Nous sommes réunis pour discuter d'une proposition de loi qui touche plus particulièrement, mais pas uniquement, tous les Polynésiens. Comme je l'ai dit en commission, ce sujet nous concerne tous.
Comme vous l'avez rappelé, madame la ministre, la campagne d'essais nucléaires en Polynésie, menée pendant trente ans, a permis à la France de se hisser au rang le plus haut des puissances mondiales, d'être respectée et de pouvoir compter aujourd'hui sur la scène internationale.
Malheureusement, vous le savez aussi, dans cette course à l'armement nucléaire, qui oppose toutes les grandes puissances, les États-Unis, la Russie, la Grande-Bretagne et la France, notre pays a, lui aussi, fait fi des dégâts collatéraux sur les plans sanitaire, environnemental, voire sociétal, en engageant des expérimentations nucléaires et en les poursuivant pendant trente-six ans, dont trente en Polynésie, de 1960 à 1996.
Quarante-six tirs aériens entraînèrent, selon les déclarations du Commissariat à l'énergie atomique (CEA), de fortes retombées radioactives. De 1975 à 1996, 137 tirs souterrains se sont succédé, ne provoquant plus, certes, de retombées atmosphériques, mais endommageant la structure de l'atoll de Moruroa, provoquant des failles importantes dans les zones de tirs, la disparition de motus sous les eaux et des effondrements rocheux depuis les parois sous-marines de l'atoll, générant des vagues de taille importante, déjà à l'époque, en surface. Toujours selon le CEA, quarante-deux essais souterrains donneront lieu à des fuites de produits de fission dans l'air ou dans l'eau du lagon.
Nous sommes en 2021, soixante ans plus tard. Comme cela a déjà été dit, nous avons mis du temps à reconnaître ces faits et à traiter leurs conséquences.
Après toutes les révélations faites à la fin des années 1990, après les enquêtes réalisées au début des années 2000 et, surtout après la commission d'enquête de l'Assemblée de la Polynésie française sur les essais nucléaires, le ministère de la défense a déclassé beaucoup de documents jusqu'en 2014 : ils ont révélé les conséquences très lourdes de ces essais, créant une véritable onde de choc pour tous les Polynésiens. Dans cette assemblée, depuis 2010, nous avons tenté de manière transpartisane de réparer, au moins un petit peu, ne serait-ce que le préjudice sanitaire en permettant aux personnes concernées ou à leurs ayants droit d'être reconnus victimes de ces essais nucléaires et, croyez-moi, madame la ministre, mes chers collègues, cela n'a pas été facile. J'ai beaucoup d'émotion ce soir, parce que je me rappelle de cette dernière séance du 9 février 2017 consacrée à l'examen du projet de loi sur l'égalité réelle outre-mer (EROM) – je reconnais, de tous côtés de l'hémicycle, quelques collègues qui étaient là à l'époque –, et de cette suspension de séance de plus d'une heure, pour arriver enfin à trouver une solution en supprimant la notion de risque négligeable. Nous pensions être arrivés à quelque chose et il est vrai que le CIVEN s'est recomposé, que les indemnisations ont redémarré – on le voit par les chiffres qui ont été cités précédemment – et que cela va mieux, mais ce n'est pas encore satisfaisant, nous le savons bien.
Et c'est là, madame la ministre, que je vous interpelle : c'est d'autant moins satisfaisant qu'on a appris il y a trois mois que tout ce qu'on nous avait dit, que cet exercice de vérité mené depuis 2006, était tronqué ! Dès lors, comprenez la méfiance, la déception, voire la colère des Polynésiens qui apprennent, alors qu'ils tentent aussi de retrouver le chemin de la réconciliation, avoir été victimes de retombées deux à dix fois supérieures à ce qu'on leur avait dit. Où est la vérité, madame la ministre ?