« La Pauvreté démultipliée » : c'est le nom du rapport que le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale remettra prochainement au Premier ministre. Ce rapport confirme les alertes lancées depuis le début de la crise sanitaire. Celle-ci est devenue, du fait de l'action du Gouvernement, une crise économique et sociale majeure qui a frappé de plein fouet des publics déjà en situation de pauvreté et qui en a fait basculer d'autres dans la précarité. Les pertes de revenus ont touché un quart des ménages mais 38 % des plus modestes. En un an, 300 000 emplois ont été détruits, à commencer par ceux des intérimaires et des saisonniers, éternels variables d'ajustement de l'économie.
Saluons les perfusions de l'État, qui auront eu le mérite de sauver ce qui pouvait l'être. Oui, l'État a sauvé temporairement des pans entiers de l'économie, au prix d'une dette Covid qui devra un jour être remboursée – par combien de générations futures ? Ces générations, ce sont elles, les grandes oubliées, les grandes sacrifiées. Je pense notamment à la jeunesse, aux étudiants auxquels les décisions prises par ce gouvernement ont fait perdre leurs emplois, emplois très souvent précaires quand ils ne sont pas informels. Ces jeunes étaient les plus précaires avant la crise et ces décisions les ont bien souvent plongés dans une précarité encore plus profonde.
Parlons-en de l'aide que vous avez octroyée aux jeunes et aux étudiants : 150 euros pour passer ces mauvais jours – 150 euros, mes chers collègues, quand leurs ressources sont tombées à zéro : je vous laisse calculer avec combien ces jeunes doivent survivre. Si vous dites que c'est assez, alors expliquez-nous pourquoi il y a encore des files d'attente devant les banques alimentaires : peut-être parce que payer un euro un repas au CROUS, c'est encore trop lorsque l'on n'a plus rien. Et si vraiment tout va mal, on fera un chèque, un « chèque psy ». C'est tout d'abord ne rien comprendre à la souffrance psychique et cela ne répond pas à l'urgence.
L'urgence ce n'est pas agir dans le futur, c'est agir maintenant. Nous attendons encore un véritable plan Marshall de lutte contre la précarité des plus fragiles. Malheureusement nos propositions et celles d'autres collègues de l'opposition sont restées lettre morte : quid de l'ouverture du RSA aux moins de 25 ans, que le Gouvernement s'obstine à refuser encore et encore ? Quid d'une réelle aide entre la fin des études et le premier emploi ?
Une telle aide existe aujourd'hui, mais elle est insuffisante et méconnue : insuffisante car d'une durée de quatre mois maximum et d'un montant de seulement 70 % de la bourse initiale. Pour qui sait que le montant moyen d'une bourse en France est de 362 euros par mois, cela signifie que vous demandez à ces jeunes de vivre avec 250 euros par mois, le temps de trouver un hypothétique emploi.
Les efforts consentis par le Gouvernement sont malheureusement teintés d'un solutionnisme administratif et technocratique qui ne prend pas en compte les difficultés réelles dans lesquelles se trouve la jeunesse. Le groupe Libertés et territoires ne peut donc que vous inviter à agir davantage contre le non-recours, c'est-à-dire le fait de ne pas bénéficier d'une prestation ou d'une aide sociale à laquelle on est éligible. Rappelons enfin que les salariés modestes, ouvriers et employés ont, malgré l'aide de l'État, subi d'importantes pertes de revenus. La lutte contre la précarité doit donc passer par un soutien massif à ces classes dites moyennes, qui passent bien souvent sous tous les radars, finissant par tomber dans la spirale de la précarité.
Vous l'aurez compris, le groupe Libertés et territoires ne nie pas les efforts consentis par le Gouvernement, mais l'honnêteté nous oblige à dire que ces mesures sont largement en-deçà des besoins réels. Dans un tel contexte, la temporalité des décisions nous interroge : si le soutien aux entreprises stables a été massif et immédiat, ce n'est que dans un deuxième temps que les aides ont été débloquées pour les plus précaires et de manière exceptionnelle – sans parler de l'anachronisme d'une réforme de l'assurance chômage totalement à rebours des défis qui attendent les Français dans les prochains mois, voire les prochaines années.
Nous sommes à l'aube d'une crise majeure et sans précédent, que le Gouvernement feint de ne pas voir. Chers collègues, monsieur le secrétaire d'État, il vous faut prendre dès à présent la mesure de la bombe à retardement qui nous attend.