Intervention de éric Dupond-Moretti

Séance en hémicycle du mardi 15 juin 2021 à 9h00
Questions orales sans débat — Lutte contre la pédocriminalité sur internet

éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice :

La pédocriminalité est un phénomène contre lequel nous devons évidemment lutter de toutes nos forces. Vous suggérez l'idée d'étendre à tous les citoyens la possibilité d'intervenir dans des enquêtes : cela me chagrine beaucoup, car je pense que les risques de dérive sont très importants. Que les citoyens dénoncent de tels faits quand ils en ont connaissance, c'est bien le moins ; ensuite, il faut que chacun reste à sa place : je ne demande pas aux policiers ou aux magistrats d'être boulangers, je leur demande d'être policiers ou magistrats !

Le risque me paraît très important, car les policiers, les gendarmes et les magistrats qui s'occupent de cette question en ont appris la déontologie ; ils ont prêté serment et travaillent au service de la République. Permettre aux citoyens d'entrer dans une enquête – je le répète – ferait prendre des risques. Qu'ils dénoncent des faits, d'accord, mais les laisser intervenir dans le processus de la procédure pénale me semble très inquiétant. Évidemment, vous trouverez toujours un exemple dans lequel la collaboration des citoyens a été efficace. Mais pour un cas efficace, combien de risques de dérive ou de dérapage ?

Je tiens à rappeler que les policiers et les gendarmes doivent agir dans le strict respect de la procédure pénale et, en l'espèce, du cadre de la technique dite « enquête sous pseudonyme (ESP) », prévue à l'article 230-46 du code de procédure pénale. Elle se déroule sous contrôle du procureur de la République ou du juge d'instruction, ce qui offre de nombreuses garanties.

Comme vous le savez, nous ne pouvons pas susciter la réalisation de l'infraction : c'est la limite, la ligne rouge, que fixe le code de procédure pénale. J'entends donc l'idée et reconnais son caractère louable : elle a du sens. Toutefois, sa concrétisation me paraît suffisamment dangereuse et susceptible d'entraîner des dérives pour que j'émette un avis défavorable sur une telle proposition. La justice, c'est l'affaire des magistrats. La police, c'est l'affaire de la police et de la gendarmerie. La loi, c'est l'affaire des parlementaires. Chacun doit être à sa place et nous ne devons pas autoriser des dérives toujours possibles. La procédure pénale protège nos libertés. Or cette procédure s'apprend : on l'intègre et on la vit lorsque l'on est policier, gendarme ou magistrat. Je suis donc très circonspect, madame la députée, devant votre idée. Je reconnais qu'elle serait sans doute très efficace, mais le garde des sceaux est garant de la règle de droit et de la procédure pénale.

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