Le 22 décembre 2014, Alstom conclut le fameux accord avec le département de la justice américain. Je ne sais pas si vous avez vu la vidéo où le ministre de la justice américain annonce qu'une amende de 772 millions va être infligée en précisant qu'elle devra évidemment être payée par Alstom et non par General Electric comme on avait pu le croire un moment. La vice-ministre de la justice prend ensuite la parole et l'on entend cette phrase hallucinante : « Désormais, on pourra se reposer sur General Electric pour fliquer le comportement d'Alstom ». « Fliquer » : le mot est fort !
Pour son documentaire L'anti-corruption, l'arme fatale américaine, la journaliste Emmanuelle Ménage s'est rendue par deux fois aux États-Unis et a pu, à l'issue de son enquête, établir que General Electric avait été tenue au courant de toutes les étapes de l'enquête menée par le DOJ. L'entreprise connaissait parfaitement le contenu de l'accord et savait notamment qu'Alstom n'avait pas la trésorerie suffisante pour faire face à l'amende colossale de 1,5 milliard de dollars dont elle était menacée initialement. On peut donc parler d'une relative collusion entre le département américain de la justice et General Electric.
Cette affaire pose clairement la question : pourquoi la France n'a-t-elle pas pris conscience plus tôt de cette offensive que mènent les Américains à travers leur droit dont ils se servent pour appliquer leurs normes au monde entier ? Pourquoi a-t-il fallu attendre la loi Sapin II pour mettre en place des règles anti-corruption en France ?
Je vous mets en garde : la prochaine étape sera la mise en cause d'Airbus. Le groupe se trouve pris exactement dans le même processus que les trois entreprises que j'ai citées. Nous en sommes au stade où Tom Enders s'est auto-dénoncé à la justice britannique et à la justice française, en espérant échapper à une offensive du département de la justice américain en vertu de la règle qui veut qu'on ne puisse être poursuivi pour le même motif dans plusieurs pays différents. À ceci près qu'il semblerait que le Serious Fraud Office britannique travaille toujours main dans la main avec le DOJ… Certains prétendent même qu'ils se partagent les amendes à parts égales – mais cette affirmation demande à être vérifiée. Vous pourriez d'ailleurs poser des questions à ce sujet puisque vous avez le pouvoir d'obtenir des réponses.
Nous en sommes au stade où Airbus a fait entrer plusieurs cabinets anglo-saxons pour préparer les dossiers de défense ; ils ont donc accès à tous les documents. Les avocats disent qu'ils ne sont pas obligés de transmettre les informations au gouvernement américain, mais les Big Four, c'est-à-dire les quatre plus grands cabinets d'audit internationaux, y sont obligés. Airbus est dans une situation telle qu'il n'a plus rien de secret. De surcroît, tous les agents commerciaux ont été liquidés, ce qui est source de grandes difficultés car de multiples procès sont en cours. Le DOJ commence à vouloir se saisir de l'affaire. Et s'il le fait, cela posera un énorme problème. Je ne sais pas comment Angela Merkel et Emmanuel Macron vont réagir.
Nous portons une responsabilité collective. Fort heureusement, il y a des choses qui marchent. Peut-être pourra-t-on parler de solutions à apporter. Il y a encore des choses sauvables, y compris chez Alstom. Il y a une politique industrielle à mener dans les semaines et les mois qui viennent. Pour le reste, cela relève de décisions horizontales.
Il faut croire en notre industrie car il n'y a pas d'économie moderne sans industrie, numérisée bien sûr, et sans actifs industriels.