Intervention de éric Dupond-Moretti

Séance en hémicycle du mardi 18 mai 2021 à 21h00
Motion de rejet préalable (projet de loi ordinaire) — Article 1er

éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice :

Je suis évidemment défavorable aux amendements de suppression qui ont été déposés. Je vais essayer d'être le plus clair possible. Tout d'abord, on excipe d'une décision du Conseil constitutionnel, alors que ce dernier avait été saisi pour se prononcer sur la constitutionnalité de l'interdiction d'enregistrement qui existe actuellement. Vous me concéderez que cela n'a strictement rien à voir avec ce dont nous discutons. Au passage, puisque l'on évoque le Conseil constitutionnel, je vous ferai remarquer que ses audiences sont filmées.

Évidemment, un certain nombre de questions se posent. Monsieur Brindeau, il y aura bien sûr un cahier des charges. Je me suis déjà exprimé à ce sujet : je souhaite que ce soit le service public qui soit en charge de la diffusion des films sur la justice. Il y aura donc un cahier des charges, et la Chancellerie sera très exigeante. Vous avez peur du trash, mais le trash, c'est ce qui se passe aujourd'hui – j'y reviendrai dans un instant.

Concernant la sincérité des débats, il faudra que tout le monde s'adapte. Tous les avocats et les magistrats présents dans cet hémicycle pourraient vous dire qu'une audience sans public n'est pas la même que s'il y en avait un. De même, une audience avec 20 personnes qui y assistent n'est pas la même que celle qui aurait lieu, comme dans certaines salles, devant 400 personnes, laquelle serait encore différente si des journalistes de la presse locale étaient présents. Et s'il s'agit de la presse nationale, l'audience n'est pas non plus la même.

Le dispositif reposera sur des caméras, et nous exigerons qu'elles soient discrètes. Je veux d'ailleurs vous dire qu'un certain nombre de procès ont d'ores et déjà été filmés. Il s'agit bien sûr des procès historiques, mais, il y a longtemps, d'autres types d'autorisations ont aussi pu être accordés. On a parlé de la réalisation de Depardon. On oublie peut-être le documentaire sur la justice – de l'enquête préliminaire au jugement devant la cour d'assises – réalisé par Daniel Karlin et Tony Lainé, qui est un petit bijou de pédagogie.

Dans toutes les démocraties, le principe est tout de même celui de la publicité des débats. Dans les États totalitaires, il n'y a pas de publicité – on la craint. Il est très important de ne pas craindre la publicité telle qu'elle résultera des films sur la justice. Comme nous l'évoquerons tout au long de nos débats, nous avons vraiment pris toutes les précautions possibles concernant le droit à l'image, l'anonymisation, le fait que ne pourront être diffusées que les affaires définitivement jugées, sans créer aucune interférence malsaine avec le vrai procès, ou encore que la diffusion du film sera suivie d'explications, etc.

On me reproche d'avoir inscrit cette disposition à l'article 1er . Concédez-le : il faut bien qu'il y ait un article 1er . Pourquoi l'avoir fait dès le premier article ? En réalité, j'ai d'emblée voulu montrer qu'on critique très souvent âprement et sévèrement la justice parce qu'on ne la connaît pas. Vous avez repris, monsieur Gosselin, un des exemples grâce auxquels j'ai tenté d'illustrer mon propos. Si vous demandez à un gamin comment on appelle, en France, le président de la cour d'assises, il y a fort à parier qu'il vous réponde « votre honneur ». S'il regarde un film sur la justice, il saura qu'on utilise la formule « monsieur le président ». Nous n'avons rien à craindre de cela.

Je voudrais revenir rapidement sur la paranoïa, si j'ose dire, de la France insoumise qui voit dans le dispositif une façon pour le garde des sceaux de chapeauter la justice, de lui tenir la bride courte. Cela n'a aucun sens. Comme nous allons l'écrire dans la loi, car cela me paraît utile et nécessaire, il y aura un double système : la Chancellerie proposera et les chefs de juridiction disposeront. Cela ne paraît pas très compliqué.

Nous l'écrirons dans le cahier des charges, je m'y engage devant la représentation nationale : ce dispositif ne concerne pas forcément les grands procès médiatiques, qui sont déjà largement couverts. Il faut d'abord aller voir dans les territoires comment la justice est rendue à tel endroit ou à tel autre dans le cadre de petites affaires – ne prenez pas mal cette expression, je sais bien qu'il n'y a jamais de petites affaires pour ceux qui les vivent.

Certaines affaires permettraient de développer des thématiques particulières. Par exemple, si une expertise ADN est déterminante dans un procès, ce sera l'occasion d'aborder ce thème en offrant à nos compatriotes l'éclairage de vrais experts, et non celui des experts à Miami, monsieur Gosselin. Pourraient ainsi être présents sur le plateau un magistrat et un enquêteur qui expliquerait ce qu'est devenue la police scientifique. On pourrait expliquer ce qu'est l'ADN et se demander s'il s'agit ou non de la reine des preuves. Autant d'éléments passionnants qui vont captiver nos concitoyens : on ne peut pas avoir peur de cela !

Quand on parle de la justice à la télévision, on a parfois un plateau sur lequel on trouve un ancien président de cour d'assises qui parle d'un dossier sans avoir lu un seul procès-verbal. Il est assisté d'un policier à la retraite qui, lui non plus, n'a pas lu de procès-verbal et d'un avocat qui n'a rien d'autre à faire que de venir parler d'une affaire qui n'est pas la sienne.

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