Intervention de éric Dupond-Moretti

Séance en hémicycle du mardi 1er juin 2021 à 15h00
Prévention d'actes de terrorisme et renseignement — Présentation

éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice :

Je suis heureux de vous présenter, aux côtés du ministre de l'intérieur Gérald Darmanin, le projet de loi relatif à la prévention d'actes de terrorisme et au renseignement.

Depuis 2017, la lutte contre le terrorisme est une priorité absolue du Président de la République et du Gouvernement, qui ont donné des moyens sans précédent aux services de sécurité et aux magistrats pour répondre à cette menace et atteindre cet objectif. Ainsi, 1 000 postes supplémentaires de policiers et de gendarmes se sont ajoutés aux effectifs existants, le budget de la justice a historiquement augmenté, le parquet national antiterroriste (PNAT) a été créé, le nombre de quartiers d'évaluation de la radicalisation et de quartiers de prise en charge a été revu à la hausse. Depuis 2017, près de trente-six attentats ont été déjoués.

Si notre action porte ses fruits, ses succès sont toujours silencieux, là où, en matière de lutte contre le terrorisme, les échecs ne le sont jamais. À chaque attaque, c'est la France tout entière qui est touchée, et je tiens à avoir une pensée solennelle pour Mme Monfermé ainsi que pour tous ceux qui nous protègent, qu'ils soient policiers, gendarmes, magistrats ou membres des services de renseignement. De leur action conjointe dépend notre réussite dans ce combat contre le terrorisme. Nous le menons sans répit.

Dans l'engagement qui est le nôtre contre le terrorisme islamiste, je viens présenter devant vous l'objectif que s'est fixé la chancellerie : réduire au maximum la menace des personnes condamnées pour des actes de terrorisme qui présenteraient encore, alors que leurs peines arrivent à terme, des signes de dangerosité.

Parce que notre action doit s'adapter à des réalités mouvantes, il convient de se confronter à un constat que nous sommes nombreux à faire depuis un certain temps. D'ici à la fin de l'année 2024, 163 personnes détenues pour actes de terrorisme en lien avec la mouvance islamique auront purgé leur peine. Parmi elles, un certain nombre présenteront sans doute encore des signes de radicalisation à l'approche de cette échéance. Je tiens à saluer avec force la qualité du travail engagé au quotidien dans nos établissements pénitentiaires pour prévenir la radicalisation. Il nous faut dire que ce sont ces mêmes détenus qui, si le droit n'est pas modifié, pourront bénéficier d'une mesure de surveillance judiciaire lorsqu'ils seront libérés sans suivi, sans accompagnement.

De ce constat découle le diagnostic porté sur notre arsenal pénal, diagnostic qui identifie une lacune majeure qu'il est grand temps de combler. Je tiens d'ailleurs à saluer votre engagement sans faille en la matière, madame la présidente de la commission des lois, ainsi que celui de votre rapporteur, Raphaël Gauvain, aux côtés du député Jean-François Eliaou.

Il est impératif de renforcer le suivi des personnes condamnées pour actes de terrorisme après la fin de leur peine. C'est pourquoi, en réponse à cette menace nouvelle, l'article 5 tend à créer une nouvelle mesure judiciaire de prévention de la récidive terroriste et de réinsertion. Avec ce dispositif, que je défends au nom du ministère de la justice et dont votre commission a préservé l'équilibre, il sera possible de contraindre une personne condamnée à une série d'obligations destinées à prévenir le risque de récidive, ce que la loi ne peut lui imposer à ce stade.

Comme vous l'imaginez, cette proposition tire toutes les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel du 7 août dernier, venue rappeler la vigilance qui doit être celle du législateur sur le caractère adapté, nécessaire et proportionné de mesures restrictives de liberté lorsqu'elles sont imposées à des personnes ayant purgé leur peine.

Toutefois, dans cette même décision, le Conseil constitutionnel a validé les objectifs visés et tracé une voie juridique ténue afin de prévoir une mesure de sûreté fondée sur la dangerosité avérée, évaluée à partir d'éléments objectifs, de l'auteur d'un acte terroriste et visant à prévenir la récidive d'une telle infraction.

Dans notre République, le respect des valeurs démocratiques impose que le régime applicable aux détenus terroristes ayant purgé leur peine s'inscrive dans un objectif de réinsertion, tout en s'attachant à neutraliser leur éventuelle dangerosité. Dès lors, les obligations et interdictions pouvant être prononcées dans le cadre de cette nouvelle mesure de sûreté ont été recalibrées, en vue d'imposer au condamné de respecter les conditions d'une prise en charge prioritairement envisagée sous l'angle de la déradicalisation. Cette mesure pourra être prononcée à l'encontre de toute personne condamnée à une peine d'emprisonnement ferme d'au moins cinq ans pour un acte de terrorisme et d'au moins trois ans s'il s'agit d'une condamnation en récidive, alors que la loi censurée permettait qu'elle soit également prononcée à l'encontre de personnes condamnées à des peines assorties d'un sursis.

Chaque renouvellement de la mesure, initialement fixée à un an, sera subordonné à l'existence d'éléments nouveaux ou complémentaires. Enfin, les manquements aux obligations fixées par le tribunal de l'application des peines de Paris seront sanctionnés de la peine d'emprisonnement prévue en ce cas.

Les nouvelles dispositions prévues par le projet de loi s'inscrivent dans une parfaite complémentarité entre l'autorité administrative chargée de la surveillance et du contrôle des individus sortant de détention et l'autorité judiciaire qui facilitera leur réinsertion et leur suivi au moyen d'obligations et d'interdictions spécifiques. Comme l'a indiqué le Conseil d'État dans son avis du 21 avril, la proposition qui vous est faite par cet article 5 concilie à la fois la protection des libertés individuelles et la nécessité d'une vigilance accrue à l'égard des profils les plus dangereux.

Le propre d'une démocratie est de savoir répondre aux impératifs de sécurité liés à la lutte contre le terrorisme sans céder un pouce de son modèle de société. Loin des promesses d'estrade, au mieux grotesques, au pire dangereuses, c'est cette voie, soucieuse de l'équilibre entre efficacité et liberté, que le Gouvernement adopte avec le projet de loi et vous propose de suivre, mesdames et messieurs les députés – cette voie qui, eu égard à la décision du Conseil constitutionnel, est aujourd'hui la seule possible.

Je ne doute pas un instant que notre débat sera apaisé et que nous éviterons la surenchère à laquelle jamais nous ne pourrons nous accoutumer.

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