Intervention de André Chassaigne

Séance en hémicycle du vendredi 16 avril 2021 à 21h00
Lutte contre le dérèglement climatique — Article 62

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAndré Chassaigne :

Sans être a priori contre cet article et le suivant, je voudrais cependant exprimer un doute. Vous me demanderez : pourquoi avoir des doutes ? Il suffit d'être dans le vent… Mais quand on est dans le vent, on a l'avenir d'une feuille morte.

Sans se vouloir trop technique, cette intervention générale me porte tout de même à vouloir pointer le fond agronomique et climatique de la mesure présentée. Je m'interroge en effet sur son efficacité réelle en matière de bilan carbone par hectare. Je comprends, bien entendu, l'affichage politique, voire éthique, qui sous-tend ces deux articles, mais nous devons – c'est notre responsabilité – évaluer ses effets potentiels.

Aussi ai-je souhaité échanger directement avec des agriculteurs de la Limagne – ma Limagne, pourrais-je dire –, dont les cultures principales sont le maïs et le blé. Je l'ai fait, dans le souci de bien comprendre leurs pratiques et de connaître leur appréciation sur ces mesures. Je précise que certains d'entre eux sont engagés depuis plusieurs années dans l'agriculture de conservation et les techniques culturales simplifiées.

Contrairement à beaucoup de lieux communs qui circulent, ils ont tous – je dis bien tous – exprimé leur souci d'ajuster au mieux leur niveau de fertilisation azotée au plus près des besoins de leurs cultures et de leur système cultural : ils n'épandent pas de fertilisants pour le plaisir ni pour polluer.

Il en a résulté un échange à belle valeur agronomique. Je pense qu'il aurait passionné beaucoup d'entre vous, à commencer par vous, monsieur le ministre, en agronome que vous êtes. De cet échange sont ressortis trois points.

Le premier point, déjà souligné par certains intervenants, portait sur le type d'engrais utilisé, sa composition en unités d'azote, son niveau d'assimilation par les différentes cultures, ses effets sur les sols et les pertes possibles dans l'environnement. Ils ont tous insisté sur les risques inhérents à l'évaluation des émissions en fonction des types d'engrais, en particulier de l'urée et de l'ammonitrate, et de la réalité des besoins des plantes cultivées. Le rapport prévu à l'article 62 étudiera notamment « l'opportunité de fixer des taux différenciés en fonction des facteurs d'émission d'ammoniac des différents types d'engrais ». Certes, il faut le faire, c'est un débat de fond ; mais c'est un débat complexe qui doit se conduire sur des bases agronomiques très précises.

Le second point de notre échange a porté sur l'intérêt général de la taxe au regard des efforts de précision qui sont déjà consentis et progressivement adoptés par l'ensemble des producteurs actuels sur la fertilisation. De plus en plus d'entre eux ont recours à une agriculture de précision par la détection des besoins en azote à l'échelle de la parcelle. Ils s'interrogent donc sur le contenu de la « trajectoire annuelle de réduction des émissions de protoxyde d'azote et d'ammoniac du secteur agricole », laquelle sera en lien direct avec les rendements attendus des cultures. Nous devons avoir le courage de dire les choses très concrètement sur les orientations culturales qui sous-tendent cette démarche de réduction des émissions.

Le troisième point, que je juge pour ma part le plus fondamental, a concerné le caractère uniforme de la mesure, qui ne tiendrait pas compte des grandes orientations techniques de l'exploitation, et en particulier du travail du sol et de la recherche de stockage de carbone à travers, notamment, des couverts végétaux. En effet, celle-ci touchera de la même façon les agriculteurs qui continuent d'avoir des pratiques conventionnelles avec labour et rotations rapides de mêmes cultures, lesquelles ont de forts besoins azotés et présentent des pertes de matière organique à l'hectare, c'est-à-dire que les sols s'appauvrissent et stockent de moins en moins de carbone, et ceux qui utilisent eux aussi des engrais azotés, mais pour favoriser l'implantation et le développement de couverts végétaux, ou qui limitent drastiquement le labour, c'est-à-dire ceux qui favorisent la captation de carbone par la photosynthèse tout au long de l'année et stockent donc du carbone dans les sols de nos plaines. Le bilan n'est pas minime, avec 1 à 1,5 tonne de carbone stockées par an sous forme de matière organique. Ce débat est donc essentiel.

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