Intervention de Bastien Lachaud

Séance en hémicycle du mardi 22 juin 2021 à 15h00
Déclaration du gouvernement relative à la programmation militaire suivie d'un débat et d'un vote

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBastien Lachaud :

C'est pourquoi nous avons décidé, en commission, de boycotter cette mascarade. En somme, le Parlement a été informé de ce que l'exécutif avait décidé. Aucune réflexion de fond, argumentée, n'est proposée concernant le format des armées.

Pourtant les événements que nous avons connus depuis trois ans justifient une révision sérieuse de notre doctrine de défense et de l'organisation des armées qui en découle. Ainsi l'actualisation que vous nous proposez n'intègre-t-elle pas les réflexions sur la crise climatique ni sur la notion de haute intensité. Les analyses des conflits récents n'entraîneront-elles donc aucun changement ? Comment croire que de telles transformations ne devraient pas avoir d'effet sur la programmation militaire ?

Par ailleurs, vous ne tirez aucun enseignement sérieux de la pandémie. Elle a pourtant des conséquences importantes sur notre environnement stratégique. Elle a révélé certaines carences inacceptables, concernant la sécurité des approvisionnements, notre autosuffisance ou encore la vulnérabilité dans le domaine des risques NRBC.

Pour y répondre, une planification efficace est nécessaire, et nous avons l'outil : le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale. Mais l'approche transversale et interministérielle, souvent évoquée, est rarement mise en œuvre… Où est-elle dans les choix concrets de la LPM ? Nulle part.

Dès 2018, nous considérions que la revue stratégique accompagnant la LPM ne répondait pas à l'impératif d'indépendance militaire et stratégique de la France. La même conviction nous anime aujourd'hui à propos des principaux choix opérés depuis lors : par exemple, le Président nous avait dit que l'OTAN était en état de mort cérébrale… mais elle aurait désormais retrouvé toute sa vigueur et toute sa pertinence uniquement parce que le président des États-Unis d'Amérique a changé ! Il y a quelques jours, le dernier sommet de cette organisation a été l'occasion de pointer la Chine comme principale menace systémique – une première. La presse a relaté que la France était initialement contre cette mention, mais si cela est vrai, que faisons-nous alors dans cette alliance ? Est-ce une simple mise à jour de notre doctrine que d'envoyer le porte-avions Charles de Gaulle participer à des exercices aux côtés des États-Unis dans la zone dite indo-pacifique, un espace qu'ils conçoivent comme allant de l'Inde à la Californie ? Dans cette zone, où nos effectifs et nos moyens ne sont déjà pas suffisants, ne permettant ni de protéger nos intérêts ni de garantir notre souveraineté, nous n'avons pas à jouer aux supplétifs des États-Uniens.

Outre ses aventures en Asie, et pour la première fois depuis que le général de Gaulle l'a mise dehors, l'OTAN fait également son grand retour sur le territoire national. Vous vous félicitez de l'installation, annoncée pour 2025, d'un centre spatial de l'OTAN à Toulouse. Pas nous ! Outre le symbole, terrible, il y a là une vulnérabilité évidente au regard de la confidentialité des recherches françaises dans un domaine stratégique. Je rappelle que depuis les révélations de Snowden, l'espionnage étasunien n'a jamais cessé ! L'espace est pourtant un domaine où la France excelle, où elle fait la preuve de sa capacité de travailler avec toutes les nations, Chine et Russie comprises, et cette année, deux fois en deux mois, la France est la seule nation à avoir touché le sol de Mars… Notre pays n'a pas à être embarqué dans les aventures de l'OTAN, qui ne correspondent qu'à l'intérêt des États-Unis. On ne saurait se contenter d'une soi-disant autonomie dans un cadre fixé par d'autres : l'indépendance de la France, le contraire de l'isolement, suppose qu'elle soit extraite du commandement intégré de l'OTAN comme de toute alliance militaire permanente.

Toujours en matière d'indépendance, qu'en est-il de nos exportations d'armements ? Nous sommes dépendants de nos clients qui, pour beaucoup, sont des États qui violent les droits humains. Non seulement c'est une honte, mais cette dépendance détermine la disponibilité de nos matériels ainsi que nos capacités de financement en fonction des recettes éventuelles.

