Certes, cela a été dit, le terrorisme a changé de visage. Mais les nouvelles mesures déployées semblent toujours en retard sur celles qui pourraient mieux nous protéger. Disons d'emblée que la prévention des actes de terrorisme est un objectif hautement légitime. Reste à savoir si les mesures en discussion le sont aussi et surtout si elles seront efficaces. Nous avons connu les attaques préparées depuis l'étranger, dont les assaillants s'échappaient au-delà des frontières et qui étaient financées par des flux issus de réseaux de comptes internationaux. Aujourd'hui, nous sommes confrontés à des assaillants isolés ou en petit nombre, agissant de concert ou pas et passant, en raison même de leur isolement, entre les mailles des radars habituels de surveillance et de lutte contre les organisations criminelles. L'évolution de la menace terroriste se traduit en effet par la commission d'actes solitaires par des individus qui se réclament d'une cause, sans organisation qui les aurait préparés et, de ce fait, difficiles à repérer.
Le projet de loi comporte plusieurs dispositifs. Il reprend le principe d'une mesure judiciaire de prévention de la récidive terroriste et de réinsertion visant les anciens condamnés pour terrorisme. Si les conditions de la mesure ont été précisées pour éviter la censure du Conseil constitutionnel, les concepts mêmes de dangerosité et de risque de récidive restent flous. Est-ce par manque de moyens matériels et humains ? De plus, on ne peut que s'interroger sur la condition selon laquelle la personne condamnée a été mise en mesure de bénéficier de mesures de nature à favoriser la réinsertion tant l'état actuel des prisons et la maigreur des moyens ne semblent pas de nature à en assurer l'effectivité.
Le texte vise également à pérenniser l'utilisation des algorithmes introduite par la loi de 2015 relative au renseignement. Il prévoit également l'échange de renseignements entre différents services pouvant relever d'une finalité différente de celle qui a justifié leur recueil : on s'affranchit ainsi du principe de l'individualisation de la surveillance qui prévalait et l'on crée une voie de transmission de renseignements à des services qui n'auraient pas pu les obtenir, donc éventuellement à des services de renseignement non habilités à les requérir. Comme l'ont noté plusieurs experts, le risque est grand que lesdits services demandent à des services habilités d'utiliser une technique de renseignement à laquelle ils n'ont pas accès pour obtenir des informations. Certes, la demande serait transmise à la CNCTR mais, compte tenu du caractère profondément attentatoire aux libertés et à la vie privée de la mesure, il serait légitime que les décisions soient confiées à une autorité indépendante.
Parallèlement, pourra désormais être transmise par les autorités administratives toute information, même couverte par un secret protégé par la loi, strictement nécessaire à l'accomplissement des missions des services de renseignement et susceptible de concourir à la défense et à la promotion des intérêts fondamentaux de la nation. Ni la nature des informations – qui peuvent être liées par exemple à l'état de santé d'un patient dans un établissement public – ni leur durée de conservation ne sont précisées, ce qui est inquiétant.
De plus, l'article 8 du projet de loi instaure un régime autonome de conservation des renseignements pour les seuls besoins de la recherche et du développement en matière de capacité technique de recueil et d'exploitation des renseignements. La durée de cinq ans retenue paraît excessive au vu des risques encourus. Le principe même de la validation de la conservation massive de données à des fins de recherche et de développement pose des difficultés sur le fond, alors même que la CNCTR doit se contenter d'adresser une recommandation au Premier ministre tendant à la suspension d'un programme de recherche lorsqu'elle estime que ce dernier ne respecte plus les conditions posées dans le texte.
Enfin, le projet de loi autorise une nouvelle technique de renseignement, l'interception de correspondances émises ou reçues par la voie satellitaire. L'expérimentation prévue permettrait la collecte systématique et automatique des données relatives à des personnes pouvant n'avoir aucun lien autre qu'une simple proximité géographique avec l'individu effectivement surveillé. Le champ est donc large.
Notons aussi que l'État a été rappelé à l'ordre en octobre 2020 par la Cour de justice de l'Union européenne, qui lui a reproché d'obliger des fournisseurs d'accès à internet à conserver pendant un an les données de connexion de leurs utilisateurs dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Cette décision ne me semble pas hasardeuse. Le terrorisme constitue un fléau international, qui impose de prendre des mesures à la même échelle. Les États de l'Union européenne soumis à la même jurisprudence n'y ont pas vu une quelconque atteinte à leur souveraineté juridique.
En conclusion, nous souhaitons que le débat ait lieu en séance afin que l'ensemble des groupes puissent prendre clairement position.