La terrible crise sanitaire que notre pays traverse depuis plus d'un an a affecté significativement nos concitoyens : sur le plan sanitaire bien sûr, avec une surmortalité qui a plongé de trop nombreuses familles dans l'affliction, et pour les personnes qui se sont remises de la maladie, des séquelles parfois très importantes ; sur le plan psychologique, avec des conséquences que l'on ne mesure pas encore complètement ; sur le plan économique et social, avec de nombreux secteurs économiques qui ont été touchés.
De surcroît, nos concitoyens n'ont pas été égaux devant la maladie. Plusieurs études ont montré en effet que les plus modestes et les précaires ont été davantage touchés par la maladie. On le voit encore aujourd'hui avec la baisse moins rapide du taux d'incidence dans les départements franciliens de Seine-Saint-Denis, du Val-de-Marne et du Val-d'Oise. Plusieurs études ont récemment démontré que les habitants des quartiers défavorisés avaient été plus touchés – et plus spectaculairement touchés – par le virus. Plus choquant encore : lors de la première vague, la mortalité avait été deux fois plus élevée chez les personnes nées à l'étranger.
Au-delà de cette première inégalité en matière sanitaire, on a constaté également que la crise creusait les inégalités sociales. On l'a vu avec l'exemple frappant des étudiants privés de leurs petits boulots, isolés et confrontés à une grande détresse.
Les pertes de revenus lors du premier confinement ont, selon une enquête de l'INSEE parue le 8 avril dernier, touché un quart des ménages – 35 % des 10 % des plus modestes. L'INSEE relève aussi que 300 000 emplois ont été détruits entre décembre 2019 et décembre 2020, ce qui a touché d'abord les intérimaires, les personnes en contrat à durée déterminée et les saisonniers, éternelle variable d'ajustement de l'économie.
Les files d'attente aux distributions alimentaires ont frappé l'opinion et toutes les associations font état de la hausse spectaculaire du nombre de bénéficiaires : plus 45 % au Secours populaire, plus 30 % aux Restos du cœur, dont beaucoup de nouveaux qui affluent sans discontinuer depuis mars 2020.
Les semaines de confinement total ou partiel ont rendu plus visibles les inégalités et creusé l'écart déjà abyssal qui sépare les conditions d'existence des Français, en raison de l'essor des formes atypiques d'emploi.
À propos des jeunes, on pourrait presque parler de « génération covid sacrifiée ». Or il faut leur assurer une sécurité de revenus sous la forme du RSA jeunes ou de la garantie jeunes, comme l'ont proposé récemment mes collègues Boris Vallaud et Hervé Saulignac.
Il est frappant que l'État ait d'abord pensé à protéger les salariés stables par des mesures de chômage partiel, avant de débloquer dans un second temps des aides exceptionnelles pour les allocataires des minima sociaux ou les étudiants boursiers, comme si ces publics étaient moins visibles.
Les plus précaires ont également souffert de la fermeture des services publics et de leur numérisation accélérée. L'INSEE rappelle que 18 % des ménages français n'ont pas d'ordinateur – taux qui grimpe à 30 % chez les 10 % les plus modestes – et que 14 % n'ont pas de connexion à Internet.
Un récent rapport du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale avance des hypothèses pour l'après-crise. Les économistes n'anticipent malheureusement pas un retour au niveau d'activité antérieur avant 2022 et craignent les effets à long terme du chômage sur l'endettement des ménages – loyer, charges impayées –, ce qui constitue pour la Fondation Abbé-Pierre une bombe à retardement.
Le premier confinement a certes montré que l'économie pouvait rebondir, mais cela rend peut-être trop optimiste. Le chômage de longue durée, par exemple, se situe à un très haut niveau. Les effets psychosociaux peuvent se faire sentir à travers le décrochage scolaire, une recrudescence de certaines addictions comme le jeu ou l'alcool, et bien sûr les violences intrafamiliales.
Pour toutes ces raisons, il nous semble indispensable de lancer en faveur des plus fragiles de nos concitoyens des actions fortes qu'il faudrait financer par de nouvelles ressources fiscales afin d'aboutir à une meilleure redistribution. Même le fonds monétaire international (FMI), par la voix de son responsable des affaires budgétaires, a récemment incité les États à faire payer un impôt de solidarité par les hauts revenus et les entreprises ayant prospéré pendant la crise. Le Gouvernement est attendu sur ce terrain ; c'est une question d'équité autant que d'efficacité économique.