Intervention de Marietta Karamanli

Séance en hémicycle du lundi 10 mai 2021 à 16h00
Gestion de la sortie de crise sanitaire — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarietta Karamanli :

Je ferai trois observations, relatives à la prolongation continue de l'état d'urgence, au flou qui caractérise le projet de loi et aux problèmes juridiques qu'il pose.

Que de temps perdu, mes chers collègues ! Ce texte intervient dans un contexte particulier, après trois périodes de confinement en quinze mois. Nous aurions besoin d'avoir un débat éclairé sur les enjeux de la sortie de l'état d'urgence sanitaire, mais nous ne l'aurons pas. Je l'ai dit au printemps 2020 : face à la pandémie, rien ne s'opposait à l'application de l'article L. 3131-1 du code de la santé publique ou des dispositions de la loi de 1955. Cela n'a pas été le choix du Gouvernement. Depuis, l'Assemblée, dans sa diversité, a fait son travail pour améliorer ce régime d'exception ; tous, sur ces bancs, y ont contribué. Des propositions visaient, entre autres, à ce que les différents régimes d'urgence soient assortis de garanties comparables, comprenant une information et une saisine constantes du Parlement, ou encore un avis du Conseil constitutionnel, en s'inspirant de celui prévu par l'article 16 de la Constitution ; à ce que soit consolidée l'organisation des travaux du Parlement et renforcées ses prérogatives en temps de crise ; à ce que soit fixée une durée maximale de prorogation de l'état d'urgence sanitaire ; à ce qu'un débat parlementaire soit organisé à chaque fois qu'une rupture est constatée dans la connaissance scientifique.

Le Gouvernement n'a pris aucune de ces propositions en considération, alors qu'elles auraient pu donner lieu à un consensus. Le temps n'a pas été mis à contribution pour mieux prévoir, discuter et contrôler, et ainsi susciter la confiance des Françaises et des Français – je le regrette.

Vous avez entretenu le flou. Ce nouveau texte vise à donner au Premier ministre, du 2 juin au 31 octobre inclus, c'est-à-dire pendant cinq mois, le pouvoir de prendre des mesures « par décret […], dans l'intérêt de la santé publique et aux seules fins de lutter contre la propagation de l'épidémie ». Pour répondre à une dégradation localisée de la situation sanitaire, lorsqu'une circulation active du virus est constatée dans une partie du territoire, il pourra réglementer ou interdire la circulation des personnes et des véhicules, sauf déplacements strictement indispensables aux besoins familiaux, professionnels et de santé ; réglementer l'accès des locaux ouverts au public ; réglementer les rassemblements de personnes, les réunions et les activités sur la voie publique et dans les lieux ouverts au public. Le texte tend à préciser que l'état d'urgence sanitaire pourrait être déclaré, jusqu'au 31 octobre, dans une ou plusieurs circonscriptions territoriales déterminées, pour un délai porté à deux mois, soit un délai supérieur à celui en vigueur.

J'ai résumé tout à l'heure la philosophie du texte. Il est conçu pour prévoir une sortie de crise en l'état, en réaffirmant une délégation permanente de pouvoir à l'exécutif, autorisé à limiter les libertés publiques et individuelles. Dans le cadre d'une gestion territorialisée, le Gouvernement peut déléguer ce pouvoir au préfet. Cette disposition est critiquée depuis juin 2020, or certaines restrictions aux libertés fondamentales pourraient être maintenues plusieurs mois, sans aucune intervention de notre assemblée.

Troisièmement, je souligne l'absence de garanties, puisque l'article 1er vise à donner au Gouvernement une habilitation à réglementer, voire à interdire la circulation des personnes et l'ouverture de certains établissements. Dans le même ordre d'idées, le pass sanitaire, projet de dernière minute ajouté au texte par l'adoption en commission d'un amendement gouvernemental, nécessitera pour la première fois l'utilisation de données personnelles, comme nos collègues l'ont évoqué à plusieurs reprises.

Les amendements que nous défendrons viseront encore une fois à pallier les insuffisances du projet, qui constitue une relégation des représentants de la nation que nous sommes ; il reste flou et il comporte des risques pour les libertés individuelles et publiques. Pourtant, à ce stade, il n'y a pas d'assurance que tout a été bien pensé. Nous ne voterons donc pas ce texte. En effet, nous souhaitons exercer les responsabilités que la Constitution nous donne et que nos concitoyens trop souvent nous reprochent de ne pas assumer avec vigilance.

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