Séance en hémicycle du lundi 3 mai 2021 à 16h00

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

  • EGALIM
  • contractualisation
  • viande
  • éleveur

La séance

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La séance est ouverte.

Je vous souhaite une bonne reprise, mes chers collègues.

La séance est ouverte à seize heures.

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Le président a reçu de M. Ludovic Pajot, député de la dixième circonscription du Pas-de-Calais, une lettre l'informant qu'il se démettait de son mandat de député à compter du mercredi 21 avril 2021.

Par une communication du mercredi 14 avril 2021, le ministre de l'intérieur a informé le président que M. Ludovic Pajot est remplacé jusqu'au renouvellement de l'Assemblée nationale par Mme Myriane Houplain, élue en même temps que lui à cet effet.

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L'ordre du jour appelle les questions sur le bilan de la loi ÉGALIM et les relations commerciales.

Je vous rappelle que la conférence des présidents a fixé à deux minutes la durée maximale de chaque question et de chaque réponse.

La parole est à M. Thierry Benoit.

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Je suis heureux que nous puissions, dès cette séance de reprise de nos travaux, questionner le Gouvernement en la personne d'un de ses éminents représentants, M. le ministre de l'agriculture et de l'alimentation, que je sais sérieux et concentré sur son sujet.

Je suis honoré, monsieur le ministre, de vous interroger sur les relations commerciales. Vous vous souvenez qu'au mois de mars dernier, j'ai rendu un rapport d'information, à la demande de la commission des affaires économiques, sur le suivi des conclusions de la commission d'enquête sur la situation et les pratiques de la grande distribution et de ses groupements dans leurs relations commerciales avec leurs fournisseurs, commission d'enquête que j'avais présidée et dont M. Grégory Besson-Moreau, député de l'Aube, avait été le rapporteur. Or, parmi les questions que nous avions identifiées, certaines renvoyaient à des mesures prises dans le cadre de la loi ÉGALIM – loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous –, notamment le relèvement du seuil de revente à perte (SRP) et l'encadrement des promotions, mesures qui ont généré bon an mal an 600 millions d'euros, une somme qui aurait pu remonter en amont, c'est-à-dire profiter aux agriculteurs.

Or, au cours de ma mission d'information, j'ai constaté que ni les agriculteurs ni même les industriels n'étaient capables de dire où étaient passés ces 600 millions. La question que je me pose, et à vous aussi en l'occurrence, est donc la suivante : n'aurait-on pas intérêt à concevoir un outil permettant la transparence de l'information sur les marges, afin de s'assurer notamment que les mesures prises portent bien leurs fruits par une remontée de la valeur vers l'amont, notamment vers les agriculteurs ?

M. Grégory Besson-Moreau et Mme Barbara Bessot Ballot applaudissent.

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La parole est à M. le ministre de l'agriculture et de l'alimentation.

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Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation

Tout d'abord, je tiens à remercier votre groupe d'avoir inscrit le suivi de la loi ÉGALIM à l'ordre du jour de votre assemblée, et je tiens à vous remercier personnellement, j'ai eu l'occasion de vous le dire à plusieurs reprises, pour tout le travail mené avec votre collègue Grégory Besson-Moreau sur le sujet : les recommandations que vous formulez au terme de votre rapport d'information sont toutes plus pertinentes les unes que les autres. Soyez assuré que je les ai étudiées avec la plus grande attention.

Vous posez deux questions, la première portant sur ce fameux seuil de revente à perte, la seconde sur la transparence. S'agissant de la nouvelle réglementation sur le seuil de revente à perte, on estime en effet qu'elle a dégagé 600 millions d'euros supplémentaires. Une première étude menée l'année dernière montre que cette somme a plutôt été réorientée vers des opérations du type cartes de fidélité et sur le déploiement des marques de distributeur – les fameuses MDD. Mais nous n'avons pas encore aujourd'hui la capacité de connaître l'impact « cour de ferme », même si nous estimons déjà qu'il n'est pas celui escompté initialement. Nous avons lancé une deuxième étude qui nous permettra de connaître cet impact d'ici à l'automne.

Cette question renvoie en effet à celle de la transparence, parce que si de telles études sont nécessaires, c'est bien en raison de son insuffisance en matière de marges. Or, pour moi, le credo est clair : il faut passer de la guerre des prix à la transparence des marges, ce qui va vraiment, du moins je le crois, dans le sens des conclusions de votre rapport d'information, car c'est cette transparence des marges qui doit permettre d'arriver à une véritable diffusion de la création de valeur tout au long de la chaîne agroalimentaire, processus que nous devons renforcer en allant encore plus de l'avant, notamment dans le cadre de la proposition de loi déposée par Grégory Besson-Moreau.

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L'injuste rémunération des agriculteurs est le nœud du problème auquel viennent se greffer des problèmes supplémentaires : je pense à la réforme de la PAC – politique agricole commune – contre laquelle, vous le savez, des agriculteurs de l'Oise, comme d'autres, ont manifesté, il y a deux jours encore devant le Parlement européen à Strasbourg. Je pense aussi à la concurrence déloyale, sachant que l'article 44 de la loi ÉGALIM n'est toujours pas appliqué, ce qui nous conduit à importer ce qu'on interdit à nos agriculteurs de produire. Et je ne parle pas des surtranspositions. La rémunération, très peu proportionnelle au travail fourni, décourage les vocations, engendre la mort de nos exploitations familiales et, parfois même, la mort physique : un agriculteur se suicide chaque jour en France. C'est de relations commerciales équilibrées, assainies et justes que pourra découler une rémunération acceptable pour les agriculteurs français. Or ce n'est vraiment pas le cas aujourd'hui !

Le besoin de modifier à nouveau notre droit est une preuve de l'échec de la loi ÉGALIM. Il est bon de le reconnaître. Si le groupe UDI et indépendants a souhaité mettre ce sujet à l'ordre du jour de cette séance, c'est que nous pensons qu'il y a urgence à remettre l'ouvrage sur le métier, à le retravailler collectivement pour corriger des mesures qui n'ont pas produit le ruissellement escompté. La prise en compte de l'évolution des coûts de production dans les négociations commerciales était une des avancées de la loi ÉGALIM, je le reconnais, mais ce qui devait arriver arriva : les indicateurs prévus sont trop peu utilisés, en raison du rapport de forces entre transformateurs et distributeurs.

Lors des débats, en 2018, certains d'entre nous avaient demandé que les coûts de production puissent être élaborés par l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires, pour appuyer la négociation sur des éléments objectifs. La commission d'enquête sur la grande distribution, présidée par mon collègue Thierry Benoit, proposait, quant à elle, de rendre obligatoire l'établissement des indicateurs de coût de production : cette proposition n'a pas été mise en œuvre. Comment envisagez-vous de mieux prendre en considération ces indicateurs ? Des mentions contractuelles obligatoires entre distributeurs et transformateurs seraient une avancée majeure, selon le rapport que j'ai évoqué.

Debut de section - Permalien
Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation

Tout d'abord, je ne peux pas vous laisser dire que la loi ÉGALIM est un échec. Elle a permis des avancées. Personne à ma connaissance ne demande, au sein du monde agroalimentaire, de revenir sur cette loi, c'est tout de même très important de le rappeler.

En revanche, je vous rejoins sur la suite de vos propos : il s'agit bien de remettre l'ouvrage sur le métier. Car si la loi ÉGALIM a apporté des changements, elle doit être complétée – c'était tout le sens du rapport d'information de votre collègue Thierry Benoit –, notamment en allant beaucoup plus loin dans la transparence, en particulier sur les coûts de production. C'est bien l'objet de la proposition de loi de votre collègue Grégory Besson-Moreau, dont nous débattrons à partir du mois de juin, qui préconise davantage de contractualisation, avec une transparence totale sur les prix des matières premières agricoles à la fois en amont, pour qu'ils soient non négociables, mais aussi en aval pour qu'ils soient mentionnés dans les conditions générales de vente. On instaurerait ainsi d'emblée la transparence tout au long de la chaîne de négociation.

Sans sous-estimer les considérants juridiques parfois très compliqués que cela pourrait entraîner – vous êtes encore mieux placée que moi pour le savoir en tant que parlementaire – au regard du droit de la concurrence – je pense notamment à la remise en cause de certaines dispositions votées dans le cadre de la loi de modernisation de l'économie, dite loi LME – et des réglementations européennes, si nous avions collégialement le courage d'aller en ce sens et si cette assemblée adoptait de telles mesures, nous accomplirions un nouveau pas en avant qui, au-delà même de celui accompli grâce à la loi ÉGALIM, remettrait au centre la transparence des marges et donc la répartition de la création de valeur.

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La parole est à M. Thierry Benoit, pour sa seconde question.

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Dans le cadre de notre commission d'enquête, Grégory Besson-Moreau et moi avions mis le focus sur les centrales d'achat et les centrales internationales, dites de services. Or je me suis souvenu qu'il y a sept ou huit ans, j'avais essayé avec mon collègue Charles de Courson, lors de l'examen du projet de loi sur la transparence, la lutte contre la corruption et la modernisation de la vie économique, dite loi Sapin 2, de mettre fin à cette organisation oligopolistique. La question se pose toujours aujourd'hui : sommes-nous prêts, en France, à limiter la part de marché que peut avoir une centrale d'achat ? C'est ce que nous proposions alors. Aujourd'hui, des regroupements sont toujours possibles, l'Autorité de la concurrence n'intervenant qu'a posteriori. Ne pourrait-on pas, comme nous le proposions également, inverser la charge de la preuve du respect du droit de la concurrence, en prévoyant l'obligation d'obtenir l'autorisation d'une institution publique, avant toute décision de regroupement ? Car la situation actuelle place les distributeurs en position dominante.

Enfin, il faut distinguer les centrales d'achat et les centrales de services. À cet égard, arrivez-vous à agir au niveau de l'Union européenne pour que l'Autorité de la concurrence européenne s'intéresse à cette question autant que nous en France ? On sait très bien que, si certaines des centrales internationales sont hébergées en Suisse ou en Belgique, ce n'est pas par hasard – chacun ici me comprend. Il reste un travail à fournir en la matière au plan européen et je vous fais confiance.

Debut de section - Permalien
Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation

Le sujet des centrales d'achat est en effet essentiel. Tout d'abord, je tiens à rappeler que nous avons déjà, même dans le cadre de la législation et de la réglementation existantes, grandement renforcé les contrôles menés par l'intermédiaire de l'Autorité de la concurrence, et vous n'êtes pas sans savoir que nous avons réussi à modifier la nature du regroupement de deux centrales d'achat au regard des PME et que, pour deux autres, des sanctions très significatives ont été prises, supérieures à 100 millions d'euros. Avec mes collègues de Bercy, nous comptons continuer à axer très fortement sur les contrôles, parce qu'il faut aussi que la loi actuelle soit pleinement appliquée avant de penser à renforcer la législation en vigueur.

Deuxièmement, je vais me prêter à un exercice difficile en défiant le député Thierry Benoit, dont je sais les connaissances et la mémoire parfaites en la matière, d'autant plus qu'il a le renfort du député Charles de Courson : il s'agit, si je ne m'abuse, non pas de la loi Sapin 2 mais de la loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, dite loi Macron, de 2015. Je travaillais à ses côtés, et il me semble que c'est alors qu'a été décidé que le contrôle de l'Autorité de la concurrence ne sera plus exercé uniquement a posteriori mais aussi ex ante. La loi ÉGALIM a d'ailleurs précisé qu'elle ne disposerait pas de deux mois mais de quatre mois pour analyser ex ante la constitution des plateformes et éviter ainsi les problèmes que vous avez évoqués, monsieur le député. Mais le fait que vous posiez cette question montre que le Gouvernement doit être très vigilant dans la mise en œuvre de cette disposition.

Je vous confirme par ailleurs que nous discutons à l'échelon européen de la spécificité du monde agricole au regard des règles concurrentielles.

Enfin, je précise, puisque ce point a été débattu, notamment dans le cadre de la préparation de la proposition de loi Besson-Moreau, que c'est bien le lieu de vente du produit qui emporte le contrôle et non pas le lieu où se trouve la centrale d'achat. C'est très important pour pouvoir se prémunir des risques en la matière.

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La parole est à Mme Agnès Thill, pour sa seconde question.

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Monsieur le ministre, c'est maintenant sur l'article 44 de la loi ÉGALIM que je souhaite vous interpeller, car c'est un vrai problème dont me parlent souvent les agriculteurs de mon département. Si cette loi a pu produire un certain nombre de fruits, plusieurs interrogations importantes restent en suspens, notamment l'application de son article 44, un point essentiel sur lequel j'ai maintes fois été alertée par les agriculteurs de ma circonscription. Or la représentation nationale a régulièrement interrogé votre ministère sans obtenir de réponse satisfaisante !

Je rappelle que cet article a permis d'introduire un article L. 236-1 A dans le code rural et de la pêche maritime, aux termes duquel « il est interdit de proposer à la vente ou de distribuer à titre gratuit en vue de la consommation humaine ou animale des denrées alimentaires ou produits agricoles pour lesquels il a été fait usage de produits phytopharmaceutiques ou vétérinaires ou d'aliments pour animaux non autorisés par la réglementation européenne ou ne respectant pas les exigences d'identification et de traçabilité imposées par cette même réglementation ».

Alors que les législateurs européen et national imposent aux agriculteurs français toujours plus de normes contraignantes pour répondre aux exigences environnementales et sanitaires, avec plusieurs accords de libre-échange comme le traité avec le MERCOSUR – marché commun du Sud – ou du CETA – accord économique et commercial global –, ils autorisent en même temps l'entrée significative de produits ne respectant pas ces normes. En clair, on continue d'importer ce qu'on interdit à nos agriculteurs de produire. L'article 44 de la loi ÉGALIM devrait protéger nos agriculteurs de cette concurrence déloyale. Sa non-application est, chez eux, source de colère et d'injustice sociale, ainsi que de flou juridique, d'insécurité alimentaire et de risque sanitaire, car nous importons des produits qui ne respectent pas nos normes.

Le 31 janvier 2020, le Conseil constitutionnel a validé l'interdiction, en France, de la production et de l'exportation de produits phytopharmaceutiques contenant des substances bannies par l'Union européenne. À la suite de cette décision, et par cohérence, nous devrions interdire l'importation des denrées destinées à la consommation humaine et animale dont la production n'est pas autorisée sur le territoire français.

Debut de section - Permalien
Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation

Je l'ai toujours dit : le sujet que vous évoquez est crucial. Vous vous en souvenez sans doute, nous avons eu beaucoup de débats en ce sens dans le cadre de l'examen du projet de loi relatif aux conditions de mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques en cas de danger sanitaire pour les betteraves sucrières. Il y a une hypocrisie malsaine en la matière : si nous voulons aller encore plus vite dans le déploiement des transitions agro-écologiques, nous ne pouvons pas, au même moment, laisser sur les étals des supermarchés des produits qui ressemblent en tous points aux nôtres, mais dont les normes de production sont différentes.

Comment agir de façon opérationnelle ? Nous le savons tous, l'article 44 pose un gros problème : il n'est pas conforme au droit européen actuel. En outre, il suppose de contrôler les aliments en France, alors même que nous sommes dans un marché commun. Nous avons essayé de l'améliorer, notamment dans le cadre de la loi concernant les betteraves sucrières, afin de le rendre plus opérant.

Il n'en reste pas moins que nous devons nous pencher sur le sujet des clauses miroirs. J'en ai fait mon combat politique au plan européen, je ne peux pas être plus clair. Nous ne pouvons plus accepter de laisser entrer sur le territoire européen des produits qui ne respectent en rien nos standards de production. Seuls deux moyens permettent actuellement de se prémunir de tels produits : s'ils ont des conséquences sur la santé des Européens ou sur l'environnement en Europe. Voilà pourquoi je parle d'hypocrisie : cela revient à dire « loin des yeux, loin du cœur », ou plutôt « loin de ma pensée ». Si des standards de production ont des effets négatifs sur l'environnement en dehors des frontières européennes, cela finit par avoir des conséquences directes en Europe. J'en ai donc fait la priorité d'action de la présidence française du Conseil de l'Union européenne à partir du 1er janvier 2022. Il s'agit d'avancer sur les clauses miroirs, qui concernent non seulement l'Union européenne mais aussi l'Organisation mondiale du commerce. C'est vraiment la mère des batailles : vous pouvez compter sur mon engagement sur le sujet.

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Deux ans après le vote de la loi ÉGALIM, constatons l'échec de sa principale ambition, qui était de permettre aux agriculteurs d'avoir un revenu digne et, surtout, de rééquilibrer les relations entre la grande distribution et les producteurs. D'après Coop de France, chacune de ces trois dernières années, les cycles de négociations commerciales ont abouti à une baisse continue des prix : moins 0,4 % en 2019 ; moins 0,1 % en 2020 et moins 0,3 % en 2021. Thierry Benoit – avec lequel nous sommes en communauté de pensée depuis bien des années – en conviendra : cet échec n'est pas vraiment une surprise. En effet, la loi ÉGALIM ne s'attaque pas à la source du problème. Il faudrait lutter efficacement contre la concentration de la grande distribution, au nom d'une politique visant à recréer les conditions d'une vraie concurrence loyale, là où quatre centrales d'achat occupent une position dominante – plus de 80 % du marché. La seule centrale Envergure, qui rassemble Carrefour, Système U, Cora et Match, représente à elle seule un tiers des parts de marché.

Comme l'a également évoqué Thierry Benoit, s'ajoute à cela le développement des centrales d'achat et de services à l'échelle européenne, dont le fonctionnement opaque et l'action échappent largement à la législation française. Face à ces géants, les producteurs se comptent en milliers et peinent à s'organiser collectivement pour peser dans les négociations. La loi Macron de 2015 avait tenté de résoudre ce déséquilibre, en soumettant la constitution de centrales d'achat à une obligation d'information auprès de l'Autorité de la concurrence. La loi ÉGALIM a complété le dispositif en permettant notamment à l'Autorité de la concurrence de prononcer des mesures conservatoires. Ces dispositions sont néanmoins très faciles à contourner. Elles sont sans effet sur les centrales d'achat existantes – elles ne s'appliquent qu'aux nouvelles – et ne permettent pas non plus de lutter contre le phénomène d'internationalisation contractuelle, alors que les négociations conduites dans ce cadre ont des incidences directes sur les prix applicables sur le marché français.

Monsieur le ministre, ma question est donc toute simple : quelle politique de la concurrence entendez-vous mener face à ces centrales d'achat ? Allez-vous rouvrir, au plan communautaire, le débat sur le pouvoir d'injonction structurelle, qui permet aux autorités de la concurrence de contrôler le degré de concentration du marché, indépendamment de tout acte positif de la part d'une ou de plusieurs entreprises ?

Debut de section - Permalien
Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation

Monsieur de Courson, vous dites que la loi ÉGALIM est un échec, puisque les prix ont successivement baissé de 0,4 %, 0,1 % et 0,3 %.

Debut de section - Permalien
Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation

La vraie question est la suivante : qu'en aurait-il été sans la loi ÉGALIM ?

Debut de section - Permalien
Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation

Je ne dis pas que les résultats de la loi ÉGALIM sont satisfaisants. En revanche, elle a permis des avancées. Reste que le compte n'y est pas, d'où des propositions d'évolution. Collectivement, c'est d'ailleurs à mettre à notre crédit : il est rare, au sein d'une même mandature, de voter une loi, d'en évaluer l'application de manière transpartisane et de remettre l'ouvrage sur le métier.

Je ne suis pas sûr que la concentration soit la principale question. Certes, elle induit le rapport de forces. Mais la relation commerciale est, en elle-même, un rapport de forces. Même en s'attaquant à la concentration, à la fin des fins, le rapport de forces sera toujours déséquilibré. Comme vous l'avez dit, il faut massifier les contrôles, notamment des plateformes d'achat. L'Autorité de la concurrence peut s'autosaisir, charge au Gouvernement de faire qu'elle s'autosaisisse. Comme vous le recommandez, il revient également au Gouvernement de porter ce sujet à l'échelon européen. C'est ce que je fais au ministère de l'agriculture et de l'alimentation, mais cette question dépend aussi du ministère de l'économie, des finances et de la relance, et je peux vous dire que nous œuvrons dans le même sens.

Néanmoins, le gros problème des négociations, ce n'est pas uniquement la concentration. Il existe surtout un jeu de dupes : quand l'éleveur dit à l'industriel qu'il souhaite augmenter son prix de vente, ce dernier demande à la grande distribution, laquelle veut bien augmenter les prix uniquement si elle est sûre que la hausse sera redistribuée à l'éleveur. À la fin, industriel et distributeur disent à l'éleveur qu'aucun des deux n'a voulu augmenter les prix. Certes, il faut contrôler la concentration, mais – comme pour tout dans la vie – on n'arrivera pas à faire en sorte que le poids de l'amont soit égal au poids de l'aval. En revanche, il faut absolument cesser ce jeu de dupes en recourant à la transparence, comme cela a déjà été souligné.

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La parole est à M. Charles de Courson, pour une seconde question.

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J'associe Bertrand Pancher à ma question. La loi ÉGALIM a prévu de relever le seuil de revente à perte sur les denrées alimentaires de 10 % et d'encadrer les promotions en magasin. En théorie, cette augmentation des prix devait redescendre en cascade vers les agriculteurs et permettre une meilleure rémunération de ces derniers. Cependant, ces mesures n'ont pas eu les effets escomptés : une étude de l'UFC-Que choisir, datant de novembre dernier, dévoile ainsi que le rehaussement du SRP a déclenché une inflation des prix alimentaires qui est venue accroître les marges de l'industrie agroalimentaire et de la distribution, sans revalorisation des prix pour le producteur. Selon les estimations, le montant annuel de ce surplus est compris entre 550 et 600 millions d'euros et sa répartition entre les producteurs, l'industrie agroalimentaire et la grande distribution n'est pas connue. Comme les producteurs disent qu'ils n'en ont pas vu la couleur, cette somme a donc été répartie entre la grande distribution et l'industrie agroalimentaire, et plutôt au profit de la grande distribution, même si cela dépend des secteurs.

Monsieur le ministre, à l'occasion d'un débat au Sénat en avril dernier, vous constatiez que les 600 à 800 millions d'euros, que la hausse du seuil de revente à perte avait permis de dégager, étaient surtout affectés à des promotions liées aux cartes de fidélité, ainsi qu'à la baisse des prix des produits sous marque de distributeur. Ma double question est la suivante : quelles sont vos propositions pour garantir une répartition plus équitable de la manne financière dégagée par la hausse du SRP ? Quels ajustements à la loi ÉGALIM prévoyez-vous d'apporter pour éviter que la guerre des prix ne dévie vers les produits des MDD ?

Debut de section - Permalien
Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation

Ma vision des négociations commerciales part d'un concept très simple, qui est une réalité : une négociation commerciale est un rapport de forces. Que faire face à un tel rapport de forces ? Première proposition : il faut consolider l'amont pour qu'il pèse davantage sur l'aval. C'est une certitude. Cependant, même si on consolide beaucoup plus l'amont, l'aval restera toujours plus gros en matière de nombre de structures – on le constate dans toutes les filières. C'est donc nécessaire, mais insuffisant.

Deuxième aspect : l'État doit jouer pleinement son rôle dans le rapport de forces en s'assurant que les règles commerciales sont bien respectées. C'est pour cette raison que les sanctions ont été démultipliées. L'Autorité de la concurrence a communiqué la semaine dernière le nombre de contrôles effectués l'année dernière au titre de la loi ÉGALIM : ils se sont élevés à 15 000. Sur les six premières semaines de 2021, l'équivalent de six mois de contrôle de 2020 a été réalisé : les contrôles sont bien massifiés.

Troisième élément : comment aller plus loin que la loi ÉGALIM ? Il s'agit de sortir du jeu de dupes que j'ai déjà évoqué et qui, par manque de transparence, fait que l'industriel et la grande distribution se mettent d'accord sur le dos de l'agriculteur. Comment ? Selon la théorie économique des jeux, en insufflant de la transparence, de la contractualisation, de la pluri-annualité et en figeant des prix qui ne doivent plus être négociés, notamment le prix des matières premières agricoles. Ces quatre mesures, appliquées ensemble, doivent permettre d'inverser le rapport de forces, grâce aux trois étapes que sont la consolidation, les contrôles et le cran supplémentaire concernant la loi ÉGALIM, que représentera la proposition de loi de Grégory Besson-Moreau si l'Assemblée la vote dans les prochaines semaines.

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Deux ans après le vote de la loi ÉGALIM, force est de constater que l'espoir suscité par les états généraux de l'alimentation, puis par cette loi, a fait long feu. Si les intentions étaient louables, les avancées sont plus qu'insuffisantes. Nombreux encore sont les producteurs qui peinent à vivre dignement de leur travail. Ils n'ont pourtant eu de cesse de réclamer à juste titre que le coût de production soit à la base de la formation des prix dans le cadre des contrats ou des accords cadres. Mais concrètement, le rapport de forces est toujours favorable aux industriels, et surtout à la grande distribution. Le terme de chaîne alimentaire est parfaitement adapté : les gros poissons dévorent les petits ; en créole, « le gros i manj le pti ».

Monsieur le ministre, qu'attendez-vous pour aller au bout de la démarche et faire en sorte que les travailleurs de la mer et de la terre soient justement rémunérés ? Vous serez d'accord : il est inconcevable qu'un agriculteur, une éleveuse ou un pêcheur, au lieu de gagner de l'argent, en perde lorsqu'il livre le fruit de son travail. Le premier confinement a mis en évidence l'absolue nécessité de la souveraineté alimentaire, et je ne doute pas que vous la souhaitiez aussi. Or notre sécurité alimentaire dépend de nos producteurs : donnez-leur les moyens de l'assurer. Ils attendent et désespèrent de trouver du sens à leur vie de labeur.

Selon la Mutualité sociale agricole (MSA), le désespoir pousse malheureusement chaque année plus de 370 agriculteurs au suicide. Pourtant, les grands groupes agro-industriels de la distribution ont vu leurs profits bondir avec la crise sanitaire. Le ruissellement que vous promettez s'entête à ne pas arriver ; il n'arrivera jamais. Sans prise en compte des coûts de production et sans application de sanctions à ceux qui ne la respectent pas, l'équilibre des relations commerciales demeurera une vaine promesse de plus. C'est pourquoi nous avons déjà proposé à plusieurs reprises la mise en place de prix planchers pour nos agriculteurs, que vous avez à chaque fois rejetés, la dernière fois dans le cadre de l'examen du projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets.

Debut de section - Permalien
Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation

Vous vous demandez comment assurer un prix juste payé aux producteurs. Cet objectif ne fait pas débat : nous le partageons tous. Comme je le soulignais en répondant à vos collègues Thierry Benoit et Charles de Courson, il est rare que, sous une même législature, une loi soit votée et promulguée puis évaluée par l'Assemblée pour donner lieu à une nouvelle proposition législative venant la compléter. En revanche, le chemin pour parvenir à l'objectif ne fait pas l'unanimité.

Vous proposez ainsi de fixer, dans la loi, un prix plancher. C'est une piste légitime et, pour tout vous dire, nous l'avons beaucoup travaillée pour en évaluer la faisabilité. Mais dans une économie ouverte à la concurrence et dans le cadre d'un marché commun obéissant à un ensemble de règles, les possibilités juridiques en la matière sont très limitées. Et puis le monde agricole a déjà connu des exemples de prix planchers : toutes ces expériences se sont mal terminées.

