Intervention de Jean-Luc Mélenchon

Séance en hémicycle du jeudi 6 mai 2021 à 21h00
Proportionnelle intégrale au scrutin législatif — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Luc Mélenchon :

…ni que nous contestons la légitimité de l'élection de qui que ce soit. La règle a été définie, les gens sont élus, ils occupent leur poste. Mais nous devons prendre conscience de l'immense glissement de terrain qui est en train de se produire et essayer d'y répondre ; c'est pour nous une affaire vitale et je pense qu'elle l'est pour beaucoup d'entre vous. Nous savons qu'il faut réagir et qu'il faut répondre à l'endroit où le problème est posé.

À quel endroit est-il posé ? Ce sont évidemment toutes les conditions générales de la société qui ont fait exploser le champ politique : des catégories sociales pulvérisées, des pouvoirs politiques dont tout le monde pense – à juste titre – qu'ils se trouvent ailleurs que dans nos hémicycles, des organisations politiques dont les liens avec les anciennes grandes plaques du pays sont rompus.

J'ai connu une période, pour la famille qui me concerne – la gauche –, à laquelle il existait un lien direct entre la représentation politique et d'amples secteurs socioprofessionnels, en particulier des syndicats ; j'ai connu une période où la droite était elle aussi articulée directement avec d'amples secteurs de la société, marqués à la fois par l'histoire et par les caractéristiques socioprofessionnelles des gens qui s'y trouvaient. Tout cela est parti en morceaux, en même temps que toutes ces catégories sociales. Nous, la gauche, avons été dévorés par la précarisation et la destruction de tous les grands statuts ; la droite, elle, l'a été par l'explosion de sa fraction libérale, car les secteurs de la société qu'elle représentait ont fini de tout émietter autour d'eux. Voilà la réalité ! C'est une histoire qui finira mal si nous n'apportons pas de réponse politique.

Entendons-nous déjà sur un mot. Dans cette affaire de proportionnelle, de quoi s'agit-il ? De faire en sorte que chaque citoyenne et chaque citoyen se dise que son bulletin de vote va servir à quelque chose, parce qu'il croit à ceci ou à cela et vote donc en conséquence, pour que des gens le représentent. Or vous savez très bien que ce n'est pas la règle du jeu actuelle ! Au premier tour, on est censé choisir un candidat, mais de nombreuses personnes pensent que cela ne sert à rien parce qu'au deuxième tour, de toute façon, on ne fait plus qu'éliminer. Ils sont donc nombreux à se dire que tout ça ne sert à rien et on comprend mieux pourquoi, une fois qu'ils ont voté aux élections présidentielles, ils ne reviennent pas pour voter aux législatives – cela aurait été tout à fait inenvisageable il y a dix ou vingt ans, car les gens revenaient voter, parfois avec l'espoir de prendre une revanche.

Il y a d'ailleurs eu des circonstances où il s'en est fallu de peu pour qu'une telle revanche ait lieu. Je pense aux élections de 1967 : à une voix près, la gauche aurait eu la majorité à l'Assemblée ; elle a ensuite tout perdu un an plus tard, lors des élections de 1968. Il y avait alors une articulation directe entre la respiration du pays et sa représentation sur le plan politique. Je vais faire une comparaison qui m'est très défavorable : si tous ceux qui ont voté Mélenchon à l'élection présidentielle de 2017 étaient revenus voter pour les députés de La France insoumise qui se présentaient dans leur territoire, nous aurions été majoritaires à l'Assemblée ! En effet, le parti majoritaire – La République en marche – a obtenu moins de voix que nous n'en avions recueilli à l'élection présidentielle – moins de 7 millions. C'est la réalité !

Notre but n'est pas de faire un procès à untel ou à untel. Si nous vous rappelons les déclarations du Président de la République, c'est parce qu'il nous semble qu'elles devraient vous convaincre plus facilement que ce que nous disons. S'il vous disait cela à l'époque, c'est qu'il avait une bonne raison de le faire ! En octobre 2016, il disait que « la réforme de notre mode de scrutin » était « une nécessité » ; il a ajouté – Alexis Corbière l'a cité tout à l'heure – vouloir introduire « une dose de proportionnelle dans l'élection du Parlement, afin que toutes les sensibilités y soient justement représentées. » Ce n'est pas à vous, collègues, que je vais apprendre à quel point le mot « justement » est ambigu, car qui décide de ce qui est « juste » et de ce qui ne l'est pas ? La preuve, nous sommes occupés à en débattre toute l'année sur tous les sujets.

Ce qui est certain, c'est ce que ce n'est pas d'une « dose » de proportionnelle dont nous avons besoin :…

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.