Intervention de Laetitia Avia

Séance en hémicycle du mardi 18 mai 2021 à 21h00
Confiance dans l'institution judiciaire — Discussion générale commune

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaLaetitia Avia :

La confiance ne se décrète pas. Elle ne s'impose pas non plus par la loi. Cela a souvent été dit ce soir, et c'est vrai. Ce n'est pas parce que nous aurons voté une loi pour la confiance dans l'institution judiciaire que dès le lendemain, les 50 % de nos concitoyens qui expriment de la méfiance, voire de la défiance, envers la justice changeront d'avis comme par magie.

Nous le savons pertinemment, mais nous savons aussi que si nous ne faisons rien, cette méfiance n'ira que crescendo. Il faut entendre ce que nous disent nos concitoyens et observer la justice de leur point de vue, avec leur regard, leur vécu, leurs a priori. Nous pourrons ainsi comprendre ce qui crée tant de distance entre les Français et leur justice et y remédier, par petites touches de bon sens, pour poser les fondations, combler les trous et créer les conditions d'une confiance renouvelée.

Nous devons donc entendre ce qu'expriment nos concitoyens quand ils nous disent qu'ils ne comprennent pas la justice et son fonctionnement. Procureur, partie civile, réquisition, mise en délibéré : que l'on soit victime ou mis en cause, on peut se sentir dépossédé d'une procédure dont on découvre les us et coutumes.

Si l'on n'est pas partie au procès, c'est encore pire, car on ignore ce qui se passe derrière les murs des palais de justice. La publicité des débats est certes de droit, mais elle est aussi théorique et réservée à ceux qui sont déjà du sérail ou aspirent à l'être. L'autorisation de filmer les audiences et de les diffuser dans un format pédagogique répondra à cette attente.

Nous devons aussi entendre ceux qui nous disent que les enquêtes sont trop longues, prendre en considération le sentiment d'injustice ressenti par ceux dont les affaires sont exposées au tribunal médiatique ou sur les réseaux sociaux sans qu'ils disposent des moyens équitables pour se défendre. L'encadrement des enquêtes dans le temps et le rééquilibrage des droits de la défense répondront à cette attente.

Nous devons entendre les cris d'alerte répétés de ceux qui luttent contre la correctionnalisation des viols. Comment avoir confiance en un système judiciaire dans lequel un violeur n'est jugé que pour un délit d'agression sexuelle, la victime l'ayant accepté pour éviter la lourdeur et la pression du jury populaire des assises ? La généralisation des cours criminelles départementales répondra à cette attente.

Nous devons entendre la stupéfaction de nos concitoyens lorsqu'ils réalisent que sitôt la peine de prison prononcée, le condamné sait qu'il ne l'effectuera pas entièrement. À quoi bon prononcer des peines dont on sait qu'elles ne seront pas pleinement exécutées ? Comment avoir confiance en un système dans lequel la réduction de peine est déjà acquise, et non pas conditionnée aux mérites et aux efforts ? La suppression des réductions de peine automatiques répondra à cette attente.

Nous devons entendre les interrogations légitimes concernant l'efficacité de la prison face au taux de récidive. Si la peine de prison est avant tout une sanction, elle doit aussi favoriser la réinsertion. Il doit y avoir un avant et un après. Si la prison n'est qu'une parenthèse dans la vie du délinquant, celui-ci récidivera. La création d'un code pénitentiaire, le renforcement du travail en détention et l'ouverture de droits sociaux pour les détenus contribueront à répondre à cette attente. La mise en œuvre de ces dispositions est pour une grande part entre vos mains, monsieur le garde des sceaux, d'abord parce qu'il s'agit de voter une habilitation, mais aussi parce qu'il faudra aller chercher, sur le terrain, dans chaque territoire, les entreprises qui accepteront de donner du travail aux détenus.

Enfin, la confiance dans l'institution judiciaire passe par la confiance dans ses professionnels du droit. Nous devons entendre qu'un justiciable qui formule des réclamations contre un professionnel puisse être désarçonné par les conditions d'entre-soi dans lesquelles sa plainte sera traitée. L'instauration d'un code de déontologie et l'échevinage des instances disciplinaires répondront à cette attente.

En commission des lois, nous avons voté de nombreux amendements constituant de réelles avancées dans ce projet de loi déjà ambitieux. Plus de 100 amendements de fond ont été votés, ce qui est assez inédit. Nous n'étions pas d'accord sur toutes les modalités, mais nous l'avons au moins été sur les objectifs à atteindre.

Si le débat fut d'une telle qualité, c'est, je crois, en raison de la conjugaison de deux facteurs. D'une part, nous pouvons saluer le garde des sceaux, sa grande écoute, son ouverture et sa disponibilité. Monsieur le ministre, vous avez permis l'aboutissement des travaux conduits par certains de nos collègues depuis de nombreux mois, voire depuis le début de leur mandat, et même parfois avant – n'est-ce pas, monsieur le rapporteur ?

Dans leur grande majorité, d'autre part, les hommes et les femmes ici présents aiment profondément la justice et y sont très attachés, qu'il s'agisse de l'institution, de celles et ceux qui la composent ou de ses lieux, ses murs, ses mots, son histoire. Nous ne pouvons nous résoudre à ce que tant de nos concitoyens ne partagent pas cet attachement. C'est cette volonté sincère qui guidera nos débats durant les prochains jours pour que notre confiance en la justice soit largement partagée par tous nos concitoyens.

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