La séance est ouverte.
La séance est ouverte à quinze heures.
La parole est à M. André Chassaigne, rapporteur de la commission des affaires sociales.
Je me réjouis que nous retrouvions, une fois encore, pour trouver ensemble la voie des retraites décentes pour l'ensemble des agricultrices et des agriculteurs. « Le chemin se fait en marchant », écrivait Antonio Machado. Il y a un an, nous cheminions déjà ensemble pour adopter la loi qui va permettre aux exploitants agricoles de percevoir une pension à hauteur de 85 % du SMIC ; pour beaucoup d'entre eux, c'est tout simplement la possibilité de vivre au-dessus du seuil de pauvreté. C'est pourquoi je me réjouis qu'en novembre prochain, le Gouvernement rende enfin effective cette revalorisation attendue depuis tant d'années.
Monsieur le secrétaire d'État chargé des retraites et de la santé au travail, mes chers collègues, nous pouvons en être collectivement fiers. Je me souviens qu'il y a un an, sur les bancs de la majorité comme sur ceux de l'opposition, nous nous sommes tous accordés sur la nécessité de nous atteler sans tarder à la question des pensions des conjoints collaborateurs et des aides familiaux, qui sont toujours les oubliés de la protection sociale agricole.
Nous avions été toutefois contraints par les règles de recevabilité qui encadrent notre droit d'amendement. La proposition de loi que je vous présente aujourd'hui est l'occasion de traduire concrètement nos promesses exprimées collectivement.
Entre-temps, la majorité a également déposé une proposition de loi, travaillée notamment par Jacqueline Dubois dont je tiens à saluer l'investissement, dans la continuité de celui d'Olivier Damaisin sur le texte précédent. Signée par 125 députés issus des trois groupes de la majorité, cette proposition de loi – appelée dans son exposé des motifs à concrétiser la démarche en faveur des conjoints et des aides familiaux, pour répondre à un impératif de justice sociale – est « un enjeu d'actualité pour l'égalité homme-femme ».
Comment ne pas être d'accord ? Trop longtemps, les femmes agricultrices ont été les invisibles de la protection sociale. Trop longtemps, elles ont bénéficié avec retard des droits sociaux accordés aux exploitants agricoles. Qu'il s'agisse du bénéfice de la retraite complémentaire obligatoire (RCO), de l'attribution de points gratuits pour augmenter leur pension, de leur statut dans l'agriculture ou même de leur existence sociale propre, les conjointes ont toujours été placées à la périphérie et donc prises en considération avec un temps de retard.
Ces temps de retard se traduisent par de fortes inégalités entre les femmes et les hommes, dont le principe est naturellement aussi insupportable qu'ailleurs, mais dont l'ampleur est souvent encore plus grande. Certes, l'ensemble des agriculteurs souffrent de la faiblesse de leur revenu, qui se traduit mécaniquement dans le montant de leur pension future. Que dire de leurs conjointes ! Au 1er janvier 2020, 97 % des retraités ayant un statut de conjoint collaborateur et les deux tiers des retraités aides familiaux étaient des femmes. Ce sont donc avant tout des femmes qui touchent une pension moyenne de 604 euros par mois quand elles ont validé au moins 150 trimestres dans le seul régime des non-salariés agricoles, et de 307 euros par mois quand elles n'ont pas atteint cette durée d'assurance.
Ce sont en effet majoritairement des femmes qui souffrent d'un faible niveau de cotisations, en raison d'une reconnaissance tardive, d'une carrière plus heurtée que celle des hommes ou de l'inégale répartition des tâches familiales. Tous ces facteurs aboutissent à des inégalités professionnelles que l'on connaît malheureusement partout mais qui sont amplifiées dans le monde agricole. Les retraites agricoles sont déjà deux fois plus faibles que celles du régime général, et les retraites des agricultrices sont encore inférieures d'un tiers à celles des hommes. « Il y a plus inconnu que le soldat inconnu, sa femme », disait Christine Delphy, à la naissance du Mouvement de libération des femmes (MLF). Nous pourrions dire qu'il y a plus pauvre que le retraité agricole pauvre, sa femme.
Cela ne peut plus durer. Il est temps d'avancer résolument en faveur de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes dans l'agriculture. Nous avons posé une première pierre en commission, ou plutôt bâti le premier étage de la fusée. À la suite des auditions auxquelles j'ai tenu à associer tous les groupes, la commission a adopté, à l'article 1er , la fusion des pensions majorées de référence (PMR), de façon à faire bénéficier tous les non-salariés agricoles du montant perçu par les chefs d'exploitation.
Cette fusion se traduira par un gain mensuel moyen de 62 euros pour les conjoints et les aides familiaux, et de 75 euros pour les femmes concernées. C'est une avancée dont on ne peut que se réjouir. Cependant, je regrette – et c'est ce qui a motivé mon abstention au moment du vote en commission – que l'amendement déposé par la majorité ait supprimé les autres dispositions que je proposais, notamment la neutralisation dans le calcul du montant de la PMR de la majoration pour conjoint à charge, ou de la pension de réversion. Cependant, force est de reconnaître que cette revalorisation contribuera à atténuer le fossé qui sépare les pensions des conjoints collaborateurs et aides familiaux des autres pensions.
Devons-nous en rester là ? Je ne le crois pas, tant la boussole qui nous guide tous est celle d'une égalité réelle entre l'ensemble des non-salariés agricoles, quel que soit leur statut. C'est en ce sens que j'ai travaillé en commission avec le Gouvernement – en bonne intelligence, dirais-je –, ce qui justifie les amendements que nous avons déposés. Le premier vise à appliquer l'augmentation de la PMR à tous les retraités et non pas seulement à ceux qui vont le devenir. Il n'est jamais trop tard pour reconnaître la vie de labeur des centaines de milliers de travailleurs de la terre déjà retraités, qui ont pâti d'une protection sociale à éclipses.
Le deuxième amendement permet d'aligner le plafond d'écrêtement de la PMR, qui est une pension contributive, sur le montant de l'allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA), qui est une prestation de solidarité. En arrimant les deux montants, cet alignement permet de rehausser le plafond de la PMR de près de 30 euros, ce qui permet à la fois une revalorisation supplémentaire et une augmentation du nombre de bénéficiaires de ce minimum contributif.
Compte tenu des échanges en audition, j'ai aussi souhaité limiter dans le temps le bénéfice du statut de conjoint collaborateur, pas seulement pour les personnes qui intègrent ce statut mais aussi pour tous les actifs concernés. Je propose de le limiter à cinq ans, comme c'est le cas actuellement pour les aides familiaux. Les conjoints pourront ainsi évoluer vers un statut plus protecteur de leurs droits sociaux. C'est le deuxième étage de la fusée.
Il me reste pourtant à exprimer une forte déception concernant nos débats en commission : l'article 2, qui prévoyait une extension aux conjoints collaborateurs et aides familiaux du complément différentiel de points de retraite complémentaire obligatoire (CDRCO) à hauteur de 85 % du SMIC, a été rejeté alors qu'il correspondait à ce que nous avions appelé ensemble de nos vœux. Je vous propose donc le rétablissement de cet article ainsi que différentes versions de repli.
Si j'entends bien que la marche budgétaire est haute, je note cependant qu'elle a été fortement abaissée par le mécanisme d'écrêtement introduit au cours de nos débats l'année dernière. C'est pourquoi je propose que cette extension puisse être progressive et suivre un chemin que vous devriez trouver compatible avec l'impact budgétaire de la mesure. Je propose aussi, en ultime repli, de n'appliquer cette mesure dans un premier temps qu'aux personnes nouvellement retraitées pour un coût de 14 millions d'euros, encore davantage compatible avec vos objections sur l'impact financier.
C'est aussi l'objectif de justice sociale qui anime les demandes de rapport que j'ai déposées. S'agissant du premier, je souhaite que le montant de la PMR soit aligné sur celui du minimum contributif majoré, dit MICO majoré, du régime général. Il s'agit d'une augmentation de 5 euros par mois pour les personnes concernées, ce qui n'est pas rien pour celles qui bénéficient des pensions de retraite les plus modestes. Monsieur le secrétaire d'État, allez-vous engager une revalorisation par décret de la PMR pour l'aligner sur le montant du MICO majoré, dans une visée d'égalité entre les deux régimes – général et agricole ?
Ma deuxième demande de rapport porte sur l'attribution de points gratuits de retraite de base ou complémentaire. Une telle attribution, déjà effectuée dans le passé, est le plus sûr moyen d'augmenter les plus petites retraites sans condition exclusive, tout en évitant le recours à des dispositifs de solidarité qui ne sont actuellement pas privilégiés par les agriculteurs. Monsieur le secrétaire d'État, avez-vous engagé une réflexion en faveur d'un tel dispositif ?
Le troisième et dernier étage de la fusée consiste à assurer l'égalité des pensions entre les exploitants agricoles, les conjoints collaborateurs et les aides familiaux, bref l'égalité entre tous les travailleurs des exploitations agricoles. Comme le disait un grand poète dont l'esprit m'accompagne souvent : « il pourra, par les nuits étoilées, / courir le monde, / ou consoler les yeux rougis. / Mais pas renoncer. »
Applaudissements sur les bancs des groupes GDR, SOC et FI. – Mme Jeanine Dubié applaudit également.
La parole est à M. le secrétaire d'État chargé des retraites et de la santé au travail.
Nous voici de nouveau rassemblés dans cet hémicycle pour débattre de la revalorisation des pensions de retraite agricoles, un an jour pour jour après l'adoption, avec le soutien du Gouvernement et de la majorité, d'une première proposition de loi du président Chassaigne.
Ce 18 juin 2020, en effet, emportée par un même élan républicain, toute la représentation nationale s'exprimait d'une même voix en faveur de la revalorisation des retraites agricoles dans un pays où nous sommes tous fils, petit-fils ou arrière-petit-fils d'agriculteur.
Avant de nous projeter ensemble dans ce nouveau débat, il me paraît essentiel de rappeler l'ampleur du progrès accompli dans l'intervalle. Que de chemin parcouru ! Votre première proposition de loi a achevé son parcours parlementaire, monsieur le rapporteur.
Il y a quelques semaines, sur décision du Premier ministre, l'entrée en vigueur du texte a été avancée du 1er janvier au 1er novembre.
Concrètement, 227 000 chefs d'exploitation agricole bénéficieront de cette revalorisation, assortie d'une garantie de retraite minimale de 1 035 euros par mois. En moyenne, ces titulaires de petites retraites toucheront 105 euros de plus chaque mois. Coïncidence heureuse : le décret simple destiné à appliquer cette revalorisation anticipée a été publié au Journal officiel ce matin.
Depuis un an également, les députés Nicolas Turquois et Lionel Causse, que je salue, ont accompli un remarquable travail de documentation et de proposition concernant les petites retraites, dans le cadre d'un rapport qu'ils m'ont remis le 11 mai dernier.
Le chemin parcouru ne se limite pas aux seules retraites agricoles. Conformément à l'engagement du Président de la République, l'allocation de solidarité aux personnes âgées a été revalorisée : elle a enregistré un gain sans précédent de plus de 100 euros par mois. Il y a donc aucune ambiguïté : le soutien aux petites retraites est une préoccupation forte de ce gouvernement, de cette majorité, et sans doute d'ailleurs de l'ensemble de l'hémicycle. Il le restera jusqu'au bout.
Le texte dont nous discutons formule de nouvelles propositions en ce sens. Je salue la qualité des travaux de la commission des affaires sociales. Je connais bien l'engagement de sa présidente sur le sujet. Le Gouvernement partage évidemment l'intention qui est la vôtre, monsieur le président Chassaigne. Je sais qu'elle est d'ailleurs relayée sur tous les bancs. Il me paraît toutefois indispensable de rappeler trois principes qui justifieront nos positions sur différents articles.
Je pense tout d'abord au principe d'équité. Nous ne méconnaissons évidemment pas la spécificité du sujet agricole. Néanmoins, comme l'ont clairement démontré les travaux de Nicolas Turquois et Lionel Causse, le sujet des petites retraites n'est pas catégoriel. Celles-ci sont avant tout le résultat de carrières discontinues et insuffisamment cotisées, quel que soit le statut ou le métier – cela concerne à 74 % des femmes.
Je salue évidemment des avancées qui figurent dans ce texte au bénéfice des agriculteurs, mais prenons garde à ne pas oublier les autres secteurs d'activité. J'ai une pensée particulière pour nos indépendants, artisans, commerçants, qui perçoivent également de faibles niveaux de pensions et ne doivent pas être laissés-pour-compte, ainsi que pour tous les salariés qui subissent un temps partiel synonyme de faibles droits à retraite. C'est en ce sens que j'avais défendu devant vous, l'année dernière, une garantie de retraite minimale à 85 % du SMIC net pour tous les actifs ayant une carrière complète, tous statuts confondus.
Le second principe est celui de la contributivité. Dans un système par répartition, fondé sur une logique assurantielle, la faiblesse des cotisations de certaines professions se traduit mécaniquement par des retraites insuffisantes. Légiférer uniquement sur les pensions au moment de leur liquidation risque de nous condamner à ne traiter que les conséquences des carrières hachées, alors que notre politique de revalorisation du travail et de soutien sans précédent à l'emploi vise précisément à en résoudre les causes.
Le troisième principe est celui de la responsabilité. L'engagement du Gouvernement de protéger les emplois et de soutenir la relance est total. Toutefois, nous le savons bien, les droits gratuits n'existent pas, et le financement des nouveaux dispositifs ne peut reposer sur la seule solidarité nationale.
C'est à l'aune de ces principes que le Gouvernement confirmera et amplifiera le mouvement initié par vos travaux en commission, à partir des amendements adoptés sur proposition de la majorité. Je défendrai ainsi un amendement pour étendre aux retraités actuels le bénéfice de l'alignement des minima de pensions agricoles. Nous proposerons d'aller encore plus loin que ce qui a été fait en commission en relevant le plafond d'écrêtement de ce dispositif. En revanche, malgré la qualité de votre plaidoyer, monsieur le président Chassaigne, le rétablissement, en tout ou partie, de l'article 2, supprimé par la commission, recevra un avis défavorable, car cela nous éloignerait des principes que j'ai rappelés à l'instant.
D'autres dispositions seront également renforcées, qu'il s'agisse de l'information sur l'allocation de solidarité aux personnes âgées ou de l'extension des dispositions de l'article 3 aux conjoints collaborateurs actuels.
Au-delà des dispositifs et des chiffres, il y a, avant tout, des femmes et des hommes qui bénéficieront, à l'issue de la navette, d'un pouvoir d'achat renforcé et d'un meilleur accès aux droits. Ce sont ces femmes et ces hommes qui nous sensibilisent au quotidien sur ce sujet des petites retraites agricoles, ce sont eux que nous avons eu l'occasion de rencontrer, comme vous le faites sans doute tous dans vos circonscriptions, lors d'un déplacement avec le Premier ministre et le ministre de l'agriculture sous le soleil du Puy-de-Dôme, en avril dernier, en présence d'André Chassaigne, élu dans ce département. Ces femmes et ces hommes peuvent compter sur la mobilisation de l'ensemble du Gouvernement, sous l'autorité du Premier ministre et du Président de la République, en faveur d'une retraite digne et décente.
Au moment où nos débats s'ouvrent, je m'en remets à mon tour aux fulgurances de René Char, auquel je vous sais attaché, monsieur le président Chassaigne : « Le réel quelquefois désaltère l'espérance. C'est pourquoi, contre toute attente, l'espérance survit. » Donnons ensemble, aujourd'hui, un nouveau souffle à cette espérance.
Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM. – Mme Géraldine Bannier applaudit également.
Monsieur le secrétaire d'État, je suis content de vous revoir. Nous avons tellement cogné sur vous pendant la réforme des retraites… Nous avions peur que le désœuvrement vous conduise à vous ennuyer.
Je suis heureux de rendre à César, à Dédé, ce qui appartient à Dédé : son opiniâtreté en faveur de la défense des retraites des agriculteurs, des femmes d'agriculteurs et des aides familiaux. Elle nous permet de franchir une nouvelle étape dans notre engagement pour une retraite digne pour tous.
La proposition de loi que nous examinons, qui vise à revaloriser les pensions minimales des conjoints collaborateurs et des aides familiaux, fait « causer » après une crise qui a laissé des traces dans les têtes de ces agriculteurs. Elle « cause » à tous ceux qui ont vécu de la terre, à tous ceux qui en vivent, et qui très souvent craignent de bientôt ne plus pouvoir en vivre, parce que les prix ne sont pas assez rémunérateurs et qu'à l'âge de prendre sa retraite, la pension ne permettra pas de profiter du temps qui reste.
Chez moi, en Normandie, dans les fermes, dans l'Orne, dans le Calvados, dans l'Eure, dans la Manche et en Seine-Maritime, on n'a pas le temps de se plaindre de sa condition. Chez ces gens-là, monsieur le secrétaire d'État, on ne fait pas l'aumône, on n'est pas des « diseux », on travaille à sa tâche, à la terre, car c'est elle qui nous fait vivre chaque jour. On fait ce métier avec les siens – très souvent, sa femme, son mari, sa famille –, sans compter ses heures ni ses jours. On le fait avec bonheur, avec plaisir, avec passion, souvent avec amour. Encore trop souvent, on le fait aussi avec un statut qui nous protège mal, et parfois même sans aucun statut ; c'est ce que nous proposons de corriger aujourd'hui.
Certaines ont travaillé toute leur vie à la ferme, comme conjointe ou aide familiale, car elles savaient que, sans ce travail, l'exploitation familiale n'était pas viable. Ces conjoints, ces femmes, ces aides familiaux ne perçoivent la plupart du temps aucun salaire – ou parfois un salaire de misère. Beaucoup de nos anciens, femmes et aidants, qui ont travaillé dans nos fermes d'élevages, dans nos laiteries normandes, pendant bien plus de quarante ans, reçoivent aujourd'hui une retraite de misère, souvent inférieure à 600 euros mensuels, comme André Chassaigne l'a dit. En réalité, la pension de retraite tourne autour de 555 euros, soit le minimun : ce n'est pas une digne reconnaissance pour celles et ceux qui contribuent à nourrir notre pays.
Alors, quand le président de notre groupe, André Chassaigne, nous a proposé de défendre ce texte d'égalité, de dignité et de réparation, un an après avoir franchi un premier pas en faveur des chefs d'exploitation, nous avons répondu que c'était une priorité pour l'ordre du jour réservé du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
Cependant, la situation de ces milliers de conjoints collaborateurs, de ces aidants, de ces veufs et veuves n'est pas le fruit du hasard. L'absence, depuis de nombreuses années désormais, de prix rémunérateurs pour un grand nombre de cultures et d'élevages explique l'existence de cette trappe à misère. Il y a aussi la libéralisation des marchés, qui s'est par exemple traduite par la suppression des quotas laitiers qui a fait du mal, chez moi, en Normandie. L'absence d'une politique volontariste de réduction des inégalités de rémunération, l'absence d'une loi qui protège, qui prend soin et qui régule expliquent souvent l'abîme qui nous sépare de ce qu'il faudrait faire en faveur des agricultrices concernées.
Nos fermes d'antan, à dimension humaine, avec des productions raisonnées et des savoir-faire uniques, sont désormais concurrencées par des fermes XXL, ce qui ne permet pas une rémunération correcte des agriculteurs, de leurs familles et de leurs conjoints. Cette situation pourrait même s'aggraver avec la prochaine PAC – politique agricole commune : son budget en baisse ne viendra pas corriger les errements du marché pour garantir des prix justes pour nos agriculteurs qui subissent toujours les chantages de la grande distribution. Je me demande parfois si le groupe Bigard n'est pas le véritable ministre de l'agriculture. Pensez à Lactalis qui supprime toute référence à la provenance des produits sur les briques de lait – ce qui provoque une véritable colère des Normands. Ces errements ont de lourdes conséquences sur les revenus de nos agriculteurs, de leurs conjoints, des aidants, donc sur les pensions de retraite. Avec de si faibles revenus, ils ne parviennent pas à cotiser suffisamment – la question des cotisations est au cœur du texte que nous examinons.
Pourtant, depuis cinq ans, alors que le constat est partagé par l'ensemble des organisations syndicales agricoles et qu'un large consensus politique se dessine de la droite aux cocos, les choses n'avancent pas même si nous démontrons qu'il est possible de prendre soin des gens – j'espère que vous aurez plus de cœur que ce matin et que vous effacerez l'opprobre de ce qui s'est passé au sujet de l'AAH, l'allocation aux adultes handicapés.
Combien de lois ont été discutées ici, comme la loi EGALIM, la loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous ? Son troisième anniversaire nous a rappelé son échec à protéger les agriculteurs. Combien de coups ont été portés à nos savoir-faire agricoles et à leur reconnaissance ? Je pense aux menaces sur notre lait, sur nos appellations d'origine contrôlées fromagères et au refus de reconnaître les coûts de production comme base de construction des prix. Combien de coups seront encore portés à notre agriculture ? Ce sujet devrait vous interpeller. Un dialogue de gestion avec la MSA – Mutualité sociale agricole – est en cours, mais, du côté de cet acteur, on m'explique que si les choses continuent ainsi, il ne pourra plus assurer de présence de proximité pour la protection sociale de nos agriculteurs. Il serait bon que ce dialogue de gestion soit transparent aux yeux de la représentation nationale.
Depuis 2017, rares sont les moments, au sein de cette assemblée, durant lesquels nous avons pu discuter de lois de progrès. Vous vous êtes faits les chantres de lois de régression. Rares sont les moments, depuis le début du quinquennat, qui nous ont permis d'améliorer concrètement la vie des gens, en particulier la vie de nos agriculteurs. L'année dernière, notre groupe a permis une première avancée en leur faveur grâce à l'adoption de la proposition de loi fixant à 85 % du SMIC le montant minimum de la pension de retraite des agriculteurs pour une carrière complète de chef d'exploitation. La revalorisation des retraites agricole, qui sera appliquée à partir du 1er novembre prochain – vous avez confirmé que le décret était pris –, se traduira par un gain significatif. Ce n'est pas une aumône, mais une juste rétribution par rapport au travail accompli par les intéressés.
Une porte a donc été ouverte, et il faut maintenant aller plus loin. Nous proposons en conséquence de reconnaître, comme un symbole de cette République qui prend soin, de cette République qui protège, la nécessité de revaloriser les pensions des conjoints collaborateurs et des aidants.
Certes, cette proposition de loi ne règle pas tout. Il manquera à ce texte tout ce que la majorité voudra bien lui enlever, mais il est une première pierre pour réparer l'injustice faite aux agriculteurs, aux retraites agricoles, à la situation de ces femmes. Comme nous ne sommes pas tenants du tout ou rien, nous prenons ce qui va dans le bon sens. Cette proposition de loi est une mesure d'égalité, une mesure de justice à l'égard potentiellement de plus de 129 000 pensionnés avec le statut de conjoint collaborateur, 204 000 avec le statut de membre de la famille et 394 000 veuves et veufs. En Normandie, chez moi, le texte bénéficierait à près de 39 000 personnes, principalement des femmes.
Quand on rencontre des retraités agricoles, qui ont bien souvent travaillé depuis le plus jeune âge, et qu'on leur explique ce que cette proposition de loi changerait, on peut lire dans leurs yeux que, pour une fois, ils ont le sentiment d'être reconnus par la République. Même si l'objectif initial du texte a été amputé et grignoté par les Marcheurs et le Gouvernement, le consensus auquel nous avons abouti permettra une augmentation moyenne d'environ 100 euros des pensions mensuelles des conjoints collaborateurs et des aidants. Pour ceux qui nagent dans le luxe, le calme et la volupté, ce n'est pas grand-chose, mais pour ceux qui ne touchent qu'une retraite de misère, 100 euros, c'est déterminant.
De notre point de vue, cette avancée n'est certes qu'une première étape, mais c'est du concret pour eux, pour tous ces agriculteurs, de l'Orne jusqu'au Puy-de-Dôme. Tous, ils en mesureront l'efficacité et l'utilité.
Bien sûr, il faudra également travailler dans les cinq prochaines années à définir un nouveau régime, un nouveau statut, pour les conjoints collaboratrices qui, pour la grande majorité, ne bénéficient pas de protection suffisante. Ce travail doit être poussé encore plus loin, car on ne peut pas demander à nos jeunes de s'installer avec des statuts précaires et des promesses de rémunérations indignes. Bien sûr, il faudra travailler à rendre plus lisible, moins complexe, plus juste et solidaire ce système de retraites agricoles. Vous nous avez encore servi le même couplet en nous expliquant qu'il était trop complexe, pour mieux nous vendre la simplification que constituerait votre système de retraite à points à la noix de coco, qui vise en réalité à flinguer le modèle par répartition.
Je conclurai ainsi, monsieur le secrétaire d'État : soyez convaincu – je vous le dis droit dans les yeux – que cette avancée en appelle d'autres. La question des artisans et des indépendants devra également être traitée. Vous êtes libre de l'inscrire à l'ordre du jour de l'Assemblée quand vous le souhaitez, et nous vous accompagnerons dans cette démarche : le calendrier parlementaire n'est pas un argument valable pour différer les avancées.
Mais je l'affirme également : si, par malheur, le Président de la République, qui repart en campagne, entendait tirer à l'avance les conclusions du débat qu'il orchestre artificiellement avec les habitants et revenir à son projet de réforme des retraites, vous nous trouverez sur votre chemin aux côtés du mouvement social, avec la même combativité, la même opiniâtreté et la même sévérité que celles qui animent André Chassaigne pour faire avancer la cause des agricultrices.
Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et FI.
Je tiens d'abord à remercier le rapporteur André Chassaigne, qui nous donne l'occasion d'examiner cette proposition de loi visant à assurer la revalorisation des pensions de retraite agricole les plus faibles. Ce dossier, que je défends avec de nombreux députés présents dans l'hémicycle, me tient à cœur.
En 2020, l'Assemblée nationale avait adopté des dispositions prévoyant de porter à 85 % du SMIC les pensions perçues par les chefs d'exploitation. La hausse, qui sera effective à partir du 1er novembre prochain, atteindra en moyenne 105 euros. Elle constitue une belle avancée pour les chefs d'exploitation, obtenue grâce au travail mené conjointement par le député Chassaigne, la majorité et le Gouvernement.
Nous nous intéressons aujourd'hui aux pensions des personnes, essentiellement des femmes, exerçant sous un autre statut du régime des non-salariés agricoles, à savoir les aides familiaux et les collaborateurs d'exploitation, dont les retraites sont bien inférieures à celles précédemment évoquées. Parmi ces retraités, on compte 734 000 femmes. Celles qui ont aussi travaillé à l'extérieur ou perçoivent une pension de réversion touchent une retraite moyenne d'environ 1 000 euros – un montant qui peut être considéré comme correct, bien que peu élevé.
Mais pour bon nombre d'entre elles – celles qui ont connu une vie de dur labeur entièrement consacrée à l'agriculture –, le montant de pension moyen s'élève à 600 euros par mois, ce qui est non seulement inférieur au seuil de pauvreté, mais aussi à l'allocation de solidarité aux personnes âgées, autrefois appelée minimum vieillesse. Je pense par exemple à une agricultrice retraitée et militante, dont le témoignage ne laissera personne indifférent : ayant travaillé quarante-quatre ans en tant qu'aide familiale, puis sous le statut de conjoint collaborateur et enfin quelques années comme cheffe d'exploitation, elle perçoit une retraite de 664 euros.