Comment parvenir à l'objectif, dès lors que la solution que vous proposez se heurte à des difficultés juridiques et économiques ? Comme je l'ai dit en réponse à Thierry Benoit, plutôt que de fixer des prix planchers, il faut, dans la relation à trois qui caractérise les rapports commerciaux, sanctuariser le prix des matières premières agricoles. Quand l'agriculteur et l'industriel se mettent d'accord, en amont, sur le prix de la matière première, celui-ci ne doit plus pouvoir être renégocié. Or c'est ce qui se passe aujourd'hui : c'est le jeu de dupes que j'évoquais tout à l'heure, auquel la proposition de Grégory Besson-Moreau vient mettre un terme.

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La parole est à M. Jean-Hugues Ratenon, pour sa seconde question.

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Monsieur le ministre, allez-vous imposer l'intégration des coûts réels de production dans la négociation des contrats entre producteurs et premiers acheteurs ? Afin de répondre à la demande de nos producteurs, comptez-vous mettre en place un arbitrage public en fin de négociation de contrats, seule manière de rendre ceux-ci justes pour nos agriculteurs, nos éleveurs et nos pêcheurs ?

Debut de section - Permalien
Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation

La prise en compte des coûts réels de production est précisément l'objectif que nous nous fixons. Plusieurs moyens permettent d'y parvenir. Faut-il instaurer des prix planchers ? Cette solution est juridiquement et économiquement compliquée. Faut-il partir de cet indicateur pour établir le contrat en amont et rendre le prix des matières premières agricoles non négociable, comme le fait la proposition de loi de Grégory Besson-Moreau ? C'est, je crois, la bonne voie qui nous permettra de changer les choses. Les réactions qui se font entendre depuis le dépôt de ce texte montrent que celui-ci est à même de faire bouger les lignes et de sortir du jeu de dupes que j'évoquais plus tôt.

S'agissant de l'arbitrage, je crois beaucoup à ce procédé. La loi ÉGALIM a instauré le recours à la médiation. Cette année, le nombre de dossiers de médiation a augmenté de 40 % ; mais on manque aujourd'hui d'outils pour y donner suite. C'est pourquoi, dans le sillage des travaux que nous avons menés, la proposition de loi installe, à la place de la médiation, un comité de règlement des différends, doté de beaucoup plus de poids et de pouvoirs, qui pourra clore la médiation, voire prendre des mesures conservatoires pour régler des situations aujourd'hui bloquées.

Les travaux que nous avons conduits et les propositions qui en sont issues vont donc bien dans le sens que vous indiquez, même si le chemin emprunté n'est pas le même.

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La loi ÉGALIM a fait couler beaucoup d'encre depuis sa promulgation en novembre 2018, et pour cause : sur elle reposaient les espoirs de nos agriculteurs et agricultrices, qui essaient de vivre dignement de leur travail. Pourtant, elle en a déçu beaucoup. Avec cette loi, vous avez voulu jouer sur tous les tableaux : vous avez tenté d'augmenter la valeur de nos productions agricoles pour une rémunération plus juste, tout en ne régulant en rien les relations commerciales sur le territoire national ou à l'international. Labelliser nos viandes et faire travailler les filières d'exception, c'est louable et nécessaire ; mais il ne faut pas, en même temps, renforcer nos relations avec les pays où les restrictions ne sont pas les mêmes, et qui nous imposent une concurrence déloyale, comme nous l'avons fait en nous lançant dans les négociations de l'accord de libre-échange avec le MERCOSUR. Face aux bœufs dopés aux hormones et élevés de manière intensive, nos éleveurs de charolaises n'ont qu'à bien se tenir. Il faut également donner à nos agriculteurs et agricultrices les moyens de mieux se défendre face aux grandes surfaces et aux intermédiaires.

Depuis la promulgation de la loi ÉGALIM, je n'ai cessé d'appeler votre attention sur ses lacunes : l'article 44, le manque de volonté pour rémunérer dignement nos agriculteurs et l'absence de prise en considération des conséquences du réchauffement climatique, de l'accélération du commerce international et de la concurrence déloyale en France ou à l'étranger. J'ai toujours discuté avec vous de manière constructive.

Alors que vous avez annoncé qu'une proposition de loi « ÉGALIM 2 » serait débattue fin juin sur nos bancs, comptez-vous enfin réguler les relations commerciales, afin d'assurer à nos agriculteurs la rémunération qu'ils méritent et de lever une partie des doutes qui les envahissent de plus en plus, jusqu'à en amener certains, hélas, à envisager de quitter la profession ?

M. André Chassaigne applaudit.

Debut de section - Permalien
Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation

Je partage entièrement vos préoccupations, à une seule réserve : la France – je le dis et le redis – est opposée à l'accord de libre-échange avec le MERCOSUR, précisément pour les raisons que vous avez évoquées.

Comme je le soulignais dans ma réponse à Agnès Thill, le débat ne sera fécond que si nous arrivons à faire bouger les lignes au niveau européen et à l'échelle de l'OMC. Mais ce n'est pas parce qu'il s'agit d'un combat de longue haleine qu'il ne faut pas le prendre à bras-le-corps dès maintenant. La présidence française du Conseil de l'Union européenne nous offre une occasion d'agir. Nous en avons longuement discuté dans la filière dite commerce, pilotée par Franck Riester, dans la filière européenne pilotée par Clément Beaune, et dans la filière agricole que je pilote moi-même, pour nous accorder et faire en sorte que la France pousse, au sein de toutes les instances, à l'introduction des clauses dites miroirs dans les relations économiques internationales. Je dirai même plus : ce n'est pas vraiment un sujet d'accords de libre-échange. Que les droits de douane soient à 0 % ou à 15 % ne change rien au résultat final : la présence, sur notre territoire, de produits qui ne respectent pas nos standards environnementaux ou nutritionnels.

Nous avons obtenu des avancées, dont voici deux. D'abord, dans le cadre du trilogue de la PAC, nous devrions bientôt obtenir une victoire décisive : la Commission européenne aura l'obligation de se saisir de ce dossier et de proposer un nouveau règlement sur les clauses miroirs. Ensuite, nous devrions voir arriver, d'ici à la fin de l'année, un acte délégué – c'est-à-dire un acte de règlement européen – sur la résistance aux antibiotiques. En effet, on continue aujourd'hui d'importer du poulet ukrainien ou brésilien, qui n'est pas du tout élevé dans les mêmes conditions que dans les États membres. Cela faisait des années que nous attendions cette décision, et elle est sur le point d'aboutir. Nous avançons, mais nous devons aller plus loin en matière de clauses miroirs : c'est ma priorité.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Après le bilan globalement négatif de la loi ÉGALIM, quelles perspectives d'avenir ? Avec la proposition de loi « ÉGALIM 2 », vous promettez à nouveau aux agriculteurs qu'ils pourront vendre leurs produits à un prix couvrant leur coût de production. Vous dites à juste titre qu'il n'est plus concevable que les éleveurs soient les seuls acteurs économiques qui acceptent de vendre à perte. Pourtant, cette proposition de loi ne contient rien qui contraindrait les acteurs à faire de l'indicateur de coût de production des agriculteurs le socle de la négociation. Beaucoup d'acteurs le souhaitent pourtant : c'est le cas, pour ne citer qu'un exemple, de Michel Biero, le patron de Lidl. N'y a-t-il pas là un vrai risque de créer une nouvelle désillusion chez les agriculteurs ?

Par ailleurs, l'une des mesures phares du texte « ÉGALIM 2 » est la non-négociabilité du prix de la matière première agricole. Ce prix payé à l'agriculteur doit être mentionné dans les conditions générales de vente du contrat entre l'industriel et le distributeur, pour une transparence totale. Sur le papier, cette mesure est intéressante, mais sa faisabilité soulève de très nombreuses questions.

Soyons concrets et prenons l'exemple de la viande bovine. L'industriel vend à son client distributeur un volume déterminé de morceaux de viande, par exemple des steaks hachés, provenant de plusieurs animaux entiers achetés à plusieurs éleveurs dans le cadre de plusieurs contrats, à des prix différents, librement fixés par les parties. Quel est alors le tarif non négociable, que l'industriel va mentionner dans son contrat avec le distributeur ? Finalement, nous retombons toujours sur la même question : qu'est-ce qui garantira, avec ce dispositif, un prix payé à l'éleveur couvrant son coût de production ?

MM. Jean-Paul Dufrègne et Dominique Potier applaudissent.

Debut de section - Permalien
Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation

Vous avez évidemment raison, mais je vous retourne la question. Nous partageons tous la volonté de trouver des solutions allant au-delà de la loi ÉGALIM. Cette loi a posé une première pierre, interdisant à l'industriel de négocier avec la grande distribution avant d'avoir négocié avec l'éleveur. Elle a changé l'état d'esprit, mais elle n'a pas suffisamment fixé les règles de la relation commerciale.

Vous demandez comment s'assurer que la non-négociabilité des prix marchera. Il faut d'abord prendre connaissance de la proposition de loi, dans son intégralité. La contractualisation, la transparence, la prise en compte de l'indicateur de coût de production, la non-négociabilité du prix de la matière première, le comité de règlement des différends : toutes ces dispositions seront prises dans une dynamique globale et constitueront un socle permettant de changer les choses. Les très nombreux retours des industriels sur ce texte montrent que celui-ci fait bouger les lignes.

Par ailleurs, de quelle autre solution disposons-nous ? Fixer, dans la loi, des prix planchers pour tous les types de produits, pour chaque carcasse, en fonction des territoires ?

Debut de section - Permalien
Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation

La réponse est contenue dans la question. Comment la loi pourrait-elle encadrer le prix de toutes les productions, par pièce, dans l'ensemble du pays ? Avec de telles dispositions, on détruirait plus de valeur qu'on n'en produirait. Si nous devions discuter d'un tel projet de loi – et je m'y plierais avec joie –, nous partirions pour des nuits de débats sur le prix de tel type de carcasse dans tel type de territoire.

Dernier point : M. Biero propose précisément d'instaurer une contractualisation pluriannuelle transparente, soit le cœur de la proposition de loi.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Nous avons voté une loi forte, mais les acteurs économiques doivent s'en emparer. La balle est dans leur camp : c'est ce qu'indiquait le Président de la République à propos de la loi ÉGALIM. Après des états généraux de l'alimentation, qui ont permis de réunir et de faire avancer notre agriculture de façon inédite ; après une commission d'enquête sur les relations entre la grande distribution, l'industrie et le monde agricole, qui a mis en lumière des pratiques peu vertueuses et un modèle à bout de souffle ; après le travail de synthèse confié à Serge Papin ; après des heures d'observation sur le terrain, qui nous ont permis, à nous, parlementaires, de prendre conscience des difficultés financières des exploitations agricoles, le constat est simple : le compte n'y est pas et la rémunération des agriculteurs est dans le rouge.

Disons-le clairement, la loi ÉGALIM a, s'agissant des relations commerciales, préféré « le contrat de confiance à la contrainte législative », mais la confiance entre ces trois acteurs que sont les distributeurs, les industriels et les agriculteurs est rompue. Ni les indicateurs de coût de production, ni le seuil de revente à perte, ni la contractualisation, ni le médiateur des relations commerciales ne sont parvenus à redresser la barre. Pourtant, ces outils mis en place par la loi ÉGALIM sont clairement plébiscités car ils sont utiles au monde agricole. Mais la contrainte n'étant pas de mise, la guerre des prix continue sa lente destruction de valeur dans l'ensemble des filières.

Avec près de 150 parlementaires de la majorité et mon collègue Thierry Benoit,…

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Des députés de la majorité et de l'opposition !

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

…j'ai donc déposé une proposition de loi visant à remettre sur le droit chemin les relations commerciales, afin de « protéger la rémunération des agriculteurs ». Ces outils de contrainte – indicateurs de coût de production, non-négociabilité du coût des matières premières agricoles, contractualisation obligatoire et pluriannuelle et création d'un comité de règlement des différends commerciaux –, viendront réajuster la loi ÉGALIM afin de garantir des prix rémunérateurs à l'agriculteur et accessibles au consommateur.

Je souhaiterais connaître la position du Gouvernement sur cette proposition de loi, son objectif, son ambition et sa nécessité.

Mme Barbara Bessot Ballot et M. Jean-Jacques Bridey applaudissent .

Debut de section - Permalien
Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation

Je salue le travail que vous avez mené avec un grand nombre de vos collègues sur cette proposition de loi. Elle est très importante, qu'il s'agisse de la méthode ou du fond. Sur la méthode, il faut que, durant cette législature, nous arrivions à prendre en considération, non seulement les avancées de la loi ÉGALIM, mais aussi les lacunes qui perdurent, afin de les combler dès maintenant. Sur le fond, l'équilibre que vous avez trouvé est probablement le meilleur possible, en tout cas il représente une avancée significative.

Nous avions jusqu'au début des années 2000 la loi Galland, puis est venue la loi de modernisation de l'économie et, ensuite, la loi ÉGALIM. La loi LME s'est traduite par la déflation des prix alimentaires sur le dos des agriculteurs. La loi ÉGALIM a changé l'état d'esprit sans revenir sur les fondamentaux de la loi LME, qui ne prévoit d'ailleurs pas, monsieur le président Chassaigne, de fixations de prix, pas plus que la loi Galland, qui posait un socle, dans une méthodologie de construction des prix et de non-négociabilité de cette construction.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Oui, mais je parlais des coefficients multiplicateurs, je me situais avant !

Debut de section - Permalien
Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation

La proposition de loi que vous portez, monsieur Besson-Moreau, prévoit de réintroduire ces éléments. C'est très important, mais à une condition : que la démarche prenant en compte la contractualisation, la transparence et la constitution d'un comité des différends soit globale. C'est l'ensemble de cette chaîne qui permettra de sortir de ce jeu de dupes auquel nous sommes toujours confrontés.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

S'il est bien un sujet d'importance pour tous les Français, c'est l'accès à une alimentation saine, sûre, durable, de qualité et au juste prix – au juste prix, oui, car nous savons qu'il est urgent d'aboutir à un partage de la valeur qui n'écrase pas les producteurs agricoles sous le poids, aujourd'hui insupportable, de la transformation agroalimentaire et de la grande distribution.

Avec la loi ÉGALIM, la majorité et le Gouvernement ont fait de cet enjeu une priorité, dans l'objectif de relations commerciales assainies et rééquilibrées. Il convient de faire la lumière sur l'obscurité du triple net et sur les multiples pratiques abusives et insidieuses, qui sont malheureusement si répandues que leur absence en font une exception. Nous agissons avec détermination, voire obstination, avec vous, monsieur le ministre, et certains de nos collègues.

S'agissant du relèvement du seuil de revente à perte, que nous avons déjà évoqué, je ne suis pas d'accord : il fait ses preuves, malgré quelques angles morts. Mais nous avons rectifié le tir, par exemple dans la filière du foie gras, qui n'obéit pas aux mêmes dynamiques de marché. La grande distribution doit faire son beurre non pas uniquement sur le dos des petits mais aussi sur les marques nationales.

Nous devons toutefois aller plus loin, plus vite, plus fort. Cette assemblée s'apprête à le faire très prochainement. Nous le disons clairement, la loi ÉGALIM ne doit pas rester lettre morte ni être contournée.

Dans les négociations avec les grandes et moyennes surfaces, par exemple dans l'épicerie, qui fait partie du secteur sec, il existe un document appelé fiche d'analyse de la valeur, qui récapitule tous les coûts de production et la marge minimale, lesquels deviennent un seuil et un véritable outil de transparence. Cette fiche n'est pas obligatoire mais elle s'est bien popularisée dans les échanges entre acheteurs et fournisseurs. Elle leur permet de disposer d'éléments objectifs au cours de la négociation. Il faudrait généraliser cette pratique à tout le secteur alimentaire afin de garantir la transparence tout au long de la chaîne de valeur. Elle sacraliserait le prix au producteur. Un document standardisé faciliterait d'autant plus le contrôle. Monsieur le ministre, comment comptez-vous améliorer concrètement la transparence des prix au sein du secteur alimentaire ?

M. Grégory Besson-Moreau et Mme Anne-Laure Cattelot applaudissent .

Debut de section - Permalien
Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation

Nous devons avoir à l'esprit que les relations commerciales constituent un rapport de forces, qui est aujourd'hui défavorable aux agriculteurs. Il faut donc, je le répète, que l'État y entre, ce que nous avons fait par le biais notamment du nombre des contrôles – j'ai annoncé la couleur depuis un an. Il faut aussi empêcher ce rapport de forces, quelle que soit sa taille. En effet, attendre que l'amont soit aussi fort que l'aval prendrait des années, puisque cela ne pourrait se faire qu'au prix d'une restructuration en amont très importante. On peut l'envisager, mais ce n'est pas elle qui réglera nos problèmes dans les deux prochaines années.

Comment faire pour que ce rapport de forces ne soit plus défavorable aux éleveurs et aux agriculteurs ? Le jeu de dupes consiste à trouver à chaque fois une bonne excuse pour ne pas augmenter le prix payé à l'agriculteur : la grande distribution prétend qu'elle n'avait pas la certitude que l'industriel rétrocéderait le prix, tandis que l'industriel argue du refus de la grande distribution. Dans ce qu'on appelle la théorie des jeux – je déteste le terme mais il s'agit d'un concept économique –, si tous les acteurs de la grande distribution acceptaient au même moment de payer plus cher, cela ne leur poserait aucun problème.

Debut de section - Permalien
Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation

Cela dit, nous sommes dans une économie concurrentielle et il est heureux qu'il n'y ait pas d'ententes. Organiser une entente, non seulement serait contraire à la loi, mais se ferait, de plus, sur le dos, cette fois, du consommateur. La seule façon de sortir de ce jeu de dupes est donc d'imposer la plus grande transparence, aux yeux non du public mais des acteurs de cette contractualisation – éleveurs, industriels et grande distribution –, avec une indexation des coûts et la non-négociabilité en aval de ce qui a été négocié en amont. Tel est le sens de ce que nous souhaitons entreprendre.

M. Grégory Besson-Moreau applaudit .

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Le monde agricole est fait de battants, de personnes qui exercent ce métier par passion, non pour y chercher une rémunération mirobolante. Toutefois, le juste prix équivalent aux fruits du travail fourni devrait aller dans la poche des agriculteurs. Cette profession est indispensable à l'ensemble de la société française : cela semble si évident. Certains en sont même venus à rejeter la commercialisation au sein des grandes surfaces en se concentrant presque exclusivement sur les circuits courts et la vente directe à la ferme. Ce modèle, que je soutiens par ailleurs, ne saurait être la règle, car nombre de nos concitoyens achètent leur nourriture quotidienne en grande surface.

Alors que la guerre des prix a fait baisser de 12 % les prix des produits vendus en dix ans, la loi ÉGALIM, votée il y a deux ans, doit permettre de conjuguer pouvoir d'achat des consommateurs et juste rémunération des prix pour les agriculteurs. Je salue et soutiens la proposition de loi que mon collègue Grégory Besson-Moreau a présentée et que nous étudierons en juin prochain, car elle nous permettra d'aller plus loin.

Monsieur le ministre, je sais que vous ne lâchez rien pour améliorer le quotidien des agriculteurs.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

La filière du lait a mis en place des dispositifs qui devraient être mieux connus et étendus, comme le prix conforme, un outil proposé par la Fédération nationale des producteurs de lait (FNPL), qui permet de disposer d'indicateurs pour évaluer le prix de base de la vente du lait. Il était de 0,35 euro le litre en mars 2021. Grâce à cet outil, il est possible d'identifier clairement les acteurs qui, au sein de la chaîne, déséquilibrent la répartition de la richesse générée par le produit agricole. La matière première agricole ne saurait être la variable d'ajustement : je pense que l'ensemble des bancs est d'accord sur ce point.

Que proposez-vous pour étendre cette démarche aux autres filières et obtenir ainsi une rémunération plus juste pour tous les paysans et agriculteurs de France ? La loi ÉGALIM a changé la donne mais la confiance entre agriculteurs, industriels et distributeurs est trop souvent rompue et nous allons devoir être plus fermes avec ceux qui ne partagent pas ce changement. Contractualisation et transparence doivent devenir les maîtres mots.

Mme Barbara Bessot Ballot et M. Grégory Besson-Moreau applaudissent .

Debut de section - Permalien
Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation

Les travaux que nous avons menés l'ont été non pas sur des bases théoriques mais sur des exemples qui fonctionnent. Dans le domaine du lait, l'entreprise LSDH, dirigée par Emmanuel Vasseneix, une personne formidable, a mis en place des contrats tripartites, pluriannuels et transparents, qui permettent une rémunération des producteurs laitiers à la hauteur de leurs coûts de production. Cette démarche existe depuis plusieurs années et ne cesse de croître : d'autres initiatives viennent compléter le dispositif, comme la très belle initiative « C'est qui le patron ?! »

Nous avons analysé les raisons pour lesquelles ces initiatives fonctionnent. LSDH est une entreprise qui réalise du profit, rémunère ses salariés, crée de la valeur et investit : sa pratique ne se fait donc pas au détriment de son intérêt social. Elle agit au bénéfice de l'ensemble de la filière, car elle a bien compris que, si elle voulait continuer à investir, il fallait des éleveurs laitiers sur son territoire ou à proximité.

Les travaux conduits avec Grégory Besson-Moreau et Thierry Benoit, dans le cadre de la mission d'information et, maintenant, dans celui de la proposition de loi, visent à étendre les pratiques qui fonctionnent. La contractualisation, la pluriannualité, la transparence, la prise en compte d'un indicateur de coût de production, enfin, le fait de rendre obligatoires les pratiques inventées par des précurseurs comme LSDH et qui fonctionnent, tout cela me paraît pouvoir changer la donne. Il faudra avoir beaucoup de courage politique et de détermination, mais je suis sûr que nous l'aurons ensemble.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Nous avons été nombreux à avoir été alertés, au moment des débats sur le CETA, notamment par des agriculteurs inquiets, qui s'appuyaient sur l'article 44 de la loi ÉGALIM. Si j'ai moi-même voté cet accord entre l'Europe et le Canada, parce que je ne crois pas aux vertus du protectionnisme, je me suis toutefois engagé auprès des agriculteurs de ma circonscription à faire preuve de vigilance, s'agissant des filières pouvant être menacées par cet accord, notamment la filière bovine. Quatre ans après son entrée en vigueur, quel bilan en tirez-vous ?

Je voudrais aussi vous interroger sur les audits de la Commission européenne. Des fragilités sont apparues, des enquêtes ayant montré que la traçabilité n'était pas toujours assurée. Je crois d'ailleurs que vous vous en êtes ému. De quelle manière comptez-vous renforcer – c'est une base de l'accord – les contrôles entre les pays parties prenantes ?

Debut de section - Permalien
Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation

Cette question très importante concerne à la fois les conséquences des accords de libre-échange et le contrôle de leur mise en œuvre. S'agissant des accords de libre-échange, il faut sortir de la naïveté. Dans le cadre de la politique agricole commune, tous les pays de l'Union européenne se sont mis d'accord sur un socle de transition environnementale : les fameux éco-régimes.

On ne peut désormais plus accepter qu'un accord de libre-échange, quel qu'il soit, ne prenne pas en compte la transition agro-environnementale et les standards européens. C'est tout à fait inconcevable. Nous veillons donc, avec Franck Riester, ministre délégué chargé du commerce extérieur et de l'attractivité, à ce que tous les accords de libre-échange incluent les standards européens de production, lesquels visent à protéger la santé et l'environnement de nos concitoyens. On pourrait toujours dire « loin de nos yeux, loin de notre santé », mais ce serait naïf ou hypocrite. Lorsque nous nous sommes rendu compte, Franck Riester et moi-même, que les contrôles exercés dans le cadre du CETA étaient insuffisants, nous avons immédiatement réagi pour faire en sorte, en l'espace de quelques jours, que les services de la Commission européenne prennent le sujet à bras-le-corps.

Deuxième point : la politique commerciale conduite dans le cadre des accords de libre-échange n'est pas seule en cause. Il y a, plus généralement, les échanges commerciaux au sein de l'OMC. Que les droits de douane soient de 0 %, 5 %, 10 % ou 15 %, est-il justifié qu'un produit qui ne respecte en rien nos standards puisse se retrouver dans les assiettes de nos enfants à la cantine – la viande qui y est servie est importée à 50 % – ou sur les étals de nos supermarchés ? De toute évidence, la réponse est non, d'où la nécessité d'introduire des clauses miroirs dans les accords commerciaux. La France devrait obtenir gain de cause, au cours des prochains mois, sur les antibiotiques, mais nous devons aller encore plus loin. Depuis le premier jour, c'est le combat que je mène au plan international. J'entends résolument le poursuivre à l'avenir, en particulier dans le cadre propice de la présidence française du Conseil de l'Union européenne.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

En 2017, j'ai eu la chance d'être rapporteur de la commission des affaires économiques de l'Assemblée sur la loi ÉGALIM, promulguée le 13 novembre 2018. L'objectif de cette loi était double : assurer un juste prix au producteur en lui permettant de vivre dignement de son travail et favoriser une alimentation saine, sûre et durable.

Depuis sa promulgation, cette loi n'a cessé d'être critiquée de toutes parts. On lui reproche notamment de ne pas aller suffisamment loin. Je partage en partie ce constat, mais je veux rappeler que ce texte a permis, pour la première fois, une inversion du mode de calcul du prix et une contractualisation entre le producteur et son premier acheteur sur la base des indicateurs de coûts de production. Cette loi a créé, en outre, plusieurs outils juridiques pour la médiation commerciale et son renforcement, interdit la cession à prix abusivement bas et permis le relèvement du seuil de revente à perte et l'encadrement des promotions. Enfin, elle a permis la création, au sein des interprofessions, de plans de filières ambitieux, qui permettent de créer de la valeur tout au long de la chaîne alimentaire.

Reste qu'une mesure n'a pas encore abouti, notamment dans certaines filières, en particulier celle de la viande bovine : la contractualisation sur la base des indicateurs de coûts de production. Sur ce sujet, nos collègues Thierry Benoit et Grégory Besson-Moreau ont formulé plusieurs propositions excellentes, dont certaines seront présentées dans la proposition de loi « ÉGALIM 2 ».

De toute évidence, la question de la contractualisation soulève des difficultés. Contrairement à ce que nous avons entendu de nombreuses fois, ce n'est pas le ruissellement qui fonde la loi ÉGALIM, c'est la contractualisation. Chacun sait que, pour bénéficier à la cour de ferme, cette loi doit favoriser la contractualisation sur la base des indicateurs de coût de production. Or celle-ci reste très hétérogène selon les filières : certaines l'ont développée à 50 %, voire même à 60 %, 70 % ou 80 %, quand d'autres ne la pratiquent même pas à 10 %.

Dans ces conditions, la solution n'est-elle pas d'imposer une contractualisation obligatoire, toutes filières confondues, pour obliger les agriculteurs à se regrouper et à créer des organisations de producteurs permettant de prendre en compte les coûts de production dans les contrats de vente ?

M. Grégory Besson-Moreau applaudit.

Debut de section - Permalien
Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation

Je vous remercie, monsieur Moreau, pour votre engagement constant en faveur de la juste rémunération des agriculteurs. Sur ce sujet, la contractualisation est évidemment un aspect essentiel, même si elle n'est pas le seul. La contractualisation doit se faire sur la base des coûts de production et prévoir le règlement des différends en figeant la non-négociabilité des prix agricoles : il s'agit de s'assurer que la contractualisation en aval ne remettra pas en cause la contractualisation en amont. La contractualisation n'en reste pas moins la pierre angulaire de l'édifice construit par la loi ÉGALIM car, vous l'avez rappelé, dès qu'il y a contractualisation, les choses se passent souvent beaucoup mieux. L'exemple donné tout à l'heure par M. Chassaigne illustrait également les bienfaits de la contractualisation. J'en ai aussi fait état en répondant à Mme Cattelot et en mentionnant le groupe LSDH.

