Entre 1966 et 1996, la France a réalisé 193 essais nucléaires dans le Pacifique. Chacun peut admettre qu'elle a mis du temps à reconnaître leurs conséquences sanitaires et environnementales. La loi Morin, votée en 2010, après avoir rapidement montré ses limites, a été remaniée et a permis des avancées. Je songe en particulier à l'abandon de la clause de risque négligeable, qui a été, en quelque sorte, remplacée par une vision scientifique et objective de la situation des victimes.
Chacun sait, cependant, que toutes ces questions n'ont reçu que des ébauches de réponses et que les sources de frustration sont nombreuses. Les débats en commission furent intenses, à l'image de la souffrance de celles et de ceux qui ont été confrontés à ces essais et à leurs effets. Vous avez exprimé cette souffrance, monsieur le rapporteur, en revendiquant une identité polynésienne qui fut niée dans le suivi des essais. D'autres ont voulu porter la parole des milliers de militaires et de personnels de l'armée confrontés aux mêmes réalités. D'aucuns ont voulu faire connaître l'angoisse de ceux qui souffrent ou voient leurs enfants souffrir. Cette angoisse, disons-le, est devenue colère quand les révélations du rapport publié par le média Disclose ont été portées à notre connaissance.
Tout cela est légitime – comme le fut, d'ailleurs, l'indignation du président Chassaigne qui s'est exprimée en commission. Je n'oublie pas, toutefois, que le parti communiste a quelquefois participé à des exécutifs qui n'ont pas fait grand-chose, à l'époque, concernant les essais nucléaires et leurs conséquences. Tout cela pour dire que ni le Gouvernement ni la majorité n'ont à recevoir de leçons en la matière. C'est bien ce gouvernement qui a sanctuarisé la « dette nucléaire » – dotation globale d'autonomie (DGA) – et qui, j'en suis sûr, apportera demain de vraies réponses à l'issue de la table ronde voulue par le Président de la République.
Je tiens aussi à ce que soit reconnu le travail du gouvernement de la Polynésie française et d'Édouard Fritch. C'est avec eux que cette table ronde se tiendra. Je saisis cette occasion pour saluer également le travail de nos collègues polynésiennes, Maina Sage et Nicole Sanquer.
La réforme du statut d'autonomie de 2019, dont j'ai été le rapporteur, a constitué une première étape. Elle revêtait d'abord une dimension symbolique et fédératrice, en prévoyant la reconnaissance de la mise à contribution de la Polynésie française pour la construction de la capacité de dissuasion nucléaire. Une deuxième étape s'ouvre avec la table ronde, qui sera composée des représentants du pays et de l'assemblée, d'élus et de représentants du milieu associatif.
Alors, si nous pouvons nous accorder sur le constat, cela ne signifie pas que nous soyons prêts à vous suivre dans les mesures que vous proposez.
J'aborderai un point de méthode. Certes, personne ne songe à vous reprocher une date d'examen qui viendra percuter la concertation mise en place à la demande du Président de la République. Mais cette démarche existe, les travaux ont commencé, des propositions émergent des ateliers. Si, par exemple, la question de la prise en charge des soins par la caisse de prévoyance sociale de Polynésie n'est en rien négligeable, souffrez que nous en discutions dans un périmètre qui dépasse notre simple assemblée. Le mérite du rapporteur d'avoir posé le débat sera pleinement reconnu – si c'est cela qui vous préoccupe.
Les travaux seront menés à un rythme soutenu. Dès lors, il n'y a pas lieu de se livrer à une compétition pour savoir qui réglera le problème en premier. Si la situation est bien urgente, nous pouvons convenir que les réponses issues de la table ronde arriveront au moins aussi vite que l'examen complet de cette proposition de loi.
Par ailleurs, nous avons clairement des désaccords concernant les mesures que vous proposez. Nous considérons que la commission dont la création est prévue par l'article 1er ne sera pas un outil efficace. L'armée assume ce rôle et a déjà mené, en grande partie, ce travail. La France fait preuve en la matière d'un remarquable effort de transparence, de nombreux documents étant accessibles. D'autre part, la question de l'indemnisation des atolls les plus touchés par les essais, comme Hao, sera posée lors de la table ronde. Pour l'ensemble de ces raisons, il ne me semble vraiment pas nécessaire de créer un comité supplémentaire.
Nous sommes également en désaccord avec l'article 2, tel qu'il est actuellement rédigé. En particulier nous sommes opposés à la suppression du seuil de 1 millisievert, indice scientifique à partir duquel l'exposition à la radioactivité est jugée dangereuse. On peut certes estimer que chacun est susceptible d'être touché – et dès lors il n'y a plus de limite. Mais on peut aussi juger nécessaire de se fonder sur des avis scientifiques. C'est notre choix, et il me semble plus protecteur que des décisions plus irrationnelles.
Concernant les maladies transgénérationnelles, il faut continuer à chercher. Nous avons renforcé la veille scientifique. Depuis avril 2021, le Gouvernement a missionné l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), pour réaliser une veille attentive sur la problématique des effets des faibles doses de rayonnements ionisants, notamment sur la descendance. Nous partageons donc votre constat sans partager vos solutions.
Le travail mené en ce moment ira très loin, très vite et en concertation. Je le répète : s'il part d'un constat que nous partageons avec vous, vos solutions ne nous satisfont pas et nous ne les adopterons pas. Le groupe La République en marche votera contre votre proposition de loi.