Venons-en aux opérations extérieures, qui ne font l'objet d'aucun bilan stratégique. Pourtant, cinquante soldats français ont péri au Mali depuis 2013, cinquante-sept dans l'ensemble du Sahel, et des centaines ont été blessés ; des milliers de civils sont morts en marge de combats qui n'ont jamais permis de réduire les milices armées, djihadistes ou simples bandes criminelles organisées. Emmanuel Macron a récemment annoncé que l'opération militaire Barkhane au Sahel prendrait fin en tant qu'opération extérieure pour devenir une « opération d'appui et de soutien aux armées des pays de la région qui le souhaitent ». Vous venez de nous promettre un débat à ce propos, monsieur le Premier ministre, mais la décision présidentielle n'a-t-elle aucune incidence sur la LPM ? N'aurait-il pas été plus logique de discuter de ce retrait avant ce débat budgétaire ? Nous réaffirmons notre attachement à un plan de retrait organisé de notre armée s'appuyant sur un volet à la fois politique, économique, social et démocratique cohérent.

Au-delà de Barkhane, quid de l'estimation de 2018 selon laquelle le niveau de dépenses des OPEX serait fixé à 1,1 milliard d'euros par an une fois pour toutes ? Nous refusons de tenir pour acquis un tel niveau d'engagement de nos armées. Nous refusons aussi que les OPEX soient inscrites dans le budget sans plus satisfaire au principe de financement interministériel parce qu'un tel choix affecte aussi bien la préparation opérationnelle que la régénération des matériels et empêche de dégager les moyens et le temps nécessaires pour que le modèle d'armée complète que vous prétendez acquis soit une réalité.

L'Europe de la défense, priorité de la LPM, ne saurait être une solution, la force Takuba l'a bien montré : l'Allemagne, qui s'était engagée, n'enverra finalement pas de militaires, son parlement ne le voulant pas. Une fois de plus, elle fait défaut. Pourtant, au nom d'une chimérique autonomie stratégique européenne, les partenariats industriels ont été renforcés avec l'Allemagne qui, une fois qu'elle a capté un savoir-faire lui faisant défaut, finit généralement par se désengager. Comment oublier les accords de Schwerin, annonciateurs de grandes déconvenues pour le SCAF et le MGCS – Main Group Combat System ? La ministre de la défense allemande a d'ailleurs déclaré : « Nous devons en finir avec les illusions de l'autonomie stratégique européenne. » Qu'ajouter à cela ?

Enfin, notons qu'aucune réponse sérieuse n'a été apportée à la tribune de militaires factieux publiée dans l'hebdomadaire d'extrême droite Valeurs actuelles, le 21 avril, date anniversaire du putsch des généraux d'Alger. Elle contient pourtant tous les clichés racistes et antipopulaires de l'extrême droite. Ces gens ne représentent évidemment pas l'armée, mais une génération après la suspension de la conscription, il est temps de remettre les citoyens au cœur de notre défense. Très grand républicain, Jean Jaurès fut un ardent combattant de la paix et un des grands penseurs de l'armée au XXe siècle ; 110 ans après sa publication, inspirons-nous des principes de L'Armée nouvelle : les civils doivent s'emparer des questions militaires. L'instauration d'une conscription citoyenne est donc une priorité. Cette conscription inclurait la possibilité, sur la base du volontariat, d'un service militaire rémunéré au SMIC. En effet, nous sommes confrontés à de nouvelles menaces dans les domaines cyber et économique, en mer, dans l'espace, et partout ailleurs du fait du changement climatique. Pour y faire face, nous devons mobiliser les ressources morales et intellectuelles de notre peuple. Nous ne devons pas seulement parler de résilience, mais élaborer une stratégie de défense passive crédible de par le recrutement de femmes et d'hommes dotés de savoir-faire de haut niveau. Notre pays en regorge ! Il s'agit de bien autre chose que de votre SNU, ce service national universel folklorique …

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