Intervention de Nicolas Turquois

Séance en hémicycle du mardi 25 mai 2021 à 21h00
Accès au foncier agricole — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaNicolas Turquois :

Le foncier agricole se raréfie, la taille des exploitations augmente et le nombre d'agriculteurs s'effondre. Cette réalité, nous la constatons tous les jours, d'abord par les chiffres, mais aussi et surtout grâce au retour d'expérience de nos agriculteurs. Je suis l'un d'entre eux et je ne peux être qu'inquiet du non-renouvellement des générations, des difficultés d'installation des jeunes agriculteurs et de l'accaparement des terres agricoles, ressource désormais en grande tension. Le constat est sans appel : en France, le prix moyen des terres agricoles à l'hectare a doublé entre 1995 et 2010. Il y a quatre fois moins d'agriculteurs exploitants qu'il y a quarante ans ; un agriculteur sur trois partant à la retraite n'est pas remplacé et la moitié des agriculteurs actuels seront à la retraite dans dix ans.

Quand je me suis installé, stopper l'agrandissement de l'exploitation familiale n'allait pas de soi. Je prenais la suite de mon père et de mon grand-père avant lui. Ils avaient connu les Trente Glorieuses, avec la mécanisation de l'agriculture et le développement de l'agriculture intensive, pour s'inscrire dans le cadre d'une demande désormais mondialisée. Ces évolutions structurelles, vécues par certains comme un progrès, ont emporté leur lot de dérives.

Le phénomène sociétaire, considéré aujourd'hui comme l'angle mort de la régulation, en est un exemple. Le regroupement en sociétés s'est progressivement développé au vu de ses avantages : mutualisation des compétences, partage des responsabilités, flexibilité accrue de l'organisation du travail, souplesse d'un tel outil lors des transmissions, dissociation des patrimoines personnel et professionnel, et ainsi de suite. Les exemples sont nombreux. Le regroupement en société permet aussi souvent de s'exonérer du contrôle des structures, pierre angulaire de la politique foncière.

Le foncier agricole est relativement peu cher par rapport à des pays voisins. Là où, en France, le prix à l'hectare se situe souvent aux alentours de 6 000 euros, en Allemagne, en Italie et en Angleterre les montants sont bien plus élevés ; ils vont même jusqu'à 50 000 euros en Belgique ou aux Pays-Bas. Le foncier agricole est devenu un placement sécurisé, au-delà même de toute considération agricole. Il fait l'objet de nombreuses convoitises et les montages sociétaires avec ou sans associés exploitants sont de formidables outils pour inverser radicalement le rapport de forces au détriment des exploitants individuels.

Il paraît aujourd'hui essentiel de mettre fin à la rupture d'égalité entre les personnes physiques, qui tombent sous le coup de la régulation et les cessionnaires de titres sociaux, qui y échappent. En 2019, les parts sociales de ces derniers représentaient 7 % des transactions du secteur et 17 % de la valeur du marché. Soyons clairs, cela signifie que 1,2 milliard d'euros de transactions a donc échappé à tout contrôle.

Notre réflexion ne doit pas conduire à opposer des modèles qui ont chacun leur utilité. La présente proposition de loi ne le fait d'ailleurs pas. En revanche, au vu de l'absence totale de contrôle de nombreuses transactions, il est tout à fait souhaitable de permettre la régulation de l'accès au foncier agricole au travers des structures sociétaires. Derrière l'accaparement des terres se cache inévitablement l'uniformisation culturale, dont nous connaissons aujourd'hui le lien direct avec l'effondrement de la biodiversité et l'appauvrissement des sols.

La politique foncière de la France ne pourra néanmoins se limiter au contrôle des parts sociales, même si celui-ci est absolument nécessaire. À l'avenir, il faudra également un meilleur encadrement de pratiques émergentes telles que le travail à façon intégral, qui tend à permettre une agriculture sans agriculteurs. Je sais d'ailleurs que la question de la définition de l'agriculteur actif est au cœur des discussions européennes, et j'espère, monsieur le ministre, que vous la ferez progresser.

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