Intervention de Guillaume Gauthier

Séance en hémicycle du lundi 3 mai 2021 à 16h00
Bilan de la loi Égalim sur la rémunération des agriculteurs

Guillaume Gauthier, éleveur de bovins en Saône-et-Loire :

Il est difficile de récapituler une vie d'éleveur en cinq minutes, mais je vais m'y atteler en vous présentant rapidement mon exploitation. Je suis éleveur de charolaises en Saône-et-Loire, dans un GAEC – groupement agricole d'exploitation en commun – de cinq associés. C'est un GAEC familial où nous sommes tous cousins ; je suis la troisième génération d'éleveur et mon petit-cousin, qui vient de s'installer, est la quatrième génération.

Mon exploitation remplit, je crois, toutes les cases du « bon » modèle, non pas parce que j'élève des charolaises – ce qui mérite tout de même d'être mis en avant –, mais parce que toute la valeur ajoutée des animaux est pour ainsi dire faite à la maison. J'engraisse moi-même l'ensemble de mes animaux, les femelles comme les mâles, notamment des jeunes bovins – j'y reviendrai. L'exploitation comprend un maximum de pâturage et je suis autosuffisant en céréales. Je pousse tous mes animaux à bout, sauf peut-être les mâles, pour lesquels il est difficile d'être autosuffisant ; c'est ce qui me pénalise, même si je suis persuadé que la valeur ajoutée est captée en sortant de la stabule.

Le GAEC Ilagri a toujours été adhérent d'une coopérative. On met toujours en avant le fait que les éleveurs sont mal organisés, qu'ils ne savent pas se structurer. Malgré tout, la majorité des éleveurs ont rejoint le système coopératif. Cela signifie qu'ils croient aux valeurs de la coopération et au fait de travailler ensemble. Par ailleurs, une petite partie de ma production est vendue en vente directe : depuis quelques années, j'ai un magasin à la ferme dans lequel j'écoule quelques animaux – il faut être réaliste là-dessus, je suis dans le bassin du Charolais et il n'y a pas de grande métropole près de chez moi.

Enfin, puisqu'on en a débattu pendant les états généraux de l'alimentation, je suis agréé label Rouge : l'alimentation de mes animaux est bien évidemment sans OGM et, point essentiel pour le jeune éleveur que je suis, ils pâturent entre huit et neuf mois selon la météo. Si ça pouvait être plus longtemps, ça serait volontiers, mais c'est compliqué quand il n'y a pas d'herbe. Sur le papier, je pense donc cocher toutes les cases du modèle durable que tout le monde souhaite.

Depuis quelques années, je siège à Interbev, l'association nationale interprofessionnelle du bétail et des viandes. Je connais donc bien les plans de filière, les états généraux de l'alimentation et les débats qui ont eu lieu sur les coûts de production.

Malgré une année 2020 compliquée, pour la raison que vous connaissez, la consommation de viande bovine a augmenté. Cependant, les prix n'ont pas suivi cette augmentation, ils ont même fortement chuté pour les jeunes bovins et les mâles.

Je veux vous raconter la vraie vie d'un éleveur faisant partie d'une interprofession qui, parce qu'il avait quelques responsabilités, croyait dur comme fer aux états généraux de l'alimentation. Même quand mes copains éleveurs n'y croyaient pas, je les ai défendus, et je pense toujours que l'idée était bonne. Peut-être est-ce à cause de ma jeunesse de l'époque – je ne suis plus si jeune aujourd'hui : j'ai cru que l'on allait se battre pour fixer des prix qui couvriraient les coûts de production. Pour vous répondre, monsieur Chalmin, je sais, moi, ce que c'est qu'un prix rémunérateur : c'est un prix qui couvre mes coûts de production.

L'interprofession y a travaillé durement. Nous avons organisé de grandes réunions et nous avons même rencontré plusieurs fois le médiateur pour mettre au point la méthode de calcul de l'indicateur du coût de production. Malgré cela, si tout le monde est d'accord au sein de l'interprofession pour faire une très belle communication sur le label Rouge, comme vous avez pu le voir à la télévision, dès qu'il s'agit de ramener une partie du prix vers le monde de l'élevage, et surtout vers l'éleveur, certaines familles s'y opposent. Comme toutes les décisions doivent être prises à l'unanimité, on n'avance pas sur la rémunération des éleveurs.

Pour ce qui est de la vie d'éleveur en coopérative, là aussi, l'on se dit que, si on est mieux structuré, on va mieux vendre ses animaux, alors on fait confiance à l'outil qu'est la coopérative et aux valeurs qu'elle défend. En 2020, le marché semblait favorable ; je me suis dit que, trois ans après les états généraux de l'alimentation, nous allions conclure des contrats qui nous permettraient enfin de vendre nos animaux à des prix assez dignes pour nous rémunérer. Mais, avec le recul, ma coopérative n'a pas pu, ou peut-être pas voulu, conclure de tels contrats et mettre le label de mes animaux en avant pour me rapporter de la valeur. Je ne sais pas si c'est le rôle de la coopérative de vendre les animaux ; ils les collectent, mais, pour ce qui est de vente, c'est plus compliqué. Je vous parle clairement : je n'ai pas l'habitude de faire de la langue de bois.

Ça a été une grosse désillusion : trois ans après le plan de filière et les états généraux de l'alimentation, il n'y a pas grand-chose qui ait avancé dans ma cour de ferme, au point que mon père, qui a 74 ans et qui travaille encore beaucoup avec moi, comme mes oncles, a calculé le manque à gagner entre le prix de vente de mes animaux en 2020 et le coût de production : c'est un euro du kilo pour la carcasse, soit 150 000 euros pour mon exploitation.

Enfin, concernant ma vie d'engraisseur de jeunes bovins, ce qui me pénalise du point de vue de l'autonomie alimentaire, notamment pour les protéines, c'est d'avoir des jeunes bovins dont je veux capter la valeur ajoutée jusqu'au bout et d'être fier de produire une alimentation française, car je ne fais pas d'allers-retours avec d'autres pays. Or les prix ont été très durs. On dit qu'il ne faut plus exporter les broutards vers l'Italie et les consommer en France, en habituant le palais des enfants à manger du mâle ; cela signifie que 800 000 animaux vont arriver sur un marché qui n'est déjà pas rémunérateur pour moi.

Je voudrais conclure sur un point très important. J'ai 36 ans, et je constate que quelques jeunes éleveurs souhaitent encore s'installer, mais, dans mon département, 1 400 producteurs vont partir à la retraite dans les cinq prochaines années. On compte quatre-vingts installations de jeunes par an : quatre-vingts fois cinq, cela fait quatre cents, si je ne suis pas trop mauvais. Il en manquera donc mille.

Vous avez beaucoup parlé de régulation ; eh bien, moi aussi, je veux de la régulation. Je veux que l'on régule nos marchés et, clairement, que l'on fixe un prix. On ne peut pas créer un ensemble de contraintes – que nous avons acceptées et que nous sommes fiers de défendre – sur les prairies, sur l'environnement et sur le durable, tout en nous exposant à un marché mondial sans doute très libéral qui nous impose la concurrence des prix étrangers et des feedlots américains de 30 000 animaux. Ce n'est pas possible. Je peux vous assurer d'une chose, c'est que je ne suis pas prêt, en Saône-et-Loire, à faire un feedlot. Soit je vends ma viande correctement en respectant nos valeurs en matière d'environnement et de biodiversité, soit j'arrête mon exploitation, car je ne veux pas utiliser d'hormones ni d'antibiotiques.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.