Il faut le rappeler encore et encore : les enfants sont les principales victimes de violences sexuelles ; chaque année, monsieur le ministre, 130 000 filles et 35 000 garçons subissent viols ou tentatives de viol, en plus de 94 000 femmes et 16 000 hommes majeurs, et 80 % de l'ensemble de ces violences débutent avant que la victime ait 18 ans, 51 % avant ses 11 ans et 21 % avant ses 6 ans. La société et ses institutions manquent encore trop souvent aujourd'hui à leur devoir de protection et de prévention de ces violences, résistant à reconnaître leur caractère systémique, échouant à accompagner comme il se doit les victimes pour que justice leur soit rendue et qu'elles puissent obtenir réparation. Ce n'est que sous la pression des associations de victimes et de leurs soutiens citoyens qu'un début de prise de conscience a commencé à émerger. Mais beaucoup de chemin reste encore à faire.
Si la loi Schiappa de 2018 a été, de notre point de vue et de celui de nombreuses associations, une occasion manquée pour avancer significativement sur ce chemin, la proposition de loi de notre collègue Santiago, votée dans cet hémicycle le 18 février dernier, a marqué un pas significatif avec la création d'une infraction autonome pour les violences sexuelles commises par une personne majeure sur un mineur de 15 ans, ou sur un mineur de 18 ans en cas d'inceste. La proposition de loi de l'Union centriste au Sénat, de l'UDI-I et de LaREM ici, que nous examinons en deuxième lecture aujourd'hui, reprend ce dispositif en le reformulant : c'est une évolution tardive, mais bienvenue, de la part de la majorité. En l'état, ce texte reste néanmoins insatisfaisant à plusieurs égards. J'en soulignerai principalement deux.
Le premier, c'est l'écart d'âge de cinq ans. Associations, commissions indépendantes et professionnels du droit alertent depuis plusieurs semaines à ce sujet : introduit dans le texte en première lecture à l'Assemblée, cet écart d'âge de cinq ans au moins entre la personne majeure et la personne mineure pour qualifier l'infraction affaiblit de facto la protection des jeunes mineurs de 13 ou 14 ans, car il impose de recourir aux critères matériels de caractérisation du viol. La reprise de ce terme même crée deux infractions : le viol simple avec circonstances aggravantes dues à la minorité de la victime et le viol sur mineur de 15 ans s'il y a au moins cinq ans d'écart, ce qui risque de conduire à des disparités de jurisprudence.
Le problème fondamental provient de la définition en droit du viol, car elle ne s'appuie pas sur l'absence de consentement mais sur une méthodologie qui doit être appliquée par les magistrats, à savoir rechercher s'il y a eu violence, menace, contrainte ou surprise. Pour lutter contre la culture du viol et prévenir ce crime, il faut au contraire construire une culture du consentement et du non-consentement automatique des mineurs de 15 ans. Le consentement est une notion qui devrait être placée au centre de l'ensemble des dispositions en la matière, à commencer par la disposition qui donnerait une définition claire et sans ambiguïté de l'infraction. Comme le déclare le magistrat Christian Guéry, « il est temps que conformément aux directives européennes, le droit français dise que le viol est un acte sexuel commis en l'absence d'un consentement libre et éclairé. » L'année dernière, le Danemark a modifié son code pénal pour enfin reconnaître cette réalité ; c'est le douzième pays d'Europe dans ce cas. D'autres, comme l'Espagne ou les Pays-Bas, ont annoncé des projets législatifs en ce sens. Pourquoi pas la France ? Le groupe La France insoumise regrette que son amendement sur le sujet, après avoir été rejeté, ait été cette fois-ci déclaré irrecevable.
Le second point majeur d'insatisfaction, ce sont les moyens prévus pour la prévention. Même si de nouveaux moyens ont plusieurs fois été annoncés, ils restent insuffisants, en tout cas s'agissant des annonces. Outre le déficit constant en termes d'accueil et d'accompagnement médico-social et juridique des victimes, enfants et adultes, nous déplorons que l'essentiel de l'action législative et gouvernementale se situe a posteriori de l'infraction, ce qui est pour le moins contradictoire, notamment dans un texte qui vise à protéger les mineurs des crimes sexuels, et donc à agir en amont.
Le manque chronique de moyens pour lutter efficacement contre ces violences est pourtant de notoriété publique. Cela va de la formation des professionnels – enseignants, médecins, éducateurs, mais aussi policiers, avocats, psychologues et assistants – à la prise en compte de l'enjeu fondamental qu'est l'éducation, qui devrait intervenir très tôt pour former les enfants au respect de l'intégrité de leur corps et à l'existence de leurs droits. Nous avions déposé un amendement pour connaître – puisqu'il en va de notre responsabilité de parlementaires et qu'en la matière, plus encore que sur d'autres sujets, on ne saurait se payer de mots et se contenter d'annonces : il faut que l'intendance humaine, matérielle et financière suive et soit à la hauteur du préjudice, qui est immense – le montant et le détail des budgets consacrés à la protection des enfants contre les violences sexuelles. Cet amendement a été jugé irrecevable. C'est pourtant là que le bât blesse, et cruellement.
Ce sont les mobilisations des victimes et des associations, appuyées par l'engagement constant des professionnels, qui ont permis de rouvrir le débat au Parlement depuis 2018. Notre assemblée ne doit pas manquer la seule occasion qui lui reste dans cette législature de progresser significativement dans la lutte contre les violences faites aux enfants. Notre détermination, à la France insoumise, reste en tout cas intacte.