La loi de programmation militaire est la colonne vertébrale du budget et donc de l'action de l'armée française depuis 2019, mais cette loi que le Président de la République a voulu placer à hauteur d'homme manque sa cible car si se mettre à cette hauteur est nécessaire et louable, améliorer les conditions de vie et de travail de nos soldats ne peut se faire à moitié. Or nous constatons que le Gouvernement s'est arrêté au milieu du gué.
Premièrement, je me permets d'appeler l'attention sur l'inégalité de traitement au sein de l'armée pour les soldats originaires de Polynésie. Ces derniers n'ont pas d'aide à l'installation lorsqu'ils viennent en métropole, alors que les soldats métropolitains qui vont en Polynésie bénéficient de cette aide. Comptez-vous y remédier, madame la ministre ? Voilà un sujet concret parmi d'autres alors que le respect de l'égalité et de la fraternité, vous le savez parfaitement, est central dans ce corps d'État où l'on s'appelle camarade tout en respectant une discipline sans faille.
Le grave problème de ce que l'on appelle communément les « petits équipements » illustre ce que je viens d'évoquer. Dans leur rapport d'information sur « la politique d'approvisionnement du ministère des armées en "petits" équipements », nos collègues André Chassaigne et Jean-Pierre Cubertafon notent un sous-investissement chronique, regrettant que ces petits équipements soient la variable d'ajustement des ressources alors qu'ils ont un impact important sur le moral et sur l'efficacité opérationnelle de nos armées. Si un effort sur ce sujet est initié dans la loi de programmation militaire, il faut confirmer cet engagement en matière d'approvisionnement, de procédures d'acquisition et de modernisation des équipements. Ce rapport a aussi souligné la nécessité de recréer une filière de production de munitions de petit calibre en France. En l'occurrence, la poudrerie de Pont-de-Buis, dans le Finistère, actuellement dédiée aux activités civiles, pourrait y contribuer. Le blocage du ministère sur ce point n'est pas acceptable alors qu'on a démontré toute la viabilité de ce projet.
J'en viens maintenant à l'évolution du maintien en condition opérationnelle des matériels de nos armées. Le MCO, comme on l'appelle, couvre l'ensemble des actions de soutien technique et logistique, et a été présenté comme une phase de modernisation nécessitant d'accroître la contractualisation avec des opérateurs privés. Ainsi, pour l'armée de terre, leur part passerait de 27 % en 2019 à 40 % en 2024, au détriment des services de la maintenance industrielle de l'État. On assiste à l'introduction, sur les chaînes de maintenance des ateliers d'État, de personnels d'entreprises privées en nombre toujours plus important, parfois intérimaires et souvent sans formation spécifique, qui occupent progressivement des postes de travail tenus auparavant par des agents publics associant compétence technique, savoir-faire et connaissance du matériel.
Or le bilan n'est pas à la hauteur des attentes, notamment en matière de fiabilité, de durabilité et de sécurité des travaux, ainsi que de qualité des pièces fournies. L'externalisation des services publics dont nous avons discuté vendredi dernier dans cet hémicycle, grâce à la proposition de résolution des députés de mon groupe, s'infiltre partout. La mise en danger du statut des ouvriers d'État, dans le cadre d'une industrie de très haute précision qui nécessite respect du secret professionnel et conscience des enjeux de sécurité nationale fondamentaux, est très grave. Si, depuis très longtemps, les industries militaires sont publiques ou parapubliques, c'est bien parce que l'objectif poursuivi est la nécessaire fiabilité du matériel et la sécurité des informations diffusées en interne. Les entreprises privées, au contraire, ont pour raison sociale, vous le savez et vous le défendez même souvent, de dégager des bénéfices. Leur objectif est donc la rentabilité, ce qui n'est absolument pas compatible avec les questions de défense et de sûreté nationale, d'autant plus que le secteur économique de l'armement doit être soutenu par l'État pour atteindre une rentabilité qui lui permette de subsister.
Lorsque l'on est obligé de vendre au nom de la rentabilité, on doit parfois faire une croix sur son éthique, ce que vous avez choisi de faire en vendant des armes à tout le monde, voire à n'importe qui, du moment que cela fait vivre les entreprises privées du secteur de l'armement. Vendre des armes à des États belligérants, comme c'est le cas de l'Arabie Saoudite…