Intervention de François Cornut-Gentille

Séance en hémicycle du mardi 22 juin 2021 à 15h00
Déclaration du gouvernement relative à la programmation militaire suivie d'un débat et d'un vote

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois Cornut-Gentille :

Disons-le d'emblée : je n'ai aucune gêne à saluer le redressement engagé, dont je me réjouis : de 2017 à 2021, le budget de la mission « Défense » aura progressé de 7 milliards d'euros. Depuis trois ans, les lois de finances initiales respectent strictement la LPM, avec un budget qui est passé de 35,9 à 39,2 milliards. Tout cela rompt, de façon positive, avec un passé récent. En outre, l'intention du Gouvernement de poursuivre l'effort n'est pas contestable.

Pourtant, il me semble impossible d'en rester à cette vision juste mais un peu trop partielle de la réalité. Je comprends bien, à un an de l'élection présidentielle, le désir de faire oublier quelques incidents et de valoriser le bilan. Permettez-moi cependant, monsieur le Premier ministre, de vous rappeler que nous sommes ici au Parlement, et pas à une réunion d'En marche. Ce n'est pas parce que les choses se sont correctement passées jusqu'à présent que l'avenir est assuré. Je ne dis pas cela en me basant sur une impression ou un préjugé, mais sur des faits objectifs.

Certes, en surface, tout se déroule bