Monsieur le secrétaire d'État, je suis content de vous revoir. Nous avons tellement cogné sur vous pendant la réforme des retraites… Nous avions peur que le désœuvrement vous conduise à vous ennuyer.
Je suis heureux de rendre à César, à Dédé, ce qui appartient à Dédé : son opiniâtreté en faveur de la défense des retraites des agriculteurs, des femmes d'agriculteurs et des aides familiaux. Elle nous permet de franchir une nouvelle étape dans notre engagement pour une retraite digne pour tous.
La proposition de loi que nous examinons, qui vise à revaloriser les pensions minimales des conjoints collaborateurs et des aides familiaux, fait « causer » après une crise qui a laissé des traces dans les têtes de ces agriculteurs. Elle « cause » à tous ceux qui ont vécu de la terre, à tous ceux qui en vivent, et qui très souvent craignent de bientôt ne plus pouvoir en vivre, parce que les prix ne sont pas assez rémunérateurs et qu'à l'âge de prendre sa retraite, la pension ne permettra pas de profiter du temps qui reste.
Chez moi, en Normandie, dans les fermes, dans l'Orne, dans le Calvados, dans l'Eure, dans la Manche et en Seine-Maritime, on n'a pas le temps de se plaindre de sa condition. Chez ces gens-là, monsieur le secrétaire d'État, on ne fait pas l'aumône, on n'est pas des « diseux », on travaille à sa tâche, à la terre, car c'est elle qui nous fait vivre chaque jour. On fait ce métier avec les siens – très souvent, sa femme, son mari, sa famille –, sans compter ses heures ni ses jours. On le fait avec bonheur, avec plaisir, avec passion, souvent avec amour. Encore trop souvent, on le fait aussi avec un statut qui nous protège mal, et parfois même sans aucun statut ; c'est ce que nous proposons de corriger aujourd'hui.
Certaines ont travaillé toute leur vie à la ferme, comme conjointe ou aide familiale, car elles savaient que, sans ce travail, l'exploitation familiale n'était pas viable. Ces conjoints, ces femmes, ces aides familiaux ne perçoivent la plupart du temps aucun salaire – ou parfois un salaire de misère. Beaucoup de nos anciens, femmes et aidants, qui ont travaillé dans nos fermes d'élevages, dans nos laiteries normandes, pendant bien plus de quarante ans, reçoivent aujourd'hui une retraite de misère, souvent inférieure à 600 euros mensuels, comme André Chassaigne l'a dit. En réalité, la pension de retraite tourne autour de 555 euros, soit le minimun : ce n'est pas une digne reconnaissance pour celles et ceux qui contribuent à nourrir notre pays.
Alors, quand le président de notre groupe, André Chassaigne, nous a proposé de défendre ce texte d'égalité, de dignité et de réparation, un an après avoir franchi un premier pas en faveur des chefs d'exploitation, nous avons répondu que c'était une priorité pour l'ordre du jour réservé du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
Cependant, la situation de ces milliers de conjoints collaborateurs, de ces aidants, de ces veufs et veuves n'est pas le fruit du hasard. L'absence, depuis de nombreuses années désormais, de prix rémunérateurs pour un grand nombre de cultures et d'élevages explique l'existence de cette trappe à misère. Il y a aussi la libéralisation des marchés, qui s'est par exemple traduite par la suppression des quotas laitiers qui a fait du mal, chez moi, en Normandie. L'absence d'une politique volontariste de réduction des inégalités de rémunération, l'absence d'une loi qui protège, qui prend soin et qui régule expliquent souvent l'abîme qui nous sépare de ce qu'il faudrait faire en faveur des agricultrices concernées.
Nos fermes d'antan, à dimension humaine, avec des productions raisonnées et des savoir-faire uniques, sont désormais concurrencées par des fermes XXL, ce qui ne permet pas une rémunération correcte des agriculteurs, de leurs familles et de leurs conjoints. Cette situation pourrait même s'aggraver avec la prochaine PAC – politique agricole commune : son budget en baisse ne viendra pas corriger les errements du marché pour garantir des prix justes pour nos agriculteurs qui subissent toujours les chantages de la grande distribution. Je me demande parfois si le groupe Bigard n'est pas le véritable ministre de l'agriculture. Pensez à Lactalis qui supprime toute référence à la provenance des produits sur les briques de lait – ce qui provoque une véritable colère des Normands. Ces errements ont de lourdes conséquences sur les revenus de nos agriculteurs, de leurs conjoints, des aidants, donc sur les pensions de retraite. Avec de si faibles revenus, ils ne parviennent pas à cotiser suffisamment – la question des cotisations est au cœur du texte que nous examinons.
Pourtant, depuis cinq ans, alors que le constat est partagé par l'ensemble des organisations syndicales agricoles et qu'un large consensus politique se dessine de la droite aux cocos, les choses n'avancent pas même si nous démontrons qu'il est possible de prendre soin des gens – j'espère que vous aurez plus de cœur que ce matin et que vous effacerez l'opprobre de ce qui s'est passé au sujet de l'AAH, l'allocation aux adultes handicapés.
Combien de lois ont été discutées ici, comme la loi EGALIM, la loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous ? Son troisième anniversaire nous a rappelé son échec à protéger les agriculteurs. Combien de coups ont été portés à nos savoir-faire agricoles et à leur reconnaissance ? Je pense aux menaces sur notre lait, sur nos appellations d'origine contrôlées fromagères et au refus de reconnaître les coûts de production comme base de construction des prix. Combien de coups seront encore portés à notre agriculture ? Ce sujet devrait vous interpeller. Un dialogue de gestion avec la MSA – Mutualité sociale agricole – est en cours, mais, du côté de cet acteur, on m'explique que si les choses continuent ainsi, il ne pourra plus assurer de présence de proximité pour la protection sociale de nos agriculteurs. Il serait bon que ce dialogue de gestion soit transparent aux yeux de la représentation nationale.
Depuis 2017, rares sont les moments, au sein de cette assemblée, durant lesquels nous avons pu discuter de lois de progrès. Vous vous êtes faits les chantres de lois de régression. Rares sont les moments, depuis le début du quinquennat, qui nous ont permis d'améliorer concrètement la vie des gens, en particulier la vie de nos agriculteurs. L'année dernière, notre groupe a permis une première avancée en leur faveur grâce à l'adoption de la proposition de loi fixant à 85 % du SMIC le montant minimum de la pension de retraite des agriculteurs pour une carrière complète de chef d'exploitation. La revalorisation des retraites agricole, qui sera appliquée à partir du 1er novembre prochain – vous avez confirmé que le décret était pris –, se traduira par un gain significatif. Ce n'est pas une aumône, mais une juste rétribution par rapport au travail accompli par les intéressés.
Une porte a donc été ouverte, et il faut maintenant aller plus loin. Nous proposons en conséquence de reconnaître, comme un symbole de cette République qui prend soin, de cette République qui protège, la nécessité de revaloriser les pensions des conjoints collaborateurs et des aidants.
Certes, cette proposition de loi ne règle pas tout. Il manquera à ce texte tout ce que la majorité voudra bien lui enlever, mais il est une première pierre pour réparer l'injustice faite aux agriculteurs, aux retraites agricoles, à la situation de ces femmes. Comme nous ne sommes pas tenants du tout ou rien, nous prenons ce qui va dans le bon sens. Cette proposition de loi est une mesure d'égalité, une mesure de justice à l'égard potentiellement de plus de 129 000 pensionnés avec le statut de conjoint collaborateur, 204 000 avec le statut de membre de la famille et 394 000 veuves et veufs. En Normandie, chez moi, le texte bénéficierait à près de 39 000 personnes, principalement des femmes.
Quand on rencontre des retraités agricoles, qui ont bien souvent travaillé depuis le plus jeune âge, et qu'on leur explique ce que cette proposition de loi changerait, on peut lire dans leurs yeux que, pour une fois, ils ont le sentiment d'être reconnus par la République. Même si l'objectif initial du texte a été amputé et grignoté par les Marcheurs et le Gouvernement, le consensus auquel nous avons abouti permettra une augmentation moyenne d'environ 100 euros des pensions mensuelles des conjoints collaborateurs et des aidants. Pour ceux qui nagent dans le luxe, le calme et la volupté, ce n'est pas grand-chose, mais pour ceux qui ne touchent qu'une retraite de misère, 100 euros, c'est déterminant.
De notre point de vue, cette avancée n'est certes qu'une première étape, mais c'est du concret pour eux, pour tous ces agriculteurs, de l'Orne jusqu'au Puy-de-Dôme. Tous, ils en mesureront l'efficacité et l'utilité.
Bien sûr, il faudra également travailler dans les cinq prochaines années à définir un nouveau régime, un nouveau statut, pour les conjoints collaboratrices qui, pour la grande majorité, ne bénéficient pas de protection suffisante. Ce travail doit être poussé encore plus loin, car on ne peut pas demander à nos jeunes de s'installer avec des statuts précaires et des promesses de rémunérations indignes. Bien sûr, il faudra travailler à rendre plus lisible, moins complexe, plus juste et solidaire ce système de retraites agricoles. Vous nous avez encore servi le même couplet en nous expliquant qu'il était trop complexe, pour mieux nous vendre la simplification que constituerait votre système de retraite à points à la noix de coco, qui vise en réalité à flinguer le modèle par répartition.
Je conclurai ainsi, monsieur le secrétaire d'État : soyez convaincu – je vous le dis droit dans les yeux – que cette avancée en appelle d'autres. La question des artisans et des indépendants devra également être traitée. Vous êtes libre de l'inscrire à l'ordre du jour de l'Assemblée quand vous le souhaitez, et nous vous accompagnerons dans cette démarche : le calendrier parlementaire n'est pas un argument valable pour différer les avancées.
Mais je l'affirme également : si, par malheur, le Président de la République, qui repart en campagne, entendait tirer à l'avance les conclusions du débat qu'il orchestre artificiellement avec les habitants et revenir à son projet de réforme des retraites, vous nous trouverez sur votre chemin aux côtés du mouvement social, avec la même combativité, la même opiniâtreté et la même sévérité que celles qui animent André Chassaigne pour faire avancer la cause des agricultrices.