Intervention de Joachim Son-Forget

Séance en hémicycle du lundi 18 décembre 2017 à 16h00
Accord entre la france et la suisse relatif à la fiscalité applicable dans l'enceinte de l'aéroport de bâle-mulhouse — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJoachim Son-Forget :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la représentation nationale est invitée à se prononcer sur un accord fiscal binational unique en son genre. En effet, comme l'a rappelé M. le rapporteur, le cas de l'aéroport de Bâle-Mulhouse est sans équivalent historique en matière de coopération internationale.

Cette spécificité, consubstantielle au contexte de sa création il y a plus de soixante-dix ans, ainsi qu'à sa localisation sur le territoire français en dépit de son statut franco-suisse, a naturellement donné lieu à certaines distorsions du droit fiscal. Celles-ci ont alimenté une incertitude juridique préjudiciable aux États et aux acteurs concernés, incertitude que cet accord lève avec efficacité.

Fruit d'une longue négociation entre les autorités françaises et helvétiques, dont les conceptions en matière de fiscalité sont parfois divergentes, l'accord sur l'aéroport de Bâle-Mulhouse fait figure de compromis innovant. Il résulte de plusieurs consensus entre les deux administrations, et même les trois si l'on prend en compte le niveau cantonal suisse, qui est très important. Comme tout compromis, il est partiellement insatisfaisant pour chaque partie contractante. Toutefois, j'insisterai sur les dispositions qui nous rapprochent, car elles l'emportent très largement sur celles qui nous divisent.

Situé à la croisée des frontières française, suisse et allemande, l'aéroport de Bâle-Mulhouse-Fribourg est au coeur de l'un des bassins économiques transfrontaliers les plus importants d'Europe. L'Alsace, le Nord-Ouest de la Suisse et le Bade-Wurtemberg sont trois régions fortes dont le dynamisme transparaît dans la réussite économique des infrastructures de l'aéroport.

En 2016, celles-ci ont en effet accueilli plus de 7,3 millions de passagers. C'est donc bien vers la fidélisation et non vers l'attrition que mène l'aéroport de Bâle-Mulhouse, le bien nommé EuroAirport. Pour les dix prochaines années, les prévisions tendent au maintien d'une progression annuelle moyenne de 4 % du trafic passager et de 2,4 % de l'activité de fret, essentiellement tirée par l'expansion de l'e-commerce.

Par ailleurs, le projet de raccordement de l'aéroport au réseau ferroviaire trinational contribuera à la croissance de son activité et à l'attractivité de toute la région. En matière d'emploi, environ 6 400 personnes étaient employées par l'aéroport ou par l'une des 115 entreprises établies sur le site en 2016, soit une augmentation annuelle de 3 %. Les trois quarts d'entre elles résident en France et participent activement aux activités économiques et aux ressources fiscales locales.

En outre, l'aéroport forme un centre de compétences industrielles spécialisées en matière d'aménagement du territoire et d'entretien des avions privés, employant dans ce seul secteur majeur plus de 2 000 collaborateurs.

Enfin, l'aéroport constitue une opportunité majeure de promotion du tourisme régional, notamment auprès des voyageurs extra-européens, y compris venus des États-Unis. En 2016, le nombre de touristes dans la région s'élevait à près de 1 million, en hausse de 60 000 par rapport à l'an dernier. Les touristes constituent environ 30 % des passagers à l'arrivée à Bâle-Mulhouse.

Les retombées économiques sont essentielles : l'impact estimé du tourisme sur le chiffre d'affaires des entreprises de la région trinationale est estimé à 230 millions d'euros – ce n'est pas Jean-Luc Reitzer qui me contredira !

L'apport de l'EuroAirport au dynamisme économique local est indéniable. Pour autant, depuis la signature de la convention constitutive de 1949 et en dépit des dispositions figurant en son annexe II, aucun accord bilatéral n'a été contracté en matière de fiscalité. Dès lors, il incombe aux États français et suisse de doter enfin cette structure et les entreprises qui y exercent de règles fiscales claires, susceptibles de garantir la sécurité juridique des acteurs, car c'est la condition du développement d'une activité prospère.

Celle-ci s'organise autour de trois axes : l'accord apporte une clarification bienvenue du statut fiscal du site aéroportuaire et de l'établissement public qui le régit. Celui-ci est désormais soumis à l'impôt français sur les sociétés, auquel il échappait jusqu'en 2015. Au regard des performances économiques, cet écueil représentait un manque à gagner fiscal considérable. En 2016, l'EuroAirport déclarait un résultat de 24,8 millions d'euros après avoir acquitté 6,9 millions d'euros au titre de cette imposition.

L'accord contient une rationalisation de la fiscalité aéronautique qui reste avantageuse pour les compagnies aériennes, puisqu'elles sont soumises à une contribution spécifique de 1,73 euro par passager, bien moindre que la taxe de l'aviation civile de droit commun. Cette contribution régularise toutefois une situation illégitime : 90 % des vols relevant des droits de trafic suisses, la grande majorité n'étaient pas soumis à la taxation française, alors que la gestion de la direction et du contrôle de la navigation aérienne incombe à l'aviation civile française, conformément à l'article 4 de la convention de 1949.

