« La crise sanitaire a fait basculer un million de Françaises et de Français dans la pauvreté » : voilà ce que titrait le journal Le Monde le 6 octobre dernier. Ce titre n'est pas sensationnel. C'est plutôt le reflet d'une réalité terrible : la crise sanitaire a accéléré la paupérisation de notre société. Sept mois plus tard, nous apercevons désormais avec espoir le bout du tunnel. Cependant, la vague de précarité qui frappe de nombreux foyers est quasiment inédite. Soyons lucides : qui, sur ces bancs, pourrait croire un seul instant que la situation se soit améliorée depuis octobre dernier ?
Tout au long de la crise sanitaire a été menée – et se poursuit – une action gouvernementale de lutte contre la précarité. Dont acte, monsieur le secrétaire d'État. Je pense notamment à l'aide de 900 euros attribuée à 400 000 travailleurs précaires, et aux repas des centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires (CROUS) à 1 euro pour les étudiants. Toutefois, la précarité est un iceberg dont je crains que nous ne traitions, aujourd'hui, que la face émergée. Prenons l'exemple des étudiants : oui, ils peuvent bénéficier de deux repas à 1 euro par jour, mais beaucoup de restaurants universitaires ne sont pas ouverts le soir. Et que répondre aux nombreux étudiants qui n'habitent pas dans une métropole : qu'ils doivent prendre leur voiture et faire des kilomètres – avec les frais d'essence que cela induit – pour bénéficier d'un repas ?
Un jeune sur six a arrêté ses études du fait de la crise. Qu'avons-nous à lui répondre ? Du fait de la destruction des emplois, 22 % des jeunes de 18 à 25 ans sont désormais au chômage – qu'avons-nous à leur répondre ? Depuis le début de la crise, notre jeunesse attend des réponses concrètes et rapides du Gouvernement. Permettez-moi de relayer l'appel que m'ont lancé des étudiants de ma circonscription, située dans les Yvelines, notamment lors de rencontres que j'organise régulièrement, en visioconférence, avec ceux qui fréquentent l'université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines : « Ne nous laissez pas tomber ! Que deviendront nos diplômes et nos stages, notamment à l'étranger ? » Voilà ce qu'ils nous disent.
Le traitement gouvernemental de la précarité reste contextuel, alors que le problème est plus ancien et plus profond. Comme l'indiquait le ministère des solidarités et de la santé, près de 7 millions de personnes ont eu recours à l'aide alimentaire pour se nourrir en 2020, soit un Français sur dix. Déjà, ils étaient près de 5,5 millions en 2019. Les banques alimentaires, sur le terrain, sont le témoin direct de la crise et de la précarisation croissante : les produits s'écoulent plus rapidement, et les besoins sont plus importants – c'est en tout cas ce que me disent les responsables locaux de ma circonscription à Saint-Cyr-l'École, Bois-d'Arcy, Élancourt et, surtout, à Trappes. Les associations sont en première ligne ; il faut leur rendre hommage. Elles pallient, parfois seules, les nombreuses défaillances engendrées par la crise. La mobilisation des bénévoles est sans faille – et l'État, qu'a-t-il fait pour ne pas laisser les associations agir seules et isolées ? Les a-t-il au moins écoutées ? Des solutions existent, et sont plébiscitées par les acteurs de la solidarité dans nos territoires : le relèvement des bas revenus permettrait, par exemple, de combattre la précarité alimentaire en France. Le Gouvernement en aura-t-il le courage ? Je l'espère.
À ce stade, comment ne pas évoquer la question du travail ? Il est vrai que notre modèle social a protégé du pire une majorité de la population, qui n'a subi aucune baisse ou presque de revenus pendant les périodes de confinement. Or, pour la minorité restante, les conséquences sont parfois dramatiques. Pensons aux non-salariés des secteurs sinistrés du tourisme, de la culture, de l'événementiel et de la restauration, mais aussi aux artisans et aux commerçants en général, qui se sont trouvés sans ressources du jour au lendemain, tout comme les personnes en emploi précaire qui n'avaient pas assez cotisé pour être indemnisées par l'assurance chômage. La crise a renforcé la précarité et, surtout, les inégalités. On compte aujourd'hui 3 millions de chômeurs de longue durée, chiffre historiquement haut. Face à la crise, la fameuse antienne du « quoi qu'il en coûte » ne doit pas être l'alpha et l'oméga de la réponse publique en matière de soutien à l'activité économique. Nous devons dès maintenant nous projeter dans l'avenir, avec un vrai plan de relance de l'activité qui ne laisse personne au bord du chemin.
Enfin, j'aurai une pensée pour nos aînés : nombre d'entre eux sont plus isolés que jamais, parfois en pleine détresse morale. Ne les oublions pas. L'isolement est une triste réalité, peut-être la plus délaissée.
Bientôt viendra le moment de tirer au calme les leçons de la crise. À cet instant, il ne faudra oublier ni nos morts, ni les formidables élans de fraternité et de solidarité que nous avons vus jaillir dans tous les territoires. La crise est un accélérateur de l'histoire, ne l'oublions pas. Notre construction devra se faire avec humilité, sur le roc de la vérité, et non sur les sables mouvants de l'autosatisfaction. Léon Gambetta disait : « L'avenir n'est interdit à personne. » Le risque est grand que s'ouvre, dans notre société, une fracture économique et sociale d'une ampleur inédite, dont l'issue pourrait être délétère pour l'avenir de notre pays et pour les prochaines générations.