Le groupe La République en marche souhaite contribuer à une revalorisation notable des pensions les plus modestes perçues dans le monde agricole. Aussi sommes-nous heureux de nous associer à l'esprit de la proposition de loi défendue par le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
L'agriculture est bien au cœur de notre politique. Je rappelle que le Gouvernement et la majorité parlementaire travaillent avec constance pour améliorer le quotidien des agriculteurs. Les récentes propositions de loi visant à assurer la régulation de l'accès au foncier agricole ou à protéger la rémunération des agriculteurs prévoient des avancées significatives. La situation des retraites agricoles est abordée en détail dans le rapport que les députés Lionel Causse et Nicolas Turquois ont remis au Premier ministre en vue d'une réforme globale des petites pensions. J'ai moi-même déposé, avec 120 parlementaires de la majorité, une proposition de loi relative à la revalorisation des carrières des femmes dans l'agriculture, dont plusieurs dispositions seront reprises dans le présent texte.
La commission partage l'intention du rapporteur d'aligner les montants des deux pensions majorées de référence existantes, qui diffèrent actuellement de 143 euros et a conservé cette disposition prévue à l'article 1er . Les syndicats réclamaient cette mesure depuis longtemps. Ce sera chose faite sous notre mandat. Nous irons même plus loin en proposant de relever le plafond d'écrêtement de la pension majorée de référence pour le porter au niveau de l'ASPA.
Parce qu'il ne serait ni juste ni raisonnable d'offrir le même niveau de pension à tous sans prendre en considération les cotisations versées, nous avons supprimé en commission l'augmentation initialement prévue à l'article 2 : le CDRCO est un supplément de pension perçu par les seuls chefs d'exploitation ayant exercé dix-sept ans et demi ou plus.
À mon sens, le meilleur moyen de garantir l'équité entre agricultrices et agriculteurs, comme le souhaite Roger Treneule, président de l'Association nationale des retraités agricoles de France (ANRAF), consiste à limiter dans le temps le recours aux statuts les moins protecteurs. C'est pourquoi nous avons unanimement choisi, à l'article 3, de limiter à cinq ans le statut de conjoint collaborateur à compter du 1er janvier 2022. Nous proposerons, à travers l'amendement n° 24 , d'étendre cette limitation à l'ensemble des actifs exerçant sous ce statut.
Si nous avons le devoir de corriger les situations les plus difficiles en sollicitant parfois la solidarité nationale, nous devons aussi à nos concitoyens une certaine retenue en matière de dépense publique. Ces différentes mesures, vous le savez, ont un coût. Je remercie le Gouvernement d'en garantir le financement.
Pour finir, je tiens à remercier les agricultrices et les agriculteurs engagés, dans la culture ou l'élevage, à produire l'alimentation saine que nous apprécions chaque jour. Je pense particulièrement aux agricultrices retraitées qui nous écoutent et dont la pension augmentera en 2022 grâce aux mesures annoncées.
Vous l'aurez compris, le groupe La République en Marche soutient ce texte et votera en faveur de cette proposition de loi.
Mme Monique Limon applaudit.
En tant que députés, nous sommes habitués à devoir faire preuve de persévérance et de patience pour n'obtenir, malheureusement pour nos concitoyens, que des satisfactions souvent maigres au vu des efforts consentis. Après avoir connu ce matin un terrible exemple de procédés qui ne devraient pas avoir cours à l'Assemblée, nous sommes confrontés, cet après-midi, à un cas d'école de la politique des petits pas.
Le 2 février 2017, à quelques mois de l'élection présidentielle, nous débattions dans cet hémicycle, à l'initiative du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, de l'urgence à revaloriser les petites pensions des agriculteurs retraités en les portant de 75 % à 85 % du SMIC. Ce texte avait été adopté à l'unanimité – j'en étais. Après plusieurs tours de passe-passe – appelons-les ainsi – joués par la majorité de l'époque puis par l'actuel gouvernement, il a fallu trois ans et demi pour que cette proposition de loi revienne devant l'Assemblée, le 18 juin 2020.
En plus de ce délai, il a fallu consentir à des aménagements pour que le texte soit voté, notamment le report de son application jusqu'à la fin de l'année 2021 – nous y arrivons –, l'obligation pour les agriculteurs concernés d'avoir demandé tous leurs droits à la retraite, l'écrêtement entre tous les régimes de retraite, etc. C'est dire si nous pratiquons la politique des petits pas pour les quelque 225 000 retraités agricoles concernés !
Ces derniers n'ont pas choisi la situation dans laquelle ils se trouvent : à leur époque, les régimes de cotisation n'étaient pas ce qu'ils sont devenus, le nombre d'actifs agricoles était infiniment supérieur à son niveau actuel, la France avait besoin de nourrir une population croissante et les bouleversements profonds à l'œuvre dans les fermes suscitaient un immense besoin de bras. Chacun, dans les familles, était mis à contribution, sans penser aux cotisations. L'expression de la solidarité nationale envers ces pensionnés pauvres – laquelle est d'ailleurs en total décalage avec les efforts que notre société consent pour d'autres catégories de Français, plus nombreux – ne devrait pas susciter de débats si longs et si laborieux : il nous faut avancer.
Vous abordez, chers collègues, l'autre volet de cette injustice flagrante. Encore plus choquant, il concerne les femmes d'exploitants, les conjoints collaborateurs et les aides familiaux, qui n'entrent pas dans le spectre de la loi de 2020. Tous ici présents, députés ruraux pour la plupart, nous avons à cet instant en tête, et surtout dans le cœur, l'exemple d'une grand-mère, d'un oncle ou d'un cousin que nous voyons ou avons vu vieillir avec une pension de 300 ou 400 euros par mois, au terme d'une vie de labeur et d'astreinte, dans des conditions souvent rendues difficiles par l'âge, l'usure et la dépendance.
Cette situation est tout simplement insupportable, car ces personnes – majoritairement des femmes, même si des hommes sont également concernés –, qui ont tout donné pour la ferme familiale, n'avaient tout simplement pas d'autre choix : il fallait faire manger la famille, s'occuper des bêtes et ne pas laisser un mari, un père ou un frère faire face à une tâche bien trop lourde pour une seule personne. Cette réalité, ce n'est pas parce qu'elle est celle d'un petit nombre de discrets qui ne demandent jamais rien qu'il faut l'occulter : nous avons le devoir d'apporter une solution. Faute de réforme générale des retraites, il nous faut le faire maintenant.
La proposition initiale du groupe de la Gauche démocrate et républicaine nous semblait en tout point recevable. Elle prévoyait d'aligner les conditions d'accès à la PMR 2, soit 699 euros mensuels, tout en permettant le cumul de diverses prestations – réversion ou majoration pour les enfants ou le conjoint à charge. La majorité a souhaité supprimer cette disposition additionnelle. Nous en voulons le rétablissement : 700 euros par mois, est-ce un privilège ?
Le texte prévoit aussi de faire en sorte que les femmes d'agriculteur, les conjoints collaborateurs et les aidants familiaux accèdent au même complément différentiel de point retraite complémentaire obligatoire, pour leur permettre d'atteindre, comme les chefs d'exploitation, des pensions équivalentes à 85 % du SMIC à compter de la fin 2021. Cet article, vous n'en voulez pas. Nous pensons, nous, qu'il faut le rétablir.
La proposition de loi prévoit enfin la limitation à cinq ans, après le 1er juillet 2022, du statut de conjoint collaborateur pour ceux qui font ce choix. C'est bien entendu souhaitable si nous voulons progressivement mettre un terme au problème que nous rencontrons.
Il est évident que nous devons y voir clair concernant le coût de ces mesures et leurs financements, et disposer d'assurances quant à leur mise en œuvre par la MSA. L'État devra fournir à cette dernière les moyens nécessaires pour agir en ce sens.
Lors des débats interrompus sur le projet de loi instituant un système universel de retraite, le groupe Les Républicains a formulé de nombreuses propositions pour améliorer le sort des agriculteurs retraités. Nous persistons à penser que les paysans méritent de percevoir des pensions décentes, en rapport avec les efforts qu'ils fournissent, les risques qu'ils prennent et les cotisations qu'ils versent – mais ceci est un autre débat, puisque nous ne cherchons aujourd'hui qu'à apporter des solutions aux seuls retraités. Nous devrons donc nous retrouver pour la suite.
Dans cette attente, vous pouvez, monsieur le président Chassaigne, compter sur notre soutien.
L'engagement de notre collègue André Chassaigne en faveur des retraites agricoles est unanimement reconnu dans l'Assemblée. Je tiens d'abord à le saluer, au nom du groupe Mouvement démocrate (MODEM) et démocrates apparentés.
Mme Géraldine Bannier applaudit.
En tant qu'ancien corapporteur du projet de loi instituant un système universel de retraite, je porte une attention particulière aux petites retraites, notamment à celles du secteur agricole, qui m'est cher. La faiblesse des retraites agricoles n'est pas un phénomène récent. Rappelons qu'après la guerre, les pouvoirs publics et les représentants de la profession n'ont pas voulu faire peser des charges sociales trop lourdes sur les agriculteurs, qui participaient alors activement à la reconstruction du pays.
Dans ce contexte, aucune cotisation – donc aucun droit – n'était prévue pour le conjoint ou les enfants, même si ceux-ci participaient aux travaux de l'exploitation. L'épouse du chef d'exploitation a longtemps été considérée comme n'exerçant aucune profession : son travail dans la ferme – généralement celle de sa belle-famille – prolongeait le travail accompli dans la maison, sans qu'il soit besoin de lui associer la moindre reconnaissance d'ordre professionnel.
Jusqu'aux années 1990, la faiblesse des pensions agricoles est réelle, mais n'est pas perçue comme très différente de celles perçues par les ouvriers, par exemple. Il fallut attendre 1999 pour que les conjoints participant aux travaux de l'exploitation agricole se voient attribuer un statut légal et puissent finalement, en 2011, bénéficier d'une retraite complémentaire.
La conjoncture a changé : l'écart de niveau de vie entre le monde agricole et le reste de la société s'accroît et, pour ce qui est des pensions, devient très significatif.
Les conjoints d'exploitant sont particulièrement concernés par cette situation qui peut être critique en cas de veuvage ou de séparation.
Certes, année après année, ils sont de moins en moins nombreux : environ 25 000 actifs et 122 000 retraités dont 97 % de femmes. En dix ans, l'effectif des collaboratrices d'exploitation a été divisé par deux, ce qui traduit un désintérêt croissant. Aujourd'hui, lorsqu'elles choisissent de rester sur l'exploitation pour y travailler, les femmes préfèrent opter pour un statut de coexploitant, plus valorisant du point de vue de la reconnaissance mais aussi de la constitution de droits à la retraite.
En effet, avec le statut de conjoint, les femmes d'agriculteurs – car, finalement, c'est bien d'elles que l'on parle à travers l'expression « conjoint collaborateur » – acquièrent des droits à la retraite qui ont été, et sont encore, très faibles, sans vraiment le savoir : 650 euros brut par mois en moyenne contre 950 pour les hommes et 750 euros par mois pour une carrière complète alors que la pension moyenne des salariés au régime général est de 1 310 euros brut par mois.
Cette injustice, je l'ai mise en lumière et dénoncée dans le rapport sur les petites retraites que mon collègue Lionel Causse et moi-même avons remis au Gouvernement le mois dernier.
Parmi les pistes évoquées pour mettre fin à la précarité des femmes retraitées agricoles, nous avons formulé une proposition consistant à limiter dans le temps le statut de conjoint collaborateur, comme c'est le cas aujourd'hui pour les aidants familiaux.
C'est une idée que vous reprenez, monsieur le rapporteur, et nous souscrivons donc pleinement à votre démarche. Il n'est plus acceptable, dans une société qui prône l'égalité des droits, de maintenir indéfiniment un statut corrélé à une dynamique de couple, avec tous les risques qui en découlent. Le statut de conjoint collaborateur, qui visait initialement à inclure l'épouse dans la protection sociale agricole, est aujourd'hui une véritable trappe à petites retraites et parfois même le vecteur d'une précarité insoupçonnée en cas de rupture ou de divorce après plusieurs années de vie commune.
Nous approuvons également la disparition de la distinction, dans la pension de base, entre les montants de la PMR 1 et de la PMR 2, selon que vous êtes chef d'exploitation, conjoint ou aidant familial. La PMR est l'équivalent du MICO, le minimum contributif, appliqué dans le régime général et qui, lui, ne distingue pas entre les statuts.
Au-delà de la complexité occasionnée dans les calculs, je crois qu'il nous faut désormais raisonner en parcours de vie et, dans cette hypothèse, le rapprochement voire l'harmonisation des différents minima de retraite semble une évidence. Aujourd'hui, vous pouvez avoir été salarié puis conjoint puis chef d'exploitation et, même si vous avez suivi ce parcours dans un autre ordre, ou dans des proportions différentes, rien ne justifie l'écart entre votre minimum de pension et les autres. Une harmonisation par le haut est donc une avancée à saluer.
En revanche, nous ne sommes pas favorables à votre proposition d'ouvrir aux conjoints et aux aidants le bénéfice de la majoration de pension complémentaire sans qu'un effort de cotisation supplémentaire soit consenti en parallèle. Si je comprends votre ambition, les moyens pour y parvenir ne sont pas évoqués. Notre système de retraite, que votre parti a largement contribué à bâtir au sortir de la guerre, s'appuie sur des principes forts de contributivité et d'universalité.
Or le fait de prévoir les mêmes droits pour des personnes dont l'effort contributif est trois fois moindre entre en totale contradiction avec ces principes.
Nous préférons, au sein de notre groupe, porter notre réflexion sur les situations professionnelles qui conduisent à la perception de petites pensions plutôt que d'élaborer des mécanismes particuliers, complexes et qui dérogent aux principes fondateurs de notre système de retraite.
Notre groupe est conscient de la nécessité d'avancer sur les sujets évoqués dans ce texte. Son vote sera conditionné par l'acceptation des propositions qu'il formulera au cours des débats.
Il a fallu que nous soyons si durement frappés par une crise sanitaire mondiale pour nous rendre compte collectivement de ce qui est vital et de ce qui ne l'est pas. Les agriculteurs et leur travail sont vitaux pour notre société. Je ne vous apprendrai rien en vous disant qu'ils nous nourrissent et que nous ne pouvons pas nous passer d'eux.
Sous le précédent quinquennat, le président François Hollande avait tenu sa promesse d'une pension minimale à 75 % du SMIC. C'est une bonne chose, nous en sommes fiers mais, convenons-en, il fallait aller plus loin. C'est ce qui a été fait une première fois, pour les chefs d'exploitation, avec la proposition de loi d'André Chassaigne adoptée le 3 juillet 2020.
La logique de cette proposition de loi était d'une simplicité cristalline : les paysans doivent eux aussi pouvoir se nourrir et vivre dignement lorsque l'âge de la retraite est venu. La société le leur doit bien, à tout le moins.
Le texte qui nous est soumis suivait la même logique de justice et visait le même objectif de créer un filet de sécurité pour les pensions agricoles en l'appliquant à tous ceux, très nombreux, qui travaillent dans des exploitations sous un statut de non-salarié.
Je dis « tous ceux » mais peut-être devrais-je dire « toutes celles » car, dans plus de 56 % des cas, il s'agit de femmes, bien souvent les conjointes du chef d'exploitation. Pour elles, l'injustice d'un statut moins protecteur s'ajoute à la dureté du travail agricole et à la faiblesse des revenus sur lesquels elles ont pu cotiser.
Je rappellerai simplement le fait suivant : en 2019, la retraite moyenne brute annuelle des non-salariés agricoles, y compris la retraite complémentaire obligatoire pour ceux qui ont cotisé, s'élève, pour une carrière complète, à 9 363 euros pour l'ensemble de cette catégorie et à 8 877 euros pour les femmes. Autrement dit, le montant moyen des retraites agricoles, notamment pour les conjoints collaborateurs et les aides familiaux, est inférieur au seuil de pauvreté. Je le répète, cela concerne des carrières complètes. Tout est dit à travers ce chiffre : les pensions des non-salariés du secteur agricole sont, dans leur grande majorité, inférieures à un seuil de simple subsistance.
La proposition qui nous est soumise visait donc, pour résumer, à assurer un reste à vivre minimum décent aux travailleurs agricoles, au-delà des seuls chefs d'exploitation. Elle ne remettait pas en cause le caractère contributif du système dans son ensemble, ce qui nous paraissait une bonne chose.
Je parle au passé, vous l'aurez remarqué, car ce texte a été profondément altéré en commission, en dépit du bon sens, au vu du contexte de crise que je viens d'évoquer. Tout se passe comme si, finalement, nous n'avions rien appris.
Nous aurions aimé que soit maintenue l'exclusion des majorations du mode de calcul de la pension majorée de référence. Mais avant tout, nous aurions voulu que l'instauration d'un complément différentiel de points de retraite complémentaire obligatoire, clé de voûte de la proposition initiale, soit conservée.
J'espère que nous ferons preuve de clairvoyance et que le niveau de notre ambition sera suffisant pour faire de cette proposition un texte de justice, purement et simplement. Nous pourrons alors, je l'espère, l'adopter.
La proposition initiale n'était peut-être pas suffisante pour éradiquer la pauvreté parmi les retraités du secteur agricole, en particulier chez les femmes, mais elle constituait une brique essentielle dans la construction d'un système plus juste et plus complet. La version qui nous est soumise n'est tout simplement plus suffisante. Nous resterons donc attentifs à l'évolution des débats, car notre décision finale dépendra de leur teneur.
Je tiens pour finir à saluer la ténacité et la constance de notre collègue André Chassaigne, dont le travail de longue haleine a déjà permis des avancées importantes. Ce nouveau texte, après la loi de 2020, cherchait à éliminer des angles morts. Sa démarche montre que des améliorations du système sont encore possibles, sans remettre en cause la logique d'ensemble et sans big bang normatif. J'espère que nous irons, ensemble, aussi loin que possible.
Applaudissements sur les bancs des groupes SOC et GDR.
L'enjeu de la proposition de loi du groupe de la Gauche démocrate et républicaine dont nous discutons est d'assurer une retraite digne à celles et ceux qui nous nourrissent.
Le groupe Agir ensemble se réjouit de l'examen de ce texte qui vise à remédier à une situation dont nous partageons tous le constat : la faiblesse des retraites des non-salariés agricoles. Il s'inscrit dans la continuité de la loi du 3 juillet 2020, adoptée à l'unanimité par notre Assemblée, qui permettra de porter à 85 % du SMIC, dès novembre prochain, le montant des pensions des exploitants.
Cependant, la loi que nous avons votée il y a un an ne concerne pas les non-salariés agricoles, c'est-à-dire les conjoints collaborateurs et les aides familiaux qui sont, faut-il le rappeler, majoritairement des femmes. Alors qu'elles exercent des activités similaires à celles de leur conjoint au sein de l'exploitation, elles subissent une inégalité de fait dans le calcul de leur pension de retraite. Il s'agit donc aussi d'un enjeu en matière d'égalité économique entre les femmes et les hommes.
Le groupe Agir Ensemble se réjouit de l'adoption en commission de l'amendement, défendu conjointement par les trois groupes de la majorité, qui a permis de poser les bases d'un alignement du montant de la pension majorée de référence des conjoints collaborateurs sur celui des chefs d'exploitation, pour les futurs retraités mais aussi pour les non-salariés agricoles aujourd'hui à la retraite. Nous voterons donc logiquement pour l'amendement proposé par le Gouvernement à l'article 1er .
Concrètement, le montant de la pension de base pour l'ensemble des non-salariés agricoles serait alors de 696 euros, ce qui se traduirait par un gain moyen de 62 euros – et même de 75 euros pour les femmes –, pouvant aller jusqu'à 143 euros selon les cas, pour environ 175 000 pensionnés.
La réécriture de l'article 1er proposée par le Gouvernement aboutirait par ailleurs au relèvement du seuil d'écrêtement de la PMR au niveau du montant de l'allocation de solidarité aux personnes âgées, soit 907 euros. Cela représente un effort supplémentaire de 18 millions d'euros en faveur de la retraite des non-salariés agricoles.
La fusion des PMR et le relèvement du seuil d'écrêtement au niveau de l'ASPA permettraient ainsi d'augmenter de 98 euros net par mois la retraite des femmes monopensionnées, ce qui n'est pas négligeable.
Notre groupe est également favorable à l'article 3, qui prévoit de limiter à cinq ans la durée du statut de conjoint collaborateur, comme c'est déjà le cas pour celui d'aide familial, de façon à ce que les personnes qui souhaitent continuer à travailler dans l'exploitation puissent obtenir un statut plus protecteur.
Nous avons en revanche soutenu en commission la suppression de l'article 2, qui visait à étendre aux conjoints collaborateurs et aux aides familiaux le bénéfice du complément différentiel de retraite complémentaire obligatoire. Cette mesure introduisait à notre sens une double inégalité : d'abord entre bénéficiaires, puisque le même complément serait attribué à des personnes qui ont cotisé différemment, ensuite vis-à-vis des autres indépendants – comment justifier, en effet, qu'un tel mécanisme ne s'applique pas aux conjoints collaborateurs des artisans ou des commerçants ?
Comme en commission, notre groupe fera preuve d'un esprit constructif et veillera à ce que ce texte de justice sociale ait une rédaction équilibrée.
Vous l'aurez compris, le groupe Agir ensemble partage l'ambition de votre proposition de loi – un texte de progrès – et votera en sa faveur, sous réserve de l'adoption des modifications proposées par le Gouvernement.
Mmes Jacqueline Dubois et Géraldine Bannier applaudissent.
Monsieur le secrétaire d'État, je suis heureux de vous retrouver car ce débat me rappelle un grand moment : l'examen du projet de loi instituant un système universel de retraite. Pour tout vous dire – je profite d'être à la tribune pour vous faire part de mes desiderata –, j'aimerais qu'avant la fin de la législature, nous puissions, sinon achever, du moins poursuivre le travail que nous avons commencé en la matière.
Je le dis tout de go, c'est l'occasion pour moi de rappeler quelques mesures pour lesquelles les centristes, notamment ceux du groupe UDI et indépendants, militent depuis plusieurs années : la mise en extinction des régimes spéciaux de retraite, la convergence entre le public et le privé ainsi que l'instauration d'un régime universel de retraite par points.
Cher André Chassaigne, vous avez beaucoup travaillé sur la question des retraites agricoles, notamment au cours de la législature précédente, ce qui a permis d'aboutir à la revalorisation des retraites des chefs d'exploitation, lesquels méritaient bien une pension à hauteur de 85 % du SMIC, soit environ 1 000 euros. Vous avez ensuite déroulé votre pelote en incluant dans votre réflexion la situation des conjoints collaborateurs et des aides familiaux. C'est une bonne chose. D'ailleurs, je le dis d'emblée : je suis ici, en tant que représentant du groupe UDI et indépendants, pour poursuivre le travail que nous avons commencé en commission et pour soutenir votre proposition de loi.
Je sais – l'expérience nous l'a montré, cher André Chassaigne – que, lorsque l'on est au Gouvernement, ce n'est jamais le moment de prendre de telles mesures qui, même si elles représentent des avancées, coûtent un peu d'argent.
On l'a encore bien vu ce matin avec une bonne proposition de loi qui concernait entre autres l'allocation adulte handicapé, et qui n'a pas pu aboutir pour des raisons notamment financières. Je peux comprendre que cette proposition de loi, qui coûterait de 850 millions d'euros…
…à 1 milliard d'euros si elle était adoptée telle quelle, fasse réfléchir le Gouvernement puisqu'il est responsable de la gestion des finances publiques, mais de par mon expérience de citoyen, puis de celle d'élu, j'entends depuis bientôt quarante ans beaucoup de membres de la majorité ou de ministres nous expliquer que ce n'est pas le moment, qu'il n'y a pas l'argent pour les avancées sociales proposées, notamment quand il s'agit d'aider les plus faibles d'entre nous. Il n'y a jamais d'argent pour cela !
Pourtant on a bien su, au moment de la crise des gilets jaunes, trouver les quelques milliards qu'il fallait en les débloquant dans l'urgence, et la crise sanitaire a aussi conduit, à juste titre, le Gouvernement à prendre des décisions budgétairement difficiles pour soutenir le système économique de notre pays. Et pour ces agriculteurs qui n'ont pas un statut à la hauteur des efforts fournis ni non plus un niveau de cotisation approprié, qu'ils soient chefs d'exploitation, conjoints collaborateurs ou aides familiaux, il y a cet après-midi matière à corriger l'état des choses.
J'ai apprécié, monsieur le secrétaire d'État, que, dans votre propos introductif, vous élargissiez la question à l'ensemble des indépendants. On en a parlé en commission, avec le rapporteur André Chassaigne, bien sûr, mais aussi avec Nicolas Turquois : les artisans et les commerçants eux aussi travaillent dur, mais le système de solidarité dont ils bénéficient n'est pas à la hauteur des enjeux. En tout cas, je félicite les membres du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, en particulier André Chassaigne, pour sa persévérance en la matière.
Il est d'autant plus nécessaire d'avancer sur ces sujets que les Français acceptent de moins en moins ces situations, ces petites retraites qu'ils vivent comme des injustices mais aussi comme des humiliations, et que le plus important dans une population, c'est sa cohésion. Et s'il y a une question qui doit nous préoccuper encore plus aujourd'hui qu'hier, c'est bien la cohésion de la population. Il faut dès lors travailler à corriger les inégalités.
Le groupe UDI et indépendants votera en faveur de cette proposition de loi car, comme je l'ai dit en conclusion de nos débats en commission, toutes les avancées, aussi petites soient-elles, sont bonnes à prendre en matière de petites retraites.
Applaudissements sur les bancs du groupe Agir ens.
En juillet dernier, notre parlement a acté une avancée majeure en assurant aux chefs d'exploitation agricole une revalorisation de leur pension de retraite, portée à au moins 85 % du SMIC pour une carrière complète. Et, comme l'an passé, nous devons au groupe GDR et à son président, André Chassaigne, de pouvoir à nouveau débattre dans l'hémicycle des injustices qui touchent les retraités agricoles, ce dont je tiens à les remercier. Le juste rattrapage opéré l'an dernier était un premier pas vers une plus grande reconnaissance des métiers agricoles ; il est désormais nécessaire de parachever la démarche en reconnaissant à sa juste valeur le travail accompli par les conjoints collaborateurs et par les aides familiaux. Il y a urgence puisqu'en 2019, leur pension moyenne était de 555 euros par mois. Comme tous ici, je ne me satisfais pas qu'une vie de travail donne lieu à une retraite minimale, sous le seuil de pauvreté. Les premières victimes, cela a été rappelé, sont les femmes : aujourd'hui encore, elles pâtissent d'une situation héritée du début du XX
La proposition de loi que nous examinons en ce début d'après-midi est une excellente occasion pour corriger cette situation puisqu'en s'appuyant sur trois leviers complémentaires, elle constitue une première étape pour réduire les inégalités des pensions et augmenter le niveau des retraites agricoles les plus faibles.
Tout d'abord, l'article 1er pose les bases d'un système plus juste en établissant une forme d'équité entre les non-salariés agricoles. Je me réjouis qu'un compromis ait pu être trouvé sur cet article : les amendements que nous allons examiner permettront enfin d'aligner la pension majorée de référence des conjoints collaborateurs et des aides familiaux sur celle des chefs d'exploitation. La PMR aura donc un montant unique et passera, pour les premiers, de 555 euros à 699 euros. Par ailleurs, ces amendements prévoient le relèvement du seuil d'écrêtement de la PMR au niveau du montant de l'allocation de solidarité aux personnes âgées pour une personne seule, ce qui garantira une augmentation de 30 euros du montant de ce plafond, ainsi porté à 906 euros.
J'estime néanmoins que ce n'est qu'un premier pas car l'article 1er initial avait pour ambition la convergence entre la pension majorée de référence et le minimum contributif du régime général. Je pense que cet horizon ne doit pas être perdu de vue, d'autant plus que la commission a fait le choix de supprimer l'article 2 qui prévoyait l'ouverture aux conjoints collaborateurs et aux aides familiaux du complément différentiel de points de retraite complémentaire obligatoire. Le groupe Libertés et territoires votera les amendements visant à rétablir cet article, si nécessaire pour relever le montant minimal de la pension à 85 % du SMIC, comme pour les chefs d'exploitation agricole.
Je comprends les réticences de la majorité et du Gouvernement à l'égard de cette disposition, en particulier en raison de son coût pour nos finances publiques, mais, comme l'a indiqué le rapporteur André Chassaigne, ce coût a déjà été réduit de moitié en raison de l'écrêtement introduit qui évite ainsi de prendre en compte les pensions versées par d'autres régimes. Et puis, de toute façon, nous ne sommes pas à la hauteur si nous ne raisonnons qu'en termes de considérations financières lorsqu'il est question des pensions de retraite des agriculteurs, qui sont parmi les plus faibles de notre pays. Il me semble qu'une solution alternative est possible et préférable à une suppression pure et simple de l'article 2.
Je salue, en revanche, le nouvel article 1 bis , qui oblige la caisse de retraite à informer les pensionnés susceptibles d'avoir recours à l'ASPA, mais j'insiste sur l'importance d'informer aussi les agriculteurs sur l'évolution du droit en matière de succession et d'harmoniser les règles dans tous les départements.
Enfin, le troisième levier, prévu à l'article 3, consiste à limiter à cinq ans la durée du statut de conjoint collaborateur, comme c'est le cas pour les aides familiaux. Cette évolution est bienvenue car elle permettra d'éviter aux personnes concernées, le plus souvent des femmes, de travailler sous un statut moins protecteur du fait de cotisations plus faibles.
De manière générale, une réflexion plus large sur la revalorisation du statut de conjoint collaborateur ou d'aide familial devrait être entreprise pour mieux reconnaître leur travail. Une réflexion qui dépasse le secteur agricole sera également nécessaire car, nous le savons, la question des petites retraites n'est pas propre à ce dernier. D'ici là, nous avons l'occasion aujourd'hui de réaliser une première avancée pour les non-salariés agricoles. Notre groupe soutiendra évidemment cette proposition de loi.
Applaudissements sur les bancs des groupes LT et GDR.
Tout d'abord, je tiens à remercier André Chassaigne pour son implication tenace depuis de nombreuses années dans l'amélioration des conditions de vie des agriculteurs, en particulier pour les avancées obtenues concernant leur retraite.
Nous avons été étonnés de voir que des propositions de loi similaires n'ont finalement pas été soutenues par la majorité – je pense à celle de Mme Jacqueline Dubois relative à la revalorisation des carrières des femmes dans l'agriculture, dont le contenu n'a pas été repris par les collègues de son groupe lors des débats en commission. Lorsque l'on parle de la nécessité de revaloriser les pensions et les revenus des agriculteurs, il ne suffit pas de hocher la tête : il faut voter toute avancée en ce sens, surtout si elle est identique à la solution proposée par une députée de la majorité ayant travaillé sur le sujet. Sinon c'est incompréhensible, ou plutôt cela signifie que les propositions que vous formulez, chers collègues de la majorité, ne sont que de l'affichage ou du clientélisme. Je rappelle que Mme Dubois, tout comme M. Chassaigne, demande l'alignement du taux de la pension majorée de référence des conjoints collaborateurs et des aidants familiaux sur celle des chefs d'exploitation : c'est bien là le minimum pour ceux qui demeurent les parents pauvres du système de retraite agricole. Nos deux collègues se rejoignent également sur la nécessité d'aligner l'indexation des pensions majorées de référence sur celle des minima contributifs ainsi que sur le relèvement du plafond limitant le versement de la pension majorée de référence au même niveau que l'allocation de solidarité aux personnes âgées.
À voir le niveau de certaines pensions, tous secteurs confondus, il est absolument urgent d'agir, surtout pour corriger la situation que subissent les femmes : 74 % d'entre elles bénéficient d'une retraite de moins de 1 000 euros par an et l'écart du montant des pensions entre femmes et hommes est de 41 %. Tel que le système économique est construit, il inflige une double peine aux agriculteurs : un faible revenu tout au long de leur vie, ce qui signifie peu cotisations et donc un bas niveau de pension. Notre camarade André Chassaigne a déjà apporté sa pierre à l'édifice, sa proposition de loi portant le niveau minimum des retraites à 85 % du SMIC pour les chefs d'exploitation ayant été adoptée l'an dernier. Aujourd'hui, il propose d'aller plus loin, ce qui est vraiment nécessaire. Il est urgent d'améliorer les conditions matérielles d'existence des femmes, qu'elles soient conjointes collaboratrices ou aidantes familiales, en redéfinissant leur statut et en harmonisant par le haut les règles de calcul du montant de leur retraite.
Nous sommes également favorables à la limitation à cinq ans du statut de conjoint collaborateur, évoluant ensuite vers le statut de salarié coexploitant ou de chef d'exploitation. Cela l'obligera à cotiser davantage, mais c'est ainsi que l'on peut obtenir une couverture sociale plus importante.
Enfin, nous sommes pour l'élargissement de l'accès au complément différentiel de points de la retraite complémentaire obligatoire. En raison de la complexité et de la technicité du régime des non-salariés et de ses différents étages, les pensions des personnes concernées – notamment les femmes qui n'étaient pas rémunérées lorsqu'elles travaillaient au sein de la structure agricole – sont en effet très faibles.
Un autre sujet sur lequel il me semble important de nous pencher ultérieurement est celui de la MSA. Ainsi, s'agissant des indemnités journalières, lorsqu'un agriculteur se blesse, par exemple, le montant du revenu journalier après trois jours de carence est de 21,47 euros du quatrième au vingt-huitième jour et de 28,63 euros à partir du vingt-neuvième jour, des compensations financières insuffisantes pour embaucher un remplaçant.
Mes chers collègues, nous avons aujourd'hui l'occasion d'améliorer les choses : les intentions affichées doivent donc se traduire concrètement dans ce texte. Les avancées réalisées en commission ne sont pas suffisantes ; j'espère qu'aujourd'hui, il sera possible d'améliorer la situation des retraités agricoles en revenant au texte initial, en particulier en rétablissant l'article 2.
Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.
J'appelle maintenant, dans le texte de la commission, les articles de la proposition de loi.
La parole est à Mme la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion, pour soutenir l'amendement n° 15 , portant article additionnel avant l'article 1er .
Cet amendement modifie la rédaction du titre 1er de la proposition de loi afin de la mettre en cohérence avec la rédaction adoptée en commission des affaires sociales.
Favorable. Certes, à titre personnel, je me suis opposé à la réécriture de l'article 1er , qui a été vidé d'une partie de son contenu. Mais il faut bien adapter l'intitulé du titre Ier en conséquence. Il s'agit, en quelque sorte, d'un amendement rédactionnel.
L'amendement n° 15 est adopté.
Comme beaucoup d'entre nous, je tenais à être présent pour effectuer ce petit pas, cette avancée certes modeste mais concrète et précise.
Le 18 juin de l'année dernière, nous avions déjà progressé s'agissant des chefs d'exploitation, en faisant en sorte que leurs retraites soient au moins égales à 85 % du SMIC. Mais nous n'avions pas pour autant oublié les conjoints collaborateurs – qui sont essentiellement des conjointes – et les aides familiaux, encore nombreux. L'idéal eut été d'amener également leurs retraites à 85 % du SMIC. Ce ne sera pas le cas, mais la revalorisation à laquelle nous allons procéder représentera l'équivalent de 100 euros ; pour une petite retraite, c'est important. Ce petit pas était nécessaire.
Il n'empêche, j'ai toujours à l'esprit la réflexion d'une dame de ma circonscription, conjointe d'un chef d'exploitation ; elle a travaillé à ses côtés tout en élevant ses cinq enfants. Elle m'expliquait que ces derniers, quel que soit le métier qu'ils exercent aujourd'hui, paient la retraite des autres, et que les cotisations qu'ils acquittent sont bien supérieures à la pension qu'elle perçoit, alors qu'elle les a élevés ; est-ce bien juste ? Même si nous progressons – notre groupe le constate volontiers –, la démarche n'est pas pour autant aboutie et le chemin à parcourir reste long.
L'article 1er , tel qu'adopté par la commission, aligne le montant de la pension majorée de référence des conjoints collaborateurs et des aides familiaux sur celui des chefs d'exploitation, soit une augmentation pouvant aller jusqu'à 150 euros par mois. Cependant, dans sa rédaction actuelle, il ne s'applique qu'aux nouveaux retraités et ne permet donc pas de revaloriser les retraites actuellement accordées aux anciens conjoints collaborateurs et aides familiaux.
Le présent amendement prévoit donc d'étendre également aux retraités actuels le bénéfice du relèvement de la PMR. Le Gouvernement souhaite par ailleurs renforcer cette mesure en alignant le seuil d'écrêtement tout régime de la PMR sur le montant de l'ASPA, pour les retraités d'aujourd'hui comme de demain, comme l'avaient proposé Jacqueline Dubois et ses collègues dans leur proposition de loi. Quelque 17 500 retraités supplémentaires pourront ainsi bénéficier de la PMR.
Le Gouvernement propose enfin de relever le montant de la PMR au niveau du MICO majoré, soit à 705 euros. Cette augmentation sera réalisée par voie réglementaire. Au total, plus de 210 000 retraités, dont 67 % de femmes, bénéficieront de cette série de mesures. Ces femmes verront leur pension augmenter de manière significative, en moyenne de 100 euros pour les anciens conjoints collaborateurs et aides familiaux.
Après la suppression par la commission de l'article 2, je jugeais insuffisantes les avancées de la proposition de loi. Nous avons donc travaillé avec le Gouvernement afin d'y remédier.
Nous avons exploré plusieurs directions. Premièrement, nous souhaitions amalgamer ce qu'on appelle le stock et le flux, de façon à ce que tout le monde puisse bénéficier de la fusion de la PMR1 et de la PMR2. Cela représente une augmentation de 62 euros en moyenne, mais le montant peut être bien supérieur s'agissant des femmes.
Deuxièmement, nous avons repris la proposition de Jacqueline Dubois d'aligner le plafond d'écrêtement de la PMR au niveau du montant de l'ASPA, ce qui permettra une augmentation de 30 euros de ce plafond. Par rapport au texte adopté par la commission, cela va entraîner une hausse de la plupart des retraites, tout en étendant le champ des bénéficiaires.
Les amendements identiques sont le résultat de ce travail collectif.
La parole est à Mme Jacqueline Dubois, pour soutenir l'amendement n° 18 .
Il tend en effet à fixer un montant unique de PMR quel que soit le statut de l'assuré non-salarié agricole. Le montant que perçoivent les conjoints collaborateurs et les aides familiaux, qui est aujourd'hui de 555,50 euros, sera ainsi aligné sur celui des chefs d'exploitation, soit 699,07 euros.
J'appelle l'attention sur le fait que pour tous les retraités agricoles, la valeur de la pension majorée sera bien calculée à partir du montant de la PMR1 de 2022. Aujourd'hui, pour beaucoup de ces retraités, le droit à majoration est calculé sur la valeur de la PMR2 de 2009 – année où elle a été créée –, soit 503 euros. La PMR étant relevée à 705 euros, le calcul portera sur 200 euros de plus, ce qui est significatif.
N'ayant pas besoin de demander les avis du rapporteur et du Gouvernement sur des amendements identiques déposés par l'un et par l'autre, je vous propose d'ouvrir directement le débat.
La parole est à M. Nicolas Turquois.
Je voudrais vraiment saluer cette proposition. Le sujet est très technique – d'ailleurs, à les lire, les amendements ne semblent pas très sexy, si vous me passez l'expression. Pourtant, le « petit pas » évoqué par certains permettra concrètement le versement de 100 euros supplémentaires en moyenne. Cela représente entre 15 et 20 % d'augmentation ; j'aimerais que tous les petits pas soient du même ordre ! Le montant de la PMR sera ainsi aligné sur celui du MICO majoré. Autrement dit, qu'on soit agriculteur ou salarié relevant du régime général, les mécanismes seront presque similaires, à quelques petites différences près.
Je note que monsieur Le Fur, dans son argumentaire, s'est fait le meilleur avocat du régime unique de retraite. En effet, les enfants des agriculteurs, s'ils ne relèvent pas du régime agricole, peuvent financer par leurs cotisations des pensions plus élevées que celles dont bénéficient leurs parents. Telle est la réalité de la vie d'aujourd'hui : on n'est plus, comme autrefois, agriculteur de génération en génération. D'ailleurs, on n'est même plus forcément agriculteur toute sa vie : certaines personnes entament une seconde carrière dans l'agriculture, et inversement, certains agriculteurs changent de métier au cours de leur vie et deviennent salariés.
Non seulement cette initiative va conduire à augmenter de 100 euros le montant des petites retraites, mais elle permettra d'harmoniser les montants minimums, quel que soit le métier exercé. Je remercie donc le rapporteur, de même que le Gouvernement, pour cette avancée majeure.
Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM. – M. Erwan Balanant applaudit également.
Nous souscrivons évidemment à cette proposition et nous voterons ces amendements de réécriture de l'article 1er . Je précise qu'en parlant de petit pas, je faisais surtout référence à la durée qu'il aura fallu au Parlement pour se saisir du problème. Malheureusement, de nombreux retraités ne bénéficieront pas de cette augmentation ; pour eux, c'est trop tard. Je le redis : nous devons vraiment mettre un terme à ces injustices.
Je sais qu'on prend en compte le stock, mais à force d'attendre, certains ne sont plus de ce monde,…
…et c'était ceux qui avaient le plus souffert. Monsieur Turquois, vous connaissez suffisamment bien le monde agricole pour savoir que ce que je dis est vrai.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR.
La parole est à M. Thierry Benoit. Ensuite, nous en reviendrons au strict respect du règlement.
Ce n'est pas un orateur par groupe ?
Je me réjouis du résultat obtenu. À la fin de l'examen en commission, j'ai indiqué que les avancées, si petites soient-elles, sont toujours bonnes à prendre. Je remercie le rapporteur et le Gouvernement d'avoir travaillé ensemble car, comme le dit Nicolas Turquois, 100 euros, ce n'est pas rien.
Je ne veux pas être taquin ou de mauvaise foi à l'égard de nos collègues du groupe Les Républicains mais, il y a quinze ans, j'étais déjà député. Pourquoi le sujet n'a-t-il pas été traité à ce moment ? Ou sous le mandat de François Hollande ?
Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.
Il faut être raisonnable : quand je suis arrivé à l'Assemblée, en 2007, les petites retraites étaient déjà une réalité.
Madame la ministre, je souhaiterais évoquer le cas des conjoints d'artisans et de commerçants et, plus largement, des indépendants. Avant la fin de la législature, j'aimerais qu'un travail rapide de la part du Gouvernement ou qu'une initiative parlementaire soutenue par l'exécutif nous permette d'avancer sur le sujet ; sincèrement, c'est important pour eux. Comme le dit Nicolas Turquois, à ce niveau de petites retraites, 100 ou 150 euros de plus, c'est énorme ; c'est malheureux, mais c'est ainsi. Quoi qu'il en soit, je salue les artisans de l'avancée qui nous est proposée.
Applaudissements sur les bancs des groupes UDI-I et LaREM.
Mes chers collègues, à l'inverse de ce qui s'est passé ce matin, je sens qu'il règne une bonne ambiance dans l'hémicycle. Aussi, permettez-moi de vous le dire amicalement : la multiplication des interventions compliquerait la vie du groupe GDR, qui ne pourrait pas, dès lors, aller jusqu'au bout de l'examen des textes inscrits à son ordre du jour réservé. Nous allons donc nous en tenir au règlement et limiter à deux le nombre d'interventions après la présentation des amendements.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 120
Nombre de suffrages exprimés 120
Majorité absolue 61
Pour l'adoption 119
Contre 1
Il ne m'appartient pas d'en juger. Si quelqu'un s'est trompé, il peut demander la publication d'une mise au point. Cela étant, si c'est Mme Lasserre, je ne manquerai pas de le faire savoir dans les Pyrénées-Atlantiques…
Sourires.
La parole est à M. le rapporteur, pour soutenir l'amendement n° 7 rectifié .
Il s'agit simplement de créer un titre Ier bis pour tenir compte de l'adoption en commission d'un amendement de Jacqueline Dubois qui prévoit la transmission aux pensionnés d'informations relatives à l'ASPA.
L'amendement n° 7 rectifié , accepté par le Gouvernement, est adopté.
Le Gouvernement en est d'accord, il est nécessaire de favoriser le recours à l'ASPA en renforçant l'information des pensionnés concernés. Nous rejoignons ainsi l'objectif de la commission des affaires sociales, qui a adopté l'amendement de Jacqueline Dubois à l'origine de cet article 1er bis . C'est également ce que préconisent Nicolas Turquois et Lionel Causse dans le rapport remis en mai dernier.
Toutefois la rédaction actuelle de l'article 1er bis ne me paraît pas proportionnée. Une information annuelle des personnes potentiellement éligibles serait particulièrement lourde à mettre en œuvre par les caisses de retraite, sans être nécessairement ciblée ni pertinente pour les assurés recevant l'information chaque année. C'est pourquoi le Gouvernement propose par le présent amendement une information des assurés, par les caisses de retraite, l'année précédant leur éligibilité à l'ASPA, et non pas seulement, comme aujourd'hui, au moment de la liquidation de leur retraite. Ce décalage temporel apparaît en effet comme l'un des principaux facteurs de non-recours à l'allocation.
Cette obligation, inscrite dans la loi, sera par ailleurs compatible avec des actions ciblées et définies en fonction du contexte de chaque assuré par les caisses de retraite, actions qui sont déjà menées aujourd'hui.
La parole est à Mme Jacqueline Dubois, pour soutenir le sous-amendement n° 25 .
Il s'agit d'un sous-amendement d'appel, qui propose qu'une information spécifique sur l'ASPA soit également adressée aux personnes bénéficiant de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA), lorsque cette dernière aide leur est octroyée. En effet, il arrive que des personnes qui pourraient bénéficier de l'ASPA n'en fassent pas la demande parce qu'elles n'en ressentent pas le besoin à 65 ans. Mais à 81 ou à 85 ans, quand elles commencent à avoir des difficultés à rester autonomes, elles pourraient y avoir recours. Nous souhaiterions donc que les caisses interviennent au moment de l'octroi de l'APA pour accompagner les bénéficiaires dans cette démarche.
Quel est l'avis de la commission sur l'amendement et sur le sous-amendement ?
Je suis d'accord avec l'amendement tel qu'il est rédigé par le Gouvernement. Nous avions d'ailleurs échangé sur ce point. La commission a émis un avis favorable au sous-amendement de Mme Dubois ; pour ma part – je le dis tranquillement –, j'y suis défavorable. En effet, il imposerait une obligation d'informer sur l'ASPA lors de l'octroi de l'APA ; or celle-ci relève des départements. Cette disposition, qui représente une forme d'intrusion dans les responsabilités de la collectivité départementale, pourrait créer un problème au Sénat, mettant en péril le vote que je souhaite conforme et retardant la mise en application de la proposition de loi.
Le Gouvernement souscrit à la nécessité de favoriser le recours à l'ASPA en renforçant l'information des retraités concernés. Toutefois une information visant spécifiquement les bénéficiaires de l'APA soulève des difficultés pratiques importantes. En effet, comme vient de le dire M. le président Chassaigne, l'APA est une allocation servie par les conseils départementaux, et ce potentiellement dès l'âge de 60 ans, soit avant l'âge légal de droit commun. Les caisses de retraite servant l'ASPA n'ont pas accès à la liste des allocataires de l'APA, et un tel échange d'informations serait difficile à assurer.
Votre sous-amendement permet toutefois d'appeler l'attention sur l'importance de fournir des informations sur l'ASPA aussi après l'âge minimal pour bénéficier de cette aide, c'est-à-dire 65 ans, afin de prendre en compte les différents aléas de la vie. Je rejoins votre préoccupation et demanderai aux principaux régimes de retraite de base de travailler à des mécanismes d'information ciblée lorsqu'ils ont connaissance d'un changement de situation significatif d'un retraité, par exemple dans le cadre des dispositifs d'action sociale déployés par ces régimes. Ces actions doivent néanmoins être élaborées et déployés avec souplesse et ne relèvent pas du domaine de la loi.
Je vous propose donc de retirer votre amendement ; à défaut, avis défavorable.
J'entends vos arguments. Mon intention était bien d'appeler l'attention de tous, départements comme caisses de retraite, sur cette difficulté. Je retire le sous-amendement.
Le sous-amendement n° 25 est retiré.
L'amendement n° 6 est adopté ; en conséquence, l'article 1er bis est ainsi rédigé.
Il vise en effet à rétablir l'article 2, qui, supprimé en commission, prévoyait d'étendre aux conjoints collaborateurs et aux aides familiaux intervenant dans les exploitations agricoles le bénéfice du complément différentiel de retraite complémentaire obligatoire. Cette prestation vise à compenser l'écart entre le montant annuel d'une pension comprenant la retraite de base et la retraite complémentaire obligatoire, et un montant plancher équivalant à 85 % du SMIC annuel, en référence à la loi du 3 juillet 2020. L'extension que permet cet article complète la revalorisation des pensions agricoles modestes des conjoints collaborateurs – qui, cela a été rappelé à de multiples reprises, sont à 85 % des femmes – et des aides familiaux, dans un souci de justice sociale et de reconnaissance du travail qu'ils effectuent dans les exploitations agricoles.
Mme Martine Wonner applaudit.
La parole est à M. Jean-Paul Dufrègne, pour soutenir l'amendement n° 4 .
Il s'agit d'un amendement de repli, qui vise à permettre aux non-salariés agricoles, à savoir les conjoints collaborateurs et les aides familiaux, qui ne remplissent pas les conditions comparables à celles des exploitants agricoles, de bénéficier d'une augmentation progressive du complément différentiel. En laissant un délai suffisant au déploiement technique de la mesure, l'amendement permet à tous les non-salariés agricoles de bénéficier à terme d'un montant de pension minimal de 85 % du SMIC, après des seuils progressifs de 75 % et de 80 %.
La seule chose que j'aie à ajouter à la présentation de Jean-Paul Dufrègne, c'est que l'amendement résulte des auditions que nous avons menées. Nos échanges avec les différentes organisations syndicales agricoles et avec l'Association nationale des retraités agricoles de France montrent que cet objectif de 85 %, inscrit dans la proposition de loi, leur semble incontournable. C'est pourquoi, l'article 2 ayant été supprimé en commission, j'ai proposé d'organiser un échelonnement.
La proposition de loi apportera des avancées réelles, qu'en aucun cas je ne vais nier. Ce qui pourrait manquer, je crois l'avoir dit en commission, c'est ce seuil de 85 %, l'étoile à laquelle accrocher notre charrue, un objectif daté qui donne aux retraités agricoles l'espoir d'arriver, un jour, à une véritable parité entre les non-salariés agricoles – conjoints collaborateurs ou aides familiaux – et les chefs d'exploitation. Voilà l'objectif de l'amendement.
Vous avez à nouveau la parole, monsieur le rapporteur, pour soutenir l'amendement n° 11 .
C'est le repli du repli ! La charge financière étant l'objection la plus courante, je propose avec cet amendement que la mesure de progrès – la parité entre chefs d'exploitation et conjoints collaborateurs et aides familiaux – n'entre en vigueur que pour les nouveaux retraités, qui prennent leur retraite à partir du vote de la proposition de loi. La dépense se limiterait, la première année, à 14 millions d'euros et pourrait se révéler décroissante.
Ils visent à étendre progressivement aux conjoints collaborateurs et aux aides familiaux l'accès au complément différentiel de retraite complémentaire obligatoire. Plusieurs solutions sont proposées : le rétablissement de l'article 2, avec les amendements n° 3 et 10 ; la montée en charge progressive du complément différentiel, avec les amendements n° 4 et 12 ; l'ouverture du complément différentiel aux seuls futurs retraités, avec l'amendement n° 11 que vient de présenter M. le président Chassaigne.
Quelle que soit la rédaction, le Gouvernement est défavorable à une telle proposition, pour au moins trois raisons.
Tout d'abord, la garantie de pension est aujourd'hui réservée aux exploitants agricoles car elle reflète l'effort contributif supérieur des assurés par rapport à celui des autres affiliés au régime des non-salariés agricoles. Cela a d'ailleurs été rappelé durant l'examen du texte en commission, examen qui s'est soldé par la suppression de cette disposition. C'est d'abord par le travail et le versement de cotisations que l'on pourra remédier au problème des petites retraites.
Ensuite, la question des petites pensions n'est pas catégorielle : elle se retrouve dans tous les régimes, le rapport des députés Nicolas Turquois et Lionel Causse l'a clairement démontré. Dès lors, un objectif de pension minimale ne peut s'inscrire que dans une logique universelle. Prenons garde à ne pas nourrir un sentiment d'iniquité, notamment au regard de la situation des artisans et des commerçants à la retraite !
Enfin, quelle qu'en soit l'ampleur, cette disposition n'est pas financée. Or, nous le savons tous, il n'y a jamais de droits gratuits ; à la fin, c'est toujours la solidarité nationale ou une autre profession qui se retrouve à en financer le coût.
Le Gouvernement est cependant déterminé à poursuivre son action en faveur des petites retraites. C'est pour cela que nous venons de soutenir l'alignement du montant des pensions majorées de référence, ce qui permet d'uniformiser les minima de pension de base propres au régime des non-salariés agricoles. C'est aussi pour cela que le Gouvernement est favorable au relèvement du plafond d'écrêtement tout régime de la PMR au niveau du montant du minimum vieillesse pour tous les retraités, y compris ceux qui le sont déjà, comme vient de le voter votre assemblée à l'article 1er .
Le Gouvernement est donc défavorable à l'ensemble des amendements.
Je sais que cela fait partie du jeu politique, pour les oppositions, de proposer du sucré face à un Gouvernement et à une majorité qui doivent se montrer responsables. Mais nous nous inscrivons tous dans la continuité de la République dont il nous faut préserver les grands principes pour ceux qui nous succéderont. Or, en matière de système de retraite, il en est un grand, celui de la contributivité et de la proportionnalité de l'effort de chacun. Que des personnes ayant contribué de manière inégale bénéficient d'un même montant de retraite – car c'est ce que propose votre amendement – pose indubitablement question. Cela remet en cause l'organisation même du système, et ce n'est pas acceptable. Vous dites, monsieur le rapporteur, que toutes les organisations syndicales étaient favorables au seuil de 85 %. Bien sûr, tout le monde est favorable à une augmentation ; mais a-t-on prévu, en contrepartie, une augmentation de l'effort contributif ? Je suis moins sûr qu'il y ait unanimité sur ce point ! Je suis résolument contre ces amendements qui remettent profondément en cause les principes mêmes de notre système de retraite.
Je trouve ce moment très important. Vous dites qu'il s'agit d'un jeu de l'opposition, mais l'opposition, depuis ce matin, ne joue absolument pas ; elle parle de dignité et de respect. On aurait voulu qu'elle soit entendue, ce matin, sur les personnes en situation de handicap, et, maintenant, sur des personnes qui ont contribué toute leur vie,…
…à côté de leurs époux ou dans d'autres circonstances. Au moment où elles prennent leur retraite, elles devraient, elles aussi, être considérées. J'aurais même souhaité qu'on ne propose pas d'amendements de repli, mais je comprends la préoccupation de M. le rapporteur, que je remercie d'avoir bien voulu tendre, une fois de plus, une main au Gouvernement qui, une fois de plus, la refuse et reste bloqué sur sa position.
Mme la ministre fait un signe de protestation.
Non, vraiment !
Même si nous avons été heureux de l'avancée obtenue à l'article 1er , et je vous remercie pour cela, il est vraiment dommage que vous n'alliez pas au-delà, et que vous soyez incapable d'entendre nos sollicitations. M. le rapporteur n'a pas fabriqué cette proposition de toutes pièces ; elle est le fruit des auditions. Je le remercie sincèrement pour cette énième tentative d'aller vers davantage d'égalité sociale.
L'amendement n° 11 n'est pas adopté.
Je n'ai eu de cesse, pendant cette législature, avec d'autres députés – je pense en particulier à Jean-Pierre Cubertafon, qui n'est pas présent aujourd'hui – de rappeler l'importance des avancées obtenues sur le sujet des retraites agricoles : questions écrites multiples, dépôt d'amendements sur les projets de loi de financement de la sécurité sociale, interventions lors des débats sur la réforme des retraites. La loi visant à assurer la revalorisation des pensions de retraite agricoles en France continentale et dans les outre-mer, dite loi Chassaigne, a attribué 100 euros supplémentaires par mois aux chefs d'exploitation, mesure juste et méritée pour des personnes qui consacrent leur vie à nourrir les autres, qui ne comptent pas leurs heures et qui travaillent tous les jours, par tous les temps, malgré les difficultés.
On avait oublié les conjoints, les femmes. Aussi ai-je une pensée pour Marie-Paule, Simone, Jacqueline, Claudine et Michèle, toutes ces femmes que je connais, et pour celles que je connais moins, mais que je n'oublie pas, dont la vie n'a clairement pas été facile. Il s'agissait, pour toutes ces femmes, de faire la traite, de nourrir les bêtes, de préparer les repas pour un régiment lors des périodes de moisson et d'ensilage, mais aussi de faire la comptabilité et, au milieu de tout cela, d'élever les enfants, sans le soutien d'une assistante maternelle. Les périodes de repos étaient rares. Les vacances ? Un mot bien souvent exotique. Et lorsque ces femmes se plaignaient de leur maigre retraite pour cette vie de travail – car il arrivait tout de même qu'elles s'en plaignent –, des agents administratifs peu scrupuleux avaient l'outrecuidance de leur répondre qu'elles avaient eu la chance d'élever leurs enfants. Quelle ignorance de ce qui a fait la vie de ces familles plongées dans le travail, parfois jusqu'à l'épuisement !
Au nom de toutes ces femmes, je remercie André Chassaigne pour cette nouvelle proposition de loi.
Applaudissements sur les bancs des groupes GDR, LT, Agir ens et UDI-I.
Le Gouvernement partage la volonté de limiter dans le temps le statut de conjoint collaborateur. Si ce statut, créé en 1999, a permis aux femmes de chefs d'exploitation de renforcer leurs droits en matière de protection sociale, il s'avère en pratique pénalisant en matière de droits à la retraite pour les assurés qui effectuent toute leur carrière sous ce statut. Le constat est partagé par tous les groupes politiques et par toutes les organisations professionnelles agricoles.
C'est pourquoi le présent amendement tend à modifier l'article 3 afin d'étendre la limitation aux personnes possédant la qualité de conjoint collaborateur avant le 1er janvier 2022 et de renforcer la portée de la disposition adoptée par la commission en traduisant cette volonté politique à plus court terme. Un même délai de prévenance s'appliquera donc à toutes les personnes sous ce statut hier, aujourd'hui et demain. Si j'en crois les différents amendements déposés sur l'article 3, cette volonté est largement partagée.
Cet amendement vise à éviter la trappe aux petites retraites et propose qu'un conjoint collaborateur opte dans les cinq ans, à partir du 1er janvier 2022, pour un statut plus protecteur, conformément à ce qui était prévu par le texte initial. Dans la réalité, nous voyons que cette situation se produit souvent : quand son mari plus âgé prend sa retraite, son épouse, qui n'a pas encore atteint l'âge de la retraite, devient chef d'exploitation ; et quand cet agriculteur était associé avec son fils ou sa fille dans un groupement agricole d'exploitation en commun (GAEC), alors la mère prend sa place dans le groupement. Dans les faits, il est donc relativement fréquent que les conjoints collaborateurs abandonnent ce statut.
Toutefois, nous n'avions pas envisagé, dans la proposition de loi initiale, de prendre en compte les conjoints collaborateurs déjà en activité : nous nous étions limités à ceux qui entreraient en activité le 1er janvier 2022. Toutes les organisations syndicales que nous avons auditionnées ont insisté sur la nécessité de sortir de ce statut et de faire preuve de volontarisme politique en la matière, afin que le texte concerne non seulement ceux qui seront en activité à partir du 1er janvier 2022, mais aussi ceux qui, l'étant depuis plusieurs années, auront aussi à choisir, dans un délai de cinq ans, un statut plus protecteur. Tel est le sens de cet amendement, sur lequel nous sommes parvenus à un accord avec le Gouvernement.
Il s'agit, avec cette mesure, de remédier au problème des petites retraites agricoles. Cela a été dit et redit : nous ne pouvons pas nous appuyer uniquement sur la solidarité nationale, même si elle est indispensable ; nous devons aussi prendre des mesures fortes pour lutter contre un statut défavorable en matière de retraite.
La parole est à Mme Jacqueline Dubois, pour soutenir l'amendement n° 24 .
Comme les précédents, cet amendement a été déposé à l'initiative du groupe La République en marche. Je veux d'ailleurs remercier tous les députés de la majorité qui ont travaillé à mes côtés cet hiver pour préparer la proposition de loi relative à la revalorisation des carrières des femmes dans l'agriculture, dont quatre dispositions font partie du texte que nous examinons et seront, je l'espère, adoptées dans quelques minutes.
Le présent amendement reprend l'une de ces dispositions et a été proposé par plusieurs syndicats agricoles, notamment celui des retraités. Disons-le clairement : les retraités regrettent qu'on ne leur ait pas proposé avant de cotiser davantage. Le seul moyen de rétablir l'équité entre tous les retraités est de mettre fin aux statuts précaires ou peu protecteurs. Je me réjouis donc que cet amendement limite à cinq ans le statut de conjoint collaborateur. Ce statut peut être utile quelques années, mais en aucun cas toute une carrière.
La parole est à M. Nicolas Turquois, pour soutenir le sous-amendement n° 28 .
Je vous l'avoue, la démarche proposée par ces amendements me fait douter. Lors du débat sur le projet de loi instituant un système universel de retraite, j'avais pourtant proposé une disposition similaire. Non seulement le statut de conjoint collaborateur constitue une trappe à petites retraites, mais, à une époque où l'on se préoccupe de l'égalité entre les hommes et les femmes, il renvoie une image des femmes d'agriculteurs dont on ne peut se satisfaire.
Néanmoins, s'il me paraissait indispensable de limiter ce statut pour les futurs conjoints, parce qu'il confère des droits à la retraite très faibles, la question me paraît moins évidente pour les femmes qui le sont déjà et, pour certaines, depuis longtemps. La moyenne d'âge des conjoints collaborateurs est aujourd'hui de 53 ans. Les femmes qui le sont depuis vingt-cinq ou trente ans auront donc 58 ans dans cinq ans et on leur dira qu'elles doivent abandonner ce statut pour prendre celui de salarié – mais toutes les exploitations ne pourront pas se le permettre – ou celui de chef d'exploitation – ce qui ne sera peut-être pas possible non plus, une femme d'exploitant agricole n'étant pas toujours plus jeune que son mari. J'ai des exemples précis en tête. En obligeant, dans cinq ans, des femmes d'exploitants agricoles de 58 ou 59 ans à s'installer, on risque tout simplement de les priver de statut.
C'est la raison pour laquelle je propose, par cet amendement, que les personnes nées avant 1970 – qui auront au moins 57 ans cinq ans après 2022 – ne soient pas concernées par cette disposition. Si elles souhaitent en bénéficier, elles en auront bien entendu la possibilité, mais nous devons respecter le choix de vie qu'elles ont fait, même si nous le jugeons dangereux pour elles. En tout état de cause, nous ne pouvons pas leur imposer un tel changement si près de la retraite. Je propose donc de limiter la disposition aux personnes les plus jeunes.
Pendant les travaux de la commission, je partageais la position de Nicolas Turquois, au point que j'ai déposé un amendement qui allait dans le sens de son sous-amendement et que j'ai ensuite retiré. Je vis en milieu rural, entouré d'agriculteurs, et je connais des personnes pour lesquelles cette mesure aura des effets négatifs – nous en connaissons tous. Il me semble cependant nécessaire d'inscrire une date précise dans le texte et de faire preuve de volontarisme. Ce ne serait pas un service à rendre à ces personnes que de les laisser enfermées dans le statut de conjoint collaborateur. La disposition paraît peut-être directive, mais elle est selon moi indispensable.
Le sous-amendement n'a pas été examiné par la commission, mais j'y suis défavorable à titre personnel, bien que je comprenne son intention.
Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements et sur le sous-amendement ?
Le Gouvernement partage évidemment la préoccupation de sécurisation des parcours de carrière des conjoints collaborateurs. Cependant, le délai de cinq ans prévu par la proposition de loi paraît suffisant pour sécuriser la situation des assurés proches de la retraite. Je rappelle, par ailleurs, que l'âge moyen des conjoints collaborateurs est de 57 ans en 2020, comme l'a montré le rapport de M. Chassaigne. Je suis convaincue qu'il ne faut pas faire perdurer davantage ce statut au caractère précaire, qui n'assure pas une protection sociale suffisante et qui est devenu une trappe à petites retraites. L'intention du Gouvernement est bien de limiter le recours à ce statut. Je vous invite à retirer le sous-amendement, monsieur Turquois ; à défaut, mon avis sera défavorable.
Le sous-amendement n° 28 n'est pas adopté.
L'article 3, amendé, est adopté.
L'article 3 bis est adopté.
Il s'agit, avec cet amendement, de demander au Gouvernement la remise d'un rapport sur la réévaluation des petites retraites des indépendants, les artisans et les commerçants notamment, et plus particulièrement de leurs conjoints – j'y reviens, madame la ministre !
Notre collègue de la Mayenne, Géraldine Bannier, a cité les prénoms des agricultrices qui sont chères à son cœur. Pour ma part, je pense à plusieurs artisans et commerçants de ma connaissance, et à une voisine, Geneviève, qui me parle des petites retraites depuis de nombreuses années. Elle saura qu'un jour, dans l'hémicycle, j'ai pensé à elle – et à tous les autres ! – en évoquant cette question.
La commission a émis un avis favorable sur cet amendement, le débat ayant porté sur sa réécriture.
Le rapport des députés Lionel Causse et Nicolas Turquois ,
Mme la ministre montre le document à M. Thierry Benoit
que vous avez sans doute consulté, permet déjà de dresser un panorama très précis des petites pensions de retraite et de proposer de nombreuses pistes de solution. Par ailleurs, il aborde spécifiquement la situation des indépendants.
De manière générale, l'un des principaux enseignements de ce rapport est que la question des petites pensions n'est pas catégorielle, mais globale. Les petites pensions sont toujours le résultat de carrières marquées par de faibles cotisations et ouvrant, par conséquent, de faibles droits à la retraite.
Néanmoins, les causes étant globales, les réponses doivent l'être tout autant. Un rapport spécifique sur les indépendants ne semble donc pas nécessaire. J'ajoute que les conjoints des travailleurs indépendants sont dans une situation différente de celle des conjoints des exploitants agricoles et bénéficient d'ores et déjà d'un statut social protecteur, en particulier en matière d'assurance vieillesse, puisqu'ils peuvent choisir entre les statuts de conjoint collaborateur, de conjoint salarié et de conjoint associé. Au vu des informations que je vous ai fournies, je vous propose de retirer votre amendement. À défaut, mon avis sera défavorable.
Je fais acte de contrition, car j'ai commis une petite erreur : en réalité, la commission avait rejeté l'amendement de M. Benoit, auquel je suis favorable à titre personnel.
Je voudrais répondre pour éviter d'être désobligeant à l'égard de Mme la ministre et de M. Turquois. Je suis d'accord avec vous, madame la ministre, la question des petites retraites n'est pas catégorielle. Cependant, on sait très bien que dans l'histoire contemporaine des retraites, les agriculteurs, les indépendants, les artisans, les commerçants et d'autres professions comme les aides à domicile ont vu leurs pensions diminuer.
Mme la ministre montre de nouveau le rapport au député.
Je veux bien prendre en considération le rapport que vous évoquez, mais à condition que, rapidement, c'est-à-dire dans les semaines qui viennent, le Gouvernement ou des députés de la majorité parlementaire – puisqu'ils ont le soutien du Gouvernement – nous fassent une proposition visant à revaloriser ces retraites dans les meilleurs délais.
Si telle est la réponse de Mme la ministre, je retire ma demande de rapport. Mais comme quelques interrogations demeurent, je vais la maintenir par précaution. Je vous assure que lorsqu'on touche une retraite de 350 euros par mois en 2021, le compte n'y est pas. Vous aurez beau publier des rapports chaque semaine, ce n'est pas ce qui permettra d'apporter des réponses concrètes.
L'amendement n° 2 n'est pas adopté.
C'est une demande de rapport qui vise à interpeller le Gouvernement et Mme la ministre, dans la mesure où je ne pouvais pas, en vertu de l'article 40 de la Constitution, présenter un amendement dont l'adoption aurait permis l'alignement de la pension majorée de référence, désormais unifiée, avec le MICO majoré. Un tel alignement permettrait pourtant une augmentation complémentaire des retraites dont nous discutons qui s'élèverait à 5 euros par mois environ, et même un peu plus – je crois que son montant serait susceptible d'évoluer jusqu'à 6,30 euros.
Cela ne peut être fait que par voie réglementaire, et Mme la ministre a déjà répondu par anticipation à ma demande de rapport ; il serait bon qu'elle s'exprime, peut-être pour prendre des engagements susceptibles d'accroître encore les augmentations déjà obtenues grâce à la proposition de loi.
Je vous confirme que le Gouvernement est favorable au relèvement du montant de la PMR à hauteur du MICO majoré, à la fois pour soutenir les retraites de nos agriculteurs, quel que soit leur statut, mais aussi pour rendre le système plus lisible. Il en résultera une augmentation d'environ 6 euros par mois, qui sera mise en œuvre par voie réglementaire et qui s'ajoutera aux autres mesures de revalorisation d'ores et déjà prévues par la proposition de loi au moment de son entrée en vigueur.
Le Gouvernement s'engageant à réaliser par décret cette augmentation de la PMR à hauteur du MICO majoré, je vous suggère, monsieur le président Chassaigne, de retirer votre demande de rapport.
L'amendement n° 21 est retiré.
Il est beaucoup moins consensuel que le précédent. Pour les mêmes raisons que celles évoquées à l'instant, il n'était pas possible de solliciter par voie d'amendement l'attribution de points supplémentaires pour revaloriser les petites pensions agricoles. Je demande donc un rapport sur ce sujet, d'autant qu'octroyer des points « gratuits » s'est déjà fait par le passé, notamment au bénéfice des chefs d'exploitation. L'amendement a bien évidemment reçu un avis défavorable de la commission mais vous comprendrez que, à titre personnel, puisque j'en suis l'auteur, j'émette un avis favorable – c'est la moindre des choses.
C'est en effet faire preuve de cohérence.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Je vous confirme que cet amendement est moins consensuel. Vous proposez que le Gouvernement remette au Parlement un rapport sur la revalorisation des petites pensions agricoles par l'attribution de points supplémentaires s'ajoutant à la retraite de base ou complémentaire. Comme j'ai déjà eu l'occasion de l'indiquer, il n'existe pas de points « gratuits » ; tous sont financés par une solidarité professionnelle ou nationale. C'est pourquoi cette piste n'a pas été envisagée par vos collègues Lionel Causse et Nicolas Turquois, que le Premier ministre avait missionnés sur le sujet des retraites modestes.
Si une revalorisation doit avoir lieu, elle passera par l'amélioration des minima de pensions du régime, en lien avec la durée de carrière des assurés et l'effort contributif réalisé. Une telle mesure a été l'objet d'une loi votée l'année dernière dans cet hémicycle et a reçu l'avis favorable du Gouvernement à l'article 1er , qui vise à harmoniser le minimum de pension de base spécifique en l'étendant aux non-salariés agricoles ayant le taux plein.
Le Gouvernement est donc défavorable à votre amendement.
L'amendement n° 22 n'est pas adopté.
Sur l'ensemble de la proposition de loi, je suis saisi par les groupes La République en marche, Les Républicains et celui de la Gauche démocrate et républicaine d'une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
La parole est à Mme la ministre, pour soutenir l'amendement n° 14 , qui tend à supprimer l'article 6.
Il vise à lever le gage inscrit dans la proposition de loi, conformément à l'article 40 de la Constitution.
L'amendement n° 14 , accepté par la commission, est adopté.
Si le groupe GDR le souhaite, des explications de vote peuvent avoir lieu. Le voulez-vous, monsieur Chassaigne ?
Exclamations sur divers bancs.
Nous en venons donc aux explications de vote. Chacun aura compris l'élégance qu'il y aurait à intervenir, toute considération réglementaire mise à part, en moins de cinq minutes par groupe.
La parole est à M. Jean-Paul Dufrègne qui, pour une fois, va donner l'exemple.
Sourires.
« Oh ! » sur plusieurs bancs du groupe LaREM
mais je suis certain que les collègues qui interviendront ensuite respecteront vos consignes.
Il y a quasiment un an jour pour jour, je me trouvais déjà face à vous, soumis au même exercice, alors que nous examinions la proposition de loi de mon collègue André Chassaigne relative à la revalorisation des pensions de retraite agricoles. Adoptée à l'unanimité après une longue navette parlementaire – cela a été rappelé –, elle a été le fruit de l'investissement sans faille de notre président de groupe et d'un travail de proximité mené avec les acteurs du monde agricole.
Si le texte voté l'année dernière représente une véritable avancée et un pied mis à l'étrier, nous ne pouvions pas nous en contenter. Certes, cette première proposition de loi a permis un progrès pour plus de 200 000 retraités dont le minimum retraite passera à 85 % du SMIC en novembre 2021, contre 75 % actuellement.
Cependant, nombreuses et nombreux sont celles et ceux qui demeurent sur le carreau. Je pense à toutes ces femmes, parce qu'elles sont majoritaires dans ce cas, qui ont travaillé toute leur vie aux côtés de leurs époux agriculteurs et qui sont pourtant dites « sans profession », recevant ainsi une retraite de misère. Ces femmes ont élevé veaux et volailles ; elles ont assuré la traite, confectionné des fromages ou participé à la vente des produits de leur labeur sur les marchés. Ajoutons-y le travail de parent, qui revient bien souvent à ces travailleuses de l'ombre. Leur problème n'est pas réglé : ces femmes, ces sœurs, ces mères touchent encore aujourd'hui une retraite située entre 300 et 500 euros par mois, c'est-à-dire une misère.
Le texte de l'année dernière était donc le premier engrenage. Cette fois, nous avons imaginé une proposition que notre président a détaillée dans son intervention et qui permet finalement une augmentation d'environ 100 euros par mois. C'est peu, certes, mais nous ne sommes pas des adeptes du « tout ou rien ». Notre article 2 facilitait l'attribution de points gratuits de retraite complémentaire obligatoire ; vous l'avez supprimé. Les articles 4 et 5, qui prévoyaient une taxe additionnelle de 0,1 % à la taxe sur les transactions financières pour financer la RCO, ont subi le même sort. L'article 3, que nous venons d'examiner, a quant à lui été maintenu et je m'en réjouis ; il vise à limiter l'accès au statut de conjoint collaborateur à cinq ans, sur le modèle du statut d'aide familial, pour éviter les trappes à petites retraites dont nous avons parlé.
Certes, nous aurions préféré que le texte de notre collègue André Chassaigne soit adopté dans sa première version non modifiée par la commission ; nous avons aujourd'hui essayé de le rétablir, sans succès. Mais chaque euro compte pour revaloriser les retraites agricoles des plus vulnérables ! Si nous n'avons pas totalement gagné ce combat, nous nous félicitons d'avoir pu mettre la lumière sur toutes ces conjointes oubliées, toutes ces femmes de l'ombre qui nous inspirent chaque jour et nous incitent à nous battre toujours un peu plus pour elles. C'est une bataille pour ces femmes battantes qui ont travaillé toute leur vie ; nous continuerons de la mener.
Avant de conclure, je tiens à remercier tous les participants aux débats, riches, occasionnés par l'élaboration de cette loi. Si la tournure des événements n'est pas celle que nous aurions souhaitée, elle reste une avancée et nous nous en réjouissons. Je sais que vous avez toutes et tous à cœur d'offrir une situation digne à ces femmes, à la hauteur du travail qu'elles fournissent. Pour toutes ces raisons, le groupe GDR votera bien évidemment la proposition de loi de son président, André Chassaigne, dont je tiens à saluer personnellement la lutte sans relâche pour nos agricultrices et nos agriculteurs, pour leurs conjoints et conjointes et pour toutes celles et tous ceux qui retrouvent à travers lui leur voix, qu'ils soient actifs ou retraités. Je sais que nous voterons ensemble cette PPL de manière unanime, car nous le leur devons.
Pour terminer, permettez-moi de penser à toutes celles et à tous ceux dont nous devons améliorer le quotidien, car nous le pouvons, et de saluer les représentants des retraités de l'Allier, que nous avons rencontrés récemment avec André Chassaigne. Comme partout en France, ils attendent beaucoup de nous car, au-delà de l'aspect financier, c'est aussi une question de reconnaissance, de dignité et de considération.
Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et FI ainsi que sur quelques bancs des groupes LaREM, LT et Agir ens. – Mme Géraldine Bannier applaudit également.
Pour compenser le temps de parole consommé de façon bien légitime par Jean-Paul Dufrègne, je dirai simplement au président Chassaigne, comme je l'ai fait lors de mon intervention liminaire, que le groupe Les Républicains votera naturellement la proposition de loi. Nous aurions nous aussi préféré qu'elle soit adoptée dans sa version initiale, mais nous saluons les efforts réalisés en direction de ces retraités modestes, qui ont malheureusement dû attendre trop longtemps pour que l'on rectifie le tir à leur égard.
Je veux aussi le souligner, nous faisons ici la démonstration du fait que nous savons adopter des positions transpartisanes lorsque l'intérêt de nos concitoyens est en jeu. L'intérêt des agriculteurs retraités, qui attendent depuis longtemps que nous fassions un geste dans leur direction, nous paraît le justifier pleinement. Merci à André Chassaigne et au groupe GDR ; nous soutenons la proposition de loi.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR. – M. Pierre Dharréville applaudit également.
Je tenais à remercier notre collègue, le président André Chassaigne, d'avoir inscrit à l'ordre du jour cette proposition de loi. Nous partageons le constat selon lequel il faut réformer le système de retraites agricoles, qui est complexe et injuste, et en particulier les statuts des conjoints collaborateurs et des aides familiaux. Je pense en particulier à toutes ces femmes qui se battent depuis des années pour obtenir de telles avancées.
Monsieur le rapporteur, vous avez tenu votre promesse, formulée ici même, l'an dernier, au moment où nous adoptions la revalorisation des pensions de retraite des chefs d'exploitation agricole à hauteur de 85 % du SMIC. Nous nous étions collectivement donné rendez-vous pour franchir un nouveau palier en faveur des conjoints collaborateurs et des aides familiaux. C'est chose faite. Je ne peux qu'espérer désormais que la proposition de loi suive un parcours moins long, moins chaotique que la précédente. Son adoption rapide par nos deux chambres concrétiserait une amélioration tangible des retraites des non-salariés agricoles.
Certes, nous ne sommes pas encore au bout du chemin et de nombreuses injustices demeurent à combattre. Le groupe LT regrette ainsi la suppression du relèvement du minimum de pension des conjoints collaborateurs et aides familiaux à hauteur de 85 % du SMIC. Néanmoins, je veux saluer les compromis trouvés sur les autres articles ; ils permettront d'aligner la pension majorée de référence des conjoints collaborateurs et aides familiaux sur celle des chefs d'exploitation et de limiter le statut de conjoint collaborateur, moins protecteur, à cinq ans.
Ces points d'équilibre ne sont pas parfaits, mais ils ont le mérite d'exister et d'acter des avancées indéniables. Nous sommes conscients de la nécessité d'élargir notre réflexion et notre action pour revaloriser plus largement le statut des conjoints collaborateurs et pour agir au-delà du secteur agricole. Un nouveau rendez-vous est donné ; d'ici là, notre groupe votera en faveur de la proposition de loi.
Applaudissements sur les bancs des groupes LT, Agir ens et GDR. – M. Gérard Leseul applaudit également.
Je me joins également aux remerciements adressés au président Chassaigne et tiens à saluer les avancées majeures annoncées par le Gouvernement, car 100 euros par mois pour des retraites agricoles, c'est une hausse importante.
Au-delà des conjoints d'agriculteurs, c'est vers l'ensemble des conjoints d'indépendants qu'il faudrait désormais porter nos regards, ainsi que vers ceux qui, en changeant de métier au cours de leur vie, changent de régime.
On a évoqué la complexité du régime agricole : cela vaut pour l'ensemble de régimes et, sans vouloir rejouer le match, je veux insister sur le fait que cette complexité, ainsi que le manque de correspondance et de convergence entre les uns et les autres défavorise les plus précaires, parce que ce sont eux, qui ont le plus de mal à assimiler les règles, qui sont pourtant les plus exposés à la probabilité d'un parcours professionnel à cheval sur différents régimes. Je vous invite donc, les uns et les autres, à vous départir de toute posture politique et à réfléchir à ce sujet.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe Dem.
