Les grandes crises ont tendance à mettre en lumière les limites, voire les échecs des théories économiques dominantes, celles qui sont assénées comme des vérités : théorie du ruissellement ; réformes structurelles présentées comme des instruments de modernisation, mais qui visent moins à réduire le poids de l'État qu'à augmenter celui du marché ; baisse des impôts de production qui favoriserait la compétitivité ; réduction des droits des chômeurs censée encourager l'emploi. Tout cela n'a évidemment jamais eu la moindre assise scientifique sérieuse, mais maintenant ça commence à se voir.
Pourtant le Président de la République, à l'unisson du MEDEF, se gargarise d'avoir supprimé l'ISF, qu'il considère comme une aberration, traitant au passage les personnes qui appellent à son rétablissement de « patriotes au petit pied ». Le rapport de l'Observatoire des multinationales nous apprend que le CAC40 distribuera 51 milliards d'euros de dividendes en 2021, soit le budget finançant les personnels soignants des hôpitaux publics. Rappelons aussi que 100 % de ces grands groupes ont été soutenus par les pouvoirs publics par le biais de différentes aides : chômage partiel, plan d'urgence, plan de relance, soutien de la BCE – Banque centrale européenne – et j'en passe. Le CAC40 rémunère donc les actionnaires non seulement en pillant toujours un peu plus la richesse produite par les travailleurs et les travailleuses mais aussi avec de l'argent public.
En 2020, pendant que les soignants utilisaient des sacs-poubelles pour se protéger, pendant que les aides à domicile s'occupaient de nos anciens pour un salaire de misère, pendant que des intermittents de l'emploi perdaient leur droit au chômage, pendant que des étudiants venaient gonfler les rangs des banques alimentaires, pendant que des enfants manquaient de place et de matériel informatique pour suivre les cours à distance chez eux, les profiteurs de la crise, eux, continuaient d'engranger des milliards, à un rythme plus rapide encore qu'en 2019.
Les mesures en direction des plus précaires ne représentent que 0,8 % des fonds prévus dans les différents plans de relance du Gouvernement. Aucun filet de sécurité n'est prévu pour eux. Vous avez refusé d'ouvrir le RSA aux jeunes, d'assurer des droits aux intermittents de l'emploi, vous maintenez la réforme de l'assurance chômage, qui fera perdre leurs droits à des centaines de milliers de précaires, vous défendez votre réforme inique du calcul des APL – aides personnalisées au logement – et vous refusez même de repousser à nouveau la fin de la trêve hivernale des expulsions locatives. On en vient à se demander si vous ne pensez pas que les inégalités sont un mal nécessaire au bon fonctionnement de notre économie ou de notre société. Les inégalités, évidemment, ont l'effet inverse. Elles freinent la consommation et font baisser les recettes fiscales. De même, les baisses d'impôts pour les riches ne produisent pas de croissance économique.
Taxer le capital, ce n'est pas « taxer la réussite », comme l'affirme le Président de la République. Il s'agit seulement de taxer ceux qui ont profité de la crise et de tenter ainsi d'assurer l'égalité entre celles et ceux qui produisent les richesses. Ces derniers aussi aspirent à décider librement de la conduite de leur vie ; en plus, ils souhaitent le faire en fraternité, eux. À partir du moment où les revenus des milliardaires croissent beaucoup plus vite que le produit intérieur brut et les salaires, les mettre à contribution n'a vraiment rien de révolutionnaire. En revanche, ne pas le faire serait une folie.
J'ajoute que les politiques anti-sociales que vous menez, outre qu'elles étouffent les possibilités de justice sociale, ruinent les perspectives de justice environnementale. Les populations précaires sont les plus touchées par les conséquences du réchauffement climatique : elles vivent dans les lieux les plus exposés à la pollution et n'ont que peu de moyens de s'en protéger. Et ce n'est pas le greenwashing orchestré par la loi climat portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets qui fera oublier votre inaction en matière environnementale.
Victor Hugo écrivait : « Tout le monde a droit de vie ici-bas, et la mort de faim est un crime social. » Abandonnez la réforme de l'assurance chômage, agissez courageusement pour mettre fin au temps partiel subi, rétablissez l'ISF, taxez le bénéfice exceptionnel réalisé par les multinationales pendant la crise et prélevez celles-ci à la source. J'énumère ces quelques mesures, parmi les nombreuses possibles, pour que vous ne puissiez pas dire que vous ne pouvez pas. En réalité, vous ne voulez pas.