Dans son article 7, la loi de programmation militaire (LPM) de 2018 disposait que plusieurs actualisations de celle-ci seraient possibles au cours de la période 2019-2024 et qu'un ajustement devrait avoir lieu, en tout état de cause, avant la fin de l'année 2021.
La loi précise : « Ces actualisations permettront de vérifier la bonne adéquation entre les objectifs fixés dans la présente loi, les réalisations et les moyens consacrés. » La lettre est donc on ne peut plus claire.
Pourtant, le Gouvernement a décidé qu'aucun texte spécifique ne serait voté au Parlement au titre de l'actualisation. Il a même préféré ne pas organiser de débat et c'est à l'initiative du groupe La France insoumise que nous discutons aujourd'hui de l'avenir de la défense nationale. Nous reconnaissons bien là le sens de la démocratie qui caractérise la présidence Macron !
Il y a pourtant matière à débattre. Hier, en commission, vous avez observé vous-même, madame la ministre des armées, que des ajustements devraient être apportés. Cela ne justifierait-il pas de mener une discussion large et ouverte sur les besoins et les priorités de la défense nationale ? Cela ne nécessite-t-il pas de vérifier la bonne adéquation des moyens aux fins ?
Les documents qui ont finalement été transmis à la représentation nationale délivrent un seul message : tout est sous contrôle. On nous a fourni une liste des achats, sans véritable justification. Aucune réflexion de fond, argumentée, n'est proposée sur le format des armées. Tout au plus quelques notations éparses indiquent-elles que les effectifs devraient augmenter. Mais on se garde bien de justifier les cibles d'embauche ou d'identifier le moyen de pourvoir des postes bien souvent restés vacants ces dernières années : je pense en particulier à certains dans le domaine du cyber.
On répète le mantra du modèle d'armée complet, et l'on fait mine d'ignorer que c'est une fable. Nous savons, par exemple, que nous sommes en défaut dans le domaine du transport aérien tactique. Nous répétons aussi sans cesse que l'opération Barkhane est tributaire des appareils danois et britanniques. On sait également que la LPM, telle qu'elle est conçue, n'empêchera pas certains trous capacitaires après 2023. C'est notamment le cas dans le domaine du ravitaillement en mer, et ce le sera pour les capacités amphibies – concernant ce dernier point, nous marchons vers des déconvenues, dans la mesure où le matériel en question est particulièrement utile pour aider les populations frappées par des catastrophes naturelles.
On trouve des généralités concernant le besoin de redondance ou l'épaisseur des armées, qui constituent tout de même une nouveauté en comparaison avec le rapport annexé à la LPM. Ces notions sont en nette contradiction avec la logique d'efficience qui prévalait encore il y a trois ans. Malgré tout, on nous demande d'admettre que la trajectoire budgétaire de la LPM est conforme à cette nouvelle logique.
Il est vrai que la justification de cette trajectoire était largement artificielle : il s'agissait à toute force de hisser les dépenses militaires à 2 % du PIB – quitte à placer le plus gros de la hausse des crédits après l'élection présidentielle de 2022 –, pour obéir aux desiderata otaniens de Washington. D'ailleurs, madame la ministre, vous l'avez concédé hier en commission : la crise actuelle nous a fait atteindre ces 2 % plus tôt que prévu. Vous en avez tiré, curieusement, un argument pour qu'aucun texte ne sanctionne l'actualisation de la LPM. Peut-être est-ce par crainte de voir Bercy refuser de continuer à engager des dépenses ? Je constate, pour ma part, que la réflexion avait été biaisée. En 2018, on aurait mieux fait de réfléchir aux besoins, plutôt qu'aux plafonds de dépenses !
Parmi les grands absents de la réflexion relative à l'actualisation figurent, bien sûr, les opérations extérieures (OPEX) : encore une fois, aucun bilan n'en est fait. Il a été considéré, en 2018, que le niveau de dépenses des OPEX serait fixé à 1,1 milliard d'euros et n'en bougerait plus. Nous ne sommes toujours pas d'accord : d'une part, c'est une remise en cause du principe de financement interministériel des OPEX – vous espérez peut-être, au fil du temps, qu'on oublie qu'il a existé – ; d'autre part, nous refusons de tenir pour acquis que nos armées doivent maintenir un tel niveau d'engagement à l'extérieur, d'autant que les résultats ne sont pas concluants. Ce point détermine évidemment une très grande partie du fonctionnement de nos armées ; il affecte aussi bien la préparation opérationnelle que la régénération des matériels, soumis à une usure particulière dans le théâtre sahélien.
Pour soutenir ces missions aux effets incertains, le Gouvernement vante sa capacité à mobiliser des partenaires européens. De manière générale, l'actualisation stratégique tire un bilan positif et exagérément flatteur de la coopération avec nos partenaires. Il est pourtant alarmant que les démarches de l'Allemagne pour imposer ses vues n'appellent aucune mise au point du Gouvernement. Au prétexte d'un « partage du fardeau », objectif mesquin et de courte vue, la France laisse l'Allemagne devenir, petit à petit, une nation cadre dans le domaine militaire.
