En préambule, je souhaiterais remercier la majorité qui a soutenu cette proposition de loi en me permettant d'être devant vous ce soir ; les organisations professionnelles agricoles avec lesquelles, depuis des mois, j'écris ce texte main dans la main ; mais aussi les autres syndicats minoritaires, qui ont encore permis la semaine dernière de l'enrichir à la suite de nombreux échanges ; le Conseil d'État, pour son analyse fine du texte et ses propositions visant à parfaire sa conformité avec nos principes constitutionnels et le droit européen ; mes collègues et leurs riches contributions ; le ministère de l'agriculture et de l'alimentation, avec lequel nous avons échangé.
Je suis fier de cette proposition de loi commune : c'est tout ce travail collaboratif qui la rend légitime, adaptée, opérationnelle pour réguler l'accès au foncier agricole sur le marché sociétaire et favoriser l'installation. Même si une loi foncière d'envergure n'a pas vu le jour, notre proposition de loi témoigne de notre mobilisation pour agir sur les urgences identifiées afin de préserver notre foncier agricole. Il s'agit enfin de percer l'abcès de la réglementation qui profite aux sociétés.
En effet, la situation est grave. Entre 1988 et 2013, la surface moyenne d'une exploitation a doublé en France. Entre 1955 et 2013, le nombre d'exploitations a été divisé par cinq. Dans dix ans, la moitié des chefs d'exploitation partira à la retraite et, avec eux, adviendra le risque de voir encore s'agrandir des exploitations au détriment de l'installation de nouveaux agriculteurs, car les concentrations excessives de terres dans les mains d'un propriétaire restent en partie non contrôlées.
Tel est le constat que je dresse. Nos outils de régulations que sont les sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural – SAFER – et le contrôle de structures ne peuvent agir sur le marché sociétaire. En somme, il existe une inégalité entre personnes physiques et sociétés qu'il convient de réparer. Il y a deux poids deux mesures : si en 1960, date de création de nos actuels outils, le fait sociétaire était anecdotique, aujourd'hui il est au centre des mutations de terres puisque 60 % du foncier agricole sont détenus en sociétés et que les transmissions par le biais de cessions de parts ne cessent de croître. La Cour des comptes a révélé que ces transactions, qui étaient en 2014 au nombre de 275, représentaient, en 2018, 8 611 opérations, conduisant les magistrats financiers à adresser au Premier ministre un référé, dans lequel ils l'alertent sur « l'importance des enjeux [qui] ne s'accommode plus du statu quo ».
Le législateur a bien essayé par le passé de contrer ces pratiques mais, à chaque fois, il s'est heurté à la censure du Conseil constitutionnel. Dès lors, je me permets d'insister avant de détailler : pour qu'un dispositif de contrôle des cessions de parts sociales soit opérant, il faut qu'il soit proportionné. Celui que je soumets au débat est proportionné car il cible l'excès sans pour autant manquer d'efficacité. Il comporte un double objectif : lutter contre l'accaparement et la concentration excessive des terres dans le marché sociétaire ; agir pour remobiliser du foncier de façon à soutenir l'installation et la consolidation et à renouveler les générations d'agriculteurs.
Qui sera concerné ? Une personne physique ou morale prenant le contrôle d'une société qui possède ou exploite du foncier agricole en achetant des titres sociaux et qui détiendrait des surfaces agricoles dépassant un seuil d'agrandissement fixé localement entre une et trois fois la surface agricole utile régionale moyenne – SAURM.
Comment fonctionne le contrôle ? Premièrement, la cession de parts est déclarée, formalité qui existe déjà. En cas de dépassement du seuil, elle est soumise à autorisation préalable. Deuxièmement, les dossiers sont instruits par le comité technique de la SAFER, qui rend un avis simple au préfet. Troisièmement, plusieurs cas de figure se rencontrent : le préfet autorise la cession si le projet ne porte pas atteinte à la vitalité du territoire ; le préfet l'autorise si le bénéficiaire s'engage à libérer une surface compensatoire pour un agriculteur qui s'installe ou se consolide ; le préfet la refuse.
Ainsi, du seuil de déclenchement aux personnes contrôlées, en passant par la place de la SAFER, tout a été pensé pour que le dispositif soit efficace, adapté aux territoires et aux acteurs concernés.
En outre, permettez-moi de vous apporter des précisions sur trois sujets qui seront particulièrement commentés durant l'examen de ce texte. Non, le seuil surfacique de déclenchement du contrôle n'est pas trop haut : il sera compris entre une et trois fois la SAURM. Or le seuil d'autorisation d'exploiter est compris entre un tiers et une fois la SAURM. Pourquoi ne pas les aligner ? Le dispositif ne contrôle pas la même chose que celui des structures : nous contrôlons l'exploitation, mais également la détention, c'est-à-dire la propriété pure non cultivée. Cette fourchette est établie sur proposition des organisations professionnelles agricoles après concertation. Ce seuil est choisi pour ne pas porter atteinte à la flexibilité du marché sociétaire, qui est utile aux agriculteurs. Nous contrôlons l'excès. Il est conforme aux principes constitutionnels et européens du droit de propriété et de la liberté d'entreprendre. Le Conseil d'État nous a rendu un avis détaillé sur ce point.
Non, les SAFER ne seront pas juge et partie et leurs comités techniques sont les plus aptes à analyser les dossiers ; ils sont les parlements du foncier dans les territoires. Ils sont efficaces, opérationnels et capables d'instruire des dossiers d'une grande technicité, ce qui ne serait pas forcément le cas des commissions départementales d'orientation de l'agriculture – CDOA –, dont le fonctionnement est très inégal selon les territoires.
Jamais la SAFER ne prend la décision d'autoriser ou de refuser une cession de parts : c'est le préfet qui statue après avis détaillé du comité technique de la SAFER. Il peut ou non le suivre ; la SAFER n'est donc pas juge. Enfin, je rappelle que les SAFER sont chargées d'une délégation de service public et sont placées sous la tutelle de l'État.
Oui, nous contrôlerons les opérations familiales. Aujourd'hui, il y a un risque identifié d'exempter les opérations familiales menant à une concentration excessive. Des dérives sont constatées. Dans certains départements, quelques familles se partagent le territoire, ce qui affecte sa vitalité, mais également l'environnement.
Dans notre dispositif, certaines opérations familiales onéreuses seront effectivement contrôlées. Mais contrôler ne signifie pas interdire : si elles sont vertueuses, les cessions seront autorisées. J'insiste : le texte ne s'oppose pas à la transmission familiale, notamment car les opérations gratuites n'entrent pas dans son champ d'application, mais également car nous introduirons une exemption familiale conditionnée. C'est une mesure équilibrée qui donne la possibilité de maîtriser les cas extrêmes qui nuisent au territoire, à l'agriculture et à sa valeur ajoutée.
Pour conclure, les enjeux sont immenses afin de préserver notre modèle d'agriculture traditionnelle, la vitalité de nos territoires, la qualité de nos sols, la biodiversité et notre souveraineté alimentaire. Cela passe par une régulation de l'accès au foncier pour tous, personnes physiques et sociétés. Ce troisième outil de régulation, qui serait une première au niveau européen, entend répondre à cette nécessité, pour nos terres agricoles, pour l'intérêt général. Pas d'agriculture ni de territoires vivants sans agriculteur ; pas d'agriculteurs sans foncier agricole.