L'une des avancées majeures de la proposition de loi présentée par M. Grégory Besson-Moreau est qu'elle poursuit la lancée de la loi ÉGALIM en la poussant un peu plus loin. Aux termes de la loi ÉGALIM, la contractualisation n'est pas obligatoire, sauf si elle l'est ; la proposition de loi la rend obligatoire, sauf si elle ne l'est pas. L'ordre des propositions est donc inversé pour faire de la contractualisation la règle de base, une règle éventuellement contournable en fonction des caractéristiques propres d'une filière, qui la rendraient impossible.

La proposition de loi consacre la contractualisation comme la pierre angulaire des relations entre les acteurs. Tel est depuis longtemps votre souhait, monsieur Moreau, à juste titre, même si, comme vous le soulignez, cet objectif sera plus difficile à atteindre dans certaines filières que dans d'autres. Charge à nous de les accompagner. Rappelons, à cet égard, que nous nous sommes battus pour qu'une enveloppe de 50 millions d'euros soit consacrée, au sein du plan de relance, à la structuration des filières, afin de les accompagner dans la création de valeur. Sur le sujet dont nous discutons, « contractualisation » et « filière » sont probablement les deux maîtres mots.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Comment débattre du revenu des agriculteurs sans évoquer le ciel qui leur est tombé sur la tête ? Je veux évidemment parler du gel terrible survenu au mois d'avril. Que pèse, monsieur le ministre, le milliard d'euros que vous avez annoncé face aux 10 milliards de charges sociales que paient les agriculteurs ? Qui va bénéficier de cette enveloppe exceptionnelle, pour quel taux de pertes – 30 %, 50 %, 70 % – et dans quel délai ? Rappelons qu'un an après, les indemnités des pertes liées au gel de 2020 n'ont toujours pas été versées.

Enfin, quid du chômage partiel pour les filières les plus touchées, comme l'arboriculture ? Sachez que les députés du groupe Les Républicains s'efforceront toujours de vous poser les bonnes questions et que nous serons à vos côtés pour instaurer une véritable assurance-revenu, ce qui constitue aujourd'hui la priorité pour sécuriser le parcours professionnel des agriculteurs, en particulier des jeunes. Si nous voulons continuer, en France, de produire et de consommer localement, ainsi que d'exporter ces produits, nous devons permettre aux agriculteurs de vivre dignement de leur travail. C'est donc bien le revenu des agriculteurs qui est au cœur de notre débat d'aujourd'hui. À ce titre, chacun le constate, la loi ÉGALIM est un échec. Les prix payés par l'aval ne respectent toujours pas les coûts de production et le travail de nos paysans. La distribution continue de ruser en proposant des prix chocs pour contourner les promotions abusives, pourtant encadrées par la loi.

Lors de l'examen du projet de loi ÉGALIM en 2018, ni le Gouvernement, ni la majorité n'ont voulu nous suivre en imposant un caractère contraignant aux indicateurs de coût de production. Monsieur le ministre, envisagez-vous de le faire aujourd'hui dans le cadre de la proposition de loi « ÉGALIM 2 » ? Êtes-vous enfin disposé, comme nous le proposons, à nommer un véritable gendarme de la relation commerciale et à le doter de moyens suffisants pour mettre fin à la lutte du pot de fer contre le pot de terre ?

Applaudissements sur les bancs du groupe LR.

Debut de section - Permalien
Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation

S'agissant du gel survenu au mois d'avril, que je vous remercie d'avoir mentionné, vous avez sans doute constaté que nous avons pris le sujet à bras-le-corps. Le monde agricole souffre et nombre de nos agriculteurs ont les deux genoux à terre, alors qu'ils ont nourri les Français depuis le premier jour de la pandémie. Notre devoir est de les aider à se relever. Nous avons donc pris des mesures d'urgence et, comme je m'y étais engagé, j'ai signé ce matin même, quinze jours pile après l'avoir annoncé, la circulaire relative à la mise en place d'un fonds de solidarité exceptionnel – ce qui vous montre la réactivité du Gouvernement.

Quant au seuil de pertes de production donnant lieu à compensation, il a été fixé à 30 %, soit le seuil auquel sont habitués les agriculteurs. Nous allons cependant plus loin, puisque nous prévoyons des années blanches pour les cotisations sociales. Nous y travaillons actuellement avec les agriculteurs, afin de fixer précisément les seuils et le calendrier de mise en œuvre. À cet égard, vous avez tout à fait raison, monsieur Brun : en moyenne, dans notre pays, il faut neuf mois pour indemniser les agriculteurs pour des calamités agricoles – c'est tout simplement dingo, je ne peux pas le dire autrement !

Au-delà de la réforme du système du CNGRA – Comité national de gestion des risques en agriculture –, que j'ai engagée avant même le gel du mois d'avril, nous devons faire en sorte que les premières compensations de pertes de production parviennent dès cet été aux arboriculteurs. Tel est l'objectif que je me suis fixé et vous constaterez par vous-mêmes, le moment venu, si je l'ai atteint. Nous réfléchissons avec les agriculteurs à des systèmes d'acompte ou d'avance, systèmes que nous avons déjà expérimentés dans la gestion de l'influenza aviaire – on en a peu parlé alors, sans doute parce que le système a bien fonctionné.

Accordez-moi quelques secondes supplémentaires, monsieur le président, pour finir de répondre à M. Brun, qui, en réalité, a posé plusieurs questions dans sa question !

Sourires.

Debut de section - Permalien
Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation

Deux derniers points donc. S'agissant d'un gendarme de la relation commerciale, il est en effet indispensable et sera incarné par le comité de règlement des différends.

Quant à la nécessité de figer les coûts et les indicateurs de production, nous devons, je le répète, veiller à la solidité juridique des mesures que nous prenons – bien que la loi soit destinée à modifier la loi – et à leurs répercussions économiques. Souvenons-nous de ce qui s'est passé quand la loi a voulu fixer les prix. La loi ne peut pas le faire, que ce soit pour des raisons juridiques ou économiques ; en revanche, elle doit faire que les prix reposant sur les coûts de production ne puissent pas être renégociés.

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Je vous remercie de conclure, monsieur le ministre. Par souci d'équité, nous devons respecter le temps de parole fixé pour chaque orateur.

Debut de section - Permalien
Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation

Pour le dire autrement, les prix sont négociés entre l'agriculteur et l'industriel, mais une fois fixés, ils ne peuvent plus être modifiés en aval.

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Merci, monsieur le ministre, pour cette réponse complète !

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Monsieur le ministre, je ne doute pas de votre bonne volonté, et je ne doute d'ailleurs pas non plus de celle de tous nos collègues qui se sont exprimés. Permettez-moi pourtant de me faire le porte-parole des éleveurs de vaches laitières de mon département, l'Yonne, en particulier des éleveurs de l'exploitation que j'ai visitée il y a quelques jours dans le village de Parly, en Puisaye.

La question qu'ils nous posent est simple : comment faire pour vivre lorsque le prix d'un litre de lait est de 33 centimes d'euro ? Les éleveurs de cette exploitation m'ont affirmé qu'avec seulement 5 centimes de plus, ils pourraient s'en sortir, faire face à leurs charges courantes et financer les amortissements de leurs investissements. Avec seulement 5 centimes de plus, ils pourraient se verser un revenu à peu près correct, situé autour du salaire médian français. Au prix actuel du litre de lait, ils n'y parviennent pas.

Je ne suis pas spécialiste de la question, mais je sais que des outils ont été adoptés. Je vois bien que l'on cherche à améliorer la situation : on nous parle de transparence, d'indicateurs et de prix rémunérateurs. Ne faudrait-il pas, au plan juridique comme au plan économique, sortir des chemins battus et imaginer des solutions nouvelles ? Ne sommes-nous pas, avant tout, confrontés à un problème d'organisation du marché ? Charles de Courson l'a évoqué tout à l'heure : n'est-il pas nécessaire d'impulser une logique de décartellisation au plan européen pour remodeler le marché et, y compris dans une optique libérale, introduire un peu plus d'égalité entre les acteurs du marché, lequel se caractérise aujourd'hui par une situation d'oligopsone et par un important déséquilibre s'agissant du prix du lait ?

Et si nous ne parvenons pas à cela, ne pourrions-nous pas alors adopter un mécanisme de prix plancher, de manière franchement interventionniste ? Même du point de vue libéral, une telle approche se justifie étant donné la structure de marché. Un système de prix plancher, de prix rémunérateur, plus réglementé qu'aujourd'hui, permettrait de réintroduire de l'équité entre les acteurs.

Ce à quoi nous assistons dans l'Yonne comme dans d'autres départements – l'Allier, notamment, le département de notre collègue Jean-Paul Dufrègne –, c'est à une diminution très forte du nombre d'exploitations. Or cette évolution engendrera de nombreux problèmes sur le plan humain, pour l'aménagement du territoire et, à terme, en matière de souveraineté et d'indépendance économique de la France.

Applaudissements sur les bancs des groupes LR et GDR.

Debut de section - Permalien
Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation

Je partage votre constat et votre objectif, monsieur le député. Depuis maintenant plus de quatre ans, j'ai passé de nombreuses heures dans cet hémicycle et vous connaissez mon état d'esprit. Alors que nous allons bientôt examiner la proposition de loi de Grégory Besson-Moreau, soyez assuré de ma volonté de trouver les meilleurs moyens pour mettre fin à la situation que vous dénoncez. De ce point de vue, mon approche est pragmatique et terre à terre. Nous avons identifié des cas dans lesquels les producteurs laitiers s'en sortent et nous les avons analysés pour comprendre les raisons de leur réussite et tenter de les généraliser. J'en parlais tout à l'heure au sujet de la filière qui s'est constituée autour du groupe LSDH.

Ensuite – c'est le deuxième point –, l'organisation des marchés doit en effet être améliorée. Nous proposons de le faire dans le cadre de la proposition de loi de Grégory Besson-Moreau, mais il faut aussi tenir compte de ce qui existait par le passé. Il fut un temps où il y avait des quotas laitiers ! Ils ont été supprimés, ce qui a provoqué des difficultés, mais si nos lointains prédécesseurs en ont décidé ainsi, c'est qu'ils avaient des raisons de le faire.

Par ailleurs, il serait très compliqué d'instaurer des prix planchers puisque nous sommes dans un marché commun. En outre – j'entre dans les détails techniques du dispositif –, le prix du lait est soumis pour moitié au marché de la consommation locale et pour moitié au cours mondial, car une bonne partie du lait produit est transformé en poudre destinée aux marchés internationaux – je simplifie car la réalité est encore plus complexe. Cela dit, nous cherchons à trouver le meilleur moyen pour agir le plus rapidement possible sans laisser de côté tout ce qui doit être fait à long terme, notamment au plan européen. C'est l'ensemble du système qui doit être pris en considération.

Pour terminer, votre rôle en tant que législateurs est essentiel pour compléter les dispositifs de la loi ÉGALIM ; le rôle du pouvoir exécutif l'est tout autant pour les appliquer. Un sursaut industriel dans ce domaine est, lui aussi, essentiel : quand j'ai vu ce qu'a fait Lactalis pour obtenir l'annulation du décret rendant obligatoire l'indication de l'origine du lait, les bras m'en sont tombés. Enfin, les consommateurs doivent, eux aussi, jouer un rôle : le succès d'initiatives comme « C'est qui le patron ?! » montre qu'ils sont avides de participer à cette dynamique que nous cherchons tous à créer et à renforcer.

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La loi ÉGALIM a deux ans et demi : or, à entendre les différentes interventions précédentes, nous sommes nombreux à constater que la grande loi tant promise par l'exécutif ne se concrétise malheureusement pas dans les territoires.

Le constat est sans appel : les agriculteurs ne voient toujours pas les bénéfices des états généraux de l'alimentation, dans lesquels ils se sont pourtant largement et fortement investis. Leurs revenus n'ont pas été revalorisés alors que, pour les consommateurs, les prix semblent continuer d'augmenter. Les négociations commerciales ne sont toujours pas plus encadrées et elles donnent même parfois lieu à de fortes tensions. Lorsque je suis arrivée dans cet hémicycle il y a quelques mois, je vous ai dit, monsieur le ministre, que les agriculteurs ne comprennent pas que rien n'ait bougé après la loi ÉGALIM. Aujourd'hui, malheureusement, je comprends pourquoi : les nouveaux dispositifs législatifs que nous avons adoptés n'ont, pour la plupart, pas donné lieu aux décrets d'application attendus.

Ma collègue Barbara Bessot Ballot et moi-même sommes chargées d'évaluer l'application du volet consacré à la transparence et à l'étiquetage. Or les différentes auditions que nous avons menées – j'ai aussi rencontré des interlocuteurs dans ma circonscription – montrent qu'un certain nombre de dispositions envisagées sont susceptibles de se détourner de la volonté du législateur, et que plusieurs décrets prévus n'ont jamais été publiés par votre cabinet. En outre, deux articles qui auraient pu être immédiatement applicables – la loi ne prévoyant pas de décret – ne le sont toujours pas. Comment pouvez-vous expliquer cette situation aux agriculteurs ?

La semaine dernière, je vous l'ai dit, j'ai rencontré des agriculteurs du Maine-et-Loire. Je vous confirme, si cela est encore utile, que leurs attentes sont fortes et leur incompréhension très grande. La crise sanitaire nous a clairement démontré que les agriculteurs sont au cœur de notre souveraineté alimentaire. Il est vital que votre ministère prenne toutes les dispositions, notamment réglementaires, permettant d'appliquer la loi au plus près du terrain.

Mme Agnès Thill applaudit.

Debut de section - Permalien
Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation

Je répondrai très précisément à votre question, car elle pourrait laisser penser à ceux qui nous écoutent que mon ministère ne cherche pas à faire appliquer la loi, ce que jamais je n'accepterais. Ayant vous-même réalisé les auditions dont vous avez parlé, vous le savez très bien. Quel est le principal décret manquant ?

Debut de section - Permalien
Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation

Vous l'avez dit : c'est celui qui a trait à l'origine des produits. Or il s'agit d'une compétence européenne. Au moment de voter, le législateur le savait très bien ! Le même problème se pose d'ailleurs, s'agissant de l'article 44.

Debut de section - Permalien
Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation

Nous avons donc dû notifier à la Commission européenne le projet de décret sur l'origine des produits – nous l'avons fait il y a plusieurs mois –, pour nous assurer qu'il ne soit pas annulé le jour où il sera publié, comme c'est arrivé pour le lait à la suite de la requête de Lactalis. Je vous passe les méandres de la procédure – vous les connaissez bien : il faut, en outre, s'assurer de la compatibilité du décret avec d'autres textes de loi – nous pourrons en parler en détail. Le Conseil d'État nous a ainsi demandé d'apporter des modifications pour qu'il puisse enfin être publié cet été.

Je me suis donc attaché à expliquer la manière dont le processus législatif pourra arriver à son terme, tandis que vous sous-entendez que mon cabinet ou mes équipes ne veulent pas le voir se concrétiser.

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Eh bien oui ! Il y a un retard de notification !

Debut de section - Permalien
Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation

Je peux vous dire que, s'il y a des gens qui, dans la République, se battent avec force pour faire appliquer la loi ÉGALIM, c'est bien nous ! Non seulement vos sous-entendus ne sont pas conformes à la réalité de notre action, mais ils contribuent, de plus, à une ambiance qui n'est bonne pour personne, laissant penser que l'administration ne voudrait pas faire appliquer la réglementation.

Je veux bien en discuter avec vous, mais de nombreux sujets sur lesquels nous légiférons ici relèvent d'une compétence européenne : pour être appliqués, les textes votés doivent faire l'objet de négociations avec l'Union européenne. Allons jusqu'au bout, madame la députée, mais je ne laisserai pas dire que nous bloquons l'application de la loi, car ce n'est pas vrai : au contraire, nous nous battons pour qu'elle puisse s'appliquer, s'agissant en particulier de l'origine des produits.

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J'étais présent, et même très impliqué, lorsque le projet de loi ÉGALIM a été débattu à l'Assemblée. Je vous le dis d'emblée : je l'ai voté. J'avais pourtant des doutes sur plusieurs de ses aspects, notamment ceux concernant la fixation des prix. Je voudrais vous interroger sur trois d'entre eux.

Premièrement, face au manque d'effets positifs de la loi ÉGALIM sur la rémunération des producteurs, vous avez annoncé vouloir revisiter une autre loi, la loi de modernisation de l'économie, qui a notamment favorisé la très grande concentration de la grande distribution en France. Je souscris à cette idée et je voudrais que vous me disiez, monsieur le ministre, où vous en êtes de cette modification et comment vous l'envisagez.

Deuxièmement, dans mon département de l'Aveyron, de très nombreuses productions se font sous appellation d'origine contrôlée (AOC) ou protégée (AOP), ou sous indication géographique protégée (IGP). Pour assurer leur visibilité et leur juste rémunération, elles ont besoin de deux garanties : d'abord l'assouplissement des marchés publics, afin de favoriser l'approvisionnement local ; ensuite la prise en compte véritable de la réalité des coûts, notamment en matière de main-d'œuvre. Comment comptez-vous permettre ces améliorations ?

Enfin, dans la réforme du « paquet lait », entreprise il y a quelques années, le lait de brebis a été traité de la même manière que le lait de vache. S'agissant en particulier des organisations de producteurs et de leurs rapports avec les industriels, les cadres ont été simplement transposés de la production laitière bovine à la production laitière ovine. Au passage, l'écosystème tout à fait original qui existait dans le bassin de Roquefort a disparu, alors qu'il constituait une interface très intéressante entre les producteurs et les industriels. Certaines dispositions actuelles bloquent, en outre, la possibilité pour les producteurs d'entretenir un rapport de gré à gré avec ceux qui transforment leurs produits. Il faut leur apporter une réponse et je vous ai d'ailleurs interrogé récemment par écrit à ce propos.

Je termine en vous disant que nous vous attendons dans l'Aveyron : vous pourrez ainsi y observer les dégâts du gel dont vous savez qu'ils ont été considérables.

Debut de section - Permalien
Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation

Merci, monsieur Viala, pour votre invitation dans l'Aveyron.

S'agissant de l'organisation des rapports entre producteurs et vendeurs de lait de brebis, cette question a une histoire ancienne et bien connue – je n'y reviens pas car vous l'avez bien en tête. Nous devons en tenir compte pour trouver les voies et les moyens permettant de la traiter, sans pour autant perdre de vue qu'il est impossible de faire ce que le droit n'autorise pas.

Le second sujet que vous évoquez est essentiel : rendre compatible tout ce que nous faisons avec la loi LME, c'est la mère des batailles ! La loi ÉGALIM est revenue sur le principe de la loi LME, qui est elle-même venue rebattre les cartes de la loi Galland. En organisant des relations commerciales sans fixer des prix planchers, cette dernière permettait que les négociations commerciales ne se fassent pas au détriment des agriculteurs. La loi LME, elle, est venue rompre cet équilibre en laissant le rapport de forces se développer au cours de toute la négociation, à la fois en amont, entre les agriculteurs et les industriels, mais aussi plus en aval, entre les industriels et la grande distribution.

Or la loi ÉGALIM n'a pas remis en cause ce fonctionnement : elle a fait évoluer l'état d'esprit qui prévalait sans revenir sur la loi LME. C'est bien la question que soulève la proposition de loi dont nous discuterons bientôt : sommes-nous capables de revenir sur la loi LME, en particulier s'agissant de la négociabilité des prix agricoles ? Vous avez raison de le dire, c'est le point essentiel.

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La loi ÉGALIM a été adoptée voilà bientôt trois ans. Elle a suscité de nombreux espoirs chez les agriculteurs, notamment dans mon territoire, consacré principalement à l'élevage de vaches charolaises. Je souhaite donc vous interroger en particulier sur la filière viande. Vous avez déjà eu l'occasion de le dire : c'est une question de souveraineté. Le rapport Papin montre l'importance de la filière bovine en la matière : elle est particulièrement déstructurée, notamment en raison de la prédominance de certains acteurs ultra majoritaires. Il apparaît donc nécessaire de la refonder entièrement.

Comment peut-on réellement construire les prix en partant du coût de production supporté par les agriculteurs, cela afin de leur éviter des ventes à perte, normalement interdites ? Nous devons poursuivre cet objectif et il ne faut pas nous y tromper : ce qui est en jeu, c'est aussi la dignité des agriculteurs et leur capacité à vivre de leur travail.

J'aimerais également évoquer le principe du mieux-disant français, qui oblige à se conformer à des normes qui ne sont pas toujours d'origine parlementaire et qui peuvent concerner la production, l'abattage ou la distribution. Elles rendent les produits français – c'est vrai pour le bœuf mais aussi pour d'autres viandes – moins compétitifs que des viandes allemandes, irlandaises, sud-américaines ou canadiennes. Nous laissons entrer sur notre territoire des produits ne respectant pas toutes les normes que nous imposons à nos propres agriculteurs. Comment faire pour qu'une telle situation cesse ?

Enfin, nos éleveurs attendent du Gouvernement qu'il fixe un cap quant à l'évolution des cheptels, à leur taille et aux modes de production de la viande. Que peut-on leur répondre pour préparer l'avenir de l'agriculture française ?

Debut de section - Permalien
Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation

À travers les trois questions que vous posez et à ce stade de nos débats, il est possible de prendre un peu de recul pour mettre en avant ce qu'est le caractère propre de notre agriculture, à savoir la qualité, tant environnementale que nutritionnelle. Nos débats dépassent la simple question – ô combien complexe – de la rémunération : ils impliquent la question encore plus large de notre modèle de production.

Si nous croyons dans le modèle français – celui de la qualité –, nous ne pouvons pas, au même moment, accepter la guerre des prix, laquelle est antinomique avec une amélioration de la qualité, sauf si nous acceptons que cette dernière se fasse au détriment de la rémunération des agriculteurs, auquel cas nous parviendrions à un modèle qui ne serait pas pérenne : à la fin, il n'y aurait plus d'agriculteurs.

Le débat qui s'ensuit est donc fondamental : il met en jeu notre modèle de la qualité. Il englobe ce que vous évoquez dans votre troisième question, s'agissant de la taille des cheptels. Personne ne sait – ou trop peu de personnes, parce que certains diffusent des informations contraires et fausses – que la taille moyenne des élevages français se situe parmi les plus petites d'Europe et qu'elle est sans commune mesure avec ce qui peut être observé dans les pays de l'Est, en Asie ou aux États-Unis. C'est vrai non seulement pour les élevages de truies, de bovins mais aussi de volailles, qui sont en moyenne trois fois plus petits que dans le reste de l'Europe, sans parler de l'Ukraine, du Brésil ou des États-Unis.

Pour ma part, je crois beaucoup à la qualité liée au territoire et à la proximité. Il faut donc lutter contre les idées préconçues – et Dieu sait qu'elles sont nombreuses ! – et accompagner la montée en qualité par le biais de la PAC, du plan de relance ou de la meilleure répartition de la valeur dans le cadre de la loi ÉGALIM.

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La loi ÉGALIM a non seulement suscité l'espoir de rééquilibrer les relations commerciales et de mieux rémunérer les producteurs, mais aussi provoqué de fortes déceptions tant le chemin à parcourir est encore long. Si l'on note des avancées telles que l'entrée du tiers de la production laitière dans le cadre des négociations, l'indicateur de coût de production est loin d'être respecté dans de nombreuses filières, comme celle de la viande bovine.

Les producteurs saisissent l'enjeu de la compétitivité et de la structuration des filières. Cependant, le surcoût provoqué par leur réponse à la demande de montée en gamme ne se traduit pas souvent par une rémunération complémentaire. Il en est ainsi, par exemple, dans le cas de l'arrêt de la castration à vif des porcs : ce progrès reconnu par tous du bien-être animal engendre des difficultés de mise en œuvre, notamment pour les producteurs locaux, et un surcoût entièrement pris en charge par l'éleveur.

En ce qui concerne leurs relations avec les distributeurs, les agriculteurs relèvent aussi des disparités importantes : en cas de livraisons hors délai, par exemple, les pénalités de retard sont très diversement appliquées. Ils signalent que les coopératives – qui devraient fournir un cadre plus sécurisant aux producteurs – n'ont pas plus que les autres entreprises des pratiques plus respectueuses du coût de production, pilier de la loi ÉGALIM. Ils expriment une demande pressante d'un encadrement plus strict de l'État, d'un rôle accru du médiateur et de sanctions plus fortes en cas de non-respect de la législation.

Dans le contexte plus large de la PAC, ils soulèvent aussi la question de la politique de régulation de l'offre et de la demande, qui semble indispensable au-delà de la seule répartition budgétaire des aides de l'Europe. Après avoir pris connaissance du rapport de Serge Papin, les agriculteurs ne voient pas ce qui pourra vraiment changer les choses. Ils estiment pourtant qu'il est impératif de réussir cette loi à l'heure des enjeux de renouvellement des générations et de maintien d'une souveraineté alimentaire essentielle.

Les agriculteurs martèlent leurs demandes d'une consolidation législative dans divers domaines : contractualisation, transparence et sécurisation du prix de la matière première agricole dans les négociations commerciales ; étiquetage de l'origine ; instauration d'un dispositif permettant de trancher les litiges ; encadrement de toutes les formes de braderies de produits alimentaires.

Afin que ces outils fonctionnent, expliquent-ils, on ne peut faire l'impasse sur le renforcement des indicateurs du coût de production. Nous devons assurément rester collectivement attentifs à ce qu'il n'y ait aucun contournement de la sécurisation de la part agricole du tarif du fournisseur. Il y va de la pérennité de chacun des maillons de nos chaînes d'approvisionnement alimentaire et de la compétitivité d'un tissu productif français capable de répondre à l'enjeu de souveraineté alimentaire.

Debut de section - Permalien
Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation

La première partie de votre question est très révélatrice d'une injonction paradoxale parfois formulée par la société. Le Gouvernement tient à ce point compte de la forte demande sociétale concernant la castration à vif des porcelets qu'un arrêté a été pris pour mettre fin à cette pratique à partir du 1er janvier 2022. Qui demande l'arrêt de la castration à vif des porcelets ? Le consommateur. Or cette pratique a pour but d'éviter que la viande ne sente, car le même consommateur ne veut pas trouver, une fois de temps en temps, une odeur sur son morceau de jambon. Acceptera-t-il de rémunérer le producteur de cochon de manière à compenser le coût induit de la suppression de la castration à vif ? Là est la question. Depuis un an, nous réfléchissons au moyen de répartir ce coût tout au long de la chaîne.

Il y a trop longtemps que les agriculteurs font les frais de ces injonctions paradoxales. L'arrêt de la castration à vif ne pose pas de problème technique ou économique : elle devient inutile si le consommateur accepte de temps en temps d'avoir un jambon qui sent un peu plus fort…

Debut de section - Permalien
Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation

…ou, dans le cas contraire, le surcoût engendré doit être réparti entre le consommateur et tous les acteurs de la filière. La loi va dans le bon sens, mais tout le monde a un rôle à jouer : le législateur, l'agriculteur, l'industriel, le distributeur et le consommateur. C'est ainsi que nous avancerons.

Mme Anne-Laure Cattelot applaudit.

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Monsieur le ministre, je souhaite vous alerter sur la rémunération des agriculteurs. Tous admettent que la loi ÉGALIM a amélioré les relations entre les agriculteurs, les industries agroalimentaires et la grande distribution,…

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…posant les bases d'une négociation plus juste pour ceux qui fournissent la matière première agricole. Cependant, force est de constater que la marche en avant des prix a fait long feu, stoppée net par la crise sanitaire et la hausse des coûts de production.