Tout en étant conscients que le pas que nous venons de franchir reste limité, nous considérons cependant que ce geste en faveur des petites retraites agricoles est une indéniable avancée.
Nous espérons nous aussi qu'il sera possible de faire de même, dans les prochains mois, pour les petites retraites des indépendants et des commerçants ; soyez assurés que nous serons au rendez-vous.
Pour l'heure, le groupe Agir ensemble votera en faveur de cette proposition de loi.
Applaudissements sur les bancs du groupe Agir ens.
Applaudissements sur les bancs du groupe UDI-I. – M. Jean-Paul Dufrègne et Mme Stéphanie Rist applaudissent également.
Cela porte ses fruits lorsqu'on a plusieurs mandats à son actif… Je le dis pour ceux qui auraient dans l'idée que la vie parlementaire doit être courte : l'expérience, c'est l'avenir !
Plus sérieusement, au nom des députés du groupe UDI-I, nous serons heureux, avec Nicole Sanquer, de voter cette proposition de loi car, comme l'a dit Nicolas Turquois, 100 euros pour une petite retraite, ce n'est pas une mince affaire.
Je me tourne à présent vers Mme la ministre : j'aimerais vraiment que nous puissions, d'ici à la fin de la législature, examiner avec le Gouvernement le cas de tous ceux qui ont des petites retraites, comme Geneviève, qui a travaillé comme conjointe d'un artisan pendant 43 ou 44 ans et qui, à 72 ans passés, touche 350 euros de retraite. Vous me répondrez que c'est parce qu'elle n'a pas assez cotisé et qu'il y a la complémentaire, mais notre responsabilité, c'est de tout faire pour corriger les anomalies et les injustices.
J'exprime enfin un autre souhait. Le Président de la République et plusieurs ministres ont évoqué le retour éventuel du débat sur les retraites avant la fin du quinquennat. S'il y a une urgence dont nous devrions nous emparer de manière prioritaire en matière de retraites, c'est de décider, d'ici à la fin de la législature, une trajectoire d'extinction des régimes spéciaux : nous l'avons fait pour celui des députés,…
…il faut le faire pour tous les autres. Il faut ensuite organiser la convergence entre le public et le privé ; après quoi, nous pourrons envisager, peut-être lors de la prochaine législature, d'instaurer un régime de retraite universel par points.
La préoccupation du moment de M. Castaner semblant se trouver sur son téléphone, je vais solliciter un autre membre du groupe LaREM.
La parole est à Mme Jacqueline Dubois.
L'an dernier déjà, c'est grâce à un travail commun accompli dans un esprit constructif qu'André Chassaigne avait permis, avec Olivier Damaisin, l'amélioration des pensions des chefs d'exploitation.
Aujourd'hui, l'initiative défendue par notre collègue André Chassaigne a eu le mérite d'avoir mis en exergue une des grosses injustices de notre modèle de retraite, qui concerne également les indépendants, les commerçants et les artisans, ce qui plaide pour une refonte complète de notre système.
C'est un travail collectif du groupe de la majorité et de ses alliés, aux côtés du groupe GDR, qui a permis de faire de cette proposition de loi un texte efficace, susceptible de corriger concrètement les retraites les plus faibles, celles que touchent très injustement les conjoints collaborateurs et les aidants familiaux, toujours des femmes.
Ce travail s'est effectué en concertation avec le Gouvernement, que je tiens à remercier d'avoir permis ces avancées significatives : une centaine d'euros supplémentaires en moyenne pour les femmes monopensionnées, un relèvement du plafond d'écrêtement de 35 euros et la limitation à cinq ans du statut de conjoint collaborateur, toutes mesures qui conduisent à plus d'équité.
Au-delà de ma satisfaction personnelle, puisque je m'étais engagée à défendre la cause des femmes retraitées de l'agriculture dans une proposition de loi que j'avais déposée avec de très nombreux députés de la majorité et qui intégrait ces mesures, je suis sûre que cette journée apportera beaucoup de satisfaction à ces femmes qui le méritent.
Pour toutes ces avancées historiques, pour nos retraités agricoles les plus démunis, j'appelle, au nom du groupe La République en marche, à voter ce texte.
Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.
Avant que nous puissions passer à l'examen du texte suivant, je veux à mon tour remercier chaleureusement André Chassaigne, mais aussi toutes celles et tous ceux qui, sur tous les bancs, défendent ces mesures depuis longtemps.
Le groupe Socialistes et apparentés votera bien sûr ce texte, comme il a voté tous les précédents sur le même sujet. Nous aurions certes souhaité aller plus loin, mais nous retiendrons le verre à moitié plein, car cette proposition de loi améliore sans conteste le sort des conjoints collaborateurs et des aides familiaux.
Je remercie le Gouvernement pour les avancées ainsi obtenues, tout en lui indiquant que cette proposition de loi ne clôt pas le débat. Il faut aller plus loin, et je forme le vœu que nous le fassions très vite, sans attendre quatre ans encore.
Applaudissements sur les bancs des groupes SOC et GDR.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 132
Nombre de suffrages exprimés 132
Majorité absolue 67
Pour l'adoption 132
Contre 0
La proposition de loi est adoptée à l'unanimité.
Je tiens à remercier tous ceux qui se sont mobilisés pour l'adoption de cette proposition de loi, et en premier lieu mon équipe parlementaire ainsi que le groupe de la Gauche démocrate et républicaine, qui a bien voulu accepter non seulement que, cette année encore, ce soit une proposition de loi sur les retraites agricoles qui soit inscrite dans notre niche mais qu'elle le soit, de surcroît, en deuxième position, alors que nous ne sommes pas certains, compte tenu du déroulement de la séance de ce matin, que l'ensemble des textes puissent être examinés avant ce soir.
Je tiens aussi à remercier les administrateurs, avec qui j'ai beaucoup travaillé, ainsi que l'ensemble de la commission des affaires sociales. Ce résultat est le fruit d'un très gros travail réalisé en lien avec le Gouvernement, grâce aux nombreux échanges que nous avons eus avec le cabinet du ministre.
Nous avons pu compter sur l'engagement de Jacqueline Dubois et nous appuyer sur la proposition de loi qu'elle avait déposée, tout comme nous nous étions appuyés, l'an dernier, sur le travail d'Olivier Damaisin pour défendre notre proposition de loi.
Pensons pour finir aux bénéficiaires. Tous ceux d'entre nous qui vivent en milieu rural connaissent des personnes qui vont être bénéficiaires de cette avancée. J'espère donc que le Sénat pourra se saisir rapidement de ce texte et qu'il pourra être voté conforme afin d'entrer au plus vite en application. Nous parlons d'une augmentation qui variera de 30 à 40 euros, voire 150 euros pour certains. Cela fait une moyenne de 98 euros mais, grâce à l'engagement du Gouvernement de majorer le MICO, la hausse devrait être supérieure à 100 euros. C'est une somme qui compte pour de toutes petites retraites.
Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SOC ainsi que sur plusieurs bancs du groupe LaREM. – Mme Géraldine Bannier applaudit également.
Je tiens à saluer ces avancées et le consensus républicain qui s'est fait autour de la proposition de loi du président Chassaigne. Celle-ci va contribuer à un alignement par le haut des petites retraites, grâce au relèvement du plafond d'écrêtement, à la hausse de la PMR au niveau du MICO majoré et à la limitation d'un statut devenu source de précarité.
Je voudrais également rappeler l'attachement du Gouvernement à trois principes qui ont déterminé sa position dans les débats : un principe d'équité, un principe de contributivité – ce sont les cotisations qui permettent d'ouvrir des droits – et enfin un principe de responsabilité – il nous faut assurer un financement pérenne de notre protection sociale.
Il revient désormais au Sénat de se saisir de cette initiative parlementaire mais, avant cela, je remercie le président Chassaigne pour son initiative, la commission des affaires sociales et sa présidente, Fadila Khattabi, pour leur engagement constant, ainsi que la majorité, qui a été force de proposition, en particulier Jacqueline Dubois et Nicolas Turquois. Merci enfin à tous les députés présents et au président de séance.
Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et Dem. – M. Moetai Brotherson applaudit également.
Suspension et reprise de la séance
La séance, suspendue à dix-sept heures vingt-cinq, est reprise à dix-sept heures trente-cinq.
Discussion d'une proposition de loi
L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi relative à la mise en place des plans de prévention des risques technologiques pour les installations abritant en permanence des ouvrages d'infrastructures de stationnement, chargement ou déchargement de matières dangereuses (n° 3266, 4230).
La parole est à M. Jean-Paul Lecoq, rapporteur de la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire.
Souvenons-nous : le 21 septembre 2001, à dix heures et dix-sept minutes, l'explosion survenue dans l'usine AZF marquait de manière indélébile le peuple français, lui faisant prendre conscience des risques technologiques. Ce jour reste gravé dans le marbre de notre législation.
Cet événement a suscité des réactions en chaîne dans tous nos territoires : des associations se sont créées, chaque citoyen français a regardé autour de lui pour voir s'il n'était pas exposé à des risques et a mesuré que les sites à côté desquels il vivait et qui paraissaient sans risque pouvaient, du jour au lendemain, être à l'origine d'un accident grave, parfois d'une catastrophe.
Le gouvernement de l'époque a écouté et entendu toutes les réactions du peuple français et de ces associations. Il a considéré que la directive Seveso, en vigueur avant l'explosion qui s'est produite à Toulouse, était insuffisante. Elle permettait d'établir dans nos territoires des périmètres de risques à l'intérieur desquels la densification de la population, la construction sur des terrains à bâtir et l'agrandissement d'une maison n'étaient pas autorisés, un point, c'est tout. Des dispositions similaires avaient été instaurées par l'Union européenne à la suite de l'explosion de l'usine à Seveso.
À la suite de l'événement du 21 septembre 2001, le législateur a considéré que se contenter de dire à nos concitoyens qu'ils vivaient à l'intérieur d'une zone de danger était insuffisant et que l'État français leur devait plus que cela : il devait assurer leur protection en leur précisant la nature exacte du danger, son niveau précis et les moyens de s'en protéger : cela représentait une avancée considérable. L'État devait aussi inciter les industriels dont la production expose à des risques à réduire ceux-ci à la source ; ce faisant il protégeait d'abord les personnes qui travaillent sur ces sites et ensuite celles qui vivent dans leur voisinage ; enfin, il sortait de la zone de danger celles qui y habitaient.
La loi du 30 juillet 2003 relative à la prévention des risques technologiques et naturels et à la réparation des dommages – tous les mots sont importants –, dite loi Bachelot ou, dans notre jargon, loi sur les PPRT – plans de prévention des risques technologiques –, représentait une avancée considérable. Tous les mots, ici, sont importants : il s'agissait en effet de planifier afin de prévenir tout accident susceptible de se transformer en catastrophe compte tenu d'un risque technologique. Ce progrès était vraiment exceptionnel.
C'était en 2001, et nous sommes en 2021. La loi a été promulguée en 2003, ce qui signifie que, durant dix-huit ans, on s'est efforcé de l'appliquer. De fait, on avait identifié 800 sites concernés. Si la définition des PPRT de certains d'entre eux – par exemple, une citerne de gaz et le périmètre l'entourant – fut simple, pour d'autres, ce fut beaucoup plus compliqué. Certains sites présentaient en effet des risques pour l'environnement, risques auxquels il fallait de sucroît prendre en compte un possible effet domino, à savoir d'éventuels dommages sur un autre site industriel à risque, dans une aggravation en chaîne qui aurait tourné à la catastrophe. Pour ces sites plus complexes, le plan de prévention des risques a donc été plus tardif, ce qui était au fond une bonne chose pour son appréhension même.
La loi a été promulguée en 2003, et Mme la secrétaire d'État chargée de la biodiversité a dû en faire l'inventaire avec ses services. Cette loi ne disait pas tout – notamment quant aux coûts – parce qu'elle ne pouvait pas tout dire. Elle fut en effet votée sous le coup de l'émotion, car il fallait apporter une réponse très rapide aux citoyens, qui l'attendaient expressément. Dans ces conditions, le législateur a considéré qu'il n'était pas gênant que la loi ne contienne pas toutes les précisions souhaitables, et qu'il lui serait possible de l'affiner ultérieurement.
Au fil du temps, les dispositions ont été précisées par le ministère de l'environnement, conseillé en cela par le Conseil supérieur de la prévention des risques technologiques et les différentes instances venues enrichir le texte. Les négociations menées entre les industriels, l'État et les collectivités territoriales y ont également contribué. À l'époque, les collectivités territoriales percevaient la taxe professionnelle ; on considérait donc qu'elles avaient intérêt à ce que les choses se fassent bien. Au bout de quelques années, un accord a été conclu entre ces trois acteurs pour accompagner, à raison d'un tiers de la charge pour chacun, la protection des populations.
La réduction du risque à la source a constitué la dimension essentielle de la loi dite PPRT. Dans ma bonne ville du Havre, le risque inhérent aux activités de l'entreprise Chevron Chemical s'étendait, au regard des critères de la directive Seveso, sur un rayon de 2 kilomètres. L'effort demandé à l'industriel pour réduire le risque à la source – un accident aurait eu un coût considérable, puisque la moitié de la ville, soit près de 5 000 habitants, était concernée –, l'a conduit à changer son process de fabrication : non seulement il a renoncé à l'hydroxyde fluoré, gaz à l'origine du risque, mais son produit fini s'en est trouvé amélioré par rapport au précédent, dont la fabrication était source de danger.
Il importe donc d'inciter les industriels, les acteurs qui créent des risques, à les réduire à la source. C'est parce qu'ils devaient mettre la main à la poche pour indemniser ceux qui étaient exposés au risque que les industriels, à un moment donné, se sont mis autour de la table, chez eux, pour chercher à le réduire à la source. Dans le cadre du dispositif prévu par la loi, ils ont été accompagnés pour ce faire, et les régions se sont elles aussi associées à la démarche. Tous avaient à cœur de dire que, premièrement, il fallait que l'industrie continue à vivre ; que, deuxièmement, il fallait accompagner les petites entreprises environnantes dans leur déménagement, afin de les protéger ; que, troisièmement, on rachèterait les biens des résidents qui étaient en extrême danger, dans le même souci de protection ; que, enfin, on investirait dans les autres biens, notamment pour les équiper de vitres résistantes au souffle.
Si j'évoque à nouveau la loi qui a institué les PPRT, c'est parce que la proposition de loi qui vous est soumise prévoit de considérer les infrastructures de transport de matières dangereuses comme des sites présentant un risque technologique. Je ne fais pas référence, ici, aux lignes de chemin de fer, mais aux lieux où les matières dangereuses sont manipulées, comme les quais ferroviaires et portuaires ou les sites de chargement de camions. Ces sites doivent en effet être considérés de la même manière que les usines classées Seveso seuil haut.
Il faut que nous avancions dans ce domaine, car il existe deux sons de cloche en matière de risques technologiques. D'un côté, il y a ceux qui affirment qu'il n'y a ni risque ni danger et que toutes les réglementations, y compris européennes, intègrent l'éventail des risques et sont bien appliquées. J'aimerais le croire mais, dans le même temps, les préfets communiquent aux maires des porter à connaissance les enjoignant, sur la base d'études de dangers, à limiter l'urbanisation de telle ou telle zone. En dernier recours, la balle est dans le camp des maires, auxquels il revient de décider.
Parfois, dans une même ville, certains résidents ont été concernés par un PPRT et ont été indemnisés pour se protéger, alors que d'autres n'ont reçu qu'un porter à connaissance leur indiquant qu'ils sont concernés par un danger, sans que leur en soit précisé la nature et les moyens de s'en protéger, et sans aucun accompagnement.
Nous vous proposons donc de considérer ces sites de transport et de manipulation de matières dangereuses comme des équivalents des sites Seveso seuil haut ; c'est le sens de cette proposition de loi. Elle vise à ce que les personnes qui ont passé leur vie à acheter ou à construire leur maison, située dans un quartier proche de tels sites, ne voient pas leur bien dévalorisé ; elle inciterait surtout les acteurs qui opèrent dans le secteur du transport de matières dangereuses à réduire le risque à la source, dans la logique de ce qu'avait permis la loi Bachelot relative à la prévention des risques technologiques. Je vous remercie, monsieur le président, de m'avoir laissé le temps de terminer mon propos.
Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et FI. – M. Gérard Leseul applaudit également.
Si j'ai été bienveillant à votre égard, c'est parce que j'ai été pendant dix-neuf ans maire d'une ville où se trouvaient quatorze sites classés Seveso seuil haut. C'est toute une partie de ma vie qui a défilé dans votre intervention.
La catastrophe de l'usine AZF de Toulouse en 2001 et l'accident de Lubrizol en 2019 nous ont durement rappelé la présence du risque technologique dans nos territoires, près de chez nous, et toute l'importance des politiques de prévention. Ces dernières années, nous avons constamment progressé dans la maîtrise de ces risques en tirant le bilan des erreurs et des manquements du passé. La proposition de loi que vous présentez ici, monsieur le rapporteur, remet cet enjeu en haut de l'agenda, et je vous en remercie. C'est pour moi l'occasion de rappeler l'ensemble des actions que mène le Gouvernement dans ce domaine.
En matière de sécurité, des règles internationales et nationales se complètent et nous procurent un arsenal juridique déjà solide et étayé. L'application des règles internationales relatives au transport des matières dangereuses assure un haut niveau de sécurité. Ces règles s'appuient d'abord sur une identification précise des matières considérées comme dangereuses lors de leur transport. Celles-ci doivent être conditionnées dans des emballages spéciaux, résistant aux agressions, aux incendies et à tout ce qui pourrait entraîner leur dispersion dans l'environnement, dans des conditions raisonnablement prévisibles. Ainsi, la probabilité d'accident grave lors du transport est plus faible que dans les installations industrielles où les matières dangereuses sont produites, manipulées et utilisées.
C'est pourquoi, mesdames et messieurs les députés, il me semblerait disproportionné d'assimiler directement les risques liés au transport des matières dangereuses à ceux liés à leur fabrication, qui se déroule dans des sites Seveso seuil haut. La directive Seveso exclut d'ailleurs expressément les opérations de transport de son champ d'application : c'est un premier point qu'il me paraissait important de souligner.
À cet égard, le code de l'environnement impose la réalisation d'exercices réguliers, particulièrement depuis l'accident de Lubrizol. La fréquence de mise à l'épreuve des plans d'opération internes (POI) est d'une fois par an pour les sites Seveso seuil haut et d'une fois tous les trois ans pour les autres sites industriels soumis à l'obligation de disposer d'un POI.
Je tiens donc à le dire clairement : les principales infrastructures de transport de matières dangereuses (ITMD) font l'objet d'une étude de dangers. De telles études permettent de connaître les périmètres de risque autour de ce type d'installations et peuvent déboucher sur des mesures de prévention ad hoc afin de réduire le risque à la source. Dans un même esprit de responsabilité, le préfet peut également limiter l'urbanisation future d'une zone au motif que ces installations présentent des risques. Je fais ici référence aux porter à connaissance : ces éléments forts de notre politique de prévention que vous avez également évoqués, monsieur le rapporteur.
En effet, une installation industrielle, qu'elle soit classée Seveso ou non, requiert une réflexion sur son intégration dans le territoire et à long terme : cela nécessite la fixation de règles, non seulement pour le présent, mais aussi pour le futur. C'est justement pour cette raison que le fonds Barnier et les PPRT n'ont pas vocation à accorder des indemnisations, pas plus que toute modification d'un document d'urbanisme. Les limites que nous traçons sont connues par avance, prévisibles, claires et n'ont qu'un seul but : protéger au mieux nos concitoyens.
Dès lors, on pourrait croire que les riverains pâtissent de ces règles et que la valeur de leur patrimoine est amputée du prix du risque : c'est une idée reçue. Celle-ci a d'ailleurs été objectivée, toutes les études démontrant le contraire. Lorsque nous publions un porter à connaissance ou un PPRT, cela n'entraîne pas de dépréciation des actifs immobiliers sur les moyen et long termes.
Cela étant, il existe bien un véritable enjeu de bonne appropriation de la culture du risque et de concertation avant que ne démarre la procédure du porter à connaissance. Cette question de la modernisation des outils d'information et de concertation fait actuellement l'objet d'une mission spécifique, confiée à Frédéric Courant – peut-être mieux connu pour son duo télévisuel avec Jamy Gourmaud – et dont les propositions sont attendues au cours de l'été. Le Gouvernement les étudiera bien sûr avec attention, et les suites qui y seront données seront rendues publiques. Notons à cet égard qu'un large travail de refonte de la culture du risque a été engagé à la suite de l'accident de Lubrizol : il va au-delà des seules infrastructures de transport de marchandises dangereuses.
Une piste d'amélioration que nous pouvons d'ores et déjà envisager consisterait à créer des commissions de suivi d'infrastructures de transport de matières dangereuses, notamment pour expliquer les raisons et les conséquences du porter à connaissance, la réduction du risque étant avant tout une question de confiance et de transparence.
Vous le voyez donc, mesdames et messieurs les députés, les services de l'État sont pleinement mobilisés dans ce domaine, afin d'assurer la sécurité autour des infrastructures de transport de matières dangereuses, mais aussi pour partager les informations et opérer une médiation sur les territoires.
Vous le savez, les PPRT n'existent qu'en France…
…et ne sont pas nécessairement pertinents partout et dans toutes les situations. Ils doivent être réservés aux plus gros facteurs de risque, ce qui explique pourquoi ils concernent les sites Seveso seuil haut. Grâce à la régulation internationale relative au transport de matières dangereuses, à l'absence de manipulation de ces matières soigneusement conditionnées durant leur transport, aux études de dangers et aux procédures de porter à connaissance, j'estime que nous disposons d'un arsenal suffisamment robuste pour prévenir les risques liés aux infrastructures de transport de matières dangereuses.
Agir en responsabilité devant les Français, c'est d'abord tenir un discours de vérité, donc concentrer les ressources de l'inspection des installations classées sur le contrôle et la présence sur le terrain plutôt que créer un nouveau dispositif. Le Gouvernement a d'ailleurs renforcé les effectifs chargés de l'inspection des installations classées, avec la création de trente postes en 2020.
Si nous divergeons sur les modalités techniques, nous nous accordons sur la nécessité d'assurer la sécurité des Françaises et des Français et partageons la même volonté de renforcer nos politiques de prévention du risque. Nous le devons à nos concitoyens, à nos enfants et, évidemment, à l'environnement.
Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et Dem.
Monsieur le rapporteur, vous saisissez notre assemblée d'une proposition de loi de bon sens – c'est le terme qui viendrait à l'esprit de toute personne qui examinerait le texte. Ce dernier vise à inclure les ouvrages d'infrastructures de stationnement, chargement ou déchargement de matières dangereuses au sein des dispositions réglementaires des PPRT.
Vous l'avez rappelé, cette proposition de loi est cohérente en ce qu'elle s'inscrit pleinement dans la continuité des travaux conduits à la suite de l'explosion de l'usine AZF par la ministre Roselyne Bachelot. Vous l'avez également indiqué, dès l'adoption de la loi ayant créé les PPRT, Mme Bachelot précisait que des dispositions ultérieures devraient être prises pour les consolider, y compris pour les infrastructures dont il est ici question.
Entendons-nous bien, nous parlons des entrepôts ferroviaires, quais et docks portuaires, installations multimodales et entreprises de transport dont les sites abritent des matières dangereuses. Chacun se plaît à le croire dans cet hémicycle, ce type d'installations est appelé à se développer à l'avenir, au gré des échanges internationaux et nationaux et des politiques publiques dont on nous dit qu'elles porteront sur le développement des infrastructures de logistique. En effet, les lieux de transport de matières dangereuses font partie intégrante de la chaîne logistique entrante et sortante des sites industriels classés Seveso.
Au nombre d'une quarantaine – si je ne fais pas erreur, monsieur le rapporteur –, les nœuds de localisation concernés, dévolus au transit plus ou moins long de produits à risque, sont fixes et permanents. La sécurité, mais aussi la sûreté, y sont donc déterminants.
À en croire les collègues de la majorité, la réglementation européenne relative au transport de matières dangereuses présentent déjà les garanties nécessaires. Outre que le texte vise des lieux d'hébergement et non des flux en mouvement, les dispositions afférentes au transport de matières dangereuses, tout au contraire des affirmations de la majorité, seraient utilement complétées par la proposition de loi, sous réserve, bien sûr, d'un travail qui reste à faire.
La transparence et la responsabilisation de l'ensemble des acteurs des périmètres et des territoires concernés sont essentielles. En premier lieu, les riverains doivent évidemment disposer d'une information et d'une communication fiables, d'autant plus qu'elles déclenchent des facultés et des droits, notamment en matière d'urbanisme et d'habitat. Il en va de même pour les collectivités territoriales, dont les projets de développement urbain requièrent de la lisibilité.
Étendre la réglementation relative aux PPRT à ces installations de transport renforcerait aussi la vigilance de tous les acteurs locaux. Je fais ici référence à cette fameuse culture du risque, dont tout le monde parle à juste titre, mais trop souvent après un coup dur. Il s'agit de donner aux riverains les moyens de se protéger contre les risques et de prémunir leurs biens contre de possibles préjudices.
Il s'agit enfin, vous l'avez dit, de mobiliser les entrepreneurs en les obligeant à élever le niveau de surveillance et de contribution à l'intégrité de leur entreprise et du bassin de vie sociale qui l'entoure. Rien, ni la complexité des PPRT et leur articulation avec la réglementation des flux de transports dangereux, ni les enjeux financiers liés aux mesures de protection, ne pourrait justifier un renoncement, si ce n'est une absence de volonté politique de poursuivre le nécessaire travail effectué depuis de longues années, entreprise que notre rapporteur propose aujourd'hui de compléter.
Dois-je vous rappeler, comme pourraient le faire d'autres membres de cette assemblée – en particulier Gérard Leseul, député de Seine-Maritime, M. le rapporteur et moi-même –, que l'énorme accident de Lubrizol, qui a lourdement affecté l'agglomération rouennaise jusqu'aux confins du pays de Bray, voire jusqu'au Nord de la France, est intervenu dans un site d'entrepôt logistique contigu à un site de production pourtant tous deux couverts par un PPRT ? Dois-je vous rappeler qu'il a fallu plusieurs jours pour identifier clairement les matières dangereuses entreposées dans les deux sites ?
Alors, madame la secrétaire d'État, à défaut d'être responsable d'un quelconque accident – ce qui n'est bien entendu pas le sens des propos du rapporteur, et nous savons que le risque zéro n'existe pas en la matière –, ne soyez pas coupable pour quelques poignées de dollars !
Sourires sur quelques bancs.
J'emploie l'expression « quelques poignées de dollars » car, en Seine-Maritime, nous sommes toujours concernés par les suites de cet accident. J'ai en mémoire, comme quelques-uns d'entre nous ici, les propos des maires auditionnés par le président de la mission d'information, Christophe Bouillon : ces maires de l'agglomération rouennaise et des zones rurales nous disaient vouloir être informés des périls qui peuvent potentiellement toucher les populations. Qu'il s'agisse de l'axe constitué par la Seine, particulièrement exposé aux risques, ou de l'axe rhodanien – et je me tourne vers notre collègue Pierre Dharréville –, ils voulaient l'exemplarité pour ces bassins industriels où se concentrent des sites Seveso mais également des sites de chargement, d'entreposage et de déchargement de produits dangereux. Ils se disaient prêts à s'engager dans une politique d'exemplarité dans leur territoire pour que les habitants et l'ensemble des acteurs industriels et sociaux puissent vivre en paix en ayant accompli tout ce qu'il est possible de faire en matière de lutte contre le risque d'accidents industriels.
