Mes chers collègues, après une première série d'auditions durant lesquelles nous avons entendu les organisations syndicales d'Alstom, de General Electric, de STX, de Nokia et d'Alcatel Submarine Networks (ASN), et avant de recevoir les dirigeants actuels et passés de ces entreprises, nous avons le plaisir d'accueillir deux grands journalistes, M. Jean-Michel Quatrepoint et M. Pascal Gateaud, qui nous permettront de prendre un peu de recul sur notre sujet.
Je précise que ni l'un ni l'autre ne sont liés aux entreprises françaises objets des travaux de notre commission d'enquête. De même que certains économistes ou grands industriels que notre commission recevra prochainement, nous entendons M. Quatrepoint et M. Gateaud afin de bénéficier d'un regard plus distancié, lié à leur expérience professionnelle, sur les sujets qui nous intéressent.
M. Quatrepoint a été journaliste au Monde avant de diriger plusieurs rédactions, notamment celles de l'AGEFI puis de La Tribune. M. Gateaud dirige la rédaction de L'Usine Nouvelle, une des très rares publications réellement spécialisées dans l'industrie, qui, chaque semaine, réaffirme sa confiance dans le devenir de l'industrie française en mettant de plus en plus l'accent sur le défi des nouvelles technologies.
Jean-Michel Quatrepoint a écrit de nombreux ouvrages, dont le plus récent, au titre très explicite : Alstom : un scandale d'État. Le thème d'un autre de ses ouvrages, publié en 2014, n'est pas, non plus, étranger à notre sujet puisqu'il s'intitule : Le Choc des empires, États-Unis, Chine, Allemagne : qui dominera l'économie-monde ? À propos de l'accord de 2014 entre Alstom et General Electric, M. Quatrepoint parle d'une véritable « liquidation de l'industrie française ».
Pascal Gateaud a sans doute une perception différente des événements. Il nous dira cependant s'il est judicieux de parler d'un « Airbus de la navale », d'un « Airbus du rail » voire d'un « Airbus du parapétrolier ».
Messieurs, en tant qu'observateurs attentifs des milieux industriels français, vous nous direz quelles ont été les fautes éventuelles ou les défaillances des managements des groupes concernés – en l'occurrence Alcatel, Alstom et les chantiers navals, ces membres d'une même famille qui a explosé en vol, il y a maintenant quinze ou vingt ans, sur la décision d'un dirigeant. Je crois que, sur ces sujets, vous vous rejoignez pour constater un certain nombre d'erreurs.
Les interrogations de notre commission d'enquête ne relèvent pas d'un protectionnisme d'un autre âge ; mais il paraît légitime de s'interroger sur les règles du jeu au sein de l'Union européenne pour laquelle la supériorité évidemment assignée aux principes de la concurrence a abouti à marginaliser toute vision de politique industrielle.
Concernant les États-Unis, l'utilisation des procédures judiciaires à l'égard de groupes étrangers sert clairement les intérêts de grandes entreprises américaines. Souligner ce fait, comme M. Quatrepoint dans son livre sur Alstom, ne signifie pas que l'on succombe au « complotisme » : cela décrit une réalité que les Français méconnaissent profondément et sur laquelle la représentation nationale a peu travaillé – même si, en octobre 2016, l'excellent rapport d'information de Mme Karine Berger et de M. Pierre Lellouche sur l'extraterritorialité de la législation américaine apportait un éclairage précis sur les effets de ces politiques anticorruption.
Conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, je vous demande maintenant de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.