Il serait un leurre de penser que la France va devenir une « Start-up Nation » comme Israël – qui n'est d'ailleurs pas que cela. Il faut bien entendu favoriser le développement des start-up en France et on a pour cela des avantages dans ce pays : nous avons une école de mathématiques et des grandes écoles, nous formons des gens compétents en matière de cryptographie, de cybersécurité et de numérique. Il était nécessaire de structurer des outils, de développer une marque collective et de faire des efforts – on l'a fait, c'est très bien. Demain, ce n'est plus au « Mondial de l'automobile » de Paris, au salon de Genève ni au salon de Francfort que les constructeurs automobiles auront envie d'être et de présenter leurs nouveautés, mais au « Salon de l'électronique » (CES) de Las Vegas : c'est là-bas que seront présentés tous les développements à venir du véhicule autonome. Reste qu'il est nécessaire de maintenir des usines, ne serait-ce que pour donner de l'emploi aux gens dans les différents territoires. Le drame de notre pays, c'est le chômage massif : avant, il y avait un employeur dans n'importe quelle sous-préfecture ; maintenant, l'employeur, c'est l'hôpital et la mairie. On ne peut pas satisfaire de l'absence d'employeurs ni de « la carte et le territoire », pour reprendre le titre d'un roman fameux.
Vous avez parlé de l'inspection générale des finances. C'est peut-être un lieu commun de parler d'une surreprésentation des grands corps de l'État – notamment des X-Mines – à la tête des grandes entreprises industrielles. Comment expliquer autrement qu'on ait laissé Anne Lauvergeon se fourvoyer jusqu'au bout à la tête d'Areva ? On pouvait admettre sa stratégie de groupe intégré au départ ; mais après, elle n'a fait qu'une succession d'erreurs. Aller construire un réacteur EPR, qui n'avait encore jamais été construit, en Finlande, pays qui n'a aucune tradition de construction de centrales nucléaires, c'était prendre le risque de ne pas y arriver. Quand on sait, en plus, que pas même la moitié des plans n'était arrêtée à l'époque où l'on a vendu ce réacteur, on comprend qu'on marche sur la tête ! De même, nommer quelqu'un comme Henri Proglio à la tête d'EDF était une erreur colossale. Ajoutez Patrick Kron, et vous avez les trois personnes qui ont failli mettre par terre toute la filière nucléaire et plus largement, l'industrie énergétique française. Cette prépondérance des grands corps de l'État se perpétue parce que c'est une tradition et qu'on se place les uns les autres.
Pour ce qui est de l'anticipation par l'État des mutations économiques, nous avions effectivement auparavant des outils tels que le Plan. Nous ne sommes pas plus bêtes en France que nos voisins : nous avons tout un tas d'experts et d'économistes qui réfléchissent. Simplement, il y a un manque de continuité dans l'action de l'État qui fait du stop-and-go en permanence. Le nucléaire en est un bon exemple : comment se fait-il que dans ce pays, on ait construit à marche forcée cinquante-huit réacteurs nucléaires en une vingtaine d'années et qu'on n'ait toujours pas un mât d'éolienne offshore au large de nos côtes ? Il y en a des milliers au large des côtes allemandes, danoises et anglaises – une seule au large des côtes françaises ! Ici, on vous dit que cela fera baisser la valeur des propriétés, là, qu'on va attenter au souvenir de soldats alliés venus défendre la France, ailleurs, que cela va gêner les pêcheurs… On se moque du monde ! Si l'État était fort, s'il était stratège, il imposerait dans ce secteur des procédures telles qu'on ne mettrait pas dix ans pour poser un mât d'éolienne offshore, mais à peu près le même temps que nos voisins,.