Intervention de Michel Fanget

Séance en hémicycle du lundi 18 décembre 2017 à 16h00
Protocole annexe à la convention france-algérie sur la sécurité sociale — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichel Fanget, rapporteur de la commission des affaires étrangères :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, madame la présidente de la commission, l'accord que je vais vous présenter porte sur l'accès aux soins. Il touche donc à l'humain, à ce bien essentiel qu'est la santé. Mais il touche aussi à plusieurs thématiques qui sont l'objet de débats politiques passionnés : d'abord, nos relations avec l'Algérie ; ensuite, l'équilibre que nous avons à trouver entre considérations de santé publique et éthiques, et considérations financières, quand nous accueillons dans notre système de santé des étrangers ne résidant pas régulièrement en France ; enfin, la question de ce que l'on appelle le tourisme médical, c'est-à-dire l'opportunité qu'il y a ou non à valoriser à des fins lucratives, sur le plan international, notre système de santé.

On comprend donc que cet accord ait été l'objet, en commission, de nombreuses interrogations, qui nous ont amenés, dans un premier temps, à reporter notre vote afin de procéder à des auditions complémentaires.

Certains orateurs aborderont sans doute les grandes thématiques que j'ai rappelées. En tant que rapporteur, je me dois cependant de recentrer le débat sur l'accord lui-même, son contexte et ce qui en est attendu.

S'agissant du contexte, il faut dire quelques mots des problèmes d'impayés consécutifs aux soins donnés dans nos hôpitaux à des étrangers non résidents, puisque l'accord vise à améliorer les choses dans ce domaine avec l'Algérie. Quand on regarde les chiffres, on constate plusieurs choses.

D'abord, les enjeux ne doivent pas être exagérés. En mars 2017, le stock de créances à recouvrer liées aux patients algériens atteignait pour toute la France un peu moins de 39 millions d'euros, à comparer aux 90 milliards d'euros de soins délivrés chaque année dans les hôpitaux français. Il est donc clair que la pérennité financière de ceux-ci n'est pas menacée.

Deuxièmement, le problème concerne essentiellement les établissements de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris, dans lesquels sont concentrés les trois quarts de cette dette étrangère.

Troisièmement, l'Algérie est certes le premier pays en cause, mais les patients algériens ne sont à l'origine que du quart de cette dette. De nombreux autres pays, européens, nord-américains, moyen-orientaux ou africains, sont également concernés.

Enfin, lorsqu'on observe l'évolution de la dette liée à des patients étrangers à l'AP-HP, on fait un constat très intéressant. Cette dette peut être répartie en deux grandes catégories : d'une part, celle due par des institutions, caisses de sécurité sociale étrangères, assurances médicales privées, ambassades étrangères par exemple, qui ont envoyé officiellement des patients en France ; d'autre part, celle due par des particuliers pris en charge en France hors de ces circuits institutionnels.

Et, quand on compare, pour l'AP-HP, les chiffres de fin 2014 et les derniers disponibles, qui remontent à la fin de l'été 2017, on constate une diminution de 43 % de la part de la dette étrangère dite « institutionnelle » mais une hausse de 18 % de la part relevant de particuliers.

En effet, résorber la dette institutionnelle apparaît relativement plus facile, car cela relève avant tout d'une volonté politique – celle de l'actuel directeur général de l'AP-HP – et de l'adoption de nouvelles règles vis-à-vis des différentes caisses en cause. Par exemple, une politique de paiement systématique d'une avance sur devis des soins programmés pour des patients étrangers a été mise en place, seule une dizaine d'organismes étrangers restant dispensés de cette avance, contre 600 auparavant. Par ailleurs, une action énergique de recouvrement des dettes institutionnelles du passé a été engagée. S'agissant de l'Algérie, la Caisse nationale des assurances sociales, la CNAS, a réglé 10 millions d'euros d'arriérés en 2016, ce qui a conditionné la signature de l'accord examiné ce soir. D'autres pays également en cause ont opéré des règlements, par exemple l'Arabie saoudite.

Pour les patients individuels, hors circuits, les choses sont plus complexes. Nous savons bien que des patients étrangers, algériens ou non, entrent dans nos hôpitaux en dehors des soins programmés pour lesquels ils auraient accepté de payer d'avance ou bénéficieraient d'une prise en charge par une caisse étrangère. Sur ce point, ceux qui seraient tentés d'instituer des interdictions de prise en charge se heurteraient, bien sûr, à notre éthique médicale. Il y a des pays où il faut sortir le portefeuille avant d'être admis aux urgences, mais ce n'est pas notre conception. Si les patients dont nous parlons arrivent à l'hôpital à la suite d'un accident de santé véritablement inopiné, leurs frais pourront éventuellement être couverts par l'assurance médicale qui accompagne obligatoirement les visas. Mais les assureurs veillent à ne pas prendre en charge les cas où les gens, si l'on peut dire, se découvrent malades une fois en France. Dans ce cas de figure, soit les soins seront couverts par l'aide médicale de l'État, pour les personnes dont le visa de tourisme de trois mois a expiré ou pour les mineurs, soit ils resteront tout simplement à la charge des hôpitaux.

