Intervention de Éric Coquerel

Séance en hémicycle du vendredi 18 juin 2021 à 15h00
Politique de l'emploi et réforme de l'assurance chômage

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉric Coquerel :

On ne parle presque plus jamais d'emploi et les occasions d'aborder ce sujet sont peu fréquentes à l'Assemblée, très rares dans les médias. On finirait presque par croire que la question de l'emploi n'est qu'un détail politique, insignifiant et marginal. Pourtant, plus de 6 millions de personnes cherchent du travail dans ce pays et tant d'autres y souffrent, mais le débat public ne fait aucune place à cette question. Ce constat a de quoi susciter la colère, mais pas l'étonnement car il n'est pas le fruit du hasard.

Il y a un peu plus d'un an, le 11 février 2020, le Président de la République dévoilait une feuille de route claire, sur laquelle il est revenu depuis à plusieurs reprises. Faisant sien le concept d'extrême droite forgé par Charles Maurras opposant le pays légal au pays réel, il a théorisé que pour éviter cet affrontement, il fallait se préoccuper avant tout de sécurité, vue uniquement par la lorgnette des effets de l'insécurité et non de ses causes : religion, identité et immigration. Les conséquences de ce plan d'attaque sont vite apparues. Depuis deux mois, 80 % des invités des matinales de radio et télévision sont issus du parti du Président, de la droite ou de l'extrême droite : dans ces émissions, on ne parle que d'insécurité, d'immigration, de religion et d'identité.

Pendant ce temps-là, personne ne parle de ce qui est sans doute la forme la plus grave de l'insécurité, l'insécurité sociale. Celle-ci ronge notre pays, mais nous ne sommes que six orateurs inscrits cet après-midi pour s'exprimer sur cette question sociale : il n'y a aucun député du groupe Les Républicains ni aucun député du Rassemblement national – ce n'est pas une surprise bien que ce parti prétende avoir une fibre sociale.

Le Gouvernement nous parle de reprise économique comme si celle-ci pouvait compenser par magie les deux années de perte de production de richesses engendrée par la crise du covid-19. Je n'affiche pas le même optimisme que le Gouvernement vis-à-vis de cette reprise : ce n'est pas parce que l'activité croît légèrement par rapport à des mois où elle s'était énormément contractée que la crise économique et sociale va disparaître ; je crains même que celle-ci soit malheureusement devant nous.

Dans ce contexte dramatique, il n'y a pas eu de monde d'après mais le rapide rétablissement d'une politique économique libérale accompagnée d'une promesse d'austérité. Le Gouvernement refuse toujours, comme le demandait la Convention citoyenne pour le climat, de taxer les dividendes, ne serait-ce que provisoirement, pour faire en sorte que les riches qui ont tant profité de la politique conduite par l'exécutif depuis 2017 participent à l'effort de solidarité nationale. Il refuse également de rétablir l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF). Bref, il s'oppose à toute taxation du capital, qui présente pourtant une bonne santé financière effarante lorsqu'on la compare à celle du reste du pays : ainsi, les entreprises du CAC40 ont distribué 51 milliards d'euros de dividendes en 2020, montant en hausse de 22 %.

La question essentielle, celle qui revient depuis deux ans, est toujours la même : qui paiera la perte de production de richesses ? Qui va payer la note ? Les revenus du capital ou ceux du travail ? Manifestement, le Gouvernement a choisi et, fidèle aux décisions prises depuis 2017, il désigne le travail. On nous promet cinq ans d'austérité, d'une ampleur rarement vue. Bruno Le Maire, annonçant cette politique qui sera le programme de M. Macron jusqu'en 2027, souhaite un retour à l'équilibre budgétaire à cette date grâce à une augmentation limitée à 0,7 % des dépenses publiques : il s'agit du chiffre le plus infime depuis des décennies, alors que le redressement économique nécessite d'investir dans l'éducation et la santé. Cela affaiblira les mécanismes de solidarité, au détriment de ceux qui ne vivent que de leur force de travail.

Tout le monde sait qui ces années d'austérité favoriseront : on baisse les dépenses publiques mais on rejette toute modification de la fiscalité, surtout celle qui avantage les plus riches. Rien ne sera demandé à ces derniers, bien qu'ils aient largement profité des politiques libérales de ces dernières années, l'objectif étant de détruire les conquêtes sociales.

La réforme de l'assurance chômage est un exemple tristement emblématique de cette orientation. Bien sûr, cette réforme n'aurait jamais dû être mise en place, crise économique ou non, car elle est inégalitaire, contre-productive et mensongère puisqu'elle repose sur le postulat délirant qui fait des chômeurs des personnes ayant choisi l'inactivité par plaisir, voire par appât du gain ; elle propose donc de les appauvrir et de les précariser encore davantage pour leur faire reprendre le travail. Or, dans l'état actuel des choses, tenir les chômeurs pour responsables de leur situation n'est rien d'autre qu'un mensonge : c'était le cas avant la crise du covid-19, c'est encore plus vrai aujourd'hui. Si nous continuons dans cette voie, ces millions de personnes que nous culpabilisons inutilement resteront encore plus sur le carreau, ce qui aggravera la pauvreté dans le pays.

