Intervention de Frédérique Dumas

Séance en hémicycle du mardi 1er juin 2021 à 15h00
Prévention d'actes de terrorisme et renseignement — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrédérique Dumas :

Le texte se compose de deux parties distinctes, l'une visant à pérenniser et à renforcer les dispositions de la loi SILT, l'autre à réviser la loi relative au renseignement de 2015. Nous regrettons le choix tactique du Gouvernement de regrouper au sein d'un projet de loi unique deux textes différents car vous le savez bien, la position de notre groupe n'est pas la même sur les deux textes.

Actuellement, selon les chiffres du coordonnateur national du renseignement, 500 détenus purgent une peine de prison pour terrorisme en France. Une centaine d'entre eux devraient sortir au cours des deux prochaines années, 70 dès cette année. À ceux-là s'ajoutent 900 prisonniers de droit commun radicalisés. Il est nécessaire et totalement justifié de prendre des mesures permettant de prévenir la récidive et de lutter contre la menace terroriste.

En revanche, nous sommes très réservés sur la pérennisation et l'aggravation de certains dispositifs de la loi SILT, et ce pour trois raisons.

Tout d'abord, les données objectives pour la justifier, telles que l'analyse des procédures ouvertes ou de l'efficacité des mesures elles-mêmes, sont rares.

La pérennisation de la loi SILT a pour effet de normaliser, en les intégrant dans le droit commun, les mesures d'exception de l'état d'urgence. La possibilité de prolonger jusqu'à deux ans les MICAS donne un pouvoir disproportionné à l'autorité administrative, au détriment de l'autorité judiciaire ; c'est une constante du Gouvernement depuis quatre ans, qui n'a pourtant encore résolu aucun des problèmes soulevés – on a pu le constater ces derniers temps. Le Conseil d'État souligne dans son avis les difficultés constitutionnelles que pose une telle prolongation dès lors que le Conseil constitutionnel insiste dans le bilan des MICAS qu'il a dressé sur la limitation de leur durée à douze mois et non portée à vingt-quatre mois comme vous le proposez.

Le Conseil d'État considère également que leur efficacité n'est pas suffisamment établie. Pour ces deux raisons, cette disposition ne nous paraît pas nécessaire, d'autant que le droit pénal a été aménagé ces dernières années afin de pouvoir engager plus précocement une procédure judiciaire contre les personnes susceptibles de passer à l'acte terroriste. Notons, en outre, que les MICAS vont souvent de pair avec les contrôles judiciaires. Ainsi, du fait du transfert de si nombreuses compétences à l'autorité administrative, au détriment de l'autorité judiciaire et de la séparation des pouvoirs, de surcroît sur la base de notes blanches, le risque est élevé de voir le dispositif utilisé dans un autre contexte et de manière beaucoup plus large : je pense, par exemple, aux opposants politiques, écologistes, altermondialistes, animalistes, corses ou basques, et vous savez à quel point le groupe Libertés et territoires est attaché à leur droit d'expression. S'ajoute le fait que l'exercice des voies de recours est rendu bien plus difficile sous le régime SILT. Les visites domiciliaires sont tout autant contestables puisqu'elles peuvent être utilisées à la place de perquisitions judiciaires.

Troisième raison de notre opposition : s'il faut bien proposer des sanctions devant certains comportements, il devient indispensable d'agir sur leurs causes et les prévenir lorsque ceux-ci se démultiplient. À cet égard, la mesure judiciaire de prévention de la récidive terroriste et de réinsertion reprend en partie les dispositions de la loi du 10 août 2020 qui avaient été censurées par le Conseil constitutionnel après leur avoir apporté des corrections. Une majorité des députés de notre groupe estiment que la notion demeure imprécise et le risque d'inconstitutionnalité sérieux. À titre personnel, je suis plutôt favorable à ce type de mesures, mais sont-elles vraiment applicables et efficaces en pratique ?

En ce qui concerne les dispositions relatives au renseignement, nous saluons le fait que la France conserve l'objectif de se doter d'un encadrement et d'un contrôle de l'activité des services de renseignement qui, avant la loi de 2015, agissaient en dehors de tout cadre légal. La loi de 2015 a constitué un progrès indéniable, grâce notamment à la création de la CNCTR. Plusieurs dispositions du projet de loi visent à renforcer l'encadrement – vous les avez présentées, madame la présidente de la délégation au renseignement, et nous les soutiendrons. Nous comprenons la nécessité d'adapter le cadre légal aux évolutions technologiques liées au développement des drones ou encore aux communications satellitaires ; le recours aux technologies est utile et nécessaire. Toutefois, certaines mesures ne nous paraissent pas suffisamment encadrées ni contrôlées, et nous proposerons des amendements, notamment pour accroître le rôle de la CNCTR. Il n'est pas nécessaire de prévoir des délais de conservation des données à des fins de recherche tandis que le principe d'un cloisonnement de ces données devrait être inscrit explicitement dans la loi.

Quant à la pérennisation du dispositif des algorithmes, le rapport détaillé et complet qui devait être remis à la fin de l'expérimentation n'a toujours pas été transmis au Parlement. Pourtant, le projet de loi prévoit la généralisation du dispositif. Il n'est pas concevable, à nos yeux, d'étendre une mesure sans qu'elle ait donné lieu à une évaluation précise. Ce procédé constitue un dévoiement du principe de l'expérimentation dont le Gouvernement devient coutumier : le récent projet de loi pour la confiance dans l'institution judiciaire, qui généralise les cours criminelles départementales, avant la fin de l'expérimentation et en l'absence de tout bilan, en est un exemple flagrant. Nous proposerons d'interdire de prolonger ou de pérenniser l'expérimentation tant que l'évaluation n'a pas été remise au Parlement.

En définitive, le projet de loi rassemblant malheureusement deux textes très différents, les membres du groupe Libertés et territoires prendront position, une nouvelle fois, en fonction de l'équilibre auquel le projet de loi parviendra entre le nécessaire maintien de la sécurité publique, fondé sur des dispositifs efficaces et évalués, d'une part, et la préservation des libertés fondamentales, d'autre part.

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