Applaudissements sur les bancs des groupes GDR, SOC et FI.
Le groupe Mouvement démocrate (MODEM) et démocrates apparentés partage la volonté de mieux sécuriser nos infrastructures. Nous avons récemment connu, vous l'avez rappelé, monsieur Lecoq, des accidents industriels en France et ailleurs dans le monde, lesquels n'ont heureusement pas eu de conséquences trop graves dans notre pays mais ont appelé notre attention et celle de l'opinion sur la gestion des matières dangereuses.
Si ces événements malheureux peuvent appeler à une réévaluation de certaines procédures, nous pensons que cette proposition de loi, en ajoutant de la complexité et en ignorant le cadre juridique international et européen dans lequel nous évoluons, rate sa cible. Vous proposez, monsieur le rapporteur, de modifier le périmètre des plans de prévention des risques technologiques afin d'y intégrer les infrastructures de stationnement, de chargement ou de déchargement de matières dangereuses. Sous cette dénomination technique se cachent finalement des lieux assez communs, à savoir des entrepôts ferroviaires, des quais ou des docks, lesquels sont autant de lieux de passage de marchandises en tout genre dont certaines circulent à travers tout le continent, voire au-delà, et dont les conditions de transport, desquelles nous ne pouvons nous affranchir impunément, sont régies par des normes internationales négociées et adoptées avec nos partenaires.
Adopter cette PPL, c'est violer le droit international et européen et remettre en question tout le système de sécurité en place dont nous pouvons nous réjouir qu'il ait fait ses preuves. Le transport de matières dangereuses est ainsi strictement réglementé par la Convention relative aux transports internationaux ferroviaires (COTIF) dont la section concernant les matières dangereuses est mise à jour tous les deux ans. Cette réglementation technique assure un niveau élevé de maîtrise des risques et, ce faisant, l'acceptabilité du transport de tous ces types de marchandises dans chacun des États concernés. En ce qui concerne spécifiquement les matières dangereuses, elles doivent, selon la réglementation, être clairement identifiées afin de calibrer précisément les interventions en cas de problème et de diminuer largement la probabilité d'un accident grave.
La proposition de loi vise à appliquer les règles pour les matières dangereuses en cours de transport à celles en cours de fabrication : cela déséquilibrerait le système actuel et poserait donc un vrai problème.
Ensuite, d'un point de vue strictement pratique, je m'interroge sur la manière dont vous comptez mettre en place, dans un site où des centaines d'entreprises différentes interviennent, un PPRT dont le coût sera assumé à parts égales – j'en reviens à vos poignées de dollars, monsieur Wulfranc – par l'État, la collectivité et l'exploitant. Dans le cas de docks, d'entrepôts ferroviaires ou de quais de chargement, comment répartir efficacement et équitablement le coût de prise en charge dévolu à l'industriel ? Ce coût dépendra-t-il du volume manutentionné ou du temps passé ? Sans mauvais jeu de mots, je crains que l'adoption de cette PPL ne se traduise par une usine à gaz incompréhensible.
Et que dire des coûts et des démarches supplémentaires qu'elle imposerait ? Ceux-ci, alors que nous avons montré qu'ils étaient loin d'être indispensables, auraient pour effet de créer une réelle distorsion de concurrence avec nos voisins européens. De plus, et c'est loin d'être un détail, le dispositif proposé va tout bonnement à l'encontre du principe européen de libre circulation des marchandises et, plus spécifiquement, du cadre très technique de la réglementation Seveso.
Je me permets également de rappeler que la loi impose déjà aux infrastructures concernées une étude de dangers, laquelle peut déboucher sur des arrêtés préfectoraux imposant des mesures de réduction du risque aux différentes parties prenantes. L'activité des acteurs de la logistique est donc très encadrée et ceux-ci ne peuvent pas faire n'importe quoi lorsqu'ils transportent des matières dangereuses.
Enfin, dernier détail loin d'être négligeable, le dispositif proposé est juridiquement très fragile. Cette PPL ne modifie en effet pas le bon article puisqu'en s'attaquant uniquement à l'article L. 515-36 du code de l'environnement, le texte ne paraît pas applicable en l'état.
Pour toutes ces raisons, et comme vous l'aurez compris, le groupe Dem se positionne contre ce texte. Non pas que la question de la sécurité du transport de matières dangereuses ne mérite pas que l'on s'y penche à nouveau avec la plus grande attention, mais parce que le dispositif proposé ne répond pas aux enjeux soulevés. Oui pour améliorer le cadre actuel si vous le souhaitez, mais malheureusement pas à travers cette proposition de loi.
Mmes Géraldine Bannier et Camille Galliard-Minier applaudissent.
Le député de Lacq que je suis ne supporte plus l'expression « usine à gaz ». Mme la secrétaire d'État a, elle aussi, réagi défavorablement en l'entendant. Essayons de ne plus l'employer !
La parole est à Mme Nathalie Serre.
La présente proposition de loi vise à élargir la réalisation de plans de prévention des risques technologiques au transport de substances dangereuses et au stockage temporaire intermédiaire qui lui est directement lié. En effet, la réalisation de ces plans, dont les mesures visent à réduire les risques encourus par les sites industriels présentant des risques d'accident majeur du fait de manipulations ou de stockage permanent de matières dangereuses, ne concerne que les sites classés à très haut risque, les établissements Seveso seuil haut, dont la liste est fixée par un décret en Conseil d'État.
Monsieur le rapporteur, votre groupe de la Gauche démocrate et républicaine trouve le périmètre de ces plans trop restreint et propose d'élargir l'élaboration des PPRT aux lieux de stationnement, de transit, de chargement ou de déchargement de véhicules terrestres, maritimes ou fluviaux transportant des matières dangereuses qui présentent des risques particuliers en raison de la nature des produits qui y séjournent en grande quantité et de leur variabilité élevée. La mise en place de ces PPRT est indéniablement une réussite bien qu'ils ne concernent que les sites industriels les plus dangereux. Ces plans visent à assurer la protection des populations vivant à proximité de ces sites et garantissent une bonne coexistence entre ces derniers et l'urbanisation environnante.
Je vous remercie de remettre sur la table, avec cette PPL, un débat sur le périmètre de ces plans qui avait eu lieu en 2003 lors de la discussion de la loi Bachelot qui les avait instaurés. Toutefois, l'élargissement du périmètre aboutissant à réglementer l'urbanisme comme un site Seveso seuil haut est une décision qui ne peut être prise à la légère. Faire respecter autour d'une gare, par exemple, une distanciation similaire aux sites les plus à risque paraît improbable. En outre, comme l'a rappelé Mme la secrétaire d'État, le champ d'application de la directive européenne Seveso 3 – la dernière en date – exclut le transport de substances dangereuses et le stockage temporaire et intermédiaire qui lui est directement lié par route, rail, voie navigable intérieure et maritime ou voie aérienne, y compris les activités de chargement et de déchargement ainsi que le transfert à partir de et vers un autre mode de transport sur un quai ou une gare ferroviaire de triage.
Par ailleurs, la loi Bachelot a introduit l'obligation, pour les gestionnaires d'infrastructures de transports accueillant une grande quantité de marchandises dangereuses, de réaliser non pas des PPRT mais des études de dangers tous les cinq ans. Ce sont ces documents qui fixent la quantité maximale de matières dangereuses, celles-ci n'étant d'ailleurs autorisées à stationner que pour un temps limité. Le cas échéant, des prescriptions minimales sont ensuite imposées à l'exploitant par un arrêté préfectoral.
Enfin, il est à souligner que les opérateurs de terminaux doivent employer des personnes spécialisées dans la gestion des marchandises dont le rôle est justement de veiller à la sécurité du transport.
Le manque d'étude d'impact et de recul juridique ne nous permet pas de soutenir cette proposition de loi. Cette question mériterait un texte de loi plus dense et mieux renseigné, à l'élaboration duquel nous serions prêts à travailler. C'est pourquoi, chers collègues du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, et contrairement aux deux PPL précédentes pour lesquelles nous vous avons suivis, le groupe Les Républicains votera contre ce texte.
Lundi dernier, un nouvel incident s'est déclaré dans l'usine Lubrizol de Rockton, aux États-Unis. Un peu moins de deux ans après celui de Rouen, les images rappellent l'absolue nécessité de protéger les populations des risques technologiques et industriels. Dans La société du risque, ouvrage écrit peu après la catastrophe de Tchernobyl, en 1986, Ulrich Beck alertait nos sociétés sur le fait que la production sociale de richesse est systématiquement corrélée à la production sociale de risque. Ce constat posé, il convient de tout faire pour bâtir une législation forte et protectrice : c'est tout l'objet des grandes avancées législatives obtenues au cours des vingt dernières années avec le concours des différents gouvernements qui se sont succédé. Si la proposition de loi mérite un débat à la hauteur des enjeux, un débat qui place l'humain et les risques auxquels il est exposé au cœur de nos échanges, elle suscite aussi des interrogations sur plusieurs points. Notre principale critique porte sur la méthode proposée au regard de la cohérence d'ensemble de notre politique de risque.
En premier lieu, l'article unique de la proposition de loi propose d'étendre les PPRT, lesquels sont réservés aux seuls sites Seveso seuil haut, aux sites de transit des matières dangereuses en cours de transport ; pourtant, le statut des matières en cours de transport ne peut être assimilé à celui des matières dangereuses en cours de fabrication. D'ailleurs, comme l'a rappelé Mme la secrétaire d'État, l'article 2 de la directive Seveso du 4 juillet 2012, qui établit les règles applicables aux sites Seveso, est très clair : sont exclus expressément de son champ d'application le transport des substances dangereuses et – faut-il le rappeler ? – le stockage temporaire ou intermédiaire qui y est directement lié, lesquels font l'objet de la proposition de loi. Pourquoi ? Parce que le transport de marchandises dangereuses est soumis à une réglementation européenne et internationale exigeante, propre au déplacement de ces substances qui, par principe, traversent des frontières ; celle-ci assure des conditions de déplacement sécurisées, que le transport s'effectue par route, par rail, par voie navigable intérieure ou maritime ou par air. C'est le cas, par exemple, de la COTIF, qui a été transposée dans une directive européenne de 2008, en vertu de laquelle les matières dangereuses doivent être dûment identifiées et conditionnées dans des emballages adaptés et résistants afin de limiter les risques. Nous ne pouvons nous affranchir unilatéralement de règles communes. D'autres États membres pourraient être tentés de faire de même, et c'est alors le socle de notre législation partagée qui serait ainsi fragilisé.
En deuxième lieu, il existe déjà des outils en droit interne pour prévenir les risques technologiques à proximité des infrastructures de transport de matières dangereuses ; elles font l'objet d'études de danger régulièrement actualisées pouvant déboucher sur une procédure de porter à connaissance. C'est ici le couple maire-préfet qui est à la manœuvre ; nous pouvons compter sur les acteurs du territoire, qui connaissent la réalité des zones à risque. L'on peut ajouter à ce dispositif les documents d'information communaux sur les risques majeurs (DICRIM), les inspections des directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) ou encore l'instance de concertation qu'est le CODERST, le conseil départemental de l'environnement et des risques sanitaires et technologiques. Les opérateurs nationaux agissent en complément du cadre légal : la SNCF établit ainsi des plans de marchandises dangereuses dans chacune de ses gares de triage pour faciliter la décision et l'action des services de secours en cas d'accident ; le port du Havre, que connaît bien M. le rapporteur, ainsi que les ports de Paris et de Rouen, utilisent, eux, un système spécifique de contrôle, le traitement informatisé des marchandises dangereuses (TIMAD), première plateforme en Europe de gestion et de suivi des marchandises dangereuses.
En troisième lieu, le Gouvernement et la majorité présidentielle ont agi pour renforcer le niveau d'exigence en matière de prévention des risques technologiques. À la suite de l'incident de Lubrizol, un plan d'action comportant des mesures fortes a été instauré en février 2020 : amélioration des conditions de stockage des produits dangereux, création d'un outil d'alerte, augmentation de 50 % du nombre d'inspections annuelles d'ici à la fin du quinquennat, réexamen des études de danger et renforcement des plans d'opérations internes des industriels. La représentation nationale a également constitué une mission d'information à l'issue de laquelle le rapporteur, notre collègue Damien Adam, a formulé des propositions ; la reprise de l'une des mesures les plus opérationnelles – la création d'un bureau d'enquête et d'analyse sur le risque industriel – est prévue dans le projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets que nous examinons ces jours-ci.
En conclusion, des outils existent ; certains sont perfectibles, d'autres insuffisamment mobilisés par les collectivités et les acteurs concernés. C'est pourquoi, en tant que parlementaires, nous serons attentifs aux conclusions de la mission sur la transparence, l'information et la participation de tous à la gestion des risques majeurs, technologiques ou naturels. En attendant, la proposition de loi semble manquer sa cible : en se concentrant sur les seules infrastructures de matières dangereuses, elle est trop spécifique et inopérante eu égard au droit interne et international existant. C'est pourquoi les députés du groupe de La République en marche voteront contre le texte.
Mme Christine Cloarec-Le Nabour applaudit.
Je remercie une nouvelle fois le rapporteur Jean-Paul Lecoq pour cette proposition de loi sur la gestion des risques industriels. Tous les deux élus de Seine-Maritime – tous trois, avec notre collègue Hubert Wulfranc –, nous venons d'un département marqué par l'empreinte industrielle et nous partageons la même volonté d'assurer une sécurité de chaque instant aux habitants vivant à proximité des sites industriels. L'accident de Lubrizol nous a rappelé à quel point une catastrophe est vite arrivée, avec son lot de conséquences potentiellement désastreuses et parfois irrémédiablement dramatiques.
Les PPRT font partie des outils qui permettent de réduire le risque à sa source, et c'est une bonne chose. Ils ont été créés en 2003 par la loi Bachelot pour ajouter un volet de maîtrise d'urbanisme au dispositif national de prévention des risques industriels, ce dont nous nous félicitons ; malheureusement, ils ne concernent que les sites classés Seveso à haut risque. Lors de l'élaboration de la loi, les PPRT visaient soixante-dix établissements industriels établis dans 900 communes. Leur adoption a été longue : en 2010, 273 PPRT avaient été lancés et 28 approuvés ; en 2020, 285 PPRT ont été approuvés dans plus de 800 communes. En Seine-Maritime, il y a bien sûr Le Havre et Rouen, mais aussi Rives-en-Seine, Caudebec, Lillebonne, Port-Jérôme-sur-Seine – des communes que je connais bien car elles sont dans ma circonscription. Les PPRT permettent de trouver un équilibre entre les exigences de développement économique et la protection de la population aux alentours. Ils délimitent autour des installations à haut risque des zones à l'intérieur desquelles des prescriptions peuvent être imposées aux constructions existantes et futures et d'autres à l'intérieur desquelles les constructions futures peuvent être interdites ; ils définissent également les périmètres à l'intérieur desquelles l'expropriation est possible pour cause de danger très grave menaçant la vie humaine et ceux dans lesquels les communes peuvent donner aux propriétaires un droit de délaissement et préempter les biens à l'occasion de transferts de propriété.
La proposition de loi a le mérite d'élargir l'objet des PPRT. Elle ne rate pas du tout sa cible ; au contraire, elle vise les installations abritant en permanence des stocks mobiles de matières dangereuses au même titre que les installations classées dans le cadre des PPRT. Il s'agit d'étendre très nettement le champ d'application des PPRT prévu par la loi Bachelot, lequel est limité aux installations Seveso seuil haut, pour inclure toutes les installations qui abritent des stocks mobiles dangereux. Sur le plan juridique, cela assurerait la protection effective des travailleurs, des populations et des biens économiques et personnels ainsi que le financement des PPRT par les pollueurs. Serait concerné le stockage dans les gares de triage, les parkings, les barges fluviales sur les rivières, les quais maritimes, les plateformes aéroportuaires… Bref, tous les espaces de stockage susceptibles de devenir des zones contaminées. Nous voterons clairement en faveur de cette avancée.
Mais, avec cette proposition de loi, nous avons l'occasion de renforcer la transparence et la sécurité des habitants qui résident à proximité des sites industriels les plus dangereux. Ainsi, nous suggérons de repenser l'élaboration des PPRT à l'échelle de plateformes industrielles. En effet, la notion de plateforme est particulièrement bien adaptée aux activités industrielles reposant sur des procédés complexes et imbriqués, particulièrement en milieu urbanisé – les liens qui ont été rappelés entre Lubrizol et l'entreposeur Normandie Logistique illustrent bien cette combinaison qu'il nous faut mieux maîtriser. Cela justifie la reconnaissance de la notion de plateforme industrielle.
Nous proposons aussi d'élargir l'objet des études de danger à l'impact du changement climatique et d'instaurer une formation obligatoire des salariés sous-traitants sur la sécurité et les réflexes à adopter en cas de survenance d'un risque dans l'enceinte de l'entreprise. Enfin, nous souhaitons rendre obligatoire la tenue par l'exploitant d'une liste exhaustive des produits entreposés sur un site industriel. Notre groupe a mené un important travail sur le sujet après l'accident Lubrizol. Il en est ressorti que par manque de moyens et d'indépendance, les contrôles étaient défaillants.
Récemment, une nouvelle pollution aux néonicotinoïdes dans la Seine est venue rappeler que des produits particulièrement dangereux sont entreposés dans des bâtiments qui ne sont pas classés Seveso. L'élargissement du champ des PPRT serait donc une très bonne chose. Profitons de ce texte présenté par notre collègue pour réconcilier l'activité industrielle et l'activité humaine dans nos territoires.
M. Jean-Paul Lecoq applaudit.
Le 21 septembre 2021, nous commémorerons les vingt ans de l'explosion de l'usine AZF, laquelle a fait plus de 2 500 blessés et 31 décès. Cette catastrophe et d'autres plus récentes nous rappellent que certaines installations industrielles ne sont pas sans risque et peuvent être le théâtre d'accidents mettant en danger l'environnement et la santé de ceux qui habitent à proximité de ces sites. Elles soulignent également l'importance de discuter ici de tels sujets. Nous sommes ouverts au débat et nous remercions notre collègue de l'amorcer dans la proposition de loi, laquelle vise à inclure dans les PPRT les infrastructures de chargement, de déchargement et de stationnement des matières dangereuses.
Nous avons retenu les leçons du passé pour faire évoluer le corpus législatif. Ainsi, la loi Bachelot a renforcé les actions préventives dans plusieurs domaines pour mieux maîtriser le risque ; l'analyse des risques est désormais plus précise et prend ainsi en considération davantage d'éléments comme la probabilité, la gravité ou la cinétique des accidents. La loi a également instauré des comités locaux de concertation et d'information pour les acteurs locaux pour améliorer, en lien avec l'État, la connaissance des actions menées ; enrichi les informations communiquées aux riverains avec l'obligation de notifier aux locataires et aux acheteurs les risques potentiels ; et, pour la première fois – il faut le souligner –, créé des PPRT. Ces PPRT permettent de maîtriser les risques dans les territoires accueillant des sites industriels à haut risque, les fameux sites classés Seveso, en imposant des règles en matière d'urbanisation présente et future des installations, dans le souci premier de protéger la vie de nos concitoyens.
À ce corpus législatif s'ajoutent désormais diverses directives européennes prises pour limiter les risques liés au transport de matières dangereuses et les risques d'explosion sur site. Or si l'objectif de la proposition de loi est louable et son intérêt indéniable, elle ne semble pas être conforme au droit européen et international. Le texte vient ainsi, d'une certaine manière, fragiliser l'édifice réglementaire commun. Nous avons en effet déjà discuté en commission du fait qu'il est difficile d'assimiler les matières dangereuses en cours de transport à celles en cours de fabrication.
Monsieur le rapporteur, vous visez les sites de déchargement, les infrastructures. Or, comme cela a été très bien dit par notre collègue de La République en marche, les directives européennes s'appliquent au stockage intermédiaire et temporaire. En raison de cette contrainte réglementaire, nous ne pouvons pas soutenir ce texte.
Sur la forme, en allongeant la liste des sites faisant l'objet d'un PPRT, la proposition de loi aurait pour conséquence de modifier les contraintes pesant sur des sites, comme les gares de triage, qui ne sont pas exposés au risque. Le même problème se pose pour la concentration des matières dangereuses dans les transports.
S'agissant des infrastructures visées par le texte, la loi prévoit déjà une étude de dangers, laquelle peut déboucher sur des arrêtés préfectoraux imposant des mesures de réduction du risque, comme en cas de menace de catastrophe naturelle. Le risque pour les riverains est toujours pris en considération lors de l'installation de sites présentant des risques technologiques, qu'ils soient couverts par un PPRT ou non.
Quelque 400 PPRT ont été recensés par le ministère de la transition écologique, pour 600 établissements dits Seveso, plusieurs établissements pouvant faire l'objet d'un même PPRT. Par exemple, dans la vallée de la chimie, au sud de Lyon, le plus important plan de prévention de France, en cours d'élaboration, englobe dix sites classés Seveso, pas moins de 12 000 salariés, 7 000 logements et 26 000 habitants exposés à un risque industriel.
J'en viens à l'analyse des coûts. Une telle modification du droit doit absolument donner lieu à une négociation avec l'État, les collectivités locales et les entreprises, afin de déterminer la répartition des coûts. Or le texte n'en précise pas les modalités. Nous ne connaissons pas non plus l'impact économique de la mesure. Pour toutes ces raisons, bien que le sujet mérite d'être débattu, le groupe Agir ensemble votera contre la proposition de loi.
Je souhaite tout d'abord rendre hommage aux victimes des accidents industriels de l'usine AZF à Toulouse en 2001 et de l'usine Lubrizol à Rouen en 2019, qui ont durement marqué l'histoire industrielle de notre pays. Nous pensons à toutes les victimes de ces catastrophes, qui auraient pu être évitées en appliquant les règles et procédures. Il y a deux jours, une nouvelle explosion a eu lieu dans une usine du groupe Lubrizol, aux États-Unis.
La proposition de loi a le mérite d'aborder le sujet des sites de chargement et déchargement de manière dangereuse, dont la loi du 30 juillet 2003 ne traite pas. Toutefois, le transport de ces produits fait déjà l'objet d'une réglementation internationale exigeante, la COTIF, transposée dans une directive européenne. Les pollutions ne connaissant pas les frontières, la réglementation européenne est le bon niveau pour ce type de normes. Y déroger, ce serait risquer d'ouvrir la voie à des pays moins disants que nous sur le plan environnemental.
Aussi, si nous sommes d'accord sur le principe, nous attendons davantage de précision sur le nombre de sites concernés, un calendrier d'application et une étude des coûts pour les industriels. Le texte pourrait avoir pour conséquence de modifier les contraintes pesant sur des sites non concernés par le risque, comme les gares de triage, ainsi que de limiter le développement de notre industrie ferroviaire et du fret, ce que personne ne souhaite ici.
De plus, en ce qui concerne les infrastructures visées par le texte, la loi prévoit déjà des dispositifs, notamment des arrêtés préfectoraux imposant des mesures de réduction du risque.
Enfin, nous nous interrogeons sur le coût, potentiellement élevé, de la proposition de loi ; sa répartition entre l'État, les collectivités et les entreprises n'est pas fixée.
Ce texte semble donc encore bien incomplet et mériterait un travail plus approfondi d'évaluation et d'analyse. Pour toutes ces raisons, le groupe UDI et indépendants ne le soutiendra pas.
Je remercie le rapporteur pour cette proposition de loi que le groupe de la France insoumise approuve. En septembre 2019, 9 500 tonnes de produits chimiques ont brûlé et un panache de fumée noire de 70 kilomètres de long s'était formé, lorsqu'un incendie hors-norme a ravagé une partie de l'usine de Lubrizol, classée Seveso, à Rouen. Le groupe, placé depuis sous contrôle judiciaire, devait s'acquitter d'un cautionnement de 375 000 euros et constituer une sûreté de 4 millions d'euros, afin de réparer – si c'est possible – les dommages humains et environnementaux imputables à l'incendie. Mais, comme le souligne l'association des sinistrés, un an après la catastrophe, le Gouvernement ne va pas assez loin, pas assez vite dans la détermination des dégâts et des modalités d'indemnisation. J'aurais aussi pu évoquer l'explosion de l'usine d'AZF à Toulouse, en 2001, emblématique des catastrophes industrielles, qui a causé la mort de 31 personnes et en a blessé près de 2 500.
La proposition de loi s'inscrit dans la continuité de la loi Bachelot, adoptée à la suite de l'explosion d'AZF et qui a instauré les PPRT. Ces documents favorisent la maîtrise de l'urbanisation autour des sites industriels classés Seveso seuil haut. Ils permettent de limiter les conséquences des accidents susceptibles de survenir sur ces sites, en délimitant un périmètre d'exposition au risque, subdivisé en différentes zones, selon le type de risques, leur gravité ou leur probabilité.
L'objectif du texte, que nous soutenons, est d'aller plus loin, notamment en étendant le champ d'application des PPRT. Pour ce faire, il tend à réécrire un article du code de l'environnement dédié aux installations classées pour la protection de l'environnement, car susceptibles de créer des accidents majeurs et impliquant des substances dangereuses. Ainsi, un PPRT deviendrait nécessaire pour les infrastructures « de stationnement, chargement ou déchargement de matières dangereuses », comme les entrepôts ferroviaires, les quais, les docks, les installations multimodales ou encore les entreprises de transport routier de matière dangereuse. Il s'agit avant tout de combler un vide juridique et de permettre une légitime indemnisation des riverains, afin qu'ils puissent réaliser des travaux et mieux se protéger des risques.
En outre, le texte pourrait inciter les industriels à réduire les risques à la source, autrement dit, à installer les infrastructures le plus loin possible des populations. Un tel déplacement réduirait les risques pour les riverains, même si la vigilance resterait de mise, car il pourrait menacer la préservation des terres agricoles.
Les normes environnementales et sanitaires doivent être exigeantes. Une prévention accrue des risques est nécessaire, pour éviter que des catastrophes comme celles d'AZF et Lubrizol ne se reproduisent. Il faut être vigilant et accorder les moyens humains et financiers permettant d'accentuer les contrôles de ces structures.
Madame la secrétaire d'État, je crois avoir entendu qu'une augmentation des contrôles était prévue. Mais comment celle-ci peut-elle être effective alors que vous avez par exemple supprimé 40 postes sur 900 à la DREAL de Nouvelle-Aquitaine, en 2019 ?
Comme l'indique le rapporteur, l'humain doit être au cœur des politiques de gestion des risques. Nous défendrons d'ailleurs un amendement visant à soumettre le stockage de nitrate d'ammonium à un régime de déclaration. En conclusion, nous sommes favorables à cette proposition de loi.
Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.
Replaçons le débat dans son contexte. Pourquoi cette proposition de loi est-elle à la fois si « peu précise » et si riche ? C'est que nous avons considéré qu'il ne fallait pas réécrire les dispositions qui donnaient satisfaction. Nous ne prétendons pas ici réinventer le fil à couper le beurre !
