Intervention de Dominique Potier

Séance en hémicycle du mardi 25 mai 2021 à 21h00
Accès au foncier agricole — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDominique Potier :

Le combat pour le partage du foncier est l'un des combats de ma vie. Il est lié à mon attachement profond à la civilisation paysanne et rurale, ainsi qu'à mon choix en faveur d'un humanisme écologique et réaliste, lié aux enjeux relatifs au carbone, à la sécurité alimentaire, à l'emploi, à nos territoires.

Ce combat, je le connais depuis tout petit, moi qui suis fils de paysan. Je l'ai connu aussi dans mes responsabilités associatives, militantes, syndicales, comme responsable professionnel, puis comme élu local. C'est avec beaucoup de cœur que je pense l'avoir ensuite apporté dans la vie publique et le débat politique à partir de 2013.

Les années 2013 et 2014 correspondent à la loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt. Ce fut un premier écueil, étant donné que nous avons buté sur le Conseil constitutionnel. En 2016 et 2017, nous avons fait, avec le ministre Stéphane Le Foll, un nouvel essai législatif qui s'est lui aussi heurté au Conseil constitutionnel, celui-ci ayant opposé la liberté d'entreprise et le droit de propriété au bien commun.

Dans cette aventure collective, je voudrais rendre hommage à des hommes aussi géniaux qu'Edgard Pisani et François Tanguy-Prigent, qui fut un député et un ministre de l'agriculture hors du commun. Nous leur devons les lois relatives au fermage, aux SAFER, à la régulation du foncier. Tout ce qui a engendré de la prospérité agricole, c'est à eux que nous le devons. Ils ont su partager la terre pour la faire prospérer contre les rentiers et les grands propriétaires. Ils ont donné la terre aux paysans pour qu'ils entreprennent, nourrissent la France et contribuent au récit alimentaire mondial.

C'est à eux que je pense aujourd'hui et au récit de ceux que l'on a appelés les « partageux ». Je m'inscris délibérément dans cette tradition philosophique, spirituelle et politique, qui habite nos espaces ruraux de l'est à l'ouest de la France, mais qui est aujourd'hui brisée par une libéralisation qui prend des formes diverses : celle du capitalisme international, mais aussi, plus simplement, de la prédation gauloise. Sans évoquer les Chinois, les Luxembourgeois ou les Belges, il y a tout simplement la loi du plus fort sur notre sol, laquelle aboutit à la concentration des terres par l'usage, avec le travail délégué, et la propriété, par l'intermédiaire du phénomène sociétaire.

Il était donc urgent d'agir. La mission d'information commune sur le foncier agricole, que le groupe Socialistes et apparentés avait sollicitée, a jeté les bases d'une grande loi foncière adaptée à l'anthropocène, au défi alimentaire et aux enjeux écologiques que vous avez rappelés, monsieur le ministre. Je ne citerai pas le nom de tous les collègues, appartenant à tous les groupes, qui ont participé à cette mission d'information commune mais, depuis trois ans, nous frappons à la porte de votre ministère pour vous demander, ainsi qu'à vos prédécesseurs, un tel projet de loi.

En 2020, compte tenu du contexte, nous avons conclu qu'il fallait être pragmatiques. L'objectif est bien de mettre dans l'agenda présidentiel une grande réforme foncière, digne de celle qui a été menée après-guerre, afin de tenir compte des enjeux du présent. Mais, à plus court terme, il s'agit de mettre fin aux dérives, dues au travail délégué et au phénomène sociétaire, qui déforment nos paysages et le visage que nous aimons de l'agriculture.

Le dépôt de cette proposition de loi nous a forcés à exprimer juridiquement nos intentions. Il existe ainsi deux projets : celui que défend le groupe Socialistes et apparentés, auquel adhèrent d'autres groupes, et celui que soutient la majorité avec ce texte. Ils ne disent pas la même chose, même s'ils ont le même exposé des motifs, que je connais un peu pour avoir contribué, avec d'autres, à l'inspirer depuis des années. Nous partageons donc, peu ou prou, le même constat, mais les moyens mobilisés par la proposition de loi serviront-ils la cause que nous entendons défendre ? Je crains profondément que non. J'estime même que le remède qui est aujourd'hui proposé pourrait s'avérer pire que le mal, et nous essaierons de le démontrer techniquement.

Quoi qu'il en soit, soyez sûrs que ce texte est pour moi, comme pour tous ceux qui s'inscrivent dans la tradition des partageux, une blessure profonde. C'est une illusion, une fiction qui nous est racontée. Ainsi, au-delà des alliances qui ont été passées autour de la proposition de loi, nous n'aurons de cesse d'essayer de démontrer techniquement, de manière pratique, en quoi elle pourrait avoir pour effet de goudronner le chemin de traverse que représente le contournement des règles par la voie sociétaire.

Nous ferons valoir nos arguments avec le sentiment d'un triple échec. Premièrement, nous ne sommes pas parvenus à réformer la Constitution, afin que la place dévolue au bien commun soit rééquilibrée par rapport au droit de propriété et à la liberté d'entreprise. Ensuite, nous nourrissons le regret qu'une grande loi foncière ne vienne pas éclairer les questions relatives à la ruralité et au renouvellement démographique, qui sera l'enjeu agricole principal de la décennie à venir. Enfin, je le répète, nous regrettons que la proposition de loi, qui aurait pu poser un garrot sur les dérives que nous constatons tous les jours dans nos territoires, risque non seulement d'être inefficace, mais de produire des effets pervers qui pourraient être pires que le mal.

Contre vents et marées, je dirai ma part de vérité.

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