Intervention de Sylvia Pinel

Séance en hémicycle du lundi 7 juin 2021 à 16h00
Bioéthique — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSylvia Pinel :

Or, sur toutes ces questions délicates, le temps est un ennemi car toute perte de temps est souvent synonyme de perte de chance pour de nombreuses personnes en attente de techniques ou de traitements innovants.

C'est évidemment le cas pour l'assistance médicale à la procréation. Son ouverture à toutes les femmes, indépendamment de leur catégorie socio-économique, de leur projet parental ou de leur orientation sexuelle, est un combat que je mène depuis de nombreuses années. C'est une attente forte pour de nombreuses femmes, une demande à laquelle nous pouvons légitimement accéder.

C'est aussi une promesse trop longtemps repoussée. Combien de femmes ont espéré et nourri un projet parental ? Combien ont attendu patiemment, avec l'espoir de le réaliser enfin ? Combien, parmi elles, ont dû y renoncer après toutes ces années d'attente ? À cet instant, je pense à toutes ces femmes.

Sur ce sujet, je ne peux que déplorer nos désaccords avec les sénateurs. Lors de la première lecture, ils avaient considérablement réduit la portée du texte en supprimant la prise en charge par la sécurité sociale de l'AMP pour les couples de femmes et les femmes seules et en réintégrant le strict critère médical et pathologique. En deuxième lecture, la position du Sénat s'est profondément durcie, aboutissant à la suppression pure et simple de l'article 1er relatif à l'ouverture de l'AMP à toutes les femmes.

Même si, naturellement, je respecte celles et ceux qui ne partagent pas ma position, je regrette sincèrement que, aujourd'hui encore, nous ne parvenions pas à nous accorder sur cette question. Je considère que nos débats ont été suffisamment longs, approfondis et éclairés. Aussi ne puis-je laisser dire que nous légiférons dans l'urgence.

Comme beaucoup d'entre nous dans cet hémicycle et à l'extérieur, je souhaite désormais une adoption rapide du texte. Il est plus que temps d'accéder à la promesse d'égalité d'accès aux techniques d'AMP. Afin que celle-ci soit parfaitement tenue, je proposerai un amendement visant à garantir aux personnes trans ayant modifié leur état civil, sans pour autant avoir bénéficié d'une intervention de changement de sexe, d'avoir accès à l'AMP.

L'autre avancée considérable du texte, dont le Sénat ne voulait pas, concerne l'autoconservation des gamètes, notamment des ovocytes. Son autorisation est une bonne mesure du point de vue de la préservation de la fertilité féminine.

En dépit des avancées, que je salue, je formulerai aussi quelques regrets, face au manque d'ambition ou à la frilosité à propos de certaines questions sur lesquelles j'espérais que nous puissions aller plus loin. Si notre commission spéciale a rétabli la mise en place d'un plan de prévention nationale contre l'infertilité, j'insiste sur la nécessité d'une vraie politique de prévention, laquelle n'existera pas sans réelle volonté politique ni moyens. Nous avons besoin de campagnes nationales d'information, de prévention et de sensibilisation dès le plus jeune âge. La recherche sur les causes de l'infertilité doit aussi être renforcée.

Autant d'étapes primordiales pour que le libre arbitre de chacun puisse s'exprimer, pour que le projet parental puisse être pensé davantage en termes de volonté que de capacité. Mais une autre étape consiste à améliorer nos techniques d'AMP pour que les parcours soient le moins douloureux, le moins invasifs possible, et surtout pour qu'ils aboutissent plus souvent. Car malheureusement, les taux de succès dans notre pays des tentatives d'AMP après fécondation in vitro sont loin d'être satisfaisants puisqu'ils ont atteint seulement 20 % en 2015.

Derrière ce chiffre, il y a des femmes qui subissent des traitements lourds et qui souffrent, il y a des couples qui se résignent et des projets parentaux qui n'aboutissent pas. Or, en définitive, ce texte n'aura rien proposé pour le développement de techniques qui amélioreraient ce taux de succès : je pense évidemment au diagnostic préimplantatoire en vue de la recherche d'aneuploïdies, qui ne sera pas introduit dans ce texte. Je le regrette car cela permettrait d'éviter de transférer des embryons dont le potentiel d'implantation est quasiment nul, et donc d'entraîner des fausses couches ou des interruptions médicales de grossesse, génératrices de souffrances et de dangers pour les femmes.

