Intervention de Gérald Darmanin

Séance en hémicycle du mardi 1er juin 2021 à 21h00
Prévention d'actes de terrorisme et renseignement — Article 3

Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur :

Monsieur le député, aujourd'hui, les MICAS fonctionnent ! Je sais que ça vous paraît étonnant mais je peux vous l'assurer : elles permettent à nos services de renseignement de suivre des personnes dans un cadre qui a été validé – j'y viendrai dans quelques instants – par les institutions de notre pays, et de pouvoir par ailleurs arrêter ces personnes lorsqu'on s'aperçoit qu'elles reprennent un mauvais chemin.

Monsieur Habib, d'après ce que j'ai vu des profils de ceux qui, sortant de prison, font l'objet d'une MICAS, ils n'ont pas – ou pas tous, de ce que je constate – l'idée secrète, cachée et organisée de commettre un attentat sans en parler à personne ! Ils doivent voyager, ils utilisent leur téléphone, ils rencontrent d'autres personnes, utilisent de l'argent et peuvent être en contact avec des théâtres d'opérations étrangers ; lorsqu'ils viennent pointer, ils discutent avec un membre des forces de l'ordre. Ils ont parfois un dérèglement personnel.

Tous ces « petits faits vrais », comme dirait Stendhal, nous amènent à penser que certains d'entre eux sont partis du mauvais côté. On les rattrape lorsqu'on constate des flux financiers, lorsqu'on voit qu'ils ouvrent une ligne téléphonique ou qu'ils entrent en contact avec l'étranger, qu'ils consultent certains types de sites ou qu'ils ne pointent plus au commissariat parce qu'ils sont partis quarante-huit heures – et non vingt-quatre, la limite autorisée – hors de leur département. Ce sont des petites sonnettes d'alarme qui réveillent l'attention des services de renseignement.

Ce n'est peut-être pas la panacée mais c'est utile, et je constate avec vous qu'aucun sortant de prison n'a pour l'instant – je reste très modeste – commis d'attentat. Cela arrivera peut-être, c'est une éventualité, et peut-être faudra-t-il de nouveau légiférer, monsieur le député ! Mais la vérité, c'est qu'aujourd'hui, le dispositif fonctionne. Et si l'on en croit la démonstration de M. Ciotti, ils sont très nombreux à être suivis dans ce cadre, ce qui témoigne tout de même de son efficacité.

S'agissant de la Constitution, il faut d'abord préciser que nous sommes en train de discuter d'un projet de loi ordinaire. Il y a deux possibilités : soit on considère que l'on peut agir dans le cadre actuel, soit on se dit qu'on ne peut rien faire du tout. Dans ce dernier cas, ce n'est peut-être pas la peine que nous passions la soirée ensemble et ce n'est même pas la peine de voter le texte de loi puisque ce qu'il faut faire, c'est modifier la Constitution. Mais nous ne sommes pas en train de discuter d'un projet de loi constitutionnelle ! Le Président de la République n'a pas convoqué de référendum et le Parlement ne s'est pas réuni pour cela. Nous discutons d'un projet de loi ordinaire, dans le cadre que nous donne l'Assemblée.

Vous dites vouloir changer la Constitution, c'est de bonne guerre, mais je vous rappelle que nous ne sommes pas en train d'examiner un projet de loi constitutionnelle, et c'est d'aussi bonne guerre. Une fois cela posé, il me semble que nous pouvons tout de même avancer sur les dispositions ordinaires qui améliorent déjà beaucoup, à mon sens, les mesures que peuvent prendre le ministère de l'intérieur et plus généralement le Gouvernement de la République.

Ensuite, on a l'impression que pour vous, la Constitution est un objet qui n'a jamais été jugé par le peuple. Mais c'est le peuple lui-même qui a souhaité que nous nous en dotions ! Elle n'est pas sortie des bureaux d'une réunion interministérielle qui aurait eu lieu à Matignon entre quarante-huit technocrates évoquant des sujets dont le peuple n'aurait aucune idée – c'est quelque chose qui peut arriver, je ne dis pas le contraire, et ça m'énerve parfois !

La vérité, c'est que le peuple souverain a plusieurs fois – et en premier lieu sous le général de Gaulle – approuvé la Constitution et accepté l'idée que nous ayons un Conseil constitutionnel, un Conseil d'État, deux chambres. Le peuple a admis des bornes au pouvoir du législateur, qui n'est – excusez-moi de le dire, je l'ai été et j'en ai été très heureux et très honoré – que le représentant de la souveraineté populaire et nationale.

Par conséquent, évitons de dire que la Constitution n'est qu'un cadre nous empêchant d'agir, et, comme l'a fait M. Ciotti, que les gens regardent la télévision en déplorant notre naïveté. Dans leur grande sagesse, les Français ont souhaité à plusieurs reprises se doter d'un cadre constitutionnel. Cela a toujours été le cas depuis au moins 1945 et même, hormis l'État de Vichy, depuis la IIIe République, puisque nous savons tous qu'elle se caractérisait elle aussi par un encadrement du pouvoir législatif. Je crois donc qu'il ne suffit pas de dire : « Changeons la Constitution ! » Cela exigerait sans doute un débat bien plus dramatique, dont l'ampleur dépasserait les quelques réflexions que nous pouvons développer autour d'un amendement, puisqu'il faudrait toucher profondément à l'organisation des pouvoirs. Vous demandez ce qu'en pense le ministre, monsieur Habib : je ne dis pas qu'un tel débat est médiocre ; je dis qu'il est très sérieux !

Il y a en fait trois solutions. Si l'on considère que ce que nous faisons peut être utile – c'est ce que nous avons fait hier et je crois l'avoir démontré –, alors il nous faut travailler sur le projet de loi ordinaire que nous présentons aujourd'hui. Je crois savoir que vous pensez ce travail utile, puisque vous voterez le texte, monsieur Ciotti, comme vous l'avez annoncé avant même le début de la discussion sur les amendements. Nous le savons et j'ai salué plusieurs fois le travail des oppositions, en particulier du groupe Les Républicains ; j'ai salué notamment les propos de M. Larrivé, tant dans les médias qu'en commission des lois, et j'espère aussi que le groupe Socialistes et apparentés votera le texte, conformément à l'esprit qu'avaient jadis insufflé MM. Valls et Cazeneuve. D'autres groupes d'opposition le pourront aussi, s'ils le souhaitent.

Nous pouvons donc améliorer, dans le cadre d'un projet de loi ordinaire, un dispositif qui est complexe mais qui fonctionne. Sinon, nous pouvons lancer un débat institutionnel, mais il ne pourra être tranché à vingt-trois heures dans un tel cadre – nous pouvons nous mettre d'accord là-dessus. Ne laissez donc pas croire, monsieur Ciotti, que parce que nous disons que le Conseil constitutionnel pose des bornes à notre action, nous sommes naïfs. Ce n'est pas le cas !

Nous travaillons dans le cadre qui nous est offert, celui d'un projet de loi ordinaire ; ce n'est que lorsqu'un changement constitutionnel sera à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale qu'il sera temps d'en discuter.

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