La France continue de s'enorgueillir de son poids agricole au sein de l'Europe,…

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…mais elle n'assure pas à tous ses agriculteurs un salaire décent au regard de l'investissement humain engagé, celui de toute une vie et, bien souvent, au prix de leur vie. Les agriculteurs restent les professionnels les plus exposés à la pauvreté. Ils illustrent une situation paradoxale : céréaliers et producteurs de lait sans blé.

Dans ce domaine, les multiples enjeux tiennent d'abord aux conditions de la structuration de l'offre et aux règles du jeu des négociations commerciales sur les produits. Dans le contexte inflationniste que connaissent certaines matières nécessaires aux exploitants, il devient indispensable de traduire dans les faits les incitations et les intentions de la loi ÉGALIM, en rendant plus contraignantes l'élaboration et la prise en compte des indicateurs des coûts de production dans les contrats.

C'est l'un des objectifs de la proposition de loi du député Besson-Moreau, que je soutiens. Elle tend à instaurer des contrats pluriannuels de trois ans, respectant une plus grande transparence du coût d'achat des matières premières agricoles par l'industriel, et à en consacrer le caractère non négociable avec les grandes surfaces.

Un autre enjeu inquiète les agriculteurs des zones dites intermédiaires, dont mon département de la Moselle fait partie dans le cadre de l'élaboration du plan stratégique national de la France (PSN). Comme en témoignent les manifestations récentes, ils craignent qu'un resserrement des aides de la PAC en 2023 ne vienne s'ajouter aux contraintes liées aux prix du marché international qui pèsent sur leurs filières de polyculture et d'élevage.

Monsieur le ministre, je souhaiterais connaître les mesures que le Gouvernement compte prendre pour garantir que, dans le cadre de l'élaboration du PSN, la réorientation des dispositifs d'accompagnement ciblés ne laissera aucune exploitation de côté. Je souhaite également connaître l'avis du Gouvernement concernant les dispositions de la proposition de loi de notre collègue Besson-Moreau pour une application dès les prochaines négociations, en janvier 2022.

Debut de section - Permalien
Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation

S'agissant de cette proposition de loi, je crois avoir montré mon soutien lorsque j'ai salué les travaux effectués dans le cadre de la mission d'information pilotée par Thierry Benoit, ceux de Grégory Besson-Moreau et d'autres parlementaires – vous êtes nombreux à avoir travaillé sur ces sujets.

Vous évoquez aussi la PAC, le plan stratégique national et l'inclusion des zones intermédiaires. Contrairement à la plupart de mes prédécesseurs, je pense que les zones intermédiaires sont un véritable sujet politique et doivent être traitées comme tel. Il faut cependant se souvenir qu'il y avait une première bataille – budgétaire – à livrer dans le cadre de la PAC : il fallait obtenir des montants importants. En octobre 2018, la Commission européenne a proposé des sommes indécentes. Répétons-le : c'est la France qui s'est battue pour augmenter très significativement – de près de 25 milliards d'euros – les sommes allouées à la politique agricole commune, afin de les maintenir peu ou prou au même niveau que par le passé. Ce n'était pas gagné et c'est une victoire de la France.

Il s'agit maintenant de répartir ces montants – 9,5 milliards d'euros – entre les territoires et les cultures. Si vous décidez d'octroyer davantage de moyens à un territoire ou à un type de production, vous devrez mécaniquement réduire ceux qui seront alloués aux autres. Gardez cela à l'esprit. J'ai bien conscience qu'au terme de ce processus je serai le réceptacle des plaintes de chacun. Il me semble que j'agis avec méthode et professionnalisme, en privilégiant la concertation. Néanmoins, tout choix en faveur de l'un se fera au détriment de l'autre. C'est inévitable, sachant que la discussion budgétaire a déjà eu lieu et que nous avons obtenu gain de cause.

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Nous sommes parmi les derniers, mais j'espère que nous ne serons pas les moindres, monsieur le ministre, à vous interroger.

Sourires.

Debut de section - Permalien
Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation

Le meilleur pour la fin !

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

J'étais rapporteur de la loi Sapin 2, adoptée en novembre 2016. J'étais l'un des rapporteurs des états généraux de l'alimentation qui ont rendu leur copie en décembre 2017. En octobre 2018, nous avons adopté la loi ÉGALIM.

L'expérience de 2017 m'a rendu prudent : durant tout l'hiver, j'avais raconté dans les assemblées générales syndicales – Jeunes agriculteurs, Confédération paysanne, fédérations départementales des syndicats d'exploitants agricoles (FDSEA) – que tout allait changer grâce à la loi Sapin 2 car le prix serait désormais construit en partant du bas. Comme Thierry Benoit, André Chassaigne, Guillaume Garot et d'autres, je me doutais bien que nous n'avions pas inventé la machine à reconstruire des prix dignes pour les producteurs grâce à la loi ÉGALIM. La réalité l'a démontré.

À la lumière de notre expérience, de nos débats et de nos travaux, je distinguerais trois leviers majeurs – au-delà des mesures que proposera notre collègue Besson-Moreau en juin – qui sont absolument nécessaires et doivent être convergents.

Premier levier : une organisation commune des marchés, sans laquelle tout est vain car les concurrences déloyales – intra ou extra-communautaires – ruineraient les efforts de régulation en interne.

Les transformateurs vous interpellent déjà sur le deuxième levier : les contrats ne doivent pas seulement lier les agriculteurs et les transformateurs, ils doivent inclure aussi les distributeurs.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Le citoyen et la société pourront ainsi contractualiser avec l'économie, sans oublier aucun des maillons de la chaîne. Pour ma part, je suis autant attentif au salaire de l'ouvrier de l'agroalimentaire, du chauffeur du camion de lait et du fabricant de fromage qu'à celui du producteur de lait. Il faut des contrats tripartites et pluriannuels.

Troisième et dernier levier : ayant des bases marxistes solides, je pense qu'il faut construire des institutions, des organisations, c'est-à-dire les appellations d'origine protégée dont nous avons parlé lors des débats sur les lois Sapin 2 et ÉGALIM. Nous allons faire des propositions dans ce sens en juin, lors de l'examen de la nouvelle proposition de loi. Comme notre collègue eurodéputé Éric Andrieu, nous pensons que les AOP doivent bénéficier de dispositions spécifiques, être dotées de moyens leur permettant de bâtir des prix mais aussi des volumes dans de grandes régions et écosystèmes cohérents.

Qui construit des prix sans volumes se moque du monde et du peuple. Or le peuple paysan a besoin d'être reconnu désormais par la justesse et la dignité de ses prix.

Debut de section - Permalien
Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation

Très belle transition, monsieur le président Chassaigne !

Sourires.

Debut de section - Permalien
Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation

S'agissant du règlement OCM unique – organisation commune des marchés agricoles –, je suis d'accord avec M. Potier, comme le montrent les propos que j'ai tenus à de multiples reprises. Cela étant, M. Potier sait bien que le contrat tripartite obéit à des règles de la concurrence différentes de la contractualisation. Alors qu'il faut imposer la contractualisation, il faut aller le plus loin possible en matière de tripartisme – nous en débattrons –, c'est-à-dire jusqu'à la limite où peuvent apparaître des risques d'entente.

Debut de section - Permalien
Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation

En matière de constitution d'AOP, dont je suis aussi un fervent défenseur, je remarque que M. Potier n'a pas parlé de prix minimum.

Debut de section - Permalien
Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation

D'où la demande du président Chassaigne d'aller plus loin !

Sourires .

Debut de section - Permalien
Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation

Non, je cherche l'union des gauches et non pas leur division, monsieur le député !

Sourires.

Debut de section - Permalien
Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation

Permettez-moi d'insister sur un point, puisque nous nous connaissons tous bien et que nous travaillons en confiance, quelles que soient nos appartenances politiques.

Il n'y aurait rien de pire que de faire croire au monde agricole que tel dispositif fonctionne alors que ce n'est pas le cas ou qu'il est irréalisable dans un contexte qui n'est pas seulement national mais celui d'un marché commun.

Debut de section - Permalien
Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation

L'établissement des règles commerciales est la question la plus importante : on ne saurait faire croire que la loi pourrait garantir des prix planchers secteur par secteur. Vous le savez très bien, monsieur le président Chassaigne. Si c'était faisable, le député Potier l'aurait d'ailleurs proposé – mais, encore une fois, je ne veux diviser personne…

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Quelqu'un avant vous a dit que je voulais Cuba sans le soleil !

Debut de section - Permalien
Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation

Nous devons aller le plus loin possible tout en restant très clairs sur ce qui est faisable ou non, car aller le plus loin possible nécessite de créer toute la dynamique que j'ai évoquée.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

La présente discussion a été de qualité, monsieur le ministre. Tout le monde reconnaît aujourd'hui que la loi ÉGALIM telle qu'elle a été votée ne remplit pas l'objectif qui lui a été fixé parce que les agriculteurs et les producteurs, de façon générale, considèrent à juste raison qu'ils ne sont pas payés à hauteur de leur travail. Nous n'avions pas voté cette loi, considérant qu'elle allait semer des illusions. Eh bien, nous y sommes. Vous-même, au Sénat, monsieur le ministre, avez estimé que le compte n'y était pas.

La question est donc de savoir ce qu'on peut faire maintenant. La proposition de loi de notre collègue Besson-Moreau, si elle peut améliorer les choses, sera utile. Je tiens toutefois à appeler votre attention sur le rôle du Parlement. Nous allons en effet discuter de cette proposition de loi au mois de juin, à savoir avant même de disposer, à l'automne, d'une évaluation précise, sur le fond, de la loi ÉGALIM. Or nous avons besoin d'une évaluation exacte, objective des insuffisances de la loi en matière de répartition des profits, des marges entre les producteurs, les transformateurs et les distributeurs.

Ensuite, de quelle manière allons-nous garantir au producteur qu'il pourra bien vivre de son travail ? Nous avons besoin de transparence, c'est évident et cela a déjà été dit, mais aussi d'équité, ce qui va de soi mais ce qui va mieux en le disant. Autrement dit, concrètement, comment prend-on en compte réellement les coûts de production ? Comment parvient-on à sanctuariser la part agricole du prix ? En somme, comment rééquilibrer le rapport de forces entre les producteurs, les transformateurs et la grande distribution ? Cela, notre collègue Benoit l'a évoqué, en évitant les contournements – je pense aux pratiques des centrales d'achat qui pèsent au plan européen.

Nous ne parviendrons pas à des solutions durables, nous ne pourrons pas peser sur les prix si nous n'imposons pas une régulation des volumes, une régulation de la production au plan européen.

Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.

Debut de section - Permalien
Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation

Je ne reviendrai pas sur la question de l'évaluation de la loi ÉGALIM, monsieur Garot, sinon pour rappeler que le rapport de la mission d'information et les éléments à notre disposition ne sont pas exhaustifs : je l'ai dit, concernant le seuil de revente à perte, nous n'aurons une seconde évaluation qu'à l'automne. En tout état de cause, les évaluations montrent ce qui a marché et ce qui n'a pas marché – et donc permettent de rectifier le tir. Autrement dit, il ne faut pas attendre une nouvelle évaluation pour légiférer à nouveau. Et si nous voulons vraiment peser sur les prochaines négociations commerciales, qui commencent le 1er octobre, il nous faut avancer rapidement.

Ensuite, en ce qui concerne les garanties, je ne reviendrai pas sur tout ce que nous avons déjà évoqué cet après-midi, mais je répéterai que notre objectif est d'aller le plus loin possible. La loi de modernisation de l'économie a constitué un point de bascule. Elle repose sur ce qui est selon moi une erreur : on s'est alors dit que, pour préserver le pouvoir d'achat, on allait établir un rapport de forces, une compétition au sein de toute la chaîne agro-alimentaire. Le contexte était différent, certes, et si la loi ÉGALIM n'est pas revenue sur la loi LME, la proposition de loi Besson-Moreau, elle, le fera concernant les prix, en amont, des matières premières agricoles, mais pas, au moment où je vous parle, concernant les industriels qui, souvenez-vous, avant l'entrée en vigueur de la loi LME, étaient obligés de proposer à chaque distributeur le même prix, quitte à devoir justifier ensuite un autre prix à l'arrivée, ce qui entraînait la pratique des marges arrière.

Pour ce qui est des volumes, vous pouvez les appréhender de deux façons : soit avec l'objectif de soutenir les prix, soit pour les juguler. Il faut faire très attention sur ce point.

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Monsieur le ministre, notre souveraineté alimentaire dépend de notre modèle agricole – lequel est admiré à travers le monde. L'objet du présent débat montre que nous devons plus que jamais préserver ce modèle, celui d'éleveurs, de cultivateurs qui s'illustrent au quotidien par leur travail, leurs innovations pour se tourner vers une agriculture plus respectueuse de l'environnement.

Je suis originaire du Cantal et chacun sait à quel point le village de Sallers a porté haut l'excellence de la viande bovine. J'ai été bercé dans cet amour de la terre et du respect du vivant. Or, monsieur le ministre, ce modèle doit rémunérer au juste prix nos agriculteurs : nous devons leur montrer que leur travail et leurs efforts sont essentiels. Notre souveraineté alimentaire repose sur ce travail et elle sera bientôt en danger si nous n'agissons pas rapidement.

Le groupe Agir ensemble soutiendra, bien entendu, toute proposition de loi visant à aménager et perfectionner la loi ÉGALIM, mais nous devons aller plus loin que les seules questions de rémunération. De façon plus globale, nous devons répondre à l'hémorragie des campagnes et attirer à nouveau les jeunes vers les métiers agricoles. Les chiffres sont là : le nombre d'agriculteurs a été divisé par quatre en quarante ans ; près d'un tiers avaient plus de 55 ans en 2016 et la moitié d'entre eux partiront à la retraite dans les cinq années à venir.

Aussi, pouvez-vous nous indiquer comment nous réussirons à maintenir notre souveraineté alimentaire et notre modèle agricole face à cette crise profonde, au-delà de la seule question de la rémunération, qui est cruciale ? Le plan de relance a été très bien accueilli et il est encore très sollicité : accentuerez-vous encore ce soutien ?

Debut de section - Permalien
Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation

Je ne suis pas originaire du Cantal mais, si vous voyez ce que je veux dire, j'en suis devenu un enfant adoptif. Je partage donc votre attachement à ce territoire. La question, large, que vous soulevez vise de fait la pierre de touche de notre réussite : le renouvellement des générations. La moitié des agriculteurs, en effet, dans les cinq à sept prochaines années, partiront à la retraite. Aussi, en 2025, 2026, 2027, serons-nous parvenus à convaincre la jeunesse de France de prendre la relève ? Ce sera bien, j'insiste, le critère de la réussite de notre politique.

« Les entrepreneurs du vivant qui nourrissent le peuple », comme j'aime à les définir, font leur métier par passion : celle, précisément, de remplir cette noble mission de nourrir le peuple. Mais la passion ne peut pas tout et ne saurait se substituer à la rémunération. C'est pourquoi il est essentiel que nous en débattions, comme nous sommes en train de le faire. Il faut également garantir la sécurité des agriculteurs face aux aléas du changement climatique, et pour cela trouver les voies et moyens d'établir une vraie assurance récolte. Il ne faut donc jamais perdre de vue la singularité de notre agriculture et nous devons nous battre contre tous ceux qui cherchent à la dénigrer en amalgamant ses produits avec ceux réalisés ailleurs et qui sont loin d'en atteindre la qualité. Bref, il s'agit de réconcilier des points de vue différents autour de cette notion de qualité.

Nous allons lancer, à partir de la fin du mois de juin, une grande campagne de communication sur les entrepreneurs du vivant, un peu sur le modèle de ce qu'avait fait l'armée sur le thème : « Engagez-vous ! » Nous mettrons ainsi en avant ces beaux métiers d'entrepreneur du vivant.

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La parole est à nouveau à M. M'jid El Guerrab pour ce qui sera l'ultime question.

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Merci, monsieur le ministre, pour vos réponses. Le modèle agricole français est très envié, comme je l'ai souligné, puissant au niveau européen, et il s'exporte. La crise sanitaire mondiale a fragilisé le commerce international et ses conséquences se feront encore longtemps sentir dans des secteurs comme l'agro-alimentaire.

Je souhaite vous interroger sur les relations commerciales entre l'Union européenne et l'Afrique. La pandémie de covid-19 a montré la nécessité d'un partenariat renforcé avec l'Afrique. Les répercussions du virus sur les populations rurales appellent une réponse mondiale. Il s'agit d'aider les sociétés à se reconstruire durablement en sécurisant les systèmes de production – alimentaire notamment.

Si la crise sanitaire a repoussé le sixième sommet entre l'Union européenne et l'Afrique, qui devait se tenir en octobre 2020, la prochaine édition, prévue en 2021, devra définir une nouvelle stratégie globale avec l'Afrique, fondée, en particulier, sur la transition verte. En effet, l'Afrique possède une grande variété de zones agro-écologiques qui constituent un énorme atout et un grand défi pour le développement agricole du continent. Or les relations commerciales entre les deux continents sont de plus en plus dynamiques, ce qui signifie que nous devons poursuivre et renforcer notre coopération pour répondre à de nombreux défis mondiaux qui se présentent à nous. L'agriculture en fait partie, elle qui représente une part essentielle de l'économie de tous les pays africains.

Déjà, l'Afrique a pris conscience de l'ensemble de ces enjeux environnementaux en déployant une série d'initiatives importantes que je tiens à saluer. Je pense au plan Maroc vert, lancé en 2008, que le royaume chérifien doit consolider par l'opération Génération g reen 2020-2030 ; je pense également au plan FILAHA 2019 en Algérie ; je pense enfin à l'emblématique plan Grande muraille verte, initiative phare de l'Union africaine que le Président de la République ne cesse de vanter et destiné à lutter contre les effets du changement climatique et contre la désertification en Afrique.

Le volet agricole sera-t-il donc pris en considération, et de quelle façon, dans le futur sommet UE-Afrique ?

Debut de section - Permalien
Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation

Oui, et c'est à mes yeux essentiel. Nous en avons d'ailleurs parlé avec les ministres européens de l'agriculture il y a une semaine. Le commissaire à l'agriculture et au développement rural a souhaité qu'en amont du sommet UE-Afrique des réunions soient organisées avec un certain nombre de ministres européens et de ministres africains de l'agriculture.

Il se trouve que j'ai achevé mes études dans des champs de palmiers dattiers au Niger. J'ai eu ensuite l'occasion de beaucoup travailler avec le continent africain, notamment pour préparer le sommet Afrique-France de 2013. J'ai par ailleurs vécu en Égypte, toujours en lien avec le secteur agricole. J'ai donc pu appréhender tous ces sujets sur le terrain.

Le potentiel d'une coopération entre l'Union européenne et l'Afrique est non seulement très grand mais il est surtout, je le répète, essentiel. Prenez seulement la question de la captation de carbone dans le sol : eh bien, nous devons développer ensemble une coopération en la matière. Prenez le plan Grande muraille verte, défendu par le Président de la République : il est indispensable pour lutter à la fois contre la désertification, pour relancer la production dans plusieurs filières et pour renforcer la coopération économique et agronomique – tout cela sans oublier la lutte contre le changement climatique. C'est à notre portée parce qu'il y a une volonté politique de part et d'autre, volonté qui bénéficie d'une impulsion très forte du Président de la République.

Oui et mille fois oui, donc, à cette coopération. Une part de l'avenir du continent européen consiste indéniablement à tourner son regard vers l'Afrique, y compris en matière de coopération agricole. En tout cas, je me battrai pour en être l'un des acteurs, comme le souhaite d'ailleurs le Président de la République.

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La partie de la séance consacrée aux questions sur le bilan de la loi ÉGALIM sur les relations commerciales est terminée.

Je vous rappelle que le débat suivant, sur le bilan de la loi ÉGALIM sur la rémunération des agriculteurs, se tiendra en salle Lamartine, où nous nous retrouverons à dix-huit heures quinze, afin d'auditionner des personnes extérieures, après quoi vous nous rejoindrez, monsieur le ministre.

Suspension et reprise de la séance

La séance, suspendue à dix-huit heures, est reprise à dix-huit heures quinze.

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L'ordre du jour appelle le débat sur le bilan de la loi ÉGALIM sur la rémunération des agriculteurs, sollicité par le groupe de la Gauche démocrate et républicaine. À la demande de ce dernier, il se tient en salle Lamartine afin que des personnalités extérieures puissent être interrogées.

La conférence des présidents a décidé d'organiser ce débat en deux parties. Il commencera par une table ronde, d'une durée d'une heure, en présence de personnalités invitées, auxquelles je souhaite la bienvenue. Puis, après avoir entendu une intervention liminaire du Gouvernement, nous procéderons à une séance de questions-réponses d'une durée d'une heure également. La durée des questions comme des réponses sera limitée à deux minutes, sans droit de réplique.

Merci aux trois intervenants présents de se prêter à cet exercice. Chacun d'eux commencera par une intervention d'environ cinq minutes.

La parole est à M. Philippe Chalmin, président de l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires.

Debut de section - Permalien
Philippe Chalmin, président de l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires

C'est un très grand plaisir pour moi que de répondre à votre invitation et de pouvoir, à cette occasion, vous présenter l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires, que j'ai l'honneur de présider depuis une dizaine d'années – j'exerce mon dernier mandat en cette qualité.

L'Observatoire est une commission administrative, placée sous la double tutelle du ministère de l'agriculture et de l'alimentation et du ministère de l'économie, des finances et de la relance. Nous réunissons, autour de notre table, toutes les familles directement concernées par le destin des produits agricoles, du champ à l'assiette : les producteurs, les industriels, les distributeurs, les commerçants et les consommateurs. Le rapport qui vous a été remis présente la particularité d'avoir été adopté à l'unanimité des parties prenantes. Ce consensus est le fruit d'un processus relativement long, au cours duquel nous discutons parfois abondamment, mais je crois qu'il fait de ce document un rapport de référence, dont le seul défaut, j'en conviens, est que nous l'élaborons malheureusement en regardant quelque peu dans le rétroviseur, pour reprendre l'expression employée par l'un d'entre vous au cours d'un débat précédent. Cet état de fait m'empêchera peut-être de répondre à certaines des questions que vous vous posez quant au premier bilan à tirer de la loi ÉGALIM.

Ainsi, le document que vous avez sous les yeux est le rapport 2020 de l'Observatoire. La dernière réunion de notre comité de pilotage en vue de la finalisation du rapport 2021 se tiendra le 19 mai. Je devrais donc être à même de le fournir à ceux d'entre vous qui seront intéressés d'ici à la fin du mois, avant même la conférence de presse. Mais si ce rapport comprendra bien entendu l'intégralité des éléments collectés en 2020, certains d'entre eux porteront sur l'année 2019, voire sur l'année 2018. Par exemple, s'agissant des marges nettes réalisées par la grande distribution sur les produits vendus aux rayons frais – un des indicateurs importants du rapport, car il apporte une grande transparence dans ce domaine –, nous ne publierons que les chiffres de l'exercice 2019, antérieurs à la pandémie et très peu touchés par l'entrée en vigueur de la loi ÉGALIM.

Nous nous efforçons de suivre, pour la très grande majorité des grandes filières de produits frais, le cheminement d'un produit du champ à l'assiette : prix agricoles, prix des produits issus de la première puis de la deuxième transformation et prix aux consommateurs. Nous procédons ensuite à des soustractions pour obtenir les marges brutes. Cette partie du travail est assez aisée, la France ayant la chance d'être dotée d'un appareil statistique relativement développé.

Les choses deviennent plus problématiques lorsqu'il s'agit de passer des marges brutes aux marges nettes, c'est-à-dire d'analyser les coûts de production, de transformation ou de logistique. Nous le faisons en collectant des données au stade de la production agricole, en recueillant les chiffres fournis par certaines industries – mais pas toutes : nous discutons par exemple avec l'industrie laitière pour obtenir des éléments relatifs aux marges nettes réalisées dans les principaux métiers qui la constituent –, ou encore en compilant les marges nettes de la grande distribution. L'Observatoire est avant tout un lieu de coopération, qui aide à faire la transparence sur les marchés.

Que dire de plus pendant les quelques secondes qui me restent ? De manière générale, au stade actuel et au vu des éléments dont nous avons connaissance, l'effet de la loi ÉGALIM est resté relativement limité, d'autant que l'année 2020, vous en conviendrez, fut exceptionnelle, puisqu'elle s'est traduite par une modification des habitudes alimentaires des Français. La disparition de la restauration hors foyer, en particulier, a profondément modifié leurs modèles de consommation et d'achat de produits alimentaires.

Si vous m'y autorisez, monsieur le président, je prendrai une minute supplémentaire…

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Pas davantage, car nous devons laisser aux députés le temps de vous poser des questions.

Debut de section - Permalien
Philippe Chalmin, président de l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires

…pour changer de casquette et m'exprimer, non plus en tant que président de l'Observatoire – lequel doit rester parfaitement neutre et se contenter de porter la voix de l'institution qu'il représente – mais en tant que professeur des universités qui, comme tout bon académique, peut parfois tenir des propos qui dérangent. J'ai toujours été, en tant qu'universitaire – peut-être d'obédience quelque peu libérale, comme l'estime M. Chassaigne –, très réticent à la notion largement invoquée de « prix rémunérateur ». Qu'est-ce qu'un prix rémunérateur ? Très franchement, je ne le sais pas, dans la mesure où tout prix rémunérateur moyen s'applique à une extraordinaire diversité d'exploitations. L'Observatoire calcule bien entendu, dans son rapport, des coûts de production moyens. Mais nous savons que cette moyenne peut recouvrir des situations totalement différentes.

Debut de section - Permalien
Philippe Chalmin, président de l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires

Par ailleurs – c'est un point important –, nous avons de toute façon vécu, durant les dix dernières années, une véritable révolution, à savoir la fin de la politique agricole commune : les prix administrés ont été remplacés par les prix de marché, lesquels reflètent l'équilibre entre l'offre et la demande qui prévaut à un moment donné. Un tel prix n'est ni rémunérateur, ni moral ou immoral, ni juste ou injuste.

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Merci, cher monsieur. Nous y reviendrons au cours des questions.

La parole est à Mme Sophie Devienne, professeure d'agriculture comparée et de développement agricole à AgroParisTech.

Debut de section - Permalien
Sophie Devienne, professeure d'agriculture comparée et de développement agricole à AgroParisTech

Ayant beaucoup travaillé sur le développement de l'agriculture en France et dans d'autres pays, je prendrai un peu de recul historique sur la question. L'obtention de prix rémunérateurs constitue, depuis quatre-vingts ans, une demande constante des agriculteurs.

Peut-être est-il utile de revenir sur les variables qui déterminent les prix agricoles. Ils dépendent effectivement de l'offre et de la demande, qui entraînent de microvariations à l'échelle de quelques années, ainsi que du partage de la valeur ajoutée au sein de la filière. Sur le plus long terme, toutefois, c'est l'évolution de la productivité du travail agricole, en France comme dans les pays concurrents, qui joue un rôle central dans l'évolution des prix. Les politiques publiques, plus ou moins régulatrices – elles le sont d'ailleurs de moins en moins depuis une dizaine d'années, avec des conséquences fortes sur les prix, qui évoluent de façon assez brutale –, interviennent également.

En étudiant l'évolution de la productivité du travail, qui influe fortement sur l'évolution tendancielle des prix, on constate combien elle a été rapide depuis les années 1950. La situation qui prévalait après-guerre dans toutes les régions françaises – des systèmes équilibrés de polyculture-élevage qu'on dirait aujourd'hui autonomes et économes – a fait l'objet de deux grandes révolutions agricoles successives, qui ont eu des conséquences importantes.

