Intervention de Gérald Darmanin

Séance en hémicycle du mardi 1er juin 2021 à 21h00
Prévention d'actes de terrorisme et renseignement — Article 2

Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur :

En France, le respect des croyants, afin qu'ils puissent prier et vivre librement leur culte, est une liberté fondamentale reconnue par les lois de la République. Ainsi, lorsque nous décidons de fermer un lieu de culte, comme lorsque nous touchons à la liberté d'association en décidant de la dissoudre, nous ne devons le faire – et c'est bien normal – qu'avec des arguments solides qui, au-delà du respect de la Constitution de 1958, doivent être conformes à l'esprit des Lumières, de la Révolution française et de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

Par ailleurs, la durée de la fermeture doit être proportionnée, parce que la liberté de culte est particulièrement protégée et que toute mesure visant à la restreindre est pesée au trébuchet. Pourquoi décider d'une durée de fermeture ? Parce que l'administration ne peut pas décider d'une fermeture ad vitam aeternam sans raisons profondes : aujourd'hui, la durée maximale d'une fermeture est de six mois, ce qui a été jugé proportionné aux dangers que nous évoquons. Mais, si au bout de six mois, on s'apercevait que le problème n'était pas réglé, qu'il n'y avait pas eu de conversion à la République, que le lieu de culte ne s'était pas séparé des personnes en lien avec la sphère djihadiste, qu'il existait toujours des prêches ou des financements faisant naître des craintes, alors il serait tout à fait possible de fermer définitivement le lieu de culte en question, en dissolvant l'association, ce qui est une mesure très forte. Car on est bien d'accord : ce ne sont pas les murs qui sont djihadistes, mais bien les personnes qui y prêchent et l'association morale qui les entoure. Ainsi, la proposition de fermeture n'est qu'une première étape, si j'ose dire, avant une éventuelle dissolution de l'association ou du groupement de fait.

Ce n'est donc pas parce qu'au bout de six mois, un lieu de culte peut rouvrir, que nous acceptons comme un fait établi qu'il pourrait continuer d'y être professé n'importe quoi, sur le sol même de la République. Dans un tel cas, l'arme administrative est, à coup sûr, la dissolution de l'association par le ministre de l'intérieur, sous couvert du juge.

Je rappelle qu'en France, la décision de dissoudre une association est prise en conseil des ministres : le ministre de l'intérieur doit y présenter des arguments solides pour convaincre le Président de la République d'accepter le décret de dissolution. D'ailleurs, la direction des libertés publiques et des affaires juridiques (DLPAJ) du ministère de l'intérieur n'accepterait sans doute pas la signature d'un décret juste pour faire plaisir au ministre qui l'aurait demandé. Ainsi, les propositions de dissolution du collectif contre l'islamophobie en France (CCIF), du collectif Cheikh Yassine, du mouvement Génération identitaire, ou encore de BarakaCity, ont toutes été présentées en conseil des ministres.

La liberté de culte peut donc être entravée par des mesures contrôlées par le juge, pour une durée provisoire aujourd'hui fixée à six mois au nom du principe de proportionnalité. Vous avez raison, la durée aurait pu être de cinq ou de sept mois, mais elle ne pourrait pas être d'un ou de deux ans. La deuxième étape, c'est la dissolution.

Ensuite, parce que nos concitoyens doivent se demander pourquoi nous ne décidons pas plus rapidement de la fermeture d'un lieu de culte en cas de problème, je veux revenir sur un point important. D'abord, jusqu'à présent, on ne pouvait fermer un lieu de culte que pour des raisons en lien avec le terrorisme : huit mosquées ont été fermées depuis 2017, dont celle de Pantin, à la suite de l'attentat contre Samuel Paty. Or, chacun sait bien que, d'habitude, les lieux de culte sont fermés pour des raisons touchant à l'urbanisme ou au covid-19, puisque ce sont des établissements recevant du public (ERP). Mais c'est hypocrite, car nous sommes bien d'accord sur le fait qu'il s'agit de combattre non pas l'urbanisme mais les idées. C'est bien pour cette raison que des dispositions ont été prévues dans le cadre du projet de loi confortant le respect des principes de la République et de lutte contre le séparatisme – je l'ai dit en réponse à M. Ciotti –, et qui n'ont pas forcément un lien avec un attentat terroriste.