Cette situation est-elle satisfaisante ? Non, bien sûr ! Il faut combattre les dérives, les filières qui existent peut-être. Mais nous devons savoir qu'il y aura toujours, pour d'évidentes raisons humanitaires, parce que c'est l'esprit de notre service public hospitalier, des cas de personnes soignées pour des pathologies graves et très coûteuses sans que leurs frais soient finalement réglés, par elles ou par une caisse étrangère.

Ce préambule me conduit à un constat central : nous avons intérêt à inscrire le plus grand nombre possible de patients étrangers dans les circuits institutionnels, même si nous n'arriverons jamais à le faire pour tous. Je soutiens l'accord que nous examinons parce qu'il a précisément cet objet s'agissant des patients algériens.

Jusqu'à présent, l'accueil de patients algériens en France, même dans le cadre de soins programmés couverts en principe par la Sécurité sociale algérienne, n'était pas organisé de manière satisfaisante. Il existait bien un accord bilatéral remontant à 1980, mais ce texte était devenu largement inopérant puisqu'il ne concernait plus que quelques dizaines de personnes par an. Par ailleurs, la CNAS algérienne avait passé des accords directs avec l'AP-HP et d'autres CHU – centres hospitaliers universitaires – mais l'application de ces accords a donné lieu, au fil du temps, à de multiples litiges financiers, portant sur le calcul des frais facturés aussi bien que sur leur règlement ultérieur.

L'accord signé en 2016, après pas moins de quinze ans de négociations difficiles, vise à éviter que ces litiges ne se reproduisent.

Son premier mérite est de prévoir un champ étendu de bénéficiaires potentiels. Il couvre non seulement les assurés sociaux algériens, mais aussi leurs ayants droit et les personnes dites « démunies non assurées ». C'est une extension par rapport aux accords antérieurs et elle est significative car le secteur informel, échappant à l'affiliation à la Sécurité sociale, est très développé en Algérie. L'objectif est bien sûr de réduire le nombre de personnes venant de l'extérieur du circuit officiel.

Second point fort de l'accord, il s'inspire des litiges anciens entre la CNAS algérienne et les hôpitaux français pour essayer de régler à l'avance tous les points difficiles. Il comprend par exemple des dispositions précises sur la question des prolongations d'hospitalisation au-delà du temps programmé, avec une procédure d'urgence pour les faire avaliser par la CNAS, car il y a eu dans le passé de nombreux différends financiers à ce sujet. Il traite même des molécules et dispositifs médicaux très onéreux qui ne peuvent pas être pris en compte dans le prix de journée. Il prévoit aussi que la partie algérienne prendra tous les frais en charge, sans équivalent du ticket modérateur, afin de simplifier les facturations.

Troisième point fort, l'accord établit des circuits financiers clairs et solides qui garantiront non seulement le paiement des frais à nos hôpitaux mais aussi le paiement en dernier ressort par la caisse algérienne. L'interface financière entre les hôpitaux et la caisse algérienne sera gérée par notre Sécurité sociale, plus précisément par le Centre national des soins à l'étranger, car cet organisme gère déjà les flux financiers dus à la coordination européenne de Sécurité sociale et sait donc parfaitement opérer de manière rigoureuse ce type de gestion financière. De plus, afin de limiter ou d'éviter les décalages de trésorerie, la CNAS algérienne devra verser, pour chaque exercice, des avances égales à 35 % du montant des créances soldées au titre de l'exercice précédent. Une prise en charge des frais de gestion administrative est également prévue.

Pour conclure, cet accord n'empêchera pas, bien évidemment, tous les litiges financiers avec l'Algérie, a fortiori avec tous les autres pays étrangers, concernant la prise en charge de leurs nationaux dans notre système hospitalier. Mais il va dans le bon sens, et je pense d'ailleurs qu'il pourrait servir de modèle pour des arrangements de même nature avec d'autres pays. Je rappelle en outre qu'au-delà des situations humaines qui font que nous accueillons nécessairement des patients étrangers, il y a aussi un intérêt économique à développer raisonnablement cet accueil.

La commission des affaires étrangères a donc adopté le présent projet de loi et je vous invite à faire de même.

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