Enfin, l'accord encadre la fiscalité des 61 entreprises suisses situées sur secteur douanier suisse de l'aéroport, qui emploient à elles seules 4 900 personnes, soit plus des trois quarts des emplois effectifs. Jusqu'alors, la plupart se soustrayaient à l'imposition française, profitant de la réglementation lacunaire et de leur établissement dans ce secteur douanier, sans pour autant être assujetties à une imposition équivalente par les administrations suisses, du fait de leur localisation sur un sol étranger.

Elles sont désormais imposées équitablement entre les administrations nationales et cantonale, en étant soumises à l'impôt français sur les sociétés, à la TVA suisse et à l'impôt du canton de Bâle-Ville sur le capital. À ce titre, elles sont exonérées des taxes locales françaises et principalement de la contribution économique territoriale, le manque à gagner pour les collectivités étant compensé par le mécanisme de prélèvement annuel de 3,2 millions d'euros sur l'imposition de l'établissement gestionnaire prévu à l'article 1er.

Cet accord bilatéral est, j'en suis convaincu, le compromis le plus efficace que l'on puisse atteindre. Il lève les incertitudes qui perduraient depuis trop longtemps, apporte la clarté indispensable à un encadrement fiscal juste des acteurs économiques, tout en préservant le dynamisme de leurs activités.

Plus largement, cet accord constitue une nouvelle étape dans le renouvellement des relations franco-suisses, désormais placées sous le signe de la coopération, et tourne la page d'une certaine méfiance ou d'une incompréhension qui avaient pu s'installer ces dernières années.

Il est dans l'intérêt de nos concitoyens et de nos entreprises d'entretenir cette dynamique positive et de promouvoir une approche de coopération sur les dossiers, qui nous implique aux côtés de tous nos voisins. Cette philosophie porte indéniablement ses fruits, au-delà même du dossier spécifique de la fiscalité de l'aéroport de Bâle-Mulhouse et des entreprises qu'il abrite.

L'ensemble des domaines de coopération entre nos deux pays doit désormais bénéficier d'une telle approche, et ainsi être à même de concourir efficacement à la prospérité commune. Parmi ceux-ci, la coopération scientifique mérite d'être soulignée, avec le centre européen pour la recherche nucléaire, de nombreux échanges d'étudiants, des doubles diplômes entre les universités. En matière fiscale, nos deux administrations bénéficient de la reprise, le 12 juillet, du travail conjoint sur l'échange de renseignements fiscaux. Cet accord, fondé sur le respect du principe de spécialité, a été obtenu quelques jours avant la visite en France de la présidente de la Confédération, Mme Leuthard.

La coopération économique est tout aussi primordiale : la France est le troisième partenaire économique de la Suisse et a réalisé un excédent commercial de 1,3 milliard d'euros en 2016. En matière de lutte contre le terrorisme et son financement, nos services profitent également de méthodes et de données convergentes. En termes de gestion des flux migratoires, il est à noter que la Suisse a été très active dans le dispositif de relocalisation des réfugiés. Enfin, cette coopération bilatérale, et multilatérale, est cruciale en matière de lutte contre le réchauffement climatique, notamment à travers le rôle de la Suisse dans la mise en place du Fonds vert pour le climat.

Plus concrètement, la France et la Suisse mènent ensemble des projets qui donnent corps à nos volontés d'actions communes. Les projets d'infrastructures de transport transfrontaliers en sont un bel exemple, comme la réouverture aux voyageurs, l'an prochain, de la ligne ferroviaire Belfort-Delle-Bienne. Comme l'ont rappelé Olga Givernet et Marion Lenne, le projet de liaison des réseaux ferroviaires du canton de Genève et de la Haute-Savoie, et plus particulièrement le tronçon Cornavin-Eaux-Vives-Annemasse, doit permettre la connexion des réseaux ferroviaires français et suisse : le 8 décembre, la gare de Lancy-Pont-Rouge a été mise en service. Nous nous réjouissons de l'avancée de ces projets, qui permettent une alternative efficace et écologique en matière de transports publics.

Par ailleurs, l'accord sur l'aéroport de Bâle-Mulhouse dépasse la relation franco-helvétique stricto sensu. L'Allemagne bénéficie de cette infrastructure et de la porte qu'elle ouvre sur le monde. Avec la présence de la Suisse dans l'espace Schengen, on peut qualifier cet accord de réussite de la coopération européenne. Le chemin qui a abouti à la conclusion de cet accord est un exemple pour l'ensemble des projets de coopération transfrontalière que la France souhaite mettre en place avec ses voisins.

Je tiens à remercier nos partenaires suisses pour leur aptitude au consensus tout au long de ces négociations, et j'espère que notre coopération ne fera que se renforcer à l'avenir. Je pense notamment à la source d'inspiration qu'elle constitue pour son modèle de formation duale, via des filières d'apprentissage avec une grande valeur ajoutée en termes d'employabilité, qui concourt à son statut de grand pays industriel – plus de 20 % du PIB – , et, fait intéressant, notamment dans ses régions les plus rurales.

Cette avancée annonce de nouvelles possibilités de développement de nos relations bilatérales au bénéfice tant de nos concitoyens et de nos entreprises que de leurs homologues helvétiques, dans tous les domaines. Encore faut-il que cette volonté s'exprime dans le cadre des institutions européennes, et pas seulement dans le cadre des accords bilatéraux.

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