Lorsque j'ai pris la décision de demander au préfet de Seine-Saint-Denis de fermer la mosquée de Pantin – dont une partie des dirigeants était sans aucun doute en lien direct avec l'attentat terroriste qui a tué Samuel Paty, attentat qui nous a tous émus –, l'association a saisi le tribunal administratif de Montreuil – et c'est son droit. Parmi tous les griefs invoqués, le tribunal en a soulevé deux n'ayant rien à voir avec l'esprit de la loi SILT. Il a compté le nombre de mosquées qu'il y avait en Seine-Saint-Denis, et remarqué que l'État n'avait pas été particulièrement agressif vis-à-vis du culte musulman, puisque des 130 mosquées de Seine-Saint-Denis retenues dans l'arrêt du tribunal, seule celle de Pantin était concernée par la mesure de fermeture. Ce qui veut dire, monsieur Habib, que, si nous avions décidé de fermer quinze, vingt ou trente mosquées d'un coup en réponse à l'attentat de Samuel Paty, le tribunal administratif et le Conseil d'État nous auraient sans aucun doute donné tort.

Le tribunal a également regardé les lignes de bus. Dans son considérant 13, il indiquait ainsi que, si la fédération requérante soutenait que l'arrêté attaqué ne permettrait plus aux fidèles de se rendre dans un lieu de culte, eu égard à l'insuffisance de ces derniers et au contexte sanitaire – le tribunal avait néanmoins constaté que 129 des 130 mosquées du département étaient restées ouvertes –, il ressortait toutefois des écritures en défense du préfet de Seine-Saint-Denis que les 1 200 à 1 300 fidèles de la grande mosquée de Pantin pouvaient continuer à être accueillis dans les autres mosquées ou lieux de culte des communes avoisinantes de Drancy, Aubervilliers et Bobigny, qui bénéficient d'accès de transports en commun.

Face au mémoire de l'association, qui pourtant était mise au ban parce qu'une partie de ses dirigeants était liée à un attentat terroriste – il ne s'agit donc pas de menu fretin ! –, le préfet de Seine-Saint-Denis a donc dû motiver sa décision et contredire les affirmations de l'association.

Indépendamment du lien avec le terrorisme, qui est pourtant essentiel dans les dispositions que vous avez adoptées précédemment, le juge administratif a donc regardé si la liberté de culte des 1 200 fidèles de la mosquée de Pantin était garantie par la possibilité de se rendre ailleurs pour prier leur Dieu. Cela laisse penser que, s'il n'y avait pas eu d'autres mosquées aussi proches pour accueillir les 1 200 fidèles de la mosquée de Pantin, l'arrêté du préfet aurait été cassé, même si la loi SILT avait permis au ministre de l'intérieur de faire fermer ce lieu de culte.

Dans notre pays, la liberté de culte est particulièrement protégée, depuis l'émergence de l'esprit républicain et révolutionnaire. Il ne s'agit donc pas de changer la Constitution pour obtenir des fermetures d'un ou de deux ans. Mais je vous assure – mon introduction devrait vous plaire, monsieur le député ! – que, si une mosquée ne pouvait pas être fermée plus longtemps pour des raisons liées à la protection de la liberté de culte, alors nous dissoudrions l'association – ce qui me semble d'ailleurs bien plus utile que de fermer la mosquée quelques semaines.

Si l'amendement que vous avez défendu ne peut obtenir un avis favorable, c'est non pas par naïveté, mais parce que son adoption ne rendrait pas service au droit et que la mesure qu'il propose est moins forte que celle prévue par le Gouvernement.

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