La loi Bachelot, qui a créé les PPRT, instaure une bonne dynamique en matière d'urbanisation, d'indemnisation et de concertation. Elle prévoit ainsi que les PPRT sont élaborés en concertation avec les associations de riverains et les industriels. Pourquoi réécrire une disposition qui a fait ses preuves et convient à tout le monde ?
J'en veux pour preuve l'exemple du Havre. Nous avons parlé de son port, mais il faut aussi mentionner la plateforme pétrochimique, où il a été décidé de créer une usine Seveso il y a quelques années. Celle-ci a été inaugurée sans aucune réaction ou presque de la part de la population. Connaissez-vous beaucoup d'endroits en France où cela est possible ? Eh bien, cela l'a été parce qu'un PPRT a été établi en associant tous les acteurs, en favorisant la transparence, afin que les gens se sentent protégés par ce plan.
Oui, c'est parce que nous ne voulons pas réécrire les dispositifs qui fonctionnent bien que la proposition de loi est « très peu précise », comme vous dites. En même temps, elle est très riche, car elle s'appuie sur toute une histoire – elle doit être lue à cette aune.
Le texte traite de l'urbanisation et non de la production ou du transport des matières dangereuses. Il ne remet en cause ni la directive européenne relative au transport intérieur des marchandises dangereuses, ni les directives Seveso.
Les directives Seveso obligeaient-elles les industriels à prévoir des PPRT ? Non. L'instauration des PPRT par le législateur français est-elle contraire aux directives Seveso ? Non plus. N'opposez pas ce qui n'est pas opposable. Les directives Seveso fixent des règles, des bases. Ensuite, en France, nous prenons également en considération la Constitution, le bloc de constitutionnalité et leurs dispositions sur l'environnement et la protection des personnes. De fait, la proposition de loi est conforme au bloc constitutionnel – aucun d'entre vous n'a d'ailleurs mis en doute sa constitutionnalité. Mieux, elle respecte les exigences de la Constitution.
C'était votre question je crois, madame la secrétaire d'État : pourquoi déposer ce texte maintenant ? Pour marquer les vingt ans de l'explosion de l'usine d'AZF ? Non. Parce que le préfet de Seine-Maritime a notifié au maire du Havre un nouveau porter à connaissance sur la zone industrialo-portuaire, à la fin de l'année 2019, juste après la catastrophe de Lubrizol. Peut-être s'est-il dit que cela lui permettait de refiler rapidement le bébé au maire ?
Quelqu'un déclarait tout à l'heure que l'on ne pouvait déterminer le responsable des postes à quai car plusieurs acteurs se les partagent. Mais alors qui a fait les études de dangers sur lesquelles le préfet s'est appuyé pour rédiger le porter à connaissance ? Partout où des études de dangers font l'objet de tels documents, le responsable du risque est connu. L'argument n'est donc pas valable.
Quand les préfets portent un danger à la connaissance des maires, c'est une manière de leur renvoyer la balle, de leur imposer de prendre sur eux s'ils choisissent malgré tout d'autoriser les agrandissements de maisons, par exemple. Or certains maires destinataires des études de dangers ne disposent même pas d'informations sur la cause du porter à connaissance, au moment où ils le reçoivent !
À l'inverse, dans les PPRT, tous les détails sont indiqués. Cela est même parfois allé trop loin, au point que le ministère de la transition écologique s'est ému de la publication de ces documents sur internet, à cause du risque terroriste. L'idée de généraliser les normes applicables aux sites Seveso seuil haut me paraît importante.
Certains d'entre vous m'ont interrogé sur le nombre de nouveaux PPRT et le coût que ma proposition de loi occasionnerait. Selon vous, combien de sites ferroviaires pourraient-ils être concernés ? Pour l'instant, j'en connais quatre. Ce n'est pas énorme. Il s'agit de sites, qui, d'après la SNCF, abritent en permanence, en moyenne, l'équivalent de cinquante wagons de produits chimiques dangereux – rendez-vous compte ! Des PPRT ont été conçus pour des citernes de gaz qui n'étaient guère plus grandes que deux ou trois wagons de produits dangereux, alors même qu'il ne s'agissait pas de production, mais de stockage. Et nous n'en élaborerions pas pour des sites abritant en moyenne l'équivalent de cinquante wagons ?
Nous avons l'obligation de chercher, en lien avec l'opérateur, les moyens de protéger le mieux possible les habitants. Tel est le sens de la précision qu'apporte le texte. Je vous invite à regarder tout cela de près.
Rien ne s'oppose à l'adoption de la proposition de loi, pas même les règles européennes. Celle-ci s'inscrit au contraire dans une suite logique. Le rapport de M. Damien Adam sur l'incendie du site Lubrizol a été cité, mais je souhaite vous donner lecture de celui de la commission d'enquête sur la sûreté des installations industrielles et des centres de recherche et sur la protection des personnes et de l'environnement en cas d'accident industriel majeur, créée par l'Assemblée nationale à la suite de l'explosion de l'usine AZF à Toulouse, et dont les propositions ont abouti à la loi Bachelot : « Il est apparu de manière très forte à l'ensemble des membres de la commission que les questions liées aux transports de matières dangereuses et à la sûreté des infrastructures de transport et notamment des ports, des gares et des aéroports, méritaient également la plus grande attention. C'est pourquoi la commission juge absolument nécessaire de créer, dès le début de la prochaine législature, une commission d'enquête sur les questions liées aux transports de matières dangereuses et à la sûreté des infrastructures de transport et notamment des ports, des aéroports et des gares. » Il était en outre écrit à la fin du rapport : « Un prolongement du travail que la commission a réalisé, est indispensable en direction de la sûreté des transports, des gares de triage, des ports et des aéroports. » C'était en 2003. Le sujet n'a pas été abordé au cours de la législature suivante, et, dix-huit après, il ne l'a toujours pas été !
Pour y remédier, nous proposons une démarche démocratique, utile et dont les délais d'application seraient acceptables. Rien ne dit en effet qu'il faudra payer dès demain. Rien ne dit que les contributions de chacun seront fixées dès à présent. La répartition financière n'était pas plus arrêtée dans la loi Bachelot qu'elle ne l'est aujourd'hui. Il faudra évidemment la déterminer avec les différents acteurs concernés, mais nous nous gardons bien de le faire dans la proposition de loi. Il reste beaucoup de travail.
Il a fallu vingt ans pour mettre en œuvre les PPRT, et ce n'est pas encore terminé. Rien n'empêche de consacrer vingt ans au sujet qui nous occupe aujourd'hui, mais la question qui nous est posée est la suivante : quand commence-t-on ?
Applaudissements sur les bancs des groupes FI et GDR.
J'appelle maintenant l'article unique de la proposition de loi dans le texte dont l'Assemblée a été saisie initialement, puisque la commission n'a pas adopté de texte.
Sur l'article unique, je suis saisi par le groupe GDR d'une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
Je mets aux voix l'article unique.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 56
Nombre de suffrages exprimés 56
Majorité absolue 29
Pour l'adoption 16
Contre 40
L'article unique n'est pas adopté.
La parole est à M. Gérard Leseul, pour soutenir l'amendement n° 2 portant article additionnel après l'article unique.
Il vise à repenser l'élaboration des PPRT à l'échelle de plateformes industrielles. Comme cela a été évoqué précédemment, la notion de plateforme industrielle a été conçue, à l'origine, par les industriels eux-mêmes dans une démarche pragmatique, notamment dans ce qu'il est convenu d'appeler le couloir de la chimie dans la région lyonnaise.
Il s'agit de rompre avec une approche trop parcellaire – installation par installation – dans l'application du cadre réglementaire et dans le rythme des contrôles administratifs associés. La notion de plateforme paraît particulièrement adaptée aux activités industrielles fondées sur des procédés complexes et imbriqués, notamment en milieu urbanisé. Les liens entre Lubrizol et l'entreposeur Normandie Logistique constituent malheureusement un exemple parfait de cette imbrication. L'accident de l'usine Lubrizol du 26 septembre 2019 nécessite de repenser l'élaboration des PPRT à l'échelle de plateformes industrielles.
Il y a quelques années, notre pays a souffert d'une sécheresse grave, au point que l'on s'est inquiété à la fin de l'été de savoir comment refroidir les réacteurs nucléaires des centrales situées le long de cours d'eau presque asséchés. La proposition visant à prendre en considération une notion aussi importante que l'impact climatique dans les études de danger me paraît bienvenue, et je suis ennuyé de ne pas y avoir pensé. C'est la raison pour laquelle je suis, à titre personnel, favorable à l'amendement, même si la commission y a donné un avis défavorable. Mme la secrétaire d'État aura certainement des choses intéressantes à dire à ce sujet.
L'amendement, qui propose de repenser l'élaboration des PPRT à l'échelle des plateformes industrielles, est largement satisfait : par la circulaire du 25 juin 2013 relative au traitement des plateformes économiques dans le cadre des PPRT, dite circulaire Batho, mais aussi, plus récemment, par l'introduction de la notion de plateforme industrielle dans la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi PACTE, complétée par un décret en Conseil d'État. En tout état de cause, la section du code de l'environnement relative aux PPRT permet qu'ils soient communs à une plateforme. C'est d'ailleurs une pratique constante.
L'exposé des motifs aborde bien d'autres sujets, notamment celui du risque de propagation entre installations voisines en cas d'accident. Or plusieurs textes réglementaires adoptés à la suite de l'accident de Lubrizol ont renforcé les garanties pour éviter cet effet domino. Les PPRT ont par ailleurs été conçus, à la suite de l'accident de l'usine AZF, pour corriger des incompatibilités entre l'urbanisme existant et la présence d'installations Seveso seuil haut présentant des risques. L'extension éventuelle de ces installations est soumise à une instruction préliminaire de l'Inspection des installations classées visant à s'assurer de cette compatibilité, ainsi que de l'évolution des zones de danger et de l'urbanisation. Il n'est donc sans doute pas nécessaire de prévoir une évolution des PPRT dans le temps. J'émets par conséquent un avis défavorable.
L'amendement n° 2 n'est pas adopté.
Il vise à rendre obligatoire la tenue par l'exploitant d'une liste exhaustive des produits entreposés sur un site industriel. Notre collègue Hubert Wulfranc a rappelé tout à l'heure combien une telle liste était attendue par les élus, mais aussi par les citoyens. Nous avons besoin de transparence au sujet des produits entreposés, a fortiori lorsqu'ils ont été endommagés par un accident. La liste devra en outre être accompagnée d'une analyse des effets de ces produits sur la santé et l'environnement effectuée par un collège d'experts indépendants. Malheureusement, l'expérience montre que les informations nous parviennent de manière très partielle, et beaucoup trop tard.
L'expérience vécue à Rouen constitue un argument en faveur de l'amendement. Nous parlons souvent, et Mme la secrétaire d'État l'a évoqué, des plateformes industrielles pétrochimiques. Mais à côté de ces usines auxquelles les PPRT imposent la transparence et l'obligation d'informer se situent d'autres entreprises qui, alors qu'elles abritent des matières dangereuses, ne sont pas toujours assujetties à la réglementation, leur détention n'étant pas forcément soumise à déclaration. La déclaration peut être obligatoire du fait des quantités entreposées, mais la matière elle-même ne le justifie pas nécessairement. Or, en cas d'incendie, ces matières peuvent présenter un risque pour l'environnement et la santé.
Il importe donc de documenter les produits entreposés dans ces sites. C'est le cas pour les usines qui abritent des produits chimiques. Les pompiers disposent d'ailleurs de fiches spécifiques précisant ce à quoi ils risquent de s'exposer s'ils y interviennent. En revanche, cette documentation n'est pas systématiquement établie pour les entreprises et lieux de stockage de marchandises situés à proximité.
L'obligation de renseigner les produits entreposés permet d'apporter des réponses, y compris sur un plan sanitaire, dans les jours qui suivent une éventuelle catastrophe, de soigner et mettre à l'abri les personnes concernées et d'agir pour protéger l'environnement. À la suite de l'incendie de l'usine Lubrizol, la question s'est ainsi posée de savoir s'il était possible de consommer les cultures des jardins ouvriers situés à proximité, ou encore les œufs et le lait produits non loin de l'usine. Il me semble donc important de soutenir l'amendement, malgré l'opposition de la commission, afin d'apporter des réponses le plus rapidement possible à la multitude de questions que soulève le stockage des produits.
L'objet de l'amendement, issu du retour d'expérience de l'accident de l'usine Lubrizol, était déjà inclus dans le plan d'action gouvernemental du 11 février 2020. Il a trouvé sa déclinaison concrète dans les arrêtés post-Lubrizol parus au Journal officiel du 26 septembre 2020.
Avant l'accident de l'usine Lubrizol, la réglementation sur les installations classées prévoyait déjà que les exploitants tiennent à disposition de l'État les listes des produits présents sur le site et leurs quantités ainsi que les études de danger évaluant les conséquences potentielles d'un accident sur le site. Le retour d'expérience de l'accident de Lubrizol a montré qu'il s'agissait d'informations très utiles en cas d'accident pour faciliter la gestion de la crise, mais aussi demandées par les parties prenantes dans un souci de réactivité et de transparence. Or il est apparu que l'exploitant, très mobilisé par la gestion de l'accident et de ses conséquences, pouvait se montrer moins disponible pour procéder à des extractions des logiciels de suivi des matières présentes sur le site et les fournir sous un format adapté.
Il est désormais imposé aux exploitants de sites Seveso, d'entrepôts soumis à autorisation et de sites de tri, transit et regroupement de déchets d'assurer un suivi régulier des matières présentes dans chacune des parties du site qu'ils exploitent, et ce dans un format non dépendant des conditions matérielles du site – un cloud, par exemple, ou tout autre format externe. Ce document doit préciser la nature des matières présentes et leurs propriétés dangereuses et comporter une description de ces dernières à destination du grand public. L'inventaire administratif quotidien devra en outre donner lieu à un recalage périodique par un inventaire physique, en vertu de l'arrêté ministériel du 26 septembre 2020 dont l'entrée en vigueur est prévue au 1er janvier 2022. J'émets donc un avis défavorable à l'amendement, car il est satisfait.
Madame la secrétaire d'État, l'amendement vise à préciser que les documents doivent être fournis sous quarante-huit heures. Vous avez répondu sur l'obligation de tenir de tels documents, mais il est ici question de leur communication dans un délai précis. C'est ce qui a manqué à de nombreuses reprises lors de précédents incidents et ce n'est pas acceptable.
L'amendement n° 7 n'est pas adopté.
Vous avez été nombreux à parler de culture du risque, en regrettant parfois le retard pris par la France en la matière. L'amendement vise à développer cette culture en demandant aux exploitants de produits dangereux de communiquer sur leur politique de prévention des accidents et d'œuvrer plus étroitement avec les collectivités locales, pour organiser des exercices grandeur nature afin de mieux impliquer la population. Cela permettrait à nos concitoyens de mieux comprendre les enjeux industriels et de mieux accepter les industries dans les territoires.
Le sous-amendement n° 13 vise à supprimer la première partie de l'amendement n° 5 , qui est déjà satisfaite. Le sous-amendement n° 14 a pour objet de déplacer une partie des dispositions dans un autre article du code de l'environnement. Sous réserve de l'adoption des deux sous-amendements, j'approuve la proposition de M. Leseul.
Sans vouloir insister, nous disposons de quelque expérience à ce sujet. Dans tous les lieux où un PPRT a été instauré en concertation et en associant les différents acteurs, la culture du risque est très élevée. Elle l'est bien plus que dans les lieux où aucun PPRT n'a été établi, précisément parce que les parties prenantes ont été transparentes et ont cherché, ensemble, des réponses aux différentes situations.
Au Havre et à Gonfreville-l'Orcher, dont j'ai été maire pendant vingt-cinq ans, nous avons inventé un système d'alerte nommé « alert box », inspiré par les circonstances de l'accident AZF survenu à Toulouse. Ceux qui l'ont vécu s'en rappellent : il était impossible de téléphoner après l'explosion, tous les réseaux étaient bloqués ; il n'y avait plus d'électricité pour alimenter les sirènes, tout était réduit à néant. Nous avons inventé un système d'alerte qui s'appuie sur un réseau indépendant de fibre optique. Gonfreville-l'Orcher était la première ville de France et d'Europe dotée d'un tel système. C'est la culture du risque qui a permis à la population de s'investir dans ce projet. Tous les industriels des territoires où existe une véritable culture du risque vous le diront : l'industrie est mieux acceptée.
Madame la secrétaire d'État, j'appelle votre attention sur un sujet qui relève de votre portefeuille, la transition écologique : l'hydrogène. Ça parle à tous, l'hydrogène !
Que ferons-nous quand il faudra transporter et, nécessairement, stocker ce nouveau carburant en tout point du territoire ? L'acceptabilité des futures constructions de réservoirs exigera une démarche transparente, une culture du risque et l'élaboration collective de plans de prévention. Sans une telle démarche, nous risquons de nous heurter au rejet des territoires, qui diront : « c'est utile, mais pas chez moi ». Combien de fois entendons-nous cette phrase ? Pour l'éviter, développons la culture du risque et l'approche industrielle. Vous avez rejeté la proposition de loi, mais je continuerai à la défendre jusqu'au bout car elle ne s'oppose pas à l'industrie, elle défend l'outil industriel.
Je vous rejoins quant à la nécessité d'asseoir et de renforcer la culture du risque.
Comme je l'ai dit dans mon propos introductif, la transmission d'informations et les exercices grandeur nature sont d'ores et déjà prescrits par la directive Seveso 3, parmi d'autres obligations en matière d'information du public. Le code de l'environnement impose la réalisation d'exercices réguliers ; leur fréquence a été inscrite dans la réglementation : tous les ans pour les sites Seveso seuil haut, tous les trois ans pour les autres sites industriels soumis à l'obligation de disposer d'un plan d'opération interne (POI).
Un rapport plus général sur la culture du risque est en cours d'élaboration ; il est attendu pendant l'été. Comme tous les citoyens, vous serez tenus informés des conclusions que le Gouvernement souhaitera en tirer, puisque nous voulons la plus grande transparence à ce sujet. Un travail plus large de refonte de la culture du risque est donc à l'œuvre et vous y participez, ce dont je vous remercie.
La demande de transmission d'informations et d'organisation d'exercices grandeur nature me semble déjà satisfaite. Je demande donc le retrait de l'amendement n° 5 et à défaut, j'y serais défavorable. Par cohérence, je suis favorable au sous-amendement n° 13 , puisqu'il vise à supprimer une partie de l'amendement auquel je suis défavorable. Enfin, je suis défavorable au sous-amendement n° 14 , puisqu'il n'est pas nécessaire de déplacer un amendement qui ne me semble pas utile.
Le sous-amendement n° 13 est adopté.
Le sous-amendement n° 14 n'est pas adopté.
L'amendement n° 5 , sous-amendé, n'est pas adopté.
L'amendement n° 6 vise à instaurer à l'intention des salariés sous-traitants une formation obligatoire sur la sécurité et les réflexes à adopter en cas de survenance d'un risque dans l'enceinte d'une entreprise. En tenant compte des sous-traitances de second, voire de troisième rang, ce sont par exemple 92 % des salariés de la sous-traitance qui ne sont pas formés au maniement d'un extincteur.
L'amendement n° 3 n'a rien à voir : il a pour objet de revenir sur la proposition, qui avait séduit le rapporteur tout à l'heure…
…consistant à élargir le périmètre de l'étude de dangers aux impacts du changement climatique, afin de favoriser l'adaptation et la résilience des infrastructures à ce changement. C'est en totale cohérence avec la loi sur le sujet qui revient bientôt à l'Assemblée.
J'essaye de négocier avec Mme la secrétaire d'État, mais elle est dure en affaires ! À titre personnel, je suis favorable à l'amendement n° 6 , que la commission a repoussé. Madame la secrétaire d'État le confirmera : les textes prévoient déjà les formations visées.
J'ai connu une entreprise dans laquelle il y avait sept niveaux de sous-traitance ; pas trois, sept ! Au septième niveau, cela ne vous étonnera pas, la langue française n'était pas parlée. D'après vous, la loi était-elle parfaitement appliquée dans l'entreprise ? Je ne porte aucune accusation, mais ce n'était pas clair. Les salariés de l'entreprise eux-mêmes se sentaient en danger. Des machines diffusant des films en différentes langues ont été installées. Les salariés des sous-traitants qui entraient dans l'usine choisissaient leur langue et accédaient à une vidéo de quelques minutes sur les risques auxquels ils étaient exposés. Il y avait donc une information – encore heureux ! La notion de formation est plus exigeante, elle impose des comportements et oblige à vérifier si la personne formée a bien compris, ce que ne fait pas la machine qui diffuse le film.
Même si les formations sont inscrites dans la loi, ceux qui vivent dans les zones concernées ont pu mesurer que cela n'était pas toujours une garantie suffisante. Je ne suis pas sûr que, lors de leurs contrôles, les services de la DREAL aillent jusqu'à vérifier, auprès des salariés, qu'ils ont bien reçu une formation. C'est pourtant un élément essentiel de la sécurité dans ces sites.
Le cadre existe. Le code du travail réglemente largement cette matière, les textes post-Lubrizol ayant apporté des compléments et précisions. Les arrêtés ministériels du 26 septembre 2020 font ainsi référence aux « différents opérateurs et intervenants dans l'établissement, y compris le personnel des entreprises extérieures, [qui] reçoivent une formation sur les risques des installations, la conduite à tenir en cas d'incident ou d'accident et, s'ils y contribuent, sur la mise en œuvre des moyens d'intervention. » Votre demande est donc satisfaite. Elle ne me semblait pas véritablement relever de la loi. Quoi qu'il en soit, l'appel est entendu.
S'agissant de la malveillance, je vous renvoie au code de la sécurité intérieure.
Quant à la considération des impacts du changement climatique, l'étude de dangers a déjà pour objet d'examiner des scénarios d'accidents possibles, d'en évaluer l'acceptabilité au regard des risques, et de définir des mesures de maîtrise de l'urbanisation si nécessaire. Les effets du changement climatique peuvent se manifester indirectement. Par exemple, à la suite d'une crue majeure, nous devrons nous assurer que les installations en bord de cours d'eau tiennent compte de la nouvelle crue de référence. Indirectement, le changement climatique – qui n'est pas un impact en tant que tel – et tout ce qui peut en découler sont déjà pris en considération dans les schémas. L'amendement est donc satisfait. Avis défavorable.
Sur les amendements n° 9 , 10 et 11 ainsi que sur l'ensemble de la proposition de loi, je suis saisi par le groupe de la Gauche démocrate et républicaine d'une demande de scrutin public.
Les scrutins sont annoncés dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
La parole est à M. le rapporteur, pour soutenir l'amendement n° 9 .
Il repose sur la réalité des faits. Comme je l'ai expliqué, les industriels concernés par le texte – opérateurs portuaires, ferroviaires, de ports fluviaux notamment – élaborent des études de dangers. Ces dernières sont de nature déterministe : elles tracent des cercles et, selon un scénario majorant, s'étendent jusqu'au cercle le plus grand, celui qui correspond à la plus grave catastrophe possible, avec des effets sur l'urbanisme. À l'inverse, les PPRT dessinent des patatoïdes, en fonction des probabilités. Cette disposition de la loi Bachelot a ainsi constitué une évolution importante pour la législation française. C'était également un argument pour adosser la proposition de loi aux PPRT.
On a donc plutôt choisi de se fonder sur les études de dangers déterministes, avec leur joli cercle, dans lequel des gens vivent et des artisans travaillent. À l'intérieur du cercle, il n'est plus possible de densifier la population : un artisan qui a quinze salariés ne peut donc embaucher dix personnes – c'est ennuyeux pour l'emploi ; les habitants ne peuvent agrandir leur maison pour accueillir de nouveaux enfants. L'étude de dangers faite, le préfet la porte à la connaissance du maire, qui n'autorise plus de construction supplémentaire, mais sans que les personnes concernées n'en connaissent la raison, ni à quels risques elles sont exposées, ni comment s'en protéger. Un PPRT précise par exemple que vous êtes exposé à telle surpression, à une fuite de gaz chimique, que pour vous en protéger, il faut créer une pièce de confinement. Là, on indique aux gens qu'ils sont dans une zone de danger, point. L'amendement vise à imposer aux services de l'État de compléter l'information des riverains en définissant le danger et en expliquant comment s'en protéger.
Une fois encore, nous partageons votre souci. Le Gouvernement a commandé à Frédéric Courant un rapport sur « l'amélioration et la modernisation des outils en matière d'information et de concertation ». Il est en cours d'élaboration et nous sera remis cet été. Je ne mets aucunement en cause la pertinence de vos interpellations concernant les outils à définir, comme le prouve l'intitulé du rapport. Néanmoins, vous connaissez le calendrier, je ne veux pas préjuger des conclusions de la mission. Nous aurons sans doute d'autres occasions d'évoquer ces outils en détail.
Ce sera donc une demande de retrait, à défaut, un avis défavorable. Pour les mêmes raisons, l'avis sur l'amendement n° 10 sera identique.
Vous dites que ce point sera abordé dans un rapport qui ne vous a pas encore été remis.
C'est dans le titre !
C'est bien, mais on sait ce qu'il adviendra. J'ai précédemment cité le rapport de 2003 : en ce qui concerne les matières dangereuses, dix-huit ans après sa publication, la législation n'a pas changé. Le titre du futur rapport montre en tout cas que mesure que je vous propose ne va pas à l'encontre de vos intentions.
En approuvant le fait d'informer les gens du danger, notamment des moyens de se protéger, vous donnez un signe quant aux éventuelles conséquences législatives du rapport. En effet, nous n'avons aucune visibilité sur le calendrier en la matière. Or, en l'état du droit, les préfets transmettent aux maires les études de dangers et les porter à connaissance, avec des conséquences pour les populations.
Il existe un document, le DICRIM, dont l'objet est précisément d'informer les habitants de la commune, par l'intermédiaire du maire, sur les risques naturels et technologiques auxquels ils sont exposés. Il me semble que cela satisfait votre demande.
Merci de cette intervention. J'ai justement fait vérifier si les études de dangers étaient obligatoirement inscrites dans les DICRIM. Ce n'est pas le cas. Un maire doit s'appuyer sur un minimum de documentation pour signaler un danger dans un DICRIM ou un document communal de sauvegarde (DCS) et le porter à la connaissance du public. Or cette documentation ne lui est pas transmise. On m'a dit qu'il suffisait qu'il la demande expressément. Mais le préfet peut la transmettre quand il fait un porter à connaissance ! Pourtant, il ne le fait pas.
Après la tempête qui a touché la côte Atlantique en 2010, on a découvert que toutes les communes n'avaient pas élaboré de DCS et de DICRIM. Il reste un énorme travail à faire en ce domaine. Les communes qui sont dotées d'un PPRT ont un DICRIM – voilà pourquoi nous nous sommes appuyés sur les PPRT. Mais les maires des communes qui ne disposent que des porter à connaissance n'ont pas les mêmes réflexes. Il est donc nécessaire de franchir une étape supplémentaire : c'est bien le sens de cette proposition de loi.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 54
Nombre de suffrages exprimés 54
Majorité absolue 28
Pour l'adoption 20
Contre 34
L'amendement n° 9 n'est pas adopté.