Non seulement le principe même de cette réforme me sidère, mais comment ne pas être en colère ni inquiet quand on voit que, malgré l'ampleur de la crise et malgré toutes les mobilisations, elle est maintenue et devrait pleinement s'appliquer d'ici à quelques jours, en pleine catastrophe sociale ? Cette réforme amputera en outre la consommation populaire, pourtant l'un des moteurs d'une possible relance économique.

Comment garder la moindre once de confiance dans un gouvernement qui fait subir de telles mesures à un peuple qui souffre de la crise la plus grave et la plus traumatisante depuis la deuxième guerre mondiale ? Comment garder la moindre once de confiance dans un gouvernement qui continue à dérouler son plan néolibéral ? On nous annonce ainsi que la réforme des retraites sera peut-être inscrite à l'ordre du jour de l'Assemblée avant l'élection présidentielle. Comment fermer les yeux sur tout ce qui pourrait sauver et même créer des emplois ?

Oui, mes chers collègues, le constat est net, le Gouvernement a choisi de mener une politique de totale impuissance face aux plans sociaux et aux licenciements boursiers qui s'enchaînent tout au long de l'année : près d'une centaine de plans sociaux sont en cours dans l'ensemble du pays, comme vous le savez, madame la ministre, et plusieurs dizaines de milliers d'emplois sont menacés : plus de 4 000 emplois chez Renault, 5 000 à Airbus et il y a beaucoup d'autres exemples aussi douloureux et absurdes que celui de l'usine PPG à Bezons, entreprise qui continue de faire des bénéfices, qui produit des pièces indispensables à l'aéronautique et à l'aviation et qui se retrouve sous la menace d'une délocalisation visant à encore augmenter les profits de ses propriétaires américains. Les salariés d'Alvance Aluminium Wheels à Châteauroux, que j'ai rencontrés hier, font face à la même menace à cause de la baisse des commandes de Renault et de Peugeot alors que leur usine est la dernière à fabriquer des jantes en aluminium pour roues dont l'industrie automobile continuera à avoir besoin.

Partout, ces grandes entreprises licencient sans vergogne alors qu'elles font dans le même temps des bénéfices et versent des millions d'euros de dividendes à leurs actionnaires. Voilà le scandale premier, celui qui aurait dû amener le Gouvernement à interdire les licenciements et les plans sociaux dans les entreprises qui reçoivent des aides publiques de l'État et qui versent des dividendes. Comment peut-on prétendre mener une politique de l'emploi si on ne fait même pas ce minimum, si on n'est même pas capable d'utiliser les outils de l'État pour éviter des licenciements injustes et absurdes, si on n'est pas capable d'éviter la destruction de notre industrie qui se mène aujourd'hui à un rythme effréné ? C'est insupportable quand on sait tout ce qu'il y aurait à faire, quand on connaît l'urgence et l'utilité d'une bifurcation écologique, quand on sait l'urgence à lutter contre la désindustrialisation de notre pays et sa délocalisation massive, quand on sait toutes les mesures que vous pourriez prendre et que nous attendons de pouvoir prendre, quand on sait que vous avez les clefs en main pour un retour au plein-emploi – oui, le retour au plein-emploi reste possible !

Il faudrait partager le temps de travail et aller vers les 32 heures hebdomadaires pour mettre fin à ce monde absurde dans lequel les uns travaillent trop quand les autres ne trouvent pas d'emploi. On reviendrait à la retraite à 60 ans et aux quarante annuités de travail plutôt que de saturer le marché de l'emploi pour les plus jeunes et d'épuiser les plus âgés dans le travail ou le cauchemar du chômage. On trouverait des salaires et des conditions de travail décents. On gagnerait du temps pour soi et pour les autres. Ce serait un plein-emploi écologique libéré des logiques productivistes. On mettrait en place la transition écologique qui créera plusieurs centaines de milliers d'emplois – 400 000 selon le plan négaWatt. On planifierait et on encouragerait l'activité socialement utile.

Je vois bien que vous ne faites rien de tout cela, madame la ministre. Je sais bien que vous ne comptez pas vous mettre du jour au lendemain à servir l'intérêt général, mais vous pourrez compter sur nous pour appliquer ce programme en 2022, pour protéger et recréer l'emploi pour toutes et tous. En attendant, puisqu'il faut se mobiliser face à votre politique, je vous donne rendez-vous demain, samedi 19 juin, à Paris, à la manifestation contre les licenciements.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.