Pourtant, je rappelle souvent que celle-ci a déchiré les accords de Schwerin sur le partage des compétences dans le domaine spatial, et je dois aujourd'hui vous signaler qu'elle se positionne résolument pour être leader dans ce domaine. Elle est devenue le premier financeur de l'Agence spatiale européenne, et sa contribution lui permet d'avancer dans le segment des mini-lanceurs. Or, on apprend aujourd'hui même qu'un accord aurait été trouvé afin de notifier la commande d'un démonstrateur pour l'avion de combat du futur ! Pour mémoire, le Bundestag sera appelé à voter sur un tel projet, mais pas l'Assemblée nationale. On peine à croire que cela n'ait pas d'incidence sur l'exécution de la LPM.
De façon générale, les projets les plus structurants n'ont jamais fait l'objet d'un vote au Parlement. La création d'un commandement de l'espace ? Pas de vote ! Le fait que ce commandement soit en étroite relation avec le centre de l'OTAN – Organisation du traité de l'Atlantique nord – dédié à l'espace ? Pas de vote ! Le lancement du projet de porte-avions de nouvelle génération ? Pas de vote ! Ce projet affectera-t-il la trajectoire budgétaire de la LPM ? De quelle façon ? Est-on seulement capable de le dire précisément ? On n'en saura rien.
Il en est de même des contrats d'armements. On annonce la vente de trente Rafale à l'Égypte ; on crie « hourra ! », et on passe à autre chose. Hier, je demandais si la garantie d'emprunt que la France assurait à ce contrat, passé avec un État notoirement surendetté, pouvait avoir un impact sur l'exécution de la LPM. Vous m'avez seulement répondu que l'Égypte, jusqu'à présent, n'avait jamais fait défaut. Vous n'avez pas répondu à la deuxième partie de la question : combien ces mécanismes de garantie ont-ils coûté à l'État durant ces quinze dernières années ? Peuvent-ils affecter l'exécution de la LPM ?
Au-delà de ces considérations financières, certaines questions ne peuvent être éludées. Armer la dictature du maréchal al-Sissi, est-ce une bonne chose ? Ne pas avoir obtenu de garanties en matière de droits de l'homme ; ne pas avoir obtenu la libération de prisonniers politiques, comme Ramy Shaath, est-ce une bonne chose ? Non. Le partenariat étroit que la France, sous Emmanuel Macron, entretient avec les dictatures, n'est pas de nature à garantir durablement la sécurité des Français. Il suffit de voir la montée du sentiment anti-Français dans bien des régions. Quoi que vous en disiez, madame la ministre, tout ne peut pas être imputé à la manipulation de l'information par des puissances rivales.
Pour conclure, je rappellerai que ces dernières années, les modalités de confrontation se sont multipliées, et que leur intensité s'est accrue. Nos hôpitaux ont, par exemple, fait l'objet de nombreuses attaques informatiques. Chacun voit que la compétition pour les matières premières prend un tour critique. L'emprise que certains acteurs privés – notamment les géants de l'internet, les GAFAM – conquièrent petit à petit sur nos vies est sans précédent dans l'histoire. Elle appelle une réponse extrêmement ferme des États, notamment de la France, pour garantir nos câbles sous-marins par exemple.
La situation est très dégradée, et la pandémie de covid-19 a montré l'étendue de notre dépendance aux approvisionnements extérieurs. Les conclusions que tire l'actualisation stratégique ne sont pas à la hauteur. Comme la revue stratégique, cette actualisation sert de justification à une politique de saupoudrage et de mutualisation des moyens au niveau européen, plutôt qu'à une véritable mobilisation des ressources de notre peuple – mobilisation que permettrait notamment la conscription citoyenne défendue par La France insoumise, dans laquelle environ un quart des participantes et participants, sur la base du volontariat, seraient affectés à la défense nationale. Ce serait le meilleur garant de notre résilience et de notre indépendance face aux menaces émergentes. Observez un détail sémantique qui traduit les ambitions du Gouvernement : aux notions de souveraineté nationale ou d'indépendance, les auteurs de l'actualisation stratégique ont subrepticement substitué l'expression « d'autonomie nationale ». Quel aveu !
Je vous le dis, madame la ministre : la France n'est pas un petit État pourvu d'une certaine autonomie au sein d'une fédération européenne. C'est un État souverain, et sa souveraineté réside dans son peuple – peuple qui n'existe pas au niveau européen. Sa défense doit être indépendante, et au service de son indépendance. Elle doit non s'aligner sur aucune autre puissance, mais assumer une politique de grandeur pacifique au service de l'intérêt général humain. Tel devrait être le cap ambitieux de la LPM ; tel n'est pas le cas, et l'absence de débat et de clause de revoyure nous empêche de répondre aux enjeux de notre temps. Vous portez, avec M. le Président Macron, une grande responsabilité dans ce domaine. Aussi nous interrogeons-nous sur notre capacité à défendre les intérêts de la patrie et de ses citoyens.