, je veux, à cet instant, remercier Mmes les sénatrices Billon, Meunier et Rossignol, ainsi que les sénateurs et députés qui se sont mobilisés durant toute cette période, dont Mme la rapporteure, et les membres du Gouvernement ici présents.
Ce texte, nous le savons, est très attendu. Mais nous devons rappeler qu'une loi n'est jamais rétroactive : nous écrivons aujourd'hui le droit pour demain. Si nous franchissons un premier pas, il restera beaucoup à faire pour mieux protéger les enfants, notamment en améliorant la prévention pour procéder à des repérages précoces, en renforçant la formation des professionnels et en adaptant la communication au grand public.
Est-il nécessaire de rappeler les chiffres pour mesurer ce dont il est question ici ? 10 % des Français auraient subi l'inceste. Un enfant est violé toutes les heures en France. Un Français sur cinq aurait subi un acte de pédocriminalité. 65 % des auteurs de viols sur mineurs ont moins de 24 ans. Une femme sur six n'a pas consenti à sa première relation sexuelle – et, dans un tiers des cas, elle avait moins de 15 ans.
Le texte sur lequel nous travaillons est indéniablement porteur de progrès. Mais le dispositif législatif qui découle de la réforme proposée en deuxième lecture restera, ne le cachons pas, difficilement applicable du fait de sa complexité et de la superposition des différents régimes juridiques qu'il introduit selon les situations. Il sera donc nécessaire, monsieur le garde des sceaux, d'accompagner le texte de formations à destination des professionnels – enquêteurs et magistrats – pour assurer sa bonne application dans les juridictions.
J'insiste sur un point qui fait débat : l'écart d'âge de cinq ans. Cette disposition doit être supprimée ou modifiée, car elle fragilise la protection des mineurs de 13 ou 14 ans, qui sont particulièrement vulnérables, et est donc contraire à l'esprit de nos travaux.
Comme je l'ai indiqué en commission des lois, j'ai étudié le cadre juridique en vigueur dans les autres pays européens. L'Autriche fixe un seuil de non-consentement à 14 ans et tolère un écart d'âge de trois ans ; l'Espagne fixe le seuil à 16 ans, sans écart d'âge, le magistrat regardant simplement si l'âge de l'auteur est proche de celui de la victime ; l'Italie applique un seuil de 14 ans et un écart d'âge de deux ans ; la Suède fixe le seuil à 15 ans, une faible différence d'âge pouvant être prise en considération ; la Suisse applique un seuil de non-consentement de 16 ans et un écart d'âge de trois ans ; la Belgique, l'Allemagne et le Portugal fixent tous trois le seuil à 14 ans, sans écart d'âge ; le Royaume-Uni applique un seuil de 16 ans, sans écart d'âge. Vous le voyez : nous serions le seul pays d'Europe à retenir un écart d'âge de cinq ans.
C'est pourquoi, si j'entends les arguments qui me sont opposés et si je partage le souhait du garde des sceaux que nous adoptions un texte conforme à celui du Sénat, il est important de débattre de cette question. Pour notre part, nous avons déposé un amendement visant à réduire l'écart d'âge à trois ans, alors même que j'étais initialement favorable à fixer un seuil de consentement sans écart d'âge. L'enjeu est d'adopter un dispositif conforme à ceux qui ont cours dans les autres systèmes juridiques européens.
S'agissant des amours adolescentes, j'ai toute confiance en la capacité d'appréciation éclairée des magistrats quant à l'opportunité d'engager ou non des poursuites envers un jeune majeur.