C'est une occasion manquée alors que nous serions capables de fixer les limites d'utilisation de cette technique en définissant un cadre juridique pour éviter les dérives. Hélas, la France n'autorisera pas le recours à cette technique qui aurait permis d'éviter tant de souffrance et de détresse pour de nombreuses femmes. En revanche, mes chers collègues, il est encore temps d'autoriser la technique dite de la ROPA, grâce à laquelle une femme peut mettre à la disposition de sa conjointe ses ovocytes pour que celle-ci porte l'enfant. Cette méthode permettrait par ailleurs de respecter le principe selon lequel chacun des membres du couple candidat à l'AMP dispose librement de ses gamètes.

Je formulerai un dernier regret. Il concerne l'interdiction de l'AMP, même très encadrée, en cas de décès du conjoint. Mais nous pouvons encore avancer sur ce point et je défendrai donc, une nouvelle fois, un amendement visant à autoriser le transfert de l'embryon dans le cas où le membre du couple décédé avait donné son consentement et sous réserve qu'un temps de deuil et de réflexion soit observé.

Je l'ai dit : ce texte comporte des avancées mais suscite des regrets. Et il a aussi des limites puisque la question de la filiation demeure inachevée. Je rappelle que dès la première lecture, je me suis prononcée favorablement à l'extension du droit commun aux couples de femmes. Je continue de penser que cette solution est la plus à même de garantir une égalité entre tous les couples et une absence de discrimination à l'égard des couples ayant recours à une AMP avec tiers donneur – y compris bien sûr des couples homosexuels.

Pour autant, la reconnaissance conjointe anticipée proposée à l'article 4 est une solution d'équilibre intéressante, bien que fragile car elle maintient les couples de femmes dans un régime dérogatoire au droit commun. C'est pourquoi je persiste à dire que nous ne ferons pas l'économie d'une refonte profonde de notre code civil en matière de filiation et plus largement de droit de la famille. C'est essentiel car nous devons garder la main, faute de quoi, nous laisserons encore aux tribunaux le soin de jouer notre rôle de législateur. Je pense en particulier à la transposition des actes de naissance des enfants nés de GPA à l'étranger.

Le Sénat souhaitait interdire purement et simplement la transcription totale de ces actes de naissance et des jugements étrangers validant ce mode de procréation. Il fallait donc revenir sur cet article 4 bis , mais la rédaction adoptée par la commission spéciale est loin d'être satisfaisante puisqu'elle prévoit que la réalité des faits déclarés dans l'acte d'état civil est appréciée au regard de la loi française, alors que ces actes de naissance ont été établis conformément à la législation étrangère applicable en la matière. Il serait très perturbant de revenir sur la validité de ces actes d'état civil sous prétexte qu'ils ne correspondraient pas à la réalité juridique française, car cela mettrait les enfants concernés – qui, dois-je le rappeler, ne sont pas responsables de leur conception – et leur famille dans une insécurité juridique, et cela irait à l'encontre de l'intérêt supérieur des enfants.

Garder la main, c'est bien l'objectif final des révisions de nos lois de bioéthique. Nous le faisons pour l'AMP, mais rappelons que ce texte va aussi bien au-delà, et c'est une raison supplémentaire pour voir ce projet de loi rapidement adopté. Les pertes de chance ne valent pas seulement pour les personnes désireuses de voir leur projet parental aboutir, elles sont une réalité pour toutes celles en attente de traitements et de techniques médicales nouvelles porteurs d'un espoir de guérison. Au-delà de l'AMP, il est en effet question d'encourager nos chercheurs à développer des thérapies innovantes et moins invasives : je pense au potentiel incroyable des thérapies géniques qui ne pourra être pleinement exploité que si nous accompagnons la recherche sur les cellules souches. Le projet de loi aborde aussi d'autres points cruciaux sur lesquels nous devons encore avancer, comme la prise en compte de la souffrance des enfants intersexes, l'utilisation de l'intelligence artificielle, le don du sang et d'organes, ainsi que le don de cellules souches hématopoïétiques que les techniques médicales améliorent constamment pour guérir certains cancers et des déficits immunitaires, ou encore les examens génétiques.

Je crois que l'épidémie que nous traversons depuis plus d'un an nous ramène à notre condition d'être humain, conscient de sa fragilité, et nous rappelle l'importance du temps long lorsqu'il s'agit de recherche en santé. Cette crise souligne le rôle majeur de la recherche et des sciences, et la nécessité absolue de les soutenir en tant que vecteurs de progrès. Cela conforte ma conviction sur le caractère essentiel de ce projet de loi, en dépit des limites et des regrets que j'ai évoqués.

Comme lors des précédentes lectures, les membres du groupe Libertés et territoires se prononceront librement et en conscience. Si je les représente aujourd'hui dans cette discussion générale, mes opinions ne sauraient refléter la diversité des positions que chacun d'eux peut avoir sur les différents enjeux de ce texte. Pour ma part, vous l'avez compris, je continuerai d'y apporter un soutien résolu, un soutien déterminé.

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