Il vise à responsabiliser le préfet, ou le sous-préfet, qui devra organiser une réunion avec les élus et les riverains si une étude de dangers fait apparaître des risques. La moindre des choses est d'informer par ce moyen, plutôt que de transmettre un porter à connaissance par la voie administrative. Il s'agit d'améliorer les relations et de développer la culture du risque, puisque les services de l'État présents aux côtés du préfet apporteront des arguments.
Peut-être me répondrez-vous que le cadre existe mais ne s'applique pas, ce débat sera alors l'occasion de le souligner : le CODERST, qui réunit le préfet, des représentants des services de l'État, des représentants des collectivités territoriales ainsi que des associations de consommateurs et de protection de l'environnement, est le lieu où évoquer les difficultés technologiques éventuelles en associant la population. Une fois encore, il me semble que l'amendement est satisfait.
J'ai siégé de nombreuses années au CODERST de Seine-Maritime, j'ai assisté à toutes les réunions, le préfet le confirmera, et je n'ai jamais entendu parler de sites de transport de matières dangereuses. Dans le département se trouvent pourtant le port du Havre et celui de Rouen et les gares de triage de Sotteville-lès-Rouen et du Havre notamment. Donc soit aucun problème n'a été rencontré, soit le sujet ne compte pas au nombre des ceux examinés en CODERST. Je ne crois pas que Mme la secrétaire d'État me contredira.
Rires sur les bancs du groupe GDR.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 56
Nombre de suffrages exprimés 56
Majorité absolue 29
Pour l'adoption 20
Contre 36
L'amendement n° 10 , repoussé par le Gouvernement, n'est pas adopté.
La commission ne l'a pas adopté non plus. Il vise à inclure les études de dangers relatives aux ITMD, réalisées en application du code de l'environnement, dans les études techniques qui accompagnent les porter à connaissance. On les ajoute parce que nous n'avons pas obtenu de les faire figurer dans les PPRT.
Les études de dangers sont des documents très techniques.
Nous améliorons l'information des parties prenantes sur les conclusions de l'étude de dangers. En outre, les éventuelles mesures de maîtrise de l'urbanisme associées aux conclusions des études de dangers sont transmises aux collectivités territoriales compétentes, qui peuvent donc les prendre en considération lors de la révision des documents d'urbanisme – c'est tout l'objet du porter à connaissance. L'amendement étant satisfait, l'avis est donc défavorable.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 59
Nombre de suffrages exprimés 59
Majorité absolue 30
Pour l'adoption 22
Contre 37
L'amendement n° 11 n'est pas adopté.
La parole est à Mme Bénédicte Taurine, pour soutenir l'amendement n° 12 .
Il vise à soumettre le stockage du nitrate d'ammonium à un régime de déclaration, afin de prévenir les risques.
Le nitrate d'ammonium est l'engrais azoté à l'origine des accidents d'AZF à Toulouse et de Beyrouth. La réglementation relative à cet engrais est laxiste ; les seuils de classification et les moyens alloués aux inspecteurs ne permettent ni de protéger ni de contrôler les sites, de fait dangereux, où il est stocké.
Les sites dont les stocks sont inférieurs ou égaux à 250 tonnes de nitrate d'ammonium ne sont soumis à aucune norme environnementale, ni à aucun régime de déclaration. Le volume de nitrate d'ammonium qui a explosé à Toulouse en 2001, compris entre 20 et 120 tonnes, répondait pourtant à cette norme. En Belgique par exemple, les sites sont réglementés et inspectés à partir d'un stock équivalent à 300 kilogrammes.
Ainsi, les entrepôts les plus petits ne sont jamais inspectés et peuvent sous-déclarer leurs marchandises, comme c'était le cas de Normandie Logistique, à l'origine de l'incendie de Lubrizol.
L'idée de l'amendement est très bonne, même si son application est un peu plus compliquée. Il faut se souvenir que ce produit a été considéré comme inerte et non dangereux pendant des mois – voire des années – à Toulouse. Durant des années, on a cherché ce qui avait fait exploser ce stock, et je ne suis pas sûr qu'on ait trouvé. Plus récemment, l'explosion du même produit a soufflé tout le port de Beyrouth. À deux reprises, ce nitrate d'ammonium supposé inerte et sans danger, qui ne faisait pas l'objet d'étude particulière en tant que produit chimique, a provoqué une explosion. Considérant que la quantité de produit stocké pourrait être la source du problème et de la gravité de la situation, il me semble intéressant de répartir les stockages. La commission a repoussé l'amendement, mais, à titre personnel, je le trouve très pertinent. Même si l'avis du Gouvernement est défavorable, les services de l'État qui nous écoutent aujourd'hui estimeront qu'il faut peut-être travailler sur le sujet.
Tel que rédigé, l'amendement pourrait être moins-disant que la législation en vigueur : à partir d'un seuil quantitatif, défini dans le code de l'environnement, les stocks sont régis par la directive Seveso et soumis à un régime d'autorisation. Vous proposez que tout soit soumis à déclaration, ce qui serait moins contraignant pour les stocks importants. J'imagine d'ailleurs qu'il s'agit d'un amendement d'appel puisqu'il se réfère au stockage alors que le texte porte sur le transit de matières dangereuses. Avis défavorable.
L'amendement n° 12 n'est pas adopté.
L'Assemblée nationale ayant rejeté l'article unique et les amendements portant article additionnel, la proposition de loi est rejetée.
La parole est à M. Moetai Brotherson, rapporteur de la commission de la défense nationale et des forces armées.
C'est avec une certaine émotion que je prends la parole aujourd'hui, car, en m'exprimant à la tribune de notre assemblée, je pense à celles et ceux dont la vie a été à jamais bouleversée par la réalisation des essais nucléaires.
Je pense aux Algériens qui ont vu s'élever dans le ciel de Reggane les premiers nuages dégagés par les essais baptisés Gerboise bleue, blanche, rouge et verte. Ainsi décrit, cela peut paraître poétique, mais chacun sait que ces couleurs-là furent mortelles. Le sol algérien a aussi été creusé dans le massif du Hoggar pour la réalisation des douze essais souterrains qui ont suivi.
Je pense évidemment aux Polynésiens qui ont eu à subir 196 essais nucléaires, dont 46 essais atmosphériques. Entre 1966 et 1974, au cours des huit premières années d'activité du Centre d'expérimentation du Pacifique (CEP), la Polynésie a ainsi enduré l'équivalent de 800 fois Hiroshima.
Je pense enfin à tous les métropolitains, appelés ou non, personnels civils et militaires du ministère de la défense, partis la fleur au fusil ou presque, participer à la grande œuvre de la France, et qui en sont revenus blessés, meurtris, quand ils n'en sont pas morts.
Ils sont tous chers à mon cœur. C'est à eux et à leurs familles qu'est dédiée la proposition de loi soumise aujourd'hui à notre examen. Ses objectifs sont simples. Son article 1er propose la création d'une commission chargée d'élaborer un programme de dépollution, de traitement, d'assainissement et de gestion des sites des essais nucléaires, ainsi que des matières et déchets générés par ces essais. La prise en considération de l'impact environnemental des essais et l'identification des moyens permettant d'y répondre sont devenues d'autant plus indispensables que les conséquences environnementales ont été reconnues au plus haut niveau de l'État. Comment aurait-il pu en être autrement ?
La plupart d'entre vous n'ont sans doute jamais eu la chance de se rendre en Polynésie. J'aimerais pouvoir vous y emmener. Vous vous rendriez ainsi compte par vous-même de l'état de l'atoll de Moruroa au sujet duquel la question n'est pas de savoir s'il va s'effondrer mais quand il va le faire. En outre, les zones de tirs souterraines, utilisées pour les expérimentations nucléaires, contiennent encore des produits de fission et radioactifs divers. Deux puits d'un kilomètre ont été creusés afin de stocker des déchets radioactifs. Au total, plus de 570 tonnes de déchets radioactifs sont présents à Moruroa. Le lieu-dit « banc Colette » abrite à lui seul plusieurs kilos de plutonium dans le lagon de Moruroa. Accepteriez-vous une telle situation dans le bassin d'Arcachon, le golfe du Morbihan ou l'étang de Thau ? Je ne le crois pas.
Il est vrai que la Polynésie se trouve aux antipodes de Paris. Alors… J'ai écrit au Président de la République pour lui signifier combien il était urgent d'engager un ambitieux projet de retrait et de retraitement de tous les déchets et résidus radioactifs issus des essais nucléaires de Moruroa et, plus largement, de dépolluer les anciens sites des essais nucléaires. L'élaboration d'un tel projet serait précisément la mission de la commission dont je vous propose la création.
Si l'article 1er de la proposition de loi en constitue le pilier environnemental, son article 2 en est le pilier sanitaire. Nous proposons ainsi de modifier et de compléter les dispositions de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français, dite loi Morin. Cette loi, qui a le mérite d'exister, a procédé à la création du Comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) et ouvert la voie à la reconnaissance et à l'indemnisation de ces victimes. Après des décennies de mépris, de mensonges, voire de violence, l'État avouait ainsi que les essais n'avaient pas été aussi propres qu'il l'avait toujours prétendu.
Pourtant, la situation est loin d'être satisfaisante. Rendez-vous compte qu'à peine 500 personnes au total ont été indemnisées, dont une soixantaine de Polynésiens, alors que l'étude d'impact annexée au projet de loi relatif à la réparation des conséquences sanitaires des essais nucléaires français, devenu loi Morin, estimait à près de 150 000 le nombre de personnes ayant participé aux essais nucléaires, sans parler des populations civiles qui ont été exposés aux rayonnements ionisants.
Quel échec ! Quelle déception ! Quelle trahison ! Ne nous voilons pas la face : ce ne sont pas les quelques modifications législatives introduites au cours des dernières années qui changeront véritablement les choses. C'est même parfois le contraire car les fluctuations des critères d'indemnisation ont fini de convaincre les victimes du manque de volonté de l'État d'assumer ses responsabilités.
Alors que suggérons-nous ? En premier lieu, nous proposons de permettre aux victimes, qui auraient survécu à une maladie radio-induite, de bénéficier d'une prise en charge par l'État des frais médicaux passés et à venir – ce qui est possible en l'état actuel du droit mais tellement loin d'être systématique !
En deuxième lieu, nous voulons mettre un terme à une situation ubuesque : c'est la Caisse de prévoyance sociale (CPS) de Polynésie qui prend en charge les frais médicaux engagés pour le traitement des maladies radio-induites. Autrement dit, pour les Polynésiens, c'est la double peine : atteints de maladies radio-induites, du fait des essais nucléaires conduits sans leur assentiment, il leur faut aussi assurer la prise en charge de leur traitement par la CPS qu'ils sont seuls à financer.
En troisième lieu, nous souhaitons que soit enfin reconnu le caractère transgénérationnel de l'impact sanitaire des essais nucléaires. Une telle évolution du cadre juridique est nécessaire tant il apparaît de plus en plus certain que l'exposition d'une personne aux rayonnements ionisants peut emporter des conséquences sanitaires sur sa descendance.
En quatrième lieu, nous proposons de reconnaître l'existence de victimes indirectes des essais nucléaires, ouvrant la voie à l'indemnisation de leur préjudice matériel ou moral. Nous avons trop souvent négligé les conséquences des essais nucléaires sur les conjoints, les enfants ou les parents des victimes directes. Cette reconnaissance existe dans tous les dispositifs d'indemnisation, sauf ceux qui concernent les victimes du nucléaire.
En cinquième lieu, nous demandons que soit supprimée la faculté de renverser la présomption de lien entre l'exposition aux rayonnements ionisants et l'apparition d'une maladie radio-induite. Il s'agit de rétablir le cadre juridique en vigueur entre la suppression du risque négligeable et la loi de finances initiale pour 2019. Actuellement, la présomption de causalité dont bénéficient les demandeurs peut être renversée par le CIVEN dès lors que celui-ci estime que la dose annuelle de rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français reçus par l'intéressé a été inférieure à 1 millisievert.
J'avais cinq ans quand le nuage de l'essai Centaure – l'un des six essais aériens qui ne se sont pas déroulés conformément au plan du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) – a survolé l'île de Tahiti et les îles Sous-le-Vent, le 17 juillet 1974. Or l'enquête récemment publiée par le média d'investigation Disclose démontre que toute la population polynésienne a été exposée à des doses supérieures à 1 millisievert au cours de ce seul essai Centaure. Pourquoi maintenir un tel seuil ?
Avant de conclure, il m'est impossible de ne pas dire un mot du contexte dans lequel nous débattons aujourd'hui. Mes propositions sont le fruit de longs mois de travail et d'échanges en Polynésie, en métropole ou à l'étranger avec des acteurs associatifs, des chercheurs, des experts, des victimes et leurs représentants. Elles me paraissent équilibrées, répondre aux attentes et utilement combler les failles du droit en vigueur.
Elles ont été confortées par de récents travaux. Je pense à l'expertise collective de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), publiée l'an dernier, dont j'ai auditionné certains des auteurs. Si je ne partage pas certaines de leurs conclusions, je note que nous nous retrouvons sur le niveau d'exposition subi par les populations polynésiennes. Je pense surtout à Toxique : Enquête sur les essais nucléaires français en Polynésie, un livre publié en mars de cette année par Disclose. Les auteurs de cet ouvrage révèlent les nombreuses failles – à tout le moins ! – des évaluations des conséquences des essais nucléaires par le ministère de la défense et le CEA. Ils pointent également les dysfonctionnements du CIVEN et de l'indemnisation des victimes.
Cette enquête a jeté un tel trouble que le Président de la République a annoncé l'organisation d'une table ronde de haut niveau consacrée aux conséquences des essais nucléaires. Et la présence parmi nous de deux ministres éminents – Florence Parly et Olivier Véran – témoigne, je crois, tant de l'importance de cette question que de l'inconfort du Gouvernement à la traiter.
Je sais qu'une partie de la majorité se réfugiera derrière cette prochaine table ronde pour refuser de débattre du fond. Je sais aussi que, comme en commission, certains d'entre vous – siégeant sur tous les bancs – soutiendront la proposition de loi. Vous avez bien raison : elle est issue d'un large travail de concertation ; l'essentiel de ce qui pourrait être proposé au terme de cette fameuse table ronde est déjà contenu dans le texte aujourd'hui soumis à votre examen – il en est au minimum le préalable, plutôt que l'antithèse.
Chers collègues, quelle serait la position de notre assemblée si les essais avaient eu lieu à Beauvais, Laval, Versailles, Niort ou au Mesnil-Esnard ? Dans cette assemblée, ce soir, nous ne sommes que trois à connaître Eugène Tekurarere. Pendant plus de cinquante ans, il a alerté sur les dangers des essais nucléaires et demandé que leurs conséquences soient considérées avec le respect et le sérieux nécessaires. Pendant des années, avec Henri Hiro, Oscar Temaru et tant d'autres, il a été traité de fou, de terroriste, d'ennemi de l'État. Eugène Tekurarere est mort hier, après un long combat contre la maladie.
De là où il est, n'en doutez pas, avec Bengt Danielsson, Eni Faleomavaega, Bruno Barillot, John Doom, Roland Oldham, les enfants mort-nés des îles Gambier et tant d'autres, il observe nos débats. Au terme de ceux-ci, chacun d'entre nous se trouvera face à sa conscience. Mauruuru e aroha ia rahi.
Vifs applaudissements sur les bancs des groupes GDR, SOC et FI.
La France fait partie des rares puissances militaires à être dotées de l'arme nucléaire ; c'est ce qui fait d'elle une nation indépendante, respectée dans le monde entier, capable de défendre sa population, son territoire, de porter sa voix, et de contribuer au maintien des équilibres qui fondent la paix. Cette force de dissuasion qui fait la fierté de la France, nous la devons à la Polynésie française. Entre 1966 et 1996, l'État y a réalisé 193 essais nucléaires, dont 41 expérimentations atmosphériques, et, malgré les consignes de sécurité les plus strictes, certaines retombées radiologiques se sont produites dans différentes zones de la Polynésie.
Le débat suscité par de récentes publications relatives aux conséquences des essais nucléaires est un signe positif pour notre démocratie. Il renforce l'engagement pris par mon ministère d'œuvrer pour le traitement des conséquences des essais nucléaires en lien avec les représentants des Polynésiens, élus et associations.
Dès la fin des essais, la France a pris la décision de démanteler de façon irréversible les installations du CEP. Nous avons été le seul État doté, partie au traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, à avoir pris une telle décision et à avoir veillé à ce qu'elle soit suivie d'effet. La France joue ainsi un rôle moteur dans la promotion du traité sur l'interdiction complète des essais nucléaires.
Notre pays a également demandé une expertise radiologique indépendante qui a impliqué des experts de vingt nationalités, entre 1996 et 1998, sous l'égide de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), en collaboration avec l'Organisation mondiale de la santé (OMS) et les Nations unies. Cette expertise a mis en lumière de très faibles concentrations de matières radioactives résiduelles, attribuables aux essais nucléaires, considérées sans impact du point de vue radiologique.
Malgré ces conclusions rassurantes, la France a eu le souci de poursuivre étroitement la surveillance radiologique et géologique des atolls de Moruroa et de Fangataufa pour informer annuellement, en toute transparence, les autorités polynésiennes et la population. En 2006, le ministère de la défense a remis aux autorités du pays le détail des immersions au large de Moruroa, ainsi que l'inventaire des déchets placés en fûts. Ces documents sont aujourd'hui accessibles librement sur internet.
Depuis 2015, une commission d'information auprès des anciens sites d'expérimentations nucléaires du Pacifique réunit les autorités de l'État, du pays, et les représentants de la société polynésienne afin de partager, en toute transparence, les conclusions de la surveillance radiologique et géomécanique des conséquences des essais. De plus, comme vous le savez, monsieur le député, le dispositif de surveillance géologique a été modernisé en 2018, pour un montant global de 135 millions d'euros.
Les gouvernements successifs ont prêté la plus grande attention au suivi des 150 000 personnels civils et militaires ainsi que des Polynésiens concernés par les essais nucléaires entre 1966 et 1996. En 2010, la loi Morin a traduit la reconnaissance de la nation en créant une procédure d'indemnisation suivie par le CIVEN. En 2014, la zone d'indemnisation a été étendue à toute la Polynésie française pour la période du 2 juillet 1966 au 31 décembre 1998.
Initialement, la loi Morin posait le principe de causalité entre les maladies radio-induites et les essais nucléaires mais elle introduisait la notion de « risque négligeable ». La loi du 28 février 2017 de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique, dite EROM, a supprimé cette notion et réaffirmé le principe de causalité, faisant ainsi évoluer nettement les critères d'indemnisation. Toute personne présente en Polynésie durant la période des essais et souffrant d'une pathologie radio-induite est aujourd'hui indemnisée.
Dans la continuité de ces évolutions, un amendement au projet de loi de finances pour 2019, amendement de la sénatrice Lana Tetuanui, que je salue, a été adopté afin de fixer à 1 millisievert le seuil maximal admissible d'exposition aux activités nucléaires.
Par l'accord de l'Élysée pour le développement de la Polynésie française de mars 2017, l'État a reconnu solennellement la contribution de la Polynésie française à la constitution de sa force de dissuasion nucléaire et les conséquences des expérimentations qu'il importait de traiter.
L'histoire et la mémoire ne se construisent que de manière apaisée. Ainsi l'État et le pays œuvrent-ils à la création d'un centre de mémoire qui présentera toutes les implications de la présence du CEP sur le territoire polynésien. Le Parlement a fixé dans la loi de finances pour 2019 le principe d'un transfert à titre gratuit de l'État au pays de l'emprise foncière nécessaire au projet – je m'y étais engagée.
Dans le même esprit, le Président de la République a répondu de façon favorable à la demande du président Fritsch d'organiser une table ronde sur l'ensemble des impacts des essais nucléaires en Polynésie française, les réponses apportées et les voies des progrès potentiels. Cette table ronde, qui aura lieu les 1er et 2 juillet prochains, associera tous les acteurs concernés. Je ne doute pas qu'elle donne lieu à des conclusions très positives.
Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.
Je le dis avec sincérité mais aussi avec gravité, monsieur Brotherson, cette proposition de loi poursuit un objectif honorable au regard des attentes légitimes des Polynésiens. Nous rejoignons votre volonté d'améliorer l'accès à la procédure d'indemnisation des victimes des essais nucléaires en Polynésie française. Des progrès considérables ont, je crois, été accomplis ces dernières années ; ils doivent se poursuivre. Toutefois, il nous semble que les modifications que vous entendez apporter à la loi Morin de 2010 ne permettent pas d'apporter les réponses adéquates en la matière.
Certaines d'entre elles ne disposent pas d'une assise scientifique suffisante, ce qui fragilise leurs fondements même. D'autres remettent en question des critères qui ont contribué à renforcer l'indemnisation des victimes par le passé. Votre texte propose en particulier de supprimer la dose limite de 1 millisievert, alors même que l'introduction de ce seuil d'exposition a permis d'augmenter sensiblement le nombre de dossiers faisant l'objet d'une indemnisation effective, tout en assurant le maintien d'un dispositif opérationnel.
Votre proposition de loi sollicite l'indemnisation des victimes de maladies transgénérationnelles. Les études scientifiques dont nous disposons ne permettent pas d'établir l'existence d'un lien entre l'exposition d'une victime aux rayonnements ionisants et le développement de pathologies par sa descendance. L'expertise collective indépendante menée par l'INSERM, de 2014 à 2021, sur les conséquences des essais nucléaires français en Polynésie française juge que les études disponibles sur les effets transgénérationnels sont non concluantes. Cette position est partagée par l'ensemble des études scientifiques sur le sujet. Je pense notamment aux travaux menés en 2001 par le comité scientifique des Nations unies sur l'étude des effets des radiations ionisantes (UNSCEAR), ainsi qu'au rapport de 2007 de l'IRSN, l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, qui concluait qu'aucune maladie ou qu'aucun effet héréditaire induit par un rayonnement ionisant n'avait été démontré dans une population humaine exposée à ces rayonnements.
Je parle d'effets transgénérationnels, monsieur le député.
Il apparaît toutefois nécessaire et prioritaire de développer et de pérenniser un système de surveillance sanitaire des pathologies non infectieuses, ainsi qu'un registre des cancers, aligné sur les standards nationaux et internationaux. C'est pourquoi la ministre des armées, Florence Parly, et moi avons confié à l'IRSN la mission de réaliser une veille attentive et rigoureuse de la littérature scientifique internationale sur la problématique des effets des faibles doses de rayonnements ionisants – il sera accordé une attention particulière au développement de certains cancers, de maladies cardio-vasculaires, et aux effets éventuels sur la descendance.
De nouveaux travaux du comité scientifique des Nations unies sont également engagés dont nous suivrons de près les résultats. Si une étude venait à mettre en évidence un effet transgénérationnel, nous en tirerions naturellement les conséquences pour le dispositif de reconnaissance, comme nous l'avons fait par le passé s'agissant de l'élargissement de la liste des pathologies radio-induites.
En ce qui concerne l'indemnisation des victimes indirectes pour les préjudices subis, le dispositif actuel repose sur un régime de responsabilité relevant de la solidarité nationale et non un régime de la responsabilité pour faute. Conséquence : les ayants droit ne peuvent bénéficier d'une indemnisation propre. Toutefois, ils peuvent d'ores et déjà demander la réparation de leur préjudice moral sur le fondement du droit commun de la responsabilité, à condition de démontrer un lien de causalité entre le dommage et l'exposition aux rayonnements ionisants pendant les essais nucléaires.
L'accès à la procédure d'indemnisation gérée par le CIVEN est une question majeure à laquelle nous sommes particulièrement sensibles. Nous devons travailler à favoriser l'accès de tous à cette procédure en améliorant la qualité de l'information disponible, mais aussi en facilitant les dépôts des dossiers. Nous aborderons ce sujet essentiel dans les semaines à venir avec une délégation polynésienne.
Le texte que vous proposez supprime par ailleurs le seuil de 1 millisievert par an au-delà duquel une présomption de causalité est reconnue. Ce seuil ne doit pas être remis en cause. D'une part, cette dose extrêmement faible résulte d'un consensus international qui s'appuie sur l'avis du comité précité des Nations unies, mais aussi sur les recommandations de la Commission internationale de protection radiologique. Ce niveau de dose admissible est repris par l'ensemble des organisations internationales, comme l'OMS, l'AIEA, l'Organisation internationale du travail ou encore Euratom, la Communauté européenne de l'énergie atomique.
Je le répète, ce niveau est très faible au regard des valeurs limites réglementaires pour les travailleurs exposés aux rayonnements ionisants. Supprimer ce seuil conduirait, d'autre part, à une reconnaissance systématique de toutes les maladies radio-induites listées réglementairement, la présomption de causalité devenant irréfragable en pratique.
Une telle reconnaissance sans possibilité de renverser la présomption de causalité lorsque le risque est négligeable avait été introduite par la loi EROM. Elle avait conduit, je le rappelle, à la démission de cinq des huit membres de CIVEN, qui avaient jugé leur présence inutile au sein de ce comité.
L'existence de cette dose limite n'empêche pas le CIVEN d'instruire les demandes d'indemnisation selon un régime de présomption. Le comité ne peut en effet écarter la présomption de causalité que s'il prouve que les victimes n'ont pas été exposées à un rayonnement supérieur à 1 millisievert.
Enfin, l'introduction de cette nouvelle méthodologie d'évaluation de l'exposition a permis d'accroître sensiblement le nombre de demandes faisant l'objet d'une indemnisation. Ainsi, près de 50 % des dossiers déposés font désormais l'objet d'une indemnisation, tandis que ce taux se situait entre 2 et 7 % entre 2010 et 2017, et 94 % des demandes de reconnaissance déposées par la population résidant en Polynésie française ayant fait l'objet d'une décision favorable ont été introduites entre 2018 et 2020.
L'adoption par le CIVEN d'un nouveau barème d'indemnisation en juin 2020 est aussi allée dans le sens d'une indemnisation plus favorable, eu égard non seulement à la nature de la pathologie, mais également au ressenti des victimes face à l'évolutivité de la maladie.
Nous sommes parvenus à un point d'équilibre permettant une juste indemnisation des victimes. Le remettre en cause serait délétère en matière de justice et d'efficacité de la procédure. Nous n'ignorons pas que des améliorations peuvent être apportées au dispositif, notamment en ce qui concerne l'accès aux droits, l'information des personnes, le suivi épidémiologique ou encore la coopération sanitaire. C'est tout l'objet des tables rondes prévues au début du mois de juillet avec une délégation polynésienne, qui permettront d'aborder l'ensemble des sujets avec la communauté scientifique et les représentants des autorités internationales.
Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et Dem.
Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :
Suite de la discussion de la proposition de loi visant à la prise en charge et à la réparation des conséquences des essais nucléaires français ;
Discussion de la proposition de loi pour des mesures d'urgence en faveur des intermittents de l'emploi ;
Discussion de la proposition de résolution européenne relative à la reconnaissance d'une « exception énergétique » au sein de l'Union européenne.
La séance est levée.
La séance est levée à vingt heures.
Le directeur des comptes rendus
Serge Ezdra