La première, au vingtième siècle, fut celle de la motorisation, de la chimie, de la sélection génétique et de l'adaptation des écosystèmes cultivés. Les agriculteurs ont combiné ces éléments en affichant une tendance prédominante, à savoir la recherche de l'augmentation du volume produit par actif agricole. Cet accroissement fut permis par l'acquisition d'équipements de plus en plus performants, par une spécialisation de plus en plus marquée – devenue nécessaire pour rentabiliser les investissements dans les équipements, mais également rendue possible par l'achat d'intrants remplaçant les complémentarités entre cultures et entre élevage et culture –, ainsi que par une simplification du travail. Il en a résulté une augmentation de la superficie des exploitations, du nombre d'animaux par actif et des rendements par hectare et par animal.

Cette augmentation de la productivité du travail, qui repose sur la croissance du capital par actif ainsi que sur un recours important aux intrants, tend à s'accélérer sous l'effet d'une nouvelle révolution, encore inachevée : celle du numérique, couplée, dans certains pays, à celle des OGM – organismes génétiquement modifiés. Le fait que les exploitants de structures familiales, encadrés par une politique agricole favorable, investissent pour tenter d'augmenter ou de maintenir la rémunération de leur travail, a conduit à une hausse de productivité très rapide. On ne dit d'ailleurs pas suffisamment que l'accroissement de la productivité physique du travail agricole est, depuis les années 1950, plus fort que dans tout autre secteur de l'économie française, puisqu'il atteint 5 % par an.

Or les lois de l'économie sont claires : quand la productivité du travail augmente, les prix baissent. Les prix des produits agricoles ont donc évolué de façon défavorable par rapport à celle des moyens de production, qui proviennent de secteurs où l'accroissement de la productivité du travail fut moins rapide. Quelles en sont les conséquences pour la branche agricole ?

Il en résulte, d'après les données de l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), une valeur ajoutée en constante diminution, en monnaie constante, depuis le milieu des années 1970. Dès lors que la branche agricole accroît ses consommations intermédiaires et utilise de plus en plus de biens d'équipement, et dès lors que les prix de ces derniers ne baissent pas autant que ceux des produits agricoles, il en découle que la richesse créée par le secteur agricole, c'est-à-dire la part de la valeur ajoutée par rapport au produit brut, ne cesse de fondre. Alors qu'elle atteignait 40 % de la valeur de la production finale jusqu'en 1970, elle s'établissait à 35 % entre 1980 et 2000, avant de tomber à 25 % depuis 2010 : la richesse produite ne représente plus qu'un quart de la valeur du produit. Cette valeur ajoutée doit ensuite être redistribuée et répartie entre le coût du foncier, la rémunération de la main-d'œuvre extérieure et le paiement des intérêts à la banque, pour parvenir au revenu agricole, qui se maintient tant bien que mal grâce aux subventions – lesquelles ont aussi tendance à diminuer en monnaie constante.

Résultat : puisque la valeur ajoutée et le revenu diminuent en monnaie constante au niveau de l'ensemble de la branche, pour que ce dernier se maintienne pour les actifs, il faut qu'ils soient de moins en moins nombreux à se partager le gâteau. C'est à cela que nous assistons de manière continue depuis le début des années 1950. Avec ce ciseau des prix, un agriculteur qui n'investit pas pour essayer d'accroître son volume de production voit mécaniquement son revenu baisser.

Cette tendance est lourde et il reste des réserves d'accroissement de productivité. Un prix rémunérateur est essentiel, car il ne faut pas laisser les agriculteurs encaisser des chocs de prix qui peuvent être brutaux ; il n'est néanmoins pas suffisant pour maintenir leur revenu. La régulation des marchés est donc nécessaire pour éviter les chocs de prix auxquels nous assistons depuis une dizaine d'années. Cela concerne aussi le marché foncier, question sur laquelle je pourrai revenir.

Debut de section - Permalien
Sophie Devienne, professeure d'agriculture comparée et de développement agricole à AgroParisTech

J'ajoute, pour finir, que la transition agroécologique est une vraie chance, car le recours aux régulations biologiques permettra de diminuer les coûts et de préserver un taux de valeur ajoutée important au sein du produit brut.

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La parole est à M. Guillaume Gauthier, éleveur de bovins en Saône-et-Loire.

Debut de section - Permalien
Guillaume Gauthier, éleveur de bovins en Saône-et-Loire

Il est difficile de récapituler une vie d'éleveur en cinq minutes, mais je vais m'y atteler en vous présentant rapidement mon exploitation. Je suis éleveur de charolaises en Saône-et-Loire, dans un GAEC – groupement agricole d'exploitation en commun – de cinq associés. C'est un GAEC familial où nous sommes tous cousins ; je suis la troisième génération d'éleveur et mon petit-cousin, qui vient de s'installer, est la quatrième génération.

Mon exploitation remplit, je crois, toutes les cases du « bon » modèle, non pas parce que j'élève des charolaises – ce qui mérite tout de même d'être mis en avant –, mais parce que toute la valeur ajoutée des animaux est pour ainsi dire faite à la maison. J'engraisse moi-même l'ensemble de mes animaux, les femelles comme les mâles, notamment des jeunes bovins – j'y reviendrai. L'exploitation comprend un maximum de pâturage et je suis autosuffisant en céréales. Je pousse tous mes animaux à bout, sauf peut-être les mâles, pour lesquels il est difficile d'être autosuffisant ; c'est ce qui me pénalise, même si je suis persuadé que la valeur ajoutée est captée en sortant de la stabule.

Le GAEC Ilagri a toujours été adhérent d'une coopérative. On met toujours en avant le fait que les éleveurs sont mal organisés, qu'ils ne savent pas se structurer. Malgré tout, la majorité des éleveurs ont rejoint le système coopératif. Cela signifie qu'ils croient aux valeurs de la coopération et au fait de travailler ensemble. Par ailleurs, une petite partie de ma production est vendue en vente directe : depuis quelques années, j'ai un magasin à la ferme dans lequel j'écoule quelques animaux – il faut être réaliste là-dessus, je suis dans le bassin du Charolais et il n'y a pas de grande métropole près de chez moi.

Enfin, puisqu'on en a débattu pendant les états généraux de l'alimentation, je suis agréé label Rouge : l'alimentation de mes animaux est bien évidemment sans OGM et, point essentiel pour le jeune éleveur que je suis, ils pâturent entre huit et neuf mois selon la météo. Si ça pouvait être plus longtemps, ça serait volontiers, mais c'est compliqué quand il n'y a pas d'herbe. Sur le papier, je pense donc cocher toutes les cases du modèle durable que tout le monde souhaite.

Depuis quelques années, je siège à Interbev, l'association nationale interprofessionnelle du bétail et des viandes. Je connais donc bien les plans de filière, les états généraux de l'alimentation et les débats qui ont eu lieu sur les coûts de production.

Malgré une année 2020 compliquée, pour la raison que vous connaissez, la consommation de viande bovine a augmenté. Cependant, les prix n'ont pas suivi cette augmentation, ils ont même fortement chuté pour les jeunes bovins et les mâles.

Je veux vous raconter la vraie vie d'un éleveur faisant partie d'une interprofession qui, parce qu'il avait quelques responsabilités, croyait dur comme fer aux états généraux de l'alimentation. Même quand mes copains éleveurs n'y croyaient pas, je les ai défendus, et je pense toujours que l'idée était bonne. Peut-être est-ce à cause de ma jeunesse de l'époque – je ne suis plus si jeune aujourd'hui : j'ai cru que l'on allait se battre pour fixer des prix qui couvriraient les coûts de production. Pour vous répondre, monsieur Chalmin, je sais, moi, ce que c'est qu'un prix rémunérateur : c'est un prix qui couvre mes coûts de production.

L'interprofession y a travaillé durement. Nous avons organisé de grandes réunions et nous avons même rencontré plusieurs fois le médiateur pour mettre au point la méthode de calcul de l'indicateur du coût de production. Malgré cela, si tout le monde est d'accord au sein de l'interprofession pour faire une très belle communication sur le label Rouge, comme vous avez pu le voir à la télévision, dès qu'il s'agit de ramener une partie du prix vers le monde de l'élevage, et surtout vers l'éleveur, certaines familles s'y opposent. Comme toutes les décisions doivent être prises à l'unanimité, on n'avance pas sur la rémunération des éleveurs.

Pour ce qui est de la vie d'éleveur en coopérative, là aussi, l'on se dit que, si on est mieux structuré, on va mieux vendre ses animaux, alors on fait confiance à l'outil qu'est la coopérative et aux valeurs qu'elle défend. En 2020, le marché semblait favorable ; je me suis dit que, trois ans après les états généraux de l'alimentation, nous allions conclure des contrats qui nous permettraient enfin de vendre nos animaux à des prix assez dignes pour nous rémunérer. Mais, avec le recul, ma coopérative n'a pas pu, ou peut-être pas voulu, conclure de tels contrats et mettre le label de mes animaux en avant pour me rapporter de la valeur. Je ne sais pas si c'est le rôle de la coopérative de vendre les animaux ; ils les collectent, mais, pour ce qui est de vente, c'est plus compliqué. Je vous parle clairement : je n'ai pas l'habitude de faire de la langue de bois.

Ça a été une grosse désillusion : trois ans après le plan de filière et les états généraux de l'alimentation, il n'y a pas grand-chose qui ait avancé dans ma cour de ferme, au point que mon père, qui a 74 ans et qui travaille encore beaucoup avec moi, comme mes oncles, a calculé le manque à gagner entre le prix de vente de mes animaux en 2020 et le coût de production : c'est un euro du kilo pour la carcasse, soit 150 000 euros pour mon exploitation.

Enfin, concernant ma vie d'engraisseur de jeunes bovins, ce qui me pénalise du point de vue de l'autonomie alimentaire, notamment pour les protéines, c'est d'avoir des jeunes bovins dont je veux capter la valeur ajoutée jusqu'au bout et d'être fier de produire une alimentation française, car je ne fais pas d'allers-retours avec d'autres pays. Or les prix ont été très durs. On dit qu'il ne faut plus exporter les broutards vers l'Italie et les consommer en France, en habituant le palais des enfants à manger du mâle ; cela signifie que 800 000 animaux vont arriver sur un marché qui n'est déjà pas rémunérateur pour moi.

Je voudrais conclure sur un point très important. J'ai 36 ans, et je constate que quelques jeunes éleveurs souhaitent encore s'installer, mais, dans mon département, 1 400 producteurs vont partir à la retraite dans les cinq prochaines années. On compte quatre-vingts installations de jeunes par an : quatre-vingts fois cinq, cela fait quatre cents, si je ne suis pas trop mauvais. Il en manquera donc mille.

Vous avez beaucoup parlé de régulation ; eh bien, moi aussi, je veux de la régulation. Je veux que l'on régule nos marchés et, clairement, que l'on fixe un prix. On ne peut pas créer un ensemble de contraintes – que nous avons acceptées et que nous sommes fiers de défendre – sur les prairies, sur l'environnement et sur le durable, tout en nous exposant à un marché mondial sans doute très libéral qui nous impose la concurrence des prix étrangers et des feedlots américains de 30 000 animaux. Ce n'est pas possible. Je peux vous assurer d'une chose, c'est que je ne suis pas prêt, en Saône-et-Loire, à faire un feedlot. Soit je vends ma viande correctement en respectant nos valeurs en matière d'environnement et de biodiversité, soit j'arrête mon exploitation, car je ne veux pas utiliser d'hormones ni d'antibiotiques.

Debut de section - Permalien
Guillaume Gauthier, éleveur de bovins en Saône-et-Loire

Même si cela n'entre pas dans le cadre du débat, vous aurez compris que mon revenu est très faible. Alors, quand on parle de la diminution des aides couplées dans la PAC – politique agricole commune –, cela me choque. Ce que je touche de la PAC sur mon exploitation, c'est le revenu que je me dégage ; si l'on diminue les aides couplées dans la PAC, je n'ai plus de revenu.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je vous remercie pour ce témoignage. Nous en venons aux questions, pour lesquelles certains d'entre vous se sont déjà inscrits. Chaque question sera immédiatement suivie d'une réponse, pour donner de la spontanéité aux échanges. Nous essayerons d'interroger tour à tour nos trois invités.

La parole est d'abord à M. André Chassaigne qui préside le groupe de la Gauche démocrate et républicaine à l'initiative de ce débat.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je remercie nos trois invités dont les interventions complémentaires confirment, selon moi, que les responsables politiques fuient leurs responsabilités en renvoyant la question de la rémunération de ceux qui nous nourrissent au bon vouloir des acteurs de leur filière ou aux interprofessions. Maintenant que la stratégie de la responsabilisation des filières tentée par le président Macron dans le cadre des états généraux de l'alimentation a échoué, n'est-il pas temps, selon vous, que l'État intervienne concrètement pour garantir des prix couvrant au moins les coûts de production, sans omettre la rémunération du producteur ? Cela m'amène à poser quatre questions précises, auxquelles vous répondrez peut-être au fur et à mesure des interventions des uns et des autres.

Première question : concrètement, à partir de votre vécu, de vos constats ou de vos recherches, quels sont les obstacles à une régulation des prix ?

Deuxième question : pensez-vous que faire évoluer les pratiques, les modèles de production, la productivité et la contractualisation pourra donner des résultats sans régulation des prix, dans un contexte où la compétitivité est érigée en règle d'or ?

Troisièmement, même si la réponse a déjà été donnée : pensez-vous que des prix rémunérateurs suffisent par eux-mêmes ? Il serait intéressant d'avoir plus de précisions à ce sujet.

Dernière question : ne pensez-vous pas que la seule solution soit de faire évoluer les règles de la concurrence au niveau européen pour encadrer la production et les prix ? Comment, selon vous, cette évolution pourrait-elle se faire ?

Debut de section - Permalien
Guillaume Gauthier, éleveur de bovins en Saône-et-Loire

Je ne m'étendrai pas sur l'aspect administratif de la régulation mais, il est clair que nous la souhaitons. Elle ne suffira peut-être pas, et il faudra peut-être également cadrer les prix pour apporter une réponse globale.

Pour ce qui est des règles de la concurrence, je le répète : on ne peut pas adopter, d'un côté, des règles pour protéger la biodiversité dans les zones d'élevage, comme nous avons accepté de le faire avec fierté, et dire, de l'autre, qu'on ne peut pas imposer un prix à cause des règles de la concurrence. D'ailleurs, ce n'est pas nécessairement ce que nous souhaitons : nous voulons seulement que nos coûts de production soient couverts. Pour ce qui est de la manière d'y parvenir, c'est une question à laquelle les pouvoirs publics sauront répondre mieux que moi.

Sur la productivité, je pense que nous avons déjà fait beaucoup, et l'on peut difficilement faire plus si nous voulons préserver la biodiversité, ce que nous faisons avec plaisir. On ne peut pas intensifier davantage. On ne pourra jamais comparer les modèles. M. le ministre de l'agriculture et de l'alimentation dit très adroitement qu'il n'y a pas de fermes intensives en France, et il a tout à fait raison. Nous sommes loin de ce que font nos voisins.

Je suis également fortement attaché à la contractualisation.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Nous reviendrons sur ces questions à l'occasion d'autres prises de parole.

La parole est à M. Dominique Potier.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Ma question s'adresse aux trois intervenants ; je l'ai déjà posée tout à l'heure à M. le ministre.

L'expérience de la loi Sapin 2, dont j'ai été rapporteur, celle des états généraux de l'alimentation, pour lesquels j'ai été animateur d'un atelier, et celle de la loi ÉGALIM m'ont rendu sceptique. Les seules choses auxquelles je crois désormais sont, d'une part, une réforme des OCM – organisations communes de marché – pour nous protéger de la concurrence intra et extra-communautaire dans le cadre d'un commerce loyal, d'autre part, les contrats tripartites entre les producteurs, les industriels et la grande distribution. Même s'ils ne peuvent pas être imposés dans le cadre du droit européen, ces contrats doivent être extrêmement favorisés sur le plan fiscal, social et réglementaire, et conclus pour une durée pluriannuelle.

Enfin et surtout, il convient de permettre aux associations d'organisations de producteurs – AOP – de fixer non seulement les prix mais aussi les volumes – sinon, la fixation des prix est une illusion, dans un marché concurrentiel.

Nous parlons d'un tel renforcement des AOP depuis l'examen de la loi Sapin 2, en vain. On le sait, les raisons du blocage tiennent notamment à l'organisation professionnelle. La logique d'intégration des coopératives, vertueuse, suit celle des filières, alors que les AOP s'organisent de manière horizontale, autour de l'acte de production. Existe-t-il un moyen de dépasser cette contradiction et d'armer les producteurs français, pour qu'ils puissent négocier, dans des rapports non léonins, équilibrés, au niveau de grands bassins de production, sur des coûts prenant en compte les écosystèmes pédologiques, le climat, les infrastructures et ainsi de suite, afin d'atteindre enfin les prix qu'ils attendent ?

L'important est le réarmement des AOP, grâce à de nouvelles facultés en matière de gestion des volumes et des prix, qui peuvent être octroyées par la Commission européenne, nous le savons. Tout le reste est littérature. Quelles observations et renseignements souhaitez-vous apporter sur ce point ?

Debut de section - Permalien
Philippe Chalmin, président de l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires

J'en profiterai pour répondre également à M. Chassaigne. Monsieur Potier, vous soulignez justement l'importance de la fixation du prix et de la quantité.

Nous avons vécu un temps heureux, malheureusement révolu, celui de la politique agricole commune première manière, au cours duquel les prix, administrés, étaient en réalité politiques. De plus, en France, nous avions de la chance, puisque, comme Edgard Pisani le disait toujours, lors du premier marathon agricole, au début des années 1960, les prix ont été alignés sur les prix les plus élevés, ceux des agriculteurs les moins efficaces, les prix allemands. Cette merveilleuse rente a largement financé la révolution silencieuse du monde agricole.

Malheureusement, la PAC est finie ; elle ne régulera plus les marchés agricoles. Un tel dossier ne pourra plus être ouvert au niveau européen, et, puisque nous sommes membres de l'Union européenne, au niveau français.

Monsieur Potier, je suis assez d'accord avec vous, dans un monde idéal, nous devrions recréer une politique agricole commune similaire à celle en vigueur en Suisse ou au Japon, où des prix sont garantis aux agriculteurs. Mais il faudrait l'accompagner de quotas, car n'oubliez pas que ce qui a tué la première PAC, c'était l'absence de maîtrise des quantités.

Debut de section - Permalien
Philippe Chalmin, président de l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires

Pour aller au bout de la logique, de tels quotas devraient être attachés à la terre, pour rémunérer toutes les externalités positives de l'agriculture dont M. Gauthier a parlé.

Je vous confirme au passage que, depuis dix ans que l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires existe, jamais un éleveur de race allaitante n'a couvert la réalité de ses coûts de production, sachant que nous poussons la générosité jusqu'à fixer leur rémunération à deux SMIC. L'année dernière, en 2020, les naisseurs engraisseurs, tel que M. Gauthier, ont pu se rémunérer à hauteur d'un SMIC – ce sont les mieux lotis. L'année précédente, c'était 0,8 SMIC.

J'en viens à un autre point. Il me paraît important de distinguer deux types de produits agricoles. Les premiers voient leurs prix fixés, à la sortie de l'exploitation, à un niveau non seulement français, mais européen, voire mondial. C'est le cas du blé ou du colza, dont le cours est au plus haut, dans un contexte de flambée, liée en particulier aux achats chinois.

En France aujourd'hui, les céréaliers sont des gens plutôt heureux. En revanche, je n'aimerais pas être un éleveur de porcs – je pense à votre région, monsieur Le Fur. Même si le prix du porc a légèrement remonté, celui de son alimentation a connu une hausse encore plus forte, puisque le maïs et le soja atteignent des prix records. Ces marchés sont mondiaux : c'est une contrainte extérieure sur laquelle nous ne pouvons malheureusement pas revenir.

En revanche, monsieur Potier, monsieur Chassaigne, je souscris à votre proposition de renforcer la contractualisation pour des produits comme les fruits et légumes, ou pour une partie de la production laitière. Cela étant, je ne suis pas sûr que les accords tripartites soient facilement gérables. La filière laitière est la plus intéressante de ce point de vue et montre toute la difficulté de la chose.

Vous demandez des prix rémunérateurs…

Debut de section - Permalien
Philippe Chalmin, président de l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires

…mais malheureusement, nous ne sommes plus au temps où il était possible, une fois par an, de négocier les prix lors des marathons agricoles à Bruxelles.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Premièrement, la valeur créée par les agriculteurs est réelle. Qu'il s'agisse de qualité, de sécurité sanitaire, d'environnement ou de bien-être animal, les agriculteurs européens, en particulier les agriculteurs français, ont répondu à toutes nos sollicitations depuis un demi-siècle.

Monsieur Chalmin, n'est-il pas possible de créer un outil permettant la transparence de la formation des marges ? La loi ÉGALIM a relevé le seuil de revente à perte, permettant un gain de 600 millions d'euros qui aurait dû remonter vers l'amont.

Deuxièmement, le consommateur européen et français paie-t-il la nourriture à son prix juste, à un prix responsable ? La guerre des prix, notamment en France, n'a-t-elle pas contribué à dévaloriser l'alimentation et les produits agricoles, faisant ainsi baisser le revenu agricole ?

Troisièmement, en Europe et plus particulièrement France, allons-nous continuer à assister impuissants à la diminution du nombre d'agriculteurs ? Alors qu'ils travaillent davantage, le revenu agricole diminue. Depuis cinquante ans, les pouvoirs publics en France, les politiques, les banques, les centres de gestion ont octroyé des prêts pour l'installation des agriculteurs, en demandant à leurs conjoints de travailler à l'extérieur pour faire bouillir la marmite, le métier d'agriculteur servant seulement à rembourser les annuités des emprunts. C'est ainsi qu'il ne reste en 2021 que 400 000 exploitations agricoles et que les zones agricoles, rurales, se dépeuplent. Cela doit nous interpeller. Si les unités de main-d'œuvre, les agriculteurs qui travaillent cinquante ou soixante heures dans leur exploitation agricole, recevaient un revenu digne de ce nom, la succession des générations pourrait avoir lieu.

Les agriculteurs créent réellement de la valeur, la question est celle de leur juste rémunération.

Debut de section - Permalien
Sophie Devienne, professeure d'agriculture comparée et de développement agricole à AgroParisTech

Pour contrer la baisse du revenu des agriculteurs, il est certes préconisé de modifier le partage de la valeur ajoutée, mais aussi, souvent, d'augmenter la productivité du travail. J'ai connu un agriculteur au bord de la faillite, incapable de rembourser la moindre somme à sa coopérative et à sa banque, auquel tous disaient : « Il faut produire davantage, c'est la seule solution. » Alors qu'il était, je crois, à deux doigts du suicide, son épouse, consciente que cela risquait de mal se terminer, lui a conseillé de s'arrêter. Or – cela ressemble à un conte de fées – alors qu'il se promenait dans le Massif central, il a rencontré un éleveur qui, en s'appuyant sur un système herbager économe et autonome et en vendant sa production dans des circuits courts, s'en sortait très bien, sans dettes, tout en élevant quatre fois moins de vaches que lui. Dans un virage à cent quatre-vingts degrés, l'agriculteur a finalement choisi un système relevant de l'agroécologie, inscrit en agriculture biologique, qui lui a permis de rembourser ses dettes et de s'en sortir.

On ne le dit pas assez : la transition agroécologique n'est pas seulement intéressante sur le plan environnemental, mais aussi sur le plan économique et social, pour de nombreuses productions, en particulier pour le lait. Les exploitations laitières utilisant des robots de traite, des sillages de maïs et des tourteaux de soja, dont la production peut atteindre 10 000 litres de lait par vache et par an, ont une valeur ajoutée de 20 %, alors que celle des élevages s'appuyant sur un système agroécologique, où les vaches paissent dans des prairies semées de manière équilibrée de graminées et de légumineuses, se situe entre 50 % et 70 %.

Il faut donc poser la question des modèles de production du point de vue économique et social et pas seulement environnemental. Une multitude d'exemples dans les campagnes montre que le modèle agroécologique est intéressant à cet égard. Pourtant, le maître mot, depuis les années 1950, a été d'augmenter le volume par actif, pour produire des surplus écoulés à bas prix sur le marché mondial.

Demandons-nous plutôt quel modèle permettra demain de maintenir l'emploi dans les campagnes, tout en préservant par exemple l'environnement et la qualité de l'eau.

Debut de section - Permalien
Guillaume Gauthier, éleveur de bovins en Saône-et-Loire

Les statistiques, celles de l'INSEE, notamment, montrent clairement qu'en vingt ans, le prix de la viande bovine facturé au consommateur a augmenté de 74 % ; il a encore augmenté depuis l'été dernier. On nous parle de guerre des prix, mais elle se déroule dans la cour de ferme !

Monsieur Potier, les éleveurs et les producteurs manifestent une réelle volonté de travailler sur les AOP depuis deux ans, suivant la proposition de la FNB – Fédération nationale bovine –, notamment. Mais tous les opérateurs veulent-ils vraiment se parler pour avancer ensemble dans la même direction ? La discussion achoppe sur la question de la rémunération des adhérents de base, les éleveurs. Nous avons tenté d'aborder ce sujet avec M. le ministre et le médiateur, après la chute du cours des broutards exportés en Italie. Mais pour les opérateurs, il est hors de question de travailler ensemble, si bien que les AOP sont mortes avant d'être nées. C'est malheureux.

M. Dominique Potier acquiesce.

Debut de section - Permalien
Guillaume Gauthier, éleveur de bovins en Saône-et-Loire

Ceux qui suivent les évolutions de la PAC savent que, depuis de nombreuses années, les modifications apportées par le règlement européen Omnibus octroient déjà aux AOP les facultés que vous demandez. Si les acteurs ne veulent pas avancer ensemble, ils n'avanceront pas.

Debut de section - Permalien
Guillaume Gauthier, éleveur de bovins en Saône-et-Loire

Je parlais de la viande bovine.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Monsieur Chalmin, le rapport de Serge Papin propose de rendre obligatoire la contractualisation du prix des matières premières agricoles dans le contrat entre l'agriculteur et le premier transformateur, afin que le prix versé à l'agriculteur serve de fil conducteur de la négociation. Pensez-vous que ce mécanisme, qui prend appui sur une référence de prix acceptée par les deux partis soit à même d'assurer une meilleure répartition de la valeur ? Cette question s'adresse aussi à Mme Devienne.

Monsieur Gauthier, concernant la filière viande, pensez-vous qu'il soit possible de lever les blocages pour que les interprofessions parviennent à un accord sur des indicateurs de coût de production ?

Troisième question : le renforcement des organisations de producteurs et des coopératives, notamment dans le domaine bovin, est-il un axe prioritaire, pour rééquilibrer les rapports de force ? Quelles sont, d'après vous, les meilleurs leviers pour faciliter ces associations, en particulier le développement des organisations de producteurs multi-acheteurs, afin de réduire la dépendance à un seul partenaire commercial ?

Quatrième question : pensez-vous qu'il soit possible de pousser à une décartellisation des centrales d'achat au niveau communautaire, afin de rétablir un fonctionnement loyal des marchés ?

Debut de section - Permalien
Philippe Chalmin, président de l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires

Monsieur de Courson, j'ai déjà presque répondu à votre première question. On peut imaginer, effectivement, une logique contractuelle. Entre autres possibilités, le prix de marché pourrait servir de référence, afin que, grâce à un mécanisme ad hoc, les parties prenantes s'accordent de manière transparente sur un prix, à un moment donné.

Supposons, par exemple, que le cours du blé pour la campagne 2022, d'environ 200 euros la tonne, soit rémunérateur pour un céréalier. Celui-ci peut déjà, s'il le veut, à partir de ce cours, fixer un prix auprès d'un premier acheteur – quant à savoir quelle en sera la conséquence pour le consommateur qui achète du pain, c'est une autre histoire.

Un nombre donné de filières pourraient effectivement entrer dans une logique de contractualisation tripartite. Je pense, malgré tout, à la filière laitière, au moins pour la partie produits frais. Cela pourrait éventuellement être le cas de la charcuterie, d'ailleurs pas forcément dans la logique de la viande bovine. En effet, si je sympathise tout à fait avec M. Gauthier, producteur de race allaitante, je rappelle que 60 % de la viande bovine que nous mangeons provient de vaches laitières de réforme. Dès lors, malheureusement, le marché de la viande est très dépendant des évolutions du prix du lait et des décapitalisations de cheptel.

J'en viens à la décartellisation des centrales d'achat. Paradoxalement, la concentration des acheteurs n'est pas tellement plus marquée en France que dans d'autres pays. Or c'est en France – je suis obligé de le constater – que l'exercice annuel des négociations donne lieu, chaque année, à pareil psychodrame.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Vous avez évoqué, madame Devienne, la nécessité de repenser notre modèle et de réfléchir à la direction dans laquelle nous souhaitons que notre agriculture se développe. Pourriez-vous revenir en particulier sur la régulation du foncier ?

Monsieur Gauthier, j'aimerais connaître votre avis sur la pertinence d'une aide à l'unité de gros bétail (UGB) plutôt qu'à la vache allaitante. Ne pensez-vous pas que cela permettrait de réorienter l'élevage et favoriserait le développement de la filière du bœuf ou de celle de la vache de réforme, plutôt que la production de veaux pour l'exportation – si je peux caricaturer ainsi la situation actuelle ?

Debut de section - Permalien
Sophie Devienne, professeure d'agriculture comparée et de développement agricole à AgroParisTech

En matière de régulation du marché foncier, nous disposons en France d'un outil selon moi très efficace et qui pourrait l'être davantage encore : une exploitation ne peut pas être agrandie de manière totalement incontrôlée et les prix d'accès au foncier sont eux-mêmes contrôlés – même s'il se passe parfois des choses sous la table dans certaines régions. Cela ralentit tout de même la concentration des producteurs.

Je prends l'exemple du Royaume-Uni. On y a assisté, à partir de 1995, à une dérégulation totale du marché foncier. Dès lors, pour pouvoir s'agrandir, les producteurs ont pris des terres en location en passant un contrat de la main à la main avec un propriétaire foncier, lequel pouvait récupérer les aides de la PAC – tel a été le cas jusqu'au Brexit. Ainsi, on se rend compte que, lorsqu'il n'y a plus aucune régulation du foncier, une partie des aides de la PAC va directement dans la poche des propriétaires fonciers, par le biais soit du prix du foncier, soit de tels contrats. En l'espèce, il s'agissait de contrats annuels passés oralement et n'offrant aucune sécurité foncière. Un producteur retraité pouvait par exemple mettre ses terres en location tout en continuant à percevoir les aides de la PAC.

Je pense que l'outil foncier dont nous disposons en France est très précieux. Sans doute conviendrait-il de l'affiner, car il y a, on le sait, des trous dans la raquette,…

Debut de section - Permalien
Sophie Devienne, professeure d'agriculture comparée et de développement agricole à AgroParisTech

…il y a des possibilités d'agrandissement, mais il contribue au maintien d'une agriculture familiale et évite une sélection très brutale telle qu'on l'a vue au Royaume-Uni. On y a supprimé, dans le même temps, le Milk Marketing Board – qui permettait notamment une contractualisation avec les producteurs et une centralisation de la collecte – et la régulation du foncier, ce qui a eu pour conséquence une concentration à une vitesse incroyable dans le secteur laitier, tant au Pays de Galles que dans l'ouest de l'Angleterre.

Il est très important de voir qu'à l'intérieur d'une même politique agricole commune, il y a des déclinaisons nationales, qui peuvent induire des évolutions très différentes. Il faut sans doute perfectionner l'outil foncier, mais c'est, j'y insiste, un atout très précieux, si l'on compare la situation de la France avec celle d'autres pays.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Ma question s'adresse principalement à Mme Devienne, mais aussi, certainement, à M. Gauthier.

Madame Devienne, vous nous dites, à nous qui essayons de trouver les bonnes solutions, que l'on a sans doute trop produit et que l'agroécologie va peut-être nous sauver. Malheureusement, les études du CRÉDOC, le Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie, montrent que 80 % des Français demandent des produits de qualité, mais que seuls 20 % d'entre eux les achètent ; il est essentiel de le rappeler. Nous venons de voter, dans le projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique, l'obligation pour la restauration collective publique de servir au moins 60 % de viandes de qualité. Or il y a de nombreux problèmes, et on ne peut pas réguler le comportement du consommateur. C'est une question que nous examinons continuellement.

S'agissant de la loi ÉGALIM, je pourrais dire beaucoup de choses. Nous avons effectivement demandé la contractualisation, mais nous nous sommes rendu compte, après l'adoption de la loi, qu'il fallait énormément de contrôles, ce que le ministre de l'agriculture rappelle lui-même constamment. En effet, les règles ne sont pas forcément très bien appliquées, et de nombreux autres facteurs entrent en ligne de compte.

Je tiens à rappeler le caractère essentiel de la loi de l'offre et de la demande. Il faut effectivement conquérir des marchés à l'exportation, comme l'a dit M. Gauthier, même si le marché des jeunes bovins tend à se contracter. Cela dit, connaissez-vous un autre type de production, quel qu'il puisse être, qui se poursuive alors que la demande n'est pas au rendez-vous ? Les interprofessions n'ont-elles pas un rôle à jouer en matière de régulation ? Car réguler le marché, cela ne peut pas consister à mettre sur le marché un produit qui ne sera pas consommé. Nous nous engageons résolument dans la voie de l'agroécologie, et je suis d'accord avec cette évolution, mais trop peu de gens achètent ces produits. Peut-être mon propos est-il inhabituel…

Debut de section - Permalien
Guillaume Gauthier, éleveur de bovins en Saône-et-Loire

Vous avez évoqué les contrôles effectués au titre de la loi ÉGALIM. En réalité, il n'y a pas grand-chose à contrôler, car il n'y a pas de contrats conclus. Dès lors, les contrôles portent essentiellement sur l'origine des produits.

J'en viens aux produits que les gens ne consomment pas. Si l'on engraisse davantage de mâles en France, si l'on réoriente cette production vers le marché intérieur, il faudra un temps pour que les consommateurs s'adaptent et consomment du mâle ; or nous n'avons pas ce temps-là devant nous. Les gens ne modifient pas leurs comportements comme cela. Plus on les leur dicte, plus ils font l'inverse – on le voit bien en ce moment.

Quant à la structuration de la filière en organisations de producteurs (OP), que certains jugent prioritaires, je crains qu'elle ne change rien. Une grande partie des éleveurs sont déjà organisés en OP, et l'on s'aperçoit que cela ne change pas grand-chose. Pour ma part, j'entends beaucoup plus parler de volume que de prix, ce qui me déçoit beaucoup – je reste néanmoins coopérateur, et je suis fier de l'être. On cherche par exemple à conquérir un marché au détriment d'un concurrent – qui peut d'ailleurs être lui aussi une structure coopérative –, mais seulement pour faire du volume, pour que les chiffres s'affolent un peu ; on réalise alors une marge à la tête et non grâce au prix pratiqué

Madame Taurine, si l'on remplaçait l'aide aux bovins allaitants (ABA) par une aide à l'UGB, il faudrait alors prendre en compte toutes les UGB, ce qui changerait la donne. Or il faut bien distinguer les UGB viande et les UGB lait, les UGB mixte étant selon moi des UGB lait, car les races mixtes donnent essentiellement du lait – les vaches montbéliardes, par exemple, ne fournissent guère de viande ; leur vocation première est de faire du lait pour le comté, le saint-nectaire ou autre.

Si l'on instaurait une aide à l'UGB, on exporterait moins ? Je ne vois pas de corrélation. Pour ma part, je ne produirais pas davantage de jeunes bovins si je recevais une telle aide, sachant qu'elle serait répartie entre tous et rapporterait probablement bien moins que l'ABA – toutes les simulations le montrent. Un naisseur-engraisseur comme moi, qui, en plus, cultive pour être autosuffisant, perd davantage qu'un naisseur pur. À chaque bilan de santé de la PAC, on s'est rendu compte que le modèle dont je relève a perdu, que ce soit sur les céréales, sur l'engraissement ou sur la vache.

Debut de section - Permalien
Sophie Devienne, professeure d'agriculture comparée et de développement agricole à AgroParisTech

Il y a une confusion entre agriculture biologique et agroécologie. L'agriculture biologique, c'est un cahier des charges, auquel on peut répondre avec un modèle agroécologique ou avec un modèle moins écologique – qui consiste par exemple, en grande culture, à faire du désherbage thermique ou à acheter des fientes de volailles qui viennent de 300 kilomètres plus au nord.

Les agriculteurs que j'ai évoqués tout à l'heure, qui bénéficient d'un taux de valeur ajoutée de 50 %, s'inscrivent dans les circuits classiques, totalement conventionnels.

Debut de section - Permalien
Sophie Devienne, professeure d'agriculture comparée et de développement agricole à AgroParisTech

Il est très important de bien faire la différence entre agriculture biologique et agroécologie. Je connais de nombreux agriculteurs qui font de l'agroécologie sans faire de l'agriculture biologique – tant dans la grande culture que dans l'élevage bovin ou ovin laitier.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

L'alimentation est une question capitale pour notre société. La crise sanitaire, la dégradation de l'environnement, le dérèglement climatique remettent profondément en cause notre système alimentaire, mondialisé, précaire et non durable. L'enjeu fondamental est bien l'ancrage territorial de notre offre alimentaire ; notre forte dépendance aux importations pose question.

Les politiques publiques sont encore trop cloisonnées et peu efficaces. La loi ÉGALIM n'a pas donné les résultats escomptés : près de trois ans après son entrée en vigueur, les prix agricoles restent largement inférieurs aux coûts de production et la rémunération des agriculteurs et des producteurs est très loin d'être à la hauteur des espoirs suscités. Dans mon département, la Haute-Loire, la colère des agriculteurs gronde : leur revenu est toujours aussi bas ; ils se sentent pris en étau entre une hausse des charges – matières premières, contraintes réglementaires, salariat – et des prix de vente qui stagnent, voire diminuent. Le coût de la main-d'œuvre agricole est beaucoup trop élevé en France, et il y a, en la matière, très peu d'aide de l'État.

La production française ne peut être durable que si les agriculteurs vivent dignement de leur métier. Le renouvellement des générations dans l'agriculture doit garantir, demain, notre souveraineté et notre autonomie alimentaire. Or nous n'y sommes pas – M. Gauthier nous l'a fait remarquer. Pour garantir la survie de notre agriculture, il est indispensable de prendre des mesures : rendre obligatoire l'identification de l'origine des produits, imposer un traitement équitable entre petits producteurs et grandes surfaces, orienter les aides sociales et le soutien aux plus fragiles vers des chèques alimentaires ou encore faciliter l'approvisionnement de la restauration collective en produits français et locaux.

N'en déplaise à ceux qui veulent imposer à tous une alimentation sans viande, importée ou synthétisée en laboratoire, la diversité et la qualité de nos assiettes sont le fruit du travail quotidien de femmes et d'hommes qui savent cultiver et élever, à partir d'une seule ressource : la terre. Les agriculteurs réaffirment chaque jour le rôle essentiel qu'ils jouent sur le territoire et dans la société, pour l'alimentation de la population ; ils sont les garants d'une production diversifiée, de qualité, sûre et tracée, pour tous les Français.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Qu'adviendra-t-il de l'agriculture de montagne avec la PAC 2023 ? La forte augmentation des importations a fait baisser les cours et les prix. À quel moment l'État va-t-il stopper ce cercle infernal ? S'agissant des aides, ne faudrait-il pas prendre en compte le nombre d'actifs sur les exploitations plutôt que le nombre d'hectares ?

Certaines filières n'ont-elles pas une carte à jouer ? Je pense notamment à la filière cuir, avec la maroquinerie de luxe.

Dernière question : pensez-vous que l'agroécologie permette vraiment de subvenir aux besoins de la population en quantité ?

Debut de section - Permalien
Philippe Chalmin, président de l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires

S'agissant de la filière cuir, on s'est beaucoup penché sur la valorisation de ce qu'on appelle le « cinquième quartier ». Or, malheureusement, sa place est relativement secondaire dans le processus d'abattage et de transformation industrielle. Par ailleurs, la filière cuir s'est heurtée à un problème l'année dernière, puisqu'une bonne partie des cuirs sont exportés vers l'Italie, premier pays européen touché par l'épidémie de covid-19 et premier à avoir instauré un confinement.

Pour les autres points, je cède la parole à Sophie Devienne.

Sourires.

Debut de section - Permalien
Sophie Devienne, professeure d'agriculture comparée et de développement agricole à AgroParisTech

S'agissant de l'agroécologie, il est important de préciser que les systèmes dont nous parlons ne sont pas extensifs. Ce sont des systèmes grâce auxquels nous essayons de maximiser les régulations biologiques, tout en maintenant un niveau de production relativement élevé.

Il n'y a pas un modèle unique d'agroécologie, puisque tout dépend de la surface dont dispose l'agriculteur et des conditions dans lesquelles il travaille. Certains éleveurs en agroécologie ont des vaches produisant 6 000 à 7 000 litres ; d'autres ont des vaches qui en produisent 5 000. Dans le grand Ouest, pour peu qu'ils aient eu un peu de production céréalière, les agriculteurs qui passent à l'agroécologie y renoncent, pour avoir une plus grande surface de prairie. Ce ne sont pas forcément des productions dont on manque en France. En agroécologie, il est tout à fait envisageable de maintenir un niveau de production élevé ; cela assure une résilience, dans la mesure où l'on dépend beaucoup moins d'achats extérieurs, d'importations de tourteaux et des engrais. Les engrais azotés, fabriqués à base de gaz, sont un problème ; ils représentent une part éminemment importante des gaz à effet de serre produits par l'agriculture française. Je n'ai plus le pourcentage précis en tête, mais il est loin d'être négligeable.

Pour recouvrer de la valeur ajoutée, on ne peut pas s'appuyer uniquement sur les accords et les contrats. Il faut aussi retrouver les régulations biologiques et remettre l'écologie au cœur de systèmes de production productifs. On cherche avant tout à faire des économies de coût plutôt qu'à accroître les volumes. Ce point est extrêmement important.

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Un député de chaque groupe, parmi ceux dont l'un des membres a souhaité intervenir, a pu prendre la parole. Deux d'entre vous peuvent encore s'exprimer brièvement avant que nous ne laissions nos invités leur répondre.

La parole est à M. Jean-Paul Dufrègne.

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Beaucoup de choses ont été évoquées, mais je voudrais poser une question spécifique à M. Chalmin – nous sommes voisins, je suis de l'Allier. Dans un secteur comme celui de la viande bovine, alors que la consommation est stable et que la production diminue, comment expliquez-vous que le prix payé aux producteurs n'augmente pas, voire diminue ? C'est ce que vous disiez tout à l'heure, monsieur Gauthier. Est-ce que d'autres confisquent les marges ? Les rapports de force sont-ils équilibrés ou rejouons-nous le pot de terre contre le pot de fer ?

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La parole est à Mme Josiane Corneloup, élue en Saône-et-Loire.

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La loi ÉGALIM a suscité beaucoup d'espoirs, mais elle n'a pas du tout produit les résultats escomptés, notamment pour la filière bovine. Je suis suffisamment proche des exploitants agricoles de ma circonscription pour le savoir – Guillaume Gauthier est l'un d'entre eux et je le salue.

Nous avions imaginé que le ruissellement se ferait du distributeur au producteur. Malheureusement, force est de constater que cela n'a pas été le cas. Ne faut-il pas désormais imposer aux distributeurs un prix basé sur le coût de production, qui puisse venir du producteur local, de façon à éviter cet écueil ? Ne faut-il pas également interdire l'achat de produits agricoles vendus à perte ? Enfin, nous le voyons, l'article 44 de la loi ÉGALIM doit faire l'objet d'une stricte application : toute importation de produits alimentaires pour lesquels il a été fait usage de produits non autorisés en Europe doit être interdite.

Enfin, une question relative aux interprofessions : pensez-vous que les interprofessions de la filière viande sont capables de se mettre d'accord sur des indicateurs de production ? C'est un problème : tant que ces indicateurs n'existeront pas, il n'y aura pas de contractualisation. Je suis de celles qui pensent qu'une contractualisation est souhaitable et devrait même être imposée.

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J'invite chacun des trois invités à apporter une réponse, qui sera également une conclusion. La parole est à M. Philippe Chalmin.

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Philippe Chalmin, président de l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires

Je vais répondre à la question sur la viande bovine, avec sous les yeux le rapport de l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires pour l'année 2021 ; il n'est pas définitif et sera adopté seulement dans quinze jours. Je signale simplement à M. Gauthier que le prix entrée abattoir des vaches allaitantes, exprimé en euros par kilo de carcasse, s'est tout de même nettement amélioré dans le courant de l'année 2020 – pratiquement d'une cinquantaine de centimes. Cela n'a pas été le cas concernant les vaches laitières. Le prix moyen, vaches allaitantes et vaches laitières, entrée abattoir du kilo de carcasse était de 3,39 euros en 2019, contre 3,47 euros en 2020. Cette légère augmentation a essentiellement concerné les vaches allaitantes.

Je voudrais également répondre à M. Dufrègne. Le secteur de la viande bovine n'est pas compliqué : vous avez des éleveurs de races allaitantes qui ne couvrent pas la réalité de leurs coûts de production ; vous avez un secteur industriel – nous en avons les comptes –, dont les marges nettes sont très réduites, voire assez souvent négatives. Vous le savez, dans le secteur de la viande, les défaillances d'entreprises sont parmi les plus importantes, et ce, d'année en année.

La part des GMS – grandes et moyennes surfaces – est de plus en plus importante dans les achats de viande. Or depuis que nous suivons les comptes du rayon boucherie, sa marge nette est négative.

Finalement, l'éleveur n'est pas rémunéré, l'industriel couvre à peine ses dépenses et le distributeur perd de l'argent sur son rayon boucherie, quitte à se rattraper ailleurs, bien entendu – il perd encore plus d'argent sur son rayon poissonnerie, soit dit en passant. Le gagnant, à la fin, c'est quand même le consommateur.

Debut de section - Permalien
Philippe Chalmin, président de l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires

Quand on reconstitue un panier de viande de bœuf – qui varie de manière saisonnière –, on constate qu'il a un peu augmenté pour le consommateur. On dit toujours que le prix de la viande, aux yeux du consommateur, c'est le prix du filet, mais il est possible de trouver du bourguignon à 5 ou 6 euros le kilo – il faut ensuite le cuisiner, il est vrai. Ce panier s'élevait à 10,90 euros en 2016, à 10,97 euros en 2017, à 11,05 euros en 2018, à 11,33 euros en 2019 et à 11,56 euros en 2020. C'est d'une extraordinaire stabilité, sachant qu'en 2020, nous avons eu le problème de la fermeture de la restauration hors foyer (RHF), ainsi qu'une valorisation de la carcasse beaucoup plus importante en viande hachée. Le prix de celle-ci est habituellement stable, s'établissant autour de 10 euros le kilo depuis une dizaine d'années. M. Gauthier a raison, il y a plutôt eu un maintien de la consommation de viande bovine, mais une moindre valorisation de la viande hachée.

Debut de section - Permalien
Sophie Devienne, professeure d'agriculture comparée et de développement agricole à AgroParisTech

Je souhaite réagir au sujet des importations de denrées fabriquées avec des produits non autorisés en Europe : elles peuvent parfaitement entrer en Europe, il n'existe pas de clause miroir.

Debut de section - Permalien
Sophie Devienne, professeure d'agriculture comparée et de développement agricole à AgroParisTech

Au Canada, la viande produite avec des antibiotiques activateurs de croissance fait gagner un hiver d'engraissement des bovins : les antibiotiques modifient leur flore intestinale, leur permettant d'assimiler beaucoup plus rapidement. Ces pratiques absolument interdites en Europe, n'empêchent pas ces viandes d'entrer sur le marché européen. Il est très important de le dire.

C'est la même chose pour les grandes cultures : des produits phytosanitaires interdits en Europe sont autorisés à l'étranger. Je viens d'effectuer un travail sur la lentille, que je considère comme assez emblématique de la transition alimentaire. Le Canada est le premier exportateur mondial de lentilles. Il produit des lentilles avec des itinéraires techniques dont nous ne voudrions pas : à coups de glyphosate, on sèche la lentille sur pied quatre jours avant la récolte et on l'exporte vers l'Europe à des prix qui sont les plus bas au monde.

Debut de section - Permalien
Sophie Devienne, professeure d'agriculture comparée et de développement agricole à AgroParisTech

Tous ces produits phytosanitaires participent de l'accroissement de la productivité du travail. Si la transition alimentaire consiste à remplacer la viande bovine française par un plat à base de lentilles importées du Canada et produites dans ces conditions, il est nécessaire d'y réfléchir. Il y a un vrai problème, car on ne dit pas suffisamment que l'utilisation de ces produits est un facteur d'accroissement de la productivité du travail.

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Je vous remercie de ces éléments très précis, qui nous serviront dans nos futurs débats.

La parole est à M. Guillaume Gauthier.

Debut de section - Permalien
Guillaume Gauthier, éleveur de bovins en Saône-et-Loire

Je vais commencer par répondre à la question sur le fonctionnement de l'interprofession, avant de conclure. Je suis dans l'interprofession depuis trois ans et demi : dans l'état où elle se trouve, nous ne progresserons jamais vers une rémunération plus juste. Nous avons même essayé de faire figurer le mot « équitable », mais il paraissait trop grossier pour certaines familles. Tant que les décisions devront être prises à l'unanimité, les choses n'avanceront pas.

Au niveau de la production, tous les syndicats siègent. Ils sont tout le temps d'accord ; dès qu'il s'agit d'apporter de la valeur aux producteurs, il n'y a pas de petites guerres. Les éleveurs, en particulier les éleveurs de vaches allaitantes, qui font davantage pâturer leurs animaux, sont souvent d'accord sur les aspects environnementaux.

Je ne peux que souscrire aux propos de Mme Devienne : il n'y a pas de clause miroir, on fait entrer et consommer en Europe des denrées qu'on ne veut pas produire chez nous.

En introduction, j'ai dit les mots « vraie vie ». Eh bien, quand je vous entends monsieur Chalmin, je suis outré. Ce n'est pas étonnant, de la part du directeur de l'Observatoire des prix et des marges, mais je suis outré d'entendre que les GMS perdent de l'argent lorsqu'elles vendent de la viande. Je vais vous emmener dans des GMS qui ne font pas comme les autres, qui ne mettent pas toutes les charges de structure sur le rayon boucherie ; elles achètent les animaux à 5 ou 6 euros le kilo, les vendent moins cher que je ne le fais en vente directe, tout en étant bénéficiaires – je peux vous l'assurer.

Le seuil de revente à perte a été instauré, mais à qui a profité le crime ? Clairement aux GMS, qui ont désormais le droit de vendre plus cher et n'ont plus le droit de vendre à perte – ce qui est une bonne chose pour elles. Cela dit, le ruissellement n'a jamais eu lieu et mécaniquement, les prix du rayon viande ont plutôt augmenté. Vous avez dit que les prix ont augmenté en 2020 : c'est vrai, s'agissant des femelles. Vous n'êtes pas sans savoir que des sécheresses sont survenues ces dernières années, que les rendements des céréaliers en 2020 n'étaient pas très satisfaisants et qu'ils auraient préféré cumuler deux sources de revenus. Je le constate dans mes achats de protéines pour mes jeunes bovins – j'utilise la prairie et la biodiversité pour engraisser les femelles, mais c'est très compliqué d'engraisser à l'herbe les jeunes bovins.

L'Observatoire me laisse donc un petit goût amer ; si on en est encore à se dire que les GMS perdent de l'argent quand elles vendent de la viande, je comprends que l'on entende à Interbev répéter : si on payait les éleveurs, qu'est-ce qu'on deviendrait ! Je ne peux plus cautionner ça. Certes, je suis membre d'un syndicat, mais en voyant ce qui se passe je ne peux que faire un constat d'échec : les états généraux de l'alimentation, on y croit, mais ça ne marche pas ; Interbev, on y croit, mais ça ne marche pas s'agissant des prix. On se tourne alors vers les pouvoirs publics, on leur demande de faire quelque chose.

En tant que membre de JA, le syndicat Jeunes agriculteurs, je disais que le pilier, c'était l'installation. Maintenant, je dis que c'est l'alimentation, ce sont les territoires vivants et ce qui s'y passe : dans le Cantal, en Saône-et-Loire, partout où il y a de l'élevage, il y aura de la biodiversité. Qu'on ne nous oppose pas des modèles différents du nôtre. Comment comparer les territoires français et ceux d'autres pays européens voire d'Amérique du Sud ? Je ne suis pas prêt à faire ce que font certains voisins éloignés en matière d'alimentation, d'hormones ou d'antibiotiques. Je veux défendre mon pays et mon territoire, parce que j'agis directement sur celui-ci. Quand je vois mes vaches dans une prairie, même s'il n'y a pas d'herbe et qu'on leur apporte du foin, elles sont dehors, elles sont là. Vous savez tout cela, vous êtes des élus de territoire.

Franchement, faites quelque chose : le monde agricole a besoin de vous. On se tourne vers vous, parce qu'on n'a plus d'autre solution. Vous avez l'avenir du pays entre les mains parce que la souveraineté alimentaire de la France ce n'est pas Carrefour, ce sont les paysans.

Mme Valérie Bazin - Malgras et MM. André Chassaigne et Jean-Paul Dufrègne applaudissent .

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Merci à nos trois invités – la loi du genre a imposé de limiter la durée de leurs interventions. Nous allons suspendre très brièvement la séance, le temps de faire entrer le ministre.

La séance, suspendue quelques instants, est immédiatement reprise.

Suspension et reprise de la séance

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Nous en venons à la séquence de questions-réponses au ministre qui commencera par un propos liminaire de ce dernier qui pourra être relativement bref puisque le débat s'est déjà engagé avec lui plus tôt dans l'hémicycle.

La parole est à M. le ministre de l'agriculture et de l'alimentation.

Debut de section - Permalien
Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation

Je vous remercie d'avoir organisé ce débat selon cette forme un peu atypique : une séance de questions, suivie d'une table ronde, puis d'un nouvel échange. Le sujet qui nous réunit est la loi ÉGALIM, et plus largement la rémunération des agriculteurs. Ce débat concerne notre souveraineté. Je l'ai déjà dit, il n'y a pas de pays fort sans agriculture forte, et il n'y a évidemment pas d'agriculture sans agriculteurs. J'aime à définir ces derniers comme des entrepreneurs du vivant qui nourrissent le peuple. Certes, ils vivent de leur passion, mais la passion ne peut pas tout : elle ne peut pas remplacer systématiquement la rémunération. Pour relever le défi incroyablement important du renouvellement des générations, nous devons trouver les voies et moyens d'assurer leur rémunération.

Le premier constat est que les politiques publiques sont indispensables, qu'elles soient nationales, européennes ou internationales, pour réguler les rapports de forces qui régissent les négociations commerciales. Je crois pouvoir dire que notre objectif commun, quel que soit notre bord politique, consiste à trouver les moyens d'en finir avec la fameuse guerre des prix qui en résulte, à laquelle nous sommes confrontés depuis des années. En effet, elle est incompatible avec une agriculture de qualité, alors même que la qualité constitue l'ADN de notre agriculture. Qu'elle soit nutritionnelle ou environnementale – tout est lié –, la qualité de l'alimentation est au centre de tous les débats de société ; la crise de la covid-19 l'a encore davantage placée sur le devant de la scène.

La qualité ne peut augmenter dans un contexte de guerre des prix qui entraîne une incessante diminution du tarif payé au producteur. On ne peut maintenir l'injonction paradoxale de toujours multiplier les normes sans rémunérer la qualité ainsi produite. Comment agir sur cette dimension ? J'imagine que vous en avez débattu. La première réponse est relative à la création de valeur au sein des filières. Celles-ci ont un rôle indispensable à jouer. L'engouement autour des états généraux de l'alimentation a montré leur importance. Je salue l'engagement en leur faveur de Stéphane Travert, ministre de l'agriculture et de l'alimentation de l'époque.

Ensuite vient la répartition de la valeur tout au long de la chaîne, qui nous ramène à la loi ÉGALIM. Nous en avons beaucoup parlé tout à l'heure. Selon moi, trois ans après son examen, on peut en faire le bilan et affirmer qu'elle a engendré des progrès. J'en veux pour preuve qu'au sein du monde agroalimentaire, personne ne la remet en cause. Elle a amorcé un changement d'état d'esprit, en imposant la construction du prix « marche en avant » : l'industriel doit négocier avec le producteur avant de négocier avec la grande distribution. Le texte a également favorisé des plans de filière et instauré de nouveaux mécanismes, comme le seuil de revente à perte, dont on connaît les avantages, mais aussi les limites.

Néanmoins, force est de constater que cette loi n'a pas amélioré suffisamment la rémunération des agriculteurs. La question est de savoir quelle aurait été la déflation des prix agricoles si elle n'avait pas été adoptée. Il est très difficile d'y répondre. Selon l'Observatoire des négociations commerciales, depuis sa promulgation, les prix d'achat aux fournisseurs ont diminué successivement de 0,4 % dans les négociations pour 2019, de 0,1 % pour 2020 et de 0,3 % pour 2021.

Ainsi, la loi ÉGALIM était nécessaire, mais elle n'est pas suffisante. Il s'agit désormais de savoir comment aller plus loin, en gardant à l'esprit qu'il y va de notre souveraineté et de notre modèle agricole, de notre agriculture des territoires. Comme nous l'avons dit précédemment, pour ne citer que l'élevage, rares sont ceux qui savent que la taille moyenne des élevages français est très inférieure à celle des élevages européens, quel que soit le type de production ; quant aux élevages internationaux, leur taille moyenne est infiniment supérieure. On voit bien que le salut de la rémunération et la pérennité de notre modèle agricole ne viendront pas de la « compétitivité-coût », comme on dit en économie, mais de la « compétitivité hors coût », c'est-à-dire de la qualité, affichée et rémunérée.

La loi ÉGALIM a donc changé l'état d'esprit en instaurant l'indispensable marche en avant, grâce à laquelle la dynamique de négociation va dans la bonne direction, mais elle n'en a pas suffisamment modifié les règles. À mon sens, c'est la principale faille. Juridiquement, les règles qui régissent les relations économiques et commerciales ont été successivement définies par la loi du 1er juillet 1996 sur la loyauté et l'équilibre des relations commerciales, dite loi Galland, la loi du 4 août 2008 de modernisation de l'économie, dite LME, et la loi ÉGALIM. La première fixait les modalités des relations commerciales, en obligeant par exemple les industriels à proposer le même prix à toute la grande distribution. Les écarts éventuels devaient trouver une justification. Il s'agissait d'éviter la fuite en avant des acteurs de la grande distribution, qui espéraient obtenir des industriels un meilleur tarif, et engageaient ainsi la guerre des prix.

La LME est revenue sur ce dispositif. Afin de préserver le pouvoir d'achat des Français, elle a imposé le rapport de forces à toute la chaîne agroalimentaire. À titre personnel, j'estime qu'il s'agissait d'une erreur. Notre agriculture, fondée sur la qualité, et ce mode de fonctionnement sont antinomiques. Il faut expliquer aux consommateurs que la qualité est nécessaire, non pour faire plaisir aux agriculteurs, mais pour la bonne alimentation de chacun. Pour le pouvoir exécutif comme pour le législateur, la politique nutritionnelle est éminemment importante, or on constate que sa place dans les débats de société a beaucoup trop diminué. J'appartiens à la génération des « cinq fruits et légumes par jour » ; pour une précédente génération, souvenez-vous, c'était le verre de lait quotidien. Comme Hippocrate l'affirmait, la nourriture est le premier médicament. Nous devons expliquer que nous croyons dans l'alimentation de qualité : la viande d'un poulet issu d'un élevage français possède des qualités nutritionnelles incomparables avec celle d'un poulet issu d'un élevage ukrainien ou brésilien – c'est évidemment vrai pour toutes les viandes.

La loi ÉGALIM n'a pas totalement corrigé les effets du basculement ainsi opéré. La LME visait une déflation des prix. La loi ÉGALIM tend à ramener la négociation en amont de la chaîne, sans abroger la LME. Il faut dire clairement qu'une relation commerciale repose avant tout sur un rapport de forces. Pour en avoir fait largement l'expérience dans mes postes précédents, dès que j'ai pris la tête du ministère de l'agriculture et de l'alimentation, j'ai annoncé la couleur à tous les acteurs, de l'industrie et de la grande distribution, en disant que j'entrerais dans ce rapport de forces.

Nous avons débattu cet après-midi de la nécessité d'équilibrer le poids de ceux qui interviennent en amont, les OP notamment, avec le poids de ceux qui interviennent en aval, à savoir les industriels et la grande distribution, voire les plateformes d'achat. Il faut évidemment augmenter le poids des premiers ; mes propos sur la filière l'ont montré, je crois profondément aux organisations de producteurs. Néanmoins, l'aval restera toujours plus gros, dans le secteur agricole comme dans beaucoup d'autres secteurs économiques aux difficultés desquels nous sommes confrontés. Nous ne pouvons donc pas miser sur cette seule solution.

Pour agir sur le rapport de forces, nous devons appliquer fermement la loi. Quand j'ai pris les rênes du ministère, une de mes premières actions, menées avec mes collègues de Bercy, fut de démultiplier les contrôles, notamment menés par la DGCCRF – direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes. En effet, je reconnais avec beaucoup d'humilité que les acteurs de la grande distribution et les industriels sont beaucoup plus soucieux d'un courrier de la DGCCRF que d'un courrier signé par le ministre. En effet, la première peut prendre des sanctions et son intervention fait courir un risque d'image. Heureusement que nous avons agi ainsi : de l'avis de beaucoup d'acteurs de ces relations commerciales, nous avons injecté de la pression dans le circuit, avec des effets bénéfiques.

Cependant, si cette mesure était également nécessaire, elle n'est pas non plus suffisante. Étant donné l'historique de la LME, comment peser davantage encore dans le rapport de forces, pour faire progresser la rémunération cours de fermes ? Sur ce point, nous partageons tous le même objectif ; je salue le consensus politique en la matière.

Par ailleurs le Gouvernement a l'humilité de considérer que, s'il est à l'origine d'une première loi qui a eu des effets bénéfiques, celle-ci n'est pas allée assez loin : l'expertise en a été faite et je salue à cet égard les travaux menés par Thierry Benoit et tous les députés qui y ont participé, nous permettant de remettre l'ouvrage sur le métier. Une proposition de loi visant à protéger la rémunération des agriculteurs a été déposée à cette fin par M. Grégory Besson-Moreau. Ce texte est certes technique mais il est très important.

Il s'appuie sur ce qui, aujourd'hui, marche bien. Il faut ainsi plus de contractualisation ; un maximum de contractualisation tripartite ; beaucoup plus de transparence. Il faut passer de la guerre des prix à la transparence des marges. De plus, puisqu'une relation à trois se termine rarement bien, il convient de faire en sorte que ce qui a été négocié en amont ne puisse plus être négocié en aval, ce que l'on appelle la non-négociabilité du prix des matières premières agricoles, qui revient sur une grosse partie de la loi LME. J'ajoute un dernier point, également très important : il faut, à côté de la médiation, un système de règlement des différends commerciaux. Les problèmes sont en effets nombreux et la médiation est de plus en plus plébiscitée, mais elle ne dispose pas de suffisamment d'outils. La proposition de loi, qui devrait être examinée au mois de juin, permettra d'avancer.

N'oublions pas, enfin, deux autres points extrêmement importants. Nous n'améliorerons la rémunération des agriculteurs qu'en instaurant de nouvelles règles pour les relations commerciales, en orientant le débat public sur la question de la qualité, justement rémunérée ; le rôle du consommateur est à cet égard essentiel.

Cessons de dire que les gains de pouvoir d'achat des Français se font sur le dos des agriculteurs. Cela nécessite du courage politique. C'est le discours que l'on entendait avec la loi LME : lorsque l'on réclamait une augmentation des prix, on regrettait que ce soit au détriment du pouvoir d'achat des Français. Or, il faut dissocier deux politiques différentes : l'une est sociale et concerne le pouvoir d'achat, tandis que l'autre vise la rémunération des agriculteurs.

Mon dernier point concerne le commerce international, avec, par exemple, les fameuses clauses miroirs, qu'il faut faire évoluer, pour une qualité pérenne. Les poulets ukrainien et brésilien que j'évoquais sont produits avec des normes qui ne sont ni celles de la France, ni celles de l'Union européenne : l'un des principaux objectifs de la présidence française de l'Union européenne sera d'intervenir sur cette question.

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Nous passons aux questions-réponses. La parole est à M. Jean-Paul Dufrègne.

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J'ai déjà eu l'occasion d'évoquer la question des traités de libre-échange et de leurs conséquences, je n'y reviens pas. Une telle question ne peut pourtant pas être déconnectée du climat morose qui règne dans les zones d'élevage, comme vient d'en témoigner devant nous un jeune éleveur de bovins allaitants en Saône-et-Loire. Citons des prix insuffisamment rémunérateurs, pour des productions souvent de qualité ; des campagnes agressives pour remettre en cause la consommation de viande ; des campagnes non moins agressives concernant le bien-être animal, jetant l'opprobre sur toute une profession ; des perspectives de réforme de la PAC laissant planer le doute sur une diminution des aides au secteur agricole, donnant l'impression que les bons élèves seront punis.

Or, ces bons élèves perçoivent un salaire de misère : 700 euros par mois pour des semaines de travail de plus de 60 heures. Pourtant, ce type d'agriculture permet la diversité de nos paysages, le maintien d'une biodiversité riche, avec un pourcentage élevé de prairies naturelles, des terres non labourables. Que deviendront ces zones dites défavorisées, si l'élevage est remis en cause ?

Je pense à mon département de l'Allier, où s'étend le bocage bourbonnais et ses prairies verdoyantes, où paissent les animaux, car, monsieur le ministre, on y voit, encore des bêtes dans les prés. Que deviendront ces territoires si les jeunes ne s'y installent plus, faute de perspective, ou si des jeunes installés quittent le métier ? Les décisions que vous prendrez dessineront les territoires de demain.

Votre responsabilité est grande. Les agriculteurs vous ont bien accueilli lors de votre nomination ; ils vous ont fait confiance et moi aussi. Depuis, le doute s'est à nouveau installé. Ne les décevez pas et dites-nous comment vous allez utiliser la réforme de la PAC pour répondre à cet appel urgent.

Debut de section - Permalien
Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation

Ma responsabilité est grande, s'agissant notamment de la politique agricole commune. Au-delà de cette question, nous devons relever le défi de l'installation et de la rémunération, qui revêt trois dimensions, en premier lieu celle relative à la loi ÉGALIM. En effet, si la PAC vise à soutenir la rémunération des agriculteurs, aucun d'entre eux ne souhaite vivre de subventions. Ils veulent vivre de la vente de leurs produits, grâce à un juste prix.

Deuxièmement, le rôle de la filière est essentiel. Je travaille avec elle et cela est parfois compliqué, mais je ne lâcherai rien sur ce point, car la création de valeur se fait au niveau d'une filière, nous le savons tous. Je précise que la filière va de l'amont à l'aval, jusqu'à la distribution : l'éleveur n'est pas le seul en jeu.

J'ai évoqué la question de la qualité dans mon précédent propos : un objectif de 40 % de viande label Rouge avait été fixé pour 2022, or nous en étions à 3 % en 2017, tout comme actuellement. Je ne jette la pierre à personne, car toute la structuration de la filière est concernée, jusqu'à la distribution et au consommateur, mais il s'agit d'une question majeure.

Troisième point : la PAC.

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Si vous le voulez bien, nous reviendrons sur ce sujet lors de prochaines questions.

Debut de section - Permalien
Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation

Je m'y engage, monsieur Dufrègne !

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Notre agriculture est l'une des meilleures au monde, sinon la meilleure. Nos agriculteurs sont engagés et investis au quotidien pour nourrir les Français, mais leur travail ne paie pas et leur précarité est connue de tous. Le salaire moyen des agriculteurs est trop bas : un tiers d'entre eux gagnent moins de 350 euros par mois, 22 % vivent sous le seuil de pauvreté et ils sont 26 000 à percevoir le RSA. Les faillites et les suicides d'agriculteurs se multiplient, vous le savez.

C'est suite à ce constat dramatique que la loi ÉGALIM avait l'ambition d'assurer de meilleurs revenus aux agriculteurs. Plus de deux ans plus tard, la situation n'a que trop peu évolué : le Gouvernement ne veille pas assez à la bonne application de ce texte, et les sanctions et les contrôles restent insuffisants. Cependant, les marges de progression sont par ailleurs nombreuses. Or, la juste rémunération, tant espérée par nos agriculteurs, et l'équilibre financier de leur exploitation, vont être fortement impactés.

Je souhaite vous alerter, monsieur le ministre, sur l'incompréhension et la colère des agriculteurs de mon département de l'Aube, que j'ai rencontrés une nouvelle fois vendredi dernier. Leurs charges augmentent voire explosent – c'est le cas, par exemple, de la taxe sur les engrais azotés. Les aides qu'ils perçoivent diminuent : la réforme de la PAC devrait exclure 22 % des exploitations, surtout dans le Barrois ou dans le pays d'Othe. Comme vous le savez, ces zones défavorisées ne sont pas classées en zone intermédiaire, alors qu'elles le mériteraient, eu égard aux conditions pédoclimatiques. De plus, leurs surfaces agricoles exploitables diminuent : en cause, les ZNT – zones de non traitement –, les zones tampons et les jachères.

Vous comprendrez aisément, monsieur le ministre, que nos agriculteurs sont très inquiets pour l'avenir. Comment comptez-vous répondre à ces inquiétudes et résoudre ces problèmes ?

Debut de section - Permalien
Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation

Il faudrait commencer, madame la députée, par arrêter de dire des choses fausses : il n'y a pas de taxes sur les engrais azotés, je ne sais pas comment le dire plus clairement !

Debut de section - Permalien
Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation

La première des choses que nous devons à nos agriculteurs, c'est d'arrêter de raconter des carabistouilles. Les parlementaires ont voté la mise en œuvre des engagements de tous les pays de l'Union européenne, je dis bien tous – il n'y a même pas de surtransposition –, en faisant le choix de la confiance : la loi dispose que, dès lors que le monde agricole suit les engagements européens, il ne peut y avoir de taxes. Cette petite musique qui consiste à accréditer l'idée d'une taxe sur les engrais azotés est fausse.

Deuxièmement, parce qu'il est trop facile de nous renvoyer la balle, cherchez, parmi toutes les augmentations de standards et les surtranspositions, combien sont d'origine gouvernementale et combien sont le fait du pouvoir législatif. Franchement, croyez-vous qu'un ministre, comme moi, qui s'est battu comme il s'est battu sur la betterave, est un fan de la surtransposition ?

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Nous aussi, nous nous sommes battus sur la betterave !

Debut de section - Permalien
Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation

Oui, je sais bien, mais pensez-vous sincèrement que je suis un fan de la surtransposition ? Pour accélérer les transitions, notre combat principal doit se situer au niveau européen, pour faire en sorte que toutes les transitions imposées, le soient également à cette échelle.

Debut de section - Permalien
Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation

Cette question n'a pas émergé il y a trois ans, puisqu'elle existe depuis vingt ans que l'on cherche à imposer toutes ces transitions aux agriculteurs, sans jamais se poser la question de savoir ce qu'il adviendra, au final, de leur compte de résultat.

Debut de section - Permalien
Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation

Je me bats tous les jours, sans exception, depuis un an, sur ces questions : ce ne sont pas que des mots, j'en ai fait la démonstration. De grâce, arrêtons de véhiculer des fausses informations, qui finissent par démoraliser tout le monde !

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Merci de votre propos introductif, monsieur le ministre. J'entends que la loi ÉGALIM ne fonctionne pas : l'éleveur de charolaises qui était assis à votre place il y a un instant a évoqué à cet égard une « grosse désillusion ». Nous étions d'accord sur l'objectif de cette loi, louable, visant à garantir un revenu aux agriculteurs. Vous avez raison de souligner que ceux-ci veulent vivre de leur travail et non pas de subventions, même européennes.

Cette loi constituait une urgence vitale : je me souviens que son étude d'impact mentionnait que 50 % des agriculteurs touchaient moins de 350 euros par mois, en 2016. L'urgence est toujours la même, trois ans plus tard : le compte n'y est pas.

Nous vous avions alerté, à l'époque, sur la loi ÉGALIM : le problème, toujours d'actualité, était celui du manque de régulation. Un premier bilan, établi en 2019, démontrait que la loi n'avait eu un impact que sur un cinquième des ressources des agriculteurs, sans tenir compte de l'évolution des charges. En la matière, les agriculteurs doivent actuellement faire face à de la spéculation, notamment sur l'alimentation du bétail.

Le rapport qui vous a été remis le 25 mars dernier confirme que les gagnants sont toujours les mêmes. La loi ÉGALIM n'a donc pas rééquilibré les relations entre les agriculteurs et les autres acteurs de la filière. Êtes-vous prêt, monsieur le ministre, à tirer les conséquences de ce semi-échec, ou de cet échec ? Malheureusement, un état d'esprit ne fait pas vivre et ne remplit pas les frigos.

Êtes-vous prêt à réguler ? C'est en effet de régulation que le monde agricole a besoin : d'une régulation interne, mais aussi européenne. Les intervenants précédents nous ont ainsi indiqué que ce qui est interdit chez nous, en Europe, ne l'est pas ailleurs, et que nous importons ce qui est interdit chez nous.

Debut de section - Permalien
Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation

Je suis extrêmement favorable à une régulation au niveau européen, qui est essentielle : l'on ne peut prendre toujours plus de décisions au niveau national alors que nous sommes dans un marché commun ; tous ces sujets relèvent du niveau européen. C'est, parmi d'autres, la mère des batailles. Il faut cependant avoir à l'esprit que ces questions relèvent surtout du niveau international, les réglementations de l'OMC étant en cause : les fameuses clauses miroirs.

Il y a eu des avancées et nous espérons en obtenir une nouvelle dans les tout prochains mois s'agissant des antibiotiques utilisés dans la filière viande. Nous nous battons ardemment dans ce domaine, mais il nous faut aller plus loin et nous attaquer à la question des clauses miroirs, laquelle n'est d'ailleurs pas réellement liée aux accords de libre-échange. Ce n'est pas une question de droits de douane, qu'ils s'élèvent à 0,5 ou 15 %, même s'ils accentuent les difficultés : le véritable problème est que nos standards européens particulièrement ambitieux ne sont pas partagés par tous. Or loin des yeux, loin des consciences, même si ce précepte constitue en l'espèce une aberration et que cela nuit à ce que nous défendons.

Cela étant, je ne prône pas l'autarcie, mais souhaite faire valoir ces standards au niveau international. J'en ai fait une priorité de la présidence française du Conseil de l'Union européenne et nous réalisons aussi des avancées en la matière dans le cadre de la politique agricole commune – je pourrais y revenir. En définitive, oui, il nous faut nous engager à fond dans ce domaine.

Quant au deuxième niveau de régulation, tout dépend de ce que l'on entend par « régulation » – nous en avons amplement discuté cet après-midi. La grande question qui est posée et que j'ai traitée avec beaucoup de bienveillance est la suivante : est-il possible de fixer les prix par la loi ? Votre réaction parle pour vous, madame la députée : vous êtes sceptique. Je partage votre sentiment. Mais si la fixation des prix par la loi pose des problèmes juridiques et économiques, la question de la rémunération des agriculteurs à hauteur du coût de production reste entière.

Debut de section - Permalien
Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation

Un travail est en cours sur cette question et la proposition de loi de Grégory Besson-Moreau, qui sera examinée en juin, devra la résoudre.

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N'étant député que depuis peu, je n'ai pas eu le temps de rencontrer beaucoup d'agriculteurs ou d'acteurs du secteur, mais j'ai tout de même recueilli le sentiment de certains, issus notamment de la filière laitière. Il semble que cette dernière, contrairement à la filière viande, voit la loi ÉGALIM comme une évolution positive, même si ce qu'elle contient est incomplet ou inachevé. À cet égard, une véritable réflexion relative aux exportations devrait être menée. Les industriels avec lesquels je me suis entretenu m'ont indiqué jouer le jeu : s'ils rémunèrent aux coûts de production ce qu'ils vendent en France, ils achètent ce qu'ils exportent à des prix très bas au prix spot. La rémunération des producteurs demeure donc relativement basse et doit être améliorée.

Par ailleurs, je souhaitais vous interpeller sur les outils de contrôle et d'évaluation. Je n'étais pas présent lors de l'examen du projet de loi ÉGALIM, mais j'ai lu le rapport Papin, qui préconise un système de partage d'informations par l'intermédiaire d'un tiers de confiance. Est-ce un dispositif que vous envisagez d'appliquer ? De plus, les contrôles de la DGCCRF, que vous avez vous-même évoqués, ont-ils apporté des éléments utiles à votre réflexion en vue de la généralisation de contrats tripartites ?

Debut de section - Permalien
Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation

S'agissant d'abord du marché international, votre question démontre toute la complexité de la chose. De nombreuses filières vendent aussi à l'international, faisant de la France une puissance agricole exportatrice, ce qui est très important. Qu'il s'agisse de la viande, de la grande culture ou encore du lait, certaines filières exportent massivement leurs produits, en témoignent nos travaux relatifs aux broutards, dont une grande partie sont exportés.

Or la grande difficulté c'est qu'au niveau international la régulation des prix ne s'effectue pas selon la loi française. Cela nous renvoie à la question de Mme Pires Beaune et à l'importance d'agir au niveau européen. Et, dans le cas, par exemple, de la poudre de lait, qui est un marché mondial, la question est encore plus complexe.

Il y a un grave problème quand les exportations sont utilisées pour justifier des comportements inacceptables. Nous le savons, certains usent de cet argument pour ne pas payer « cour de ferme », en rémunérant les producteurs en dessous des coûts de production.

Cela nous renvoie à la seconde partie de votre question, relative à la transparence. Pour être très simple, nous avons constaté, avec M. Serge Papin, que les contrats tripartites pluriannuels fonctionnent bien – de nombreux exemples en attestent. Ils permettent une meilleure répartition de la valeur. Nous avons donc conclu à la nécessité de les généraliser sans attendre que la proposition de loi de M. Besson-Moreau ne soit votée, en recourant à des tiers de confiance, c'est-à-dire à des auditeurs agréés. C'est une pratique courante des relations commerciales : ils attestent des marges des uns et des autres afin de mieux répartir la valeur entre les acteurs. De cette manière, nous pourrons sortir du jeu de dupes qui consiste, pour les industriels, à renvoyer la faute sur la grande distribution, et vice-versa.

Si la proposition de loi de M. Besson-Moreau est adoptée, nous n'aurons même plus besoin des tiers de confiance car, par défaut, la transparence sera prévue par la contractualisation.

Debut de section - Permalien
Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation

Contractualisation, transparence, pluriannualité et non-négociabilité des prix, voilà quels doivent être les maître mots.

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Monsieur le ministre, vous avez dit que le commerce était un rapport de forces. Oui et non, vous répondrai-je. Normalement, commercer c'est communiquer. Si, en 2021, il s'agit d'un rapport de forces, c'est parce que depuis un demi-siècle nous avons laissé un empire se créer : celui de la grande distribution et des centrales d'achats. Ainsi, désormais, le commerce parle de tout sauf du produit à négocier. Que demandent ces acteurs ? Des remises, des ristournes, des rabais, des plans d'affaires, des services internationaux et des pénalités de toutes sortes, notamment logistiques. Tout cela vise à dévaloriser les denrées alimentaires, à tel point que nous en arrivons à des aberrations, comme quand une grande enseigne propose vingt et un repas pour 21 euros. Si ce type de campagne ne détruit pas de la valeur et n'engage pas les consommateurs à considérer que les denrées alimentaires et l'alimentation ne valent rien, c'est à n'y rien comprendre !

Vous avez donc raison lorsque vous dites que le consommateur doit payer le prix juste et responsable et qu'il ne revient pas aux agriculteurs de financer le pouvoir d'achat en France, comme la loi LME l'a prévu il y a une quinzaine d'années – loi LME que je m'étais d'ailleurs bien gardé de voter et qui, de fait, a exacerbé la guerre des prix et n'a cessé de détruire de la valeur.

Cela étant dit, sommes-nous prêts, par exemple dans la proposition de loi que nous examinerons en juin, à interdire toute publicité visant à dévaloriser les denrées alimentaires ? Et sommes-nous prêts, dans le cadre de ce rapport de forces, à instaurer davantage de transparence dans la formation des marges ?

En effet, les 600 millions d'euros – voilà de la valeur – générés par le relèvement du seuil de revente à perte auraient dû être équitablement répartis entre les distributeurs, les industriels et, surtout, les agriculteurs : la somme aurait dû remonter vers l'amont de la filière. Il nous manque donc sans doute un outil ou un dispositif de transparence dans la formation des marges. Nous avons pourtant tout inventé depuis cinquante ans : l'Autorité de la concurrence, la DGCCRF, la Commission d'examen des pratiques commerciales, l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires, et la médiation. Nous avons tout inventé en France !

Debut de section - Permalien
Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation

En ce qui concerne le rapport de forces, nous sommes confrontés à un gros problème, qui ne concerne pas que la grande distribution, à laquelle vous faites référence, mais aussi les industriels. Si demain, pour un produit donné, on demandait à la grande distribution d'augmenter son prix de 5 centimes d'euro pour mieux rémunérer les agriculteurs, cela résoudrait le problème. Toutefois, réaliser ce mouvement de masse dans notre pays est impossible, car il s'agirait d'une entente. Heureusement, les ententes sont interdites, car elles s'effectuent sur le dos des consommateurs, ce que personne ne peut souhaiter.

Il n'en demeure pas moins que le rapport de forces est tel qu'au-delà de sa marge, chacun essaie de défendre sa part de marché. Pour cela, les acteurs cherchent à obtenir les meilleurs prix, in fine au détriment des agriculteurs, afin de constituer des produits d'appel. Tout le sens de la proposition de loi à venir, et c'était également le sens de la loi Galland sur laquelle la loi LME est revenue, est d'empêcher que ne s'applique ce qu'on appelle en économie la théorie des jeux. Au nom de cette théorie, un acteur suppute qu'un concurrent peut acheter moins cher un produit et décide donc de tirer le prix vers le bas.

Voilà ce qu'il nous faut empêcher. Et comme, fort heureusement, nous sommes dans une économie où les ententes sont interdites, il nous faut trouver un moyen qui ne soit pas la fixation des prix pour mettre un terme à ce jeu de dupes. Vous constaterez donc la complexité de l'entreprise à laquelle nous sommes confrontés. Je dis bien « nous », car c'est collectivement que nous trouverons la solution, qui ne sera pas miracle – vous l'avez très bien dit, monsieur le député –, mais qui est indispensable.

S'agissant de la transparence, deuxième point que vous avez évoqué, je suis entièrement d'accord avec vous.

Quant aux promotions, la proposition de loi y consacrera tout un article. Parmi les trois types de promotion qui existent, l'un d'eux pose selon moi problème : il s'agit des promotions à très bas coût au titre des « dégagements », lesquelles ruinent la perception de la qualité des produits.

Debut de section - Permalien
Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation

J'estime que les dégagements doivent être désormais interdits sans l'aval de la filière concernée, ce qui constituerait, me semble-t-il, une avancée très importante.

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J'aurai deux questions.

Au stade des négociations entre producteurs et acheteurs, la loi ÉGALIM prévoit que la prise en compte du coût de production est au libre choix des parties. Estimez-vous que cette prise en compte devrait être rendue obligatoire ? De plus, le Gouvernement est-il favorable à l'introduction d'une clause de révision des prix obligatoire dans les contrats entre fournisseurs et distributeurs qui tienne compte de l'ensemble des coûts de production ou, du moins, d'une clause qui s'activerait en cas de choc conjoncturel sur les matières premières ?

Quant à ma deuxième question, elle vous étonnera peut-être. Le e-commerce n'est-il pas un moyen de contourner la grande distribution et de mieux valoriser les prix du producteur ?

Debut de section - Permalien
Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation

Il y a en réalité trois questions : la première sur le coût de production, la deuxième sur l'indexation et la troisième sur le e-commerce.

En ce qui concerne le coût de production, la loi ÉGALIM rend déjà obligatoire sa prise en compte, tout en prévoyant qu'un contrat puisse justifier de ne pas le faire.

Debut de section - Permalien
Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation

Il existe donc deux possibilités. La première revient à dire que le coût de production, fixé par l'interprofession ou un autre acteur, devient le prix de base, ce qui signifierait que la loi instaure des prix minimums. Cette option renvoie à d'autres considérations, car une économie administrée par des prix minimums emporte beaucoup de conséquences. Nous avons connu ce fonctionnement par le passé, y compris dans le monde agricole, lequel a abouti à des cas très problématiques. Est-ce donc la voie que nous souhaitons emprunter ? Ou bien, deuxième possibilité, préférons-nous dire que le coût de production doit être la référence – quitte à renforcer les clauses lorsqu'il n'est pas pris en compte – et, surtout, que celui-ci ainsi que le prix des matières premières agricoles sont figés dès lors qu'ils ont été négociés entre les producteurs et les industriels ? En effet, aujourd'hui, la grande distribution renégocie en sous-main le prix des matières premières agricoles, ce qui ne doit plus être possible.

Voilà les deux chemins qui s'offrent à nous et dont nous débattrons en juin. Je le répète, les deux options emportent de lourdes conséquences juridiques et économiques. Ma volonté est d'aller le plus loin possible, pourvu que le dispositif soit applicable.

S'agissant de l'indexation – j'utilise ce terme délibérément –, la réponse est oui : j'estime que c'est la voie à suivre.

Pourrions-nous nous appuyer sur le e-commerce ? En toute objectivité, je n'en suis pas sûr. Premièrement, la rémunération des producteurs ne dépend pas que de la grande distribution, mais aussi des industriels. Deuxièmement, c'est justement ce ménage à trois qui constitue l'une des sources principales du problème. Troisièmement, ce n'est pas le e-commerce qui mettra un terme à ce jeu de dupes et au rapport de forces entre les acteurs. Et quatrièmement, je rappelle que le e-commerce est déficitaire dans la vente de nombreux produits et cela ne m'étonnerait pas que certains acteurs de ce secteur tirent encore plus les marges vers le bas s'agissant des produits alimentaires. Je suis donc agnostique sur ce point, mais plutôt très méfiant.

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Mon intervention portera sur trois points. Le premier concerne la proposition de loi que Grégory Besson-Moreau a déposée et sur laquelle nous travaillons actuellement. Il est vrai que nous avons une obligation de résultat, mais la question de la rémunération des agriculteurs n'est pas un sujet nouveau, qui ne serait débattu que depuis trois ou quatre ans. C'est une question ancienne à laquelle nous nous sommes attaqués par le bon bout, c'est-à-dire par l'angle du coût de production. Que trois ans après la promulgation de la loi ÉGALIM, il soit nécessaire de l'adapter, cela me semble assez naturel. Nous nous étions d'ailleurs engagés à rouvrir le dossier si les choses ne fonctionnaient pas suffisamment bien. La proposition de loi, qui vise à instaurer la transparence et la pluriannualité, me semble aller tout à fait en ce sens.

Par ailleurs, il est impossible de parler de la rémunération des agriculteurs sans parler de la politique agricole commune, que vous avez évoquée, monsieur le ministre. Même si certains le regrettent, la politique agricole commune existe et compte pour beaucoup dans cette rémunération.

Si la nouvelle programmation qui se négocie actuellement va déplacer certains curseurs, l'enveloppe des crédits alloués à la France restera stable, et prioriser tel ou tel secteur peut inquiéter l'élevage allaitant, qui est déjà en difficulté. Je voudrais donc vous entendre sur la manière dont vous appréhendez la question des aides de la PAC à l'élevage allaitant.

En ce qui concerne enfin les clauses miroirs, il est absolument essentiel que ne puissent être importées sur notre territoire des denrées produites en dehors des normes que nous autorisons. Quel est l'état d'esprit des pays de l'Union européenne sur ce sujet et quelles perspectives avons-nous de voir ces clauses se développer ?

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La parole est à M. le ministre.

Monsieur le ministre, le monde laitier attend notamment vos réponses sur les aides couplées.

Debut de section - Permalien
Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation

Cette question va me permettre de répondre également à M. Dufrègne. Vous avez raison s'agissant d'ÉGALIM, il faut remettre l'ouvrage sur le métier. Alors que la législature n'est pas encore achevée, cela témoigne de notre volonté d'avancer, ensemble, sur ces sujets compliqués, et je ne doute pas que le débat parlementaire nous permette d'aller le plus loin possible et d'aboutir à quelque chose qui fonctionne.

Pour ce qui regarde la PAC, c'est un point essentiel mais qui ne doit jamais occulter les problématiques de la loi ÉGALIM et celles liées aux filières. Pour ma part, je défends un maintien des équilibres entre territoires et filières et ne suis pas favorable à des transferts massifs, tels que ceux auxquels avaient donné lieu les deux dernières négociations, d'autant que nous avons deux réformes à finaliser : celle des éco-régimes et de leur accessibilité pour les filières végétales et animales et celle des aides couplées.

Pour cette dernière, ma conviction est qu'il faut revoir les modalités de calcul des aides couplées animales ; elles sont aujourd'hui calculées à partir du nombre de veaux par vache, alors qu'il faudrait passer à un calcul basé sur les UGB, c'est-à-dire sur la composition du cheptel. De nombreux acteurs de la filière sont favorables à une réforme en ce sens.

Cela étant dit, le diable se niche dans les détails. C'est ainsi que beaucoup ont craint que le passage à l'UGB, qui nécessite beaucoup d'ajustements techniques, s'accompagne d'une diminution massive des aides. Des chiffres ont circulé, qui ne correspondent en rien à la réalité : alors que les aides bovines représentent un peu plus de 700 millions d'euros, certains ont parlé d'une diminution de 250 millions d'euros, ce qui revenait à tuer le système. Or ce n'est absolument pas ma vision de cette réforme importante, dont il faut encore définir les différents curseurs, en prenant en compte toutes ses implications.

Elle ne pourra se faire qu'au prix d'un important travail avec les filières et de beaucoup d'accompagnement mais, malgré les craintes qu'elle suscite, ce dispositif est, à mes yeux, celui qui répond le mieux aux objectifs que nous nous sommes fixés – et je ne minimise en rien les difficultés que nous rencontrerons.

Quant à une réduction significative des aides, dont certains ont fait courir la rumeur, elle ne figure dans aucun des scenarii actuellement sur la table.

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Des orateurs des différents groupes dont les membres ont souhaité intervenir se sont exprimés. Nous allons passer à une seconde série de questions.

La parole est à M. Yves Daniel.

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L'agriculture suscite les passions, car ce n'est pas une activité comme les autres pas plus que les produits agricoles ne sont pas des produits comme les autres ; il faut le marteler, car cette spécificité doit être prise en compte.

Depuis plus d'un demi-siècle, le constat est tristement le même, on tient aux agriculteurs les mêmes discours, on entend les mêmes propos en réponse aux mêmes demandes et aux mêmes revendications sur leurs revenus. Or, par chance, il me semble qu'enfin nous sommes partis pour passer des discours aux actes.

On a évoqué précédemment le besoin de régulation. Certes, la loi de l'offre et de la demande est incontournable – même si nous ne l'avons pas votée – lorsqu'on évoque les marchés, mais elle ne peut à elle seule les réguler. C'est la raison pour laquelle je crois beaucoup aux filières et à la contractualisation.

Pourquoi ne pas imaginer un fonds de régulation, à l'image de ce qui a été mis en place avec l'épargne de précaution, qui serait alimenté par l'ensemble des acteurs de la filière et assorti d'un système de bonus-malus ?

J'aimerais aussi évoquer le contexte dans lequel nous évoluons. On parle beaucoup de bien-être animal, mais il est grand temps de penser, comme on commence enfin à le faire, au bien-être des éleveurs et des agriculteurs. Face aux contraintes qu'ils subissent, face à l'agribashing, notre devoir n'est-il pas de construire un discours positif, notamment à l'attention des jeunes ? L'agriculture est confrontée au défi du renouvellement des générations, et ce serait sans doute un moyen de lui permettre de surmonter ce problème.

Debut de section - Permalien
Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation

Au-delà des fonds de régulation, c'est l'ensemble des dispositifs assurantiels, comme l'assurance récolte ou les fonds de protection qui nous occupent et pour lesquels nous devons trouver des solutions.

Autant il me paraît extrêmement difficile de mettre en place des fonds de régulation par les prix, autant je pense que nous avons besoin de filets de sécurité assurantiels. Une double épée de Damoclès menace aujourd'hui nos agriculteurs : d'une part, celle des variations du marché ; d'autre part, celle des aléas climatiques, de plus en plus violents. C'est dans cette direction que doit s'orienter ce que vous appelez fonds de régulation, que je préfère qualifier de politique assurantielle.

Ensuite, j'ai toujours dit que le bien-être des animaux serait d'autant plus fort que le bien-être des éleveurs serait pris en compte. On citait tout à l'heure l'exemple de la castration à vif des porcelets. Un texte réglementaire a déjà été pris pour qu'il y soit mis fin au 1er janvier 2022. Reste que cela a un coût. Nous y travaillons depuis un an avec les filières, mais cela dépend aussi des consommateurs : en effet, si l'on castre les porcelets, c'est avant tout parce que les consommateurs veulent un jambon qui ne sente pas trop fort. Il faut donc que, sur l'ensemble de la chaîne – chez les industriels et dans la grande distribution aussi – chacun prenne ses responsabilités.

Vous aurez sans doute noté que je n'emploie jamais le mot agribashing. En revanche, je parle de qualité, d'innovation, de passion et de rémunération. Ce sont sur ces termes que doit se fonder un discours positif qui incite la jeunesse de France à se tourner vers ces beaux métiers du vivant du monde agricole.

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Afin d'améliorer le revenu des agriculteurs, la loi ÉGALIM prévoyait pour chaque filière agricole la mise en place d'un indicateur de référence et de marché permettant d'intégrer les coûts de production dans la négociation des prix avec les secteurs de la transformation et de la distribution. Force est de constater cependant que la loi n'a rien changé au fait que les producteurs sont encore soumis au bon vouloir de la grande distribution dans la négociation des prix.

Par ailleurs, le groupe Bigard a clairement dit devant l'interprofession qu'il ferait tout pour ne pas appliquer la loi : c'est un exemple des rapports de forces que vous évoquiez tout à l'heure. Dans une économie de marché, les objectifs de la loi ÉGALIM, si louables soient-ils, ne pourront être atteints s'ils ne sont pas associés à des mesures contraignantes. Dans ces conditions, comment comptez-vous limiter les marges de négociation de la grande distribution et des industriels ?

Debut de section - Permalien
Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation

Ma conviction – et nous n'avons pas affaire à une science exacte –, c'est qu'il ne s'agit pas uniquement d'une relation entre agriculteurs et grande distribution, mais d'une relation à trois, dans laquelle, il y en a deux qui finissent par s'entendre sur le dos du plus faible, c'est-à-dire de l'agriculteur. Il en résulte un jeu de dupes – quand bien même certains, dans la grande distribution ou chez les industriels, sont vertueux et jouent vraiment le jeu. Dans cette guerre des prix, chacun, lorsqu'il voit que son voisin a obtenu un prix avantageux s'efforce d'obtenir la même chose, ce qui tire tout le monde vers le bas.

Il faut cesser le jeu de dupes, arrêter ce nivellement vers le bas, par lequel tout le monde creuse sa tombe, et sortir de cette situation par le haut. Cela implique que tous les grands capitaines d'industrie qui ne cessent de vanter la qualité France renoncent à creuser la tombe commune et prennent collectivement conscience des enjeux : la chaîne agroalimentaire est une chaîne, et s'il y en a un qui tombe, tous tomberont avec lui ; si demain, l'agriculture meurt, après-demain, ce sera l'industrie, puis la grande distribution.

Concernant ensuite les rapports de forces, je multiplie les contrôles pour être sûr que la loi soit respectée, sachant que la nouvelle proposition de loi doit nous donner les moyens de sortir par le haut de ce jeu de dupes. Il s'agit d'un texte technique mais qui, grâce à ses apports en matière de contractualisation, de transparence, de non-négociabilité des prix, de pluri-annualité et de comité des différends, devrait nous permettre d'améliorer significativement le cadre des négociations commerciales.

Je ne dis pas que le schéma est parfait, mais un gros travail a été accompli et je compte sur les débats parlementaires pour nous permettre d'aller plus loin. J'y suis favorable.

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Le constat est unanime : la loi ÉGALIM avait suscité beaucoup d'espoirs, mais les résultats ne sont malheureusement pas là, notamment pour les éleveurs de viande bovine – je le constate régulièrement, puisque je suis élue dans le cœur de la Saône-et-Loire, berceau de la race charolaise.

La Mutualité sociale agricole fait état d'un quart des agriculteurs ayant des revenus inférieurs à 350 euros mensuels : dans ces conditions, il n'est pas envisageable que des jeunes s'engagent dans l'agriculture.

Nous sommes toujours dans une guerre des prix, au détriment de la qualité et de la santé. Lors de la précédente table ronde, ont été évoquées les lentilles produites au Canada et séchées au glyphosate ; j'y ajouterai les steaks de soja et d'huile de palme, en insistant sur le fait que nous devons impérativement renouer avec la notion de qualité.

Nous avons vu que le relèvement de 10 % du seuil de revente à perte et l'encadrement des promotions sont restés sans effet sur l'augmentation des revenus agricoles. Le rapport Papin estime que ces deux dispositifs auraient permis de dégager 550 millions d'euros, mais ces sommes n'ont malheureusement pas profité aux agriculteurs.

Le recours à la contractualisation se révèle également un échec, puisque celle-ci ne porte que sur des volumes dérisoires, inversement proportionnels à la publicité qui en est faite. C'est regrettable car, aux dires des agriculteurs qui la saluent, cette contractualisation, lorsqu'elle intervient, permet une augmentation des prix intéressante.

Ne faut-il pas changer le paradigme de la loi ÉGALIM qui, jusqu'ici, n'était pas contraignante, en imposant désormais la construction du prix à partir des coûts de production mais aussi, dans une marche en avant, de la hausse des matières premières agricoles et des coûts de transformation ? Ne faut-il pas également interdire l'achat de produits alimentaires vendus à perte et faire en sorte que l'article 44 de la loi soit appliqué et que soit interdite toute importation de denrées alimentaires pour lesquelles il a été fait usage de produits non autorisés en France ?

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Je propose de regrouper les dernières questions. La parole est à Mme Martine Leguille-Balloy.

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Tout le monde parle beaucoup de contractualisation, pour ma part, je vais vous livrer une remontée du terrain en ce qui concerne les coopératives : l'éleveur que nous recevions il y a quelques instants nous a dit qu'il voulait dorénavant des contrats tripartites, et c'est une demande unanime en ce moment car on voit vraiment beaucoup de gens se plaindre fortement de leur appartenance à une coopérative. Je pense que vous avez dû avoir vous aussi, monsieur le ministre, des remontées en ce sens. Il y en a certes qui jouent le jeu, qui ne se sont pas dévoyées, mais on en trouve beaucoup dont les associés coopérateurs se plaignent vraiment.

Ensuite, vous connaissez mon dada : je demande régulièrement comment faire pour obliger les consommateurs à acheter ce qu'ils demandent puisque leurs demandes sont souvent déconnectées de leur acte d'achat. Il est vrai qu'on parle beaucoup des clauses miroirs pour les importations de pays tiers mais, autre remontée du terrain, en ce moment, les agriculteurs se plaignent beaucoup de tout ce qui est importé des autres pays de l'Union européenne à des prix bien plus bas que chez nous, sans que les normes de production aient été forcément respectées. On va parfois chercher bien loin des coupables, mais il faut reconnaître que cette situation n'aide pas à accorder les souhaits aux pratiques du consommateur, car ce qu'il achète le plus en ce moment, ce sont des produits importés, fraises ou autres.

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La parole est à M. André Chassaigne, qui pose la dernière question au ministre.

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Depuis des années, on caresse l'ambition de créer un cercle vertueux en termes de relations, j'ai connu cela avec Bruno Le Maire quand il était ministre de l'agriculture, il y a une dizaine d'années. Il comptait tout arranger dans le cadre des interprofessions, j'avais même l'impression qu'il avait atteint le nirvana… Or depuis, c'est plutôt la descente aux enfers. Je pense qu'à force de caresser le cercle vertueux, il devient de plus en plus vicieux car si on ne pose pas les vraies questions, l'on n'arrivera pas à trouver des solutions durables – y compris d'ailleurs dans la proposition de loi qui va arriver au mois de juin, on aura l'occasion d'en parler. Les vrais problèmes ne sont pas pris en compte alors que vous avez vous-même esquissé ce qu'il fallait faire, monsieur le ministre, en disant qu'il va falloir faire bouger les lignes pendant la présidence française de l'Union européenne. En effet, tant qu'on aura une politique agricole commune uniquement axée sur la concurrence, sur la compétitivité et sur l'ouverture des marchés, on n'y arrivera pas ! Il faut mettre un coup de pied dans la fourmilière.

Vous dites avoir l'espoir de faire évoluer la situation concernant les clauses miroirs, mais l'article 44 de la loi ÉGALIM n'est toujours pas opérationnel parce que c'est impossible encore aujourd'hui de contrôler si les produits importés respectent les normes environnementales ou sanitaires existant en Europe. Les règles sont détournées par tout le monde, les services des douanes et la DGCCRF nous disent qu'ils ne peuvent rien y faire, et ce n'est même pas possible au niveau européen.

Et puis s'agissant de la garantie des prix, il faut arriver à ce que l'Union européenne admette qu'il faille les garantir à un niveau qui couvre les coûts de production.

En ce qui concerne la PAC, non seulement elle ne va pas améliorer les choses, mais créer des distorsions de concurrence.

Enfin, vous avez dit que la baisse des aides couplées ne sera pas de 250 millions d'euros, mais alors quel sera son montant et selon quels calculs ?

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Je donne la parole à M. le ministre, en le remerciant vraiment pour sa disponibilité.

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Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation

J'ai noté plusieurs points communs entre les questions de Mme Corneloup et de Mme Leguille-Balloy, à commencer par des interrogations sur l'intérêt de la contractualisation. Il est majeur pour moi. Tous les travaux menés avec les uns et les autres et qui donneront lieu à ce nouveau texte en juin ne sont pas des travaux théoriques : ils ont été à chaque fois issus des bonnes pratiques observées ici ou là, notamment grâce à la mission de Serge Papin qu'Agnès Pannier-Runacher et moi-même avons mandaté il y a maintenant plus de six mois, sachant qu'il connaît bien le système, y compris ses entrailles. Toutes ces études montrent que la contractualisation permet de changer beaucoup de choses, plus encore la contractualisation tripartite, plus aisée à imposer au regard des règles de la concurrence, mais on aura l'occasion d'en reparler en juin puisque.

La loi ÉGALIM prévoit que la contractualisation n'est pas obligatoire sauf dispositions contraires, la proposition de loi Besson-Moreau prévoira l'inverse, c'est-à-dire qu'on changera complètement la logique du mécanisme pour que la contractualisation devienne la règle de base. Je pense que c'est un point extrêmement important.

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Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation

Aujourd'hui, loi ÉGALIM ne rend la contractualisation obligatoire que pour certaines filières, que pour certains secteurs. Dans la proposition de loi, la non-contractualisation est l'exception, quand on ne peut faire autrement.

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Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation

Pour certaines filières, encore fort loin de la contractualisation, ce sera un sacré enjeu, y compris dans la filière viande où elle est beaucoup moins développée que dans d'autres comme la filière laitière. Je rappelle que Bruno Le Maire, suite aux crises du lait successives, l'avait fait adopter comme principe de base – je pense que cela avait même fait l'objet d'une disposition législative. Je crois beaucoup à la contractualisation. Toutes vos interventions, mesdames, messieurs les députés, l'ont bien montré : si l'on veut faire cesser la guerre des prix et garantir beaucoup plus de transparence, il faut passer par la contractualisation.

Après la contractualisation, j'en viens à un deuxième point : je suis à fond pour l'indexation que vous avez évoquée. Et je souligne, répondant ainsi à M. Chassaigne, que le débat que nous aurons en juin portera notamment sur le fait de savoir si le dispositif prévu par cette proposition de loi sera à même de changer les choses. Vous commencez à me connaître et vous savez que je ne suis pas là pour soutenir des mesures qui n'auraient finalement aucun impact. Mon seul objectif, c'est que le texte qui sortira de l'Assemblée, puis du Sénat, soit un texte qui change les choses. Il ne s'agit pas de tourner autour du pot – ou de « caresser le cercle », monsieur Chassaigne –, je veux vraiment que nos débats aboutissent à un dispositif qui permette de changer la donne.

En revanche, puisque vous me connaissez, vous savez que pour moi il ne faut jamais raconter des carabistouilles aux uns ou aux autres, comme dire par exemple que la loi va fixer tous les prix, filière par filière, type de production par type de production et type de produit par type de produit, y compris par type d'aliment. On a eu ce débat cet après-midi, monsieur Chassaigne, et nous savons tous que cela ne peut pas fonctionner ainsi. Mais mon objectif, c'est vraiment d'aller le plus loin possible, et tout ce que nous entreprenons ne vaut le coup que s'il y a vraiment un changement in fine, sinon cela ne sert à rien. Je suis là pour que chacun ait le courage d'aller de l'avant. Je ne suis pas sûr que vous ayez entendu souvent un ministre de la République dire que la loi LME était à son avis une erreur et qu'il fallait arrêter de faire une politique sociale sur le dos des agriculteurs. J'ai quant à moi le courage politique de le dire parce que je pense que c'est vrai et que c'était une faute.

Troisième point : les coopératives, qu'a évoquées Mme Leguille-Balloy. Son intervention appelle de ma part deux remarques. Tout d'abord, il ne faut pas mettre tout le monde dans le même panier. Ensuite, les enjeux que vous avez évoqués renvoient aux filières, qui en ont bien conscience. Je mouille le maillot pour améliorer la situation autant que faire se peut mais je ne suis pas actionnaire d'une coopérative.

Quatrième point : le consommateur et l'opposition entre l'appel aux clauses miroirs et ce qui se passe à l'intérieur de l'Union européenne. Vous avez mille fois raison, madame la députée, et c'est bien pourquoi il y a à cet égard une grande avancée dans la PAC puisque le fameux écorégime, ce nouveau mécanisme agroenvironnemental, va être obligatoire pour tous les États membres. Nécessaire mais pas encore suffisant, me direz-vous, mais c'est tout de même un message politique très clair – même si la mise en place va prendre plusieurs années : il n'y a plus de dérogations possibles pour certains États membres, tous sont concernés.

Mon dernier point portera sur ce que M. le député Chassaigne appelle les vraies questions. Si la distorsion de concurrence au sein du Marché commun en est une, je réponds archi oui, et ce n'est pas un problème d'accord de libre-échange car, quel que soit le taux de droits de douane, il faut arrêter une hypocrisie qui consiste à dire : loin des yeux, loin de ma conscience environnementale ou nutritionnelle. Mais ce serait vous mentir, monsieur le député, que d'affirmer qu'il suffit que la France en décide autrement. J'adorerais que ce soit le cas, mais le fait est que ce n'est pas aussi simple. Je crois que, même avec vos racines communistes, vous voyez bien que la question ne relève pas uniquement du niveau national ni même du niveau européen, mais aussi de l'OMC, de même que vous voyez bien les avantages que le monde agricole retire de sa capacité à exporter.

Je conclurai en soulignant qu'il y a quelque chose d'aberrant dans le fait que les règles européennes se fixent depuis toujours comme angle la protection du consommateur européen pour interdire ou non un produit en fonction de son impact sur sa santé ou sur son environnement, mais sans se préoccuper du reste du monde alors que les choses ont changé. Ainsi, en détruisant l'Amazonie par une production qui ne respecte pas nos standards, l'on détruit l'environnement au Brésil mais aussi en Europe. Voilà ce qu'il faut faire changer. Tous les pays sont évidemment impliqués sur ce point à des degrés variables mais, je le redis, c'est pour moi vraiment la mère des batailles. Nous allons progresser fortement sur ce point durant la présidence française.

Nous enregistrerons prochainement nos premières victoires, notamment avec un acte délégué sur les antibiotiques, et je salue la filière bio qui a fait avec mon ministère un gros travail, en particulier la Fédération nationale bovine et la Fondation Nicolas Hulot sur le plan de l'analyse juridique. Il faut absolument en faire un enjeu politique majeur : ce n'est pas de l'ostracisme, c'est prendre conscience que si on veut accélérer notre transition, cela doit se faire avec des règles justes et équitables pour le commerce international. Il existe déjà un cap à suivre, le Codex Alimentarius, mais je ne suis même pas sûr que quelqu'un le connaisse dans cette salle, c'est dire sa portée… Il faut donc aller beaucoup plus loin, notamment dans le cadre de la revue des politiques commerciales européennes.

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Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation

On est en train de finaliser les maquettes, je vous en dirai plus dès que je saurai, monsieur Chassaigne.

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Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation

Non, ce ne sera pas encore finalisé malheureusement.

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Prochaine séance, ce soir, à vingt-deux heures :

Questions sur la stratégie de réouverture des lieux de culture dans le cadre de la pandémie de covid-19.

La séance est levée.

La séance est levée à vingt heures quarante-cinq.

Le directeur des comptes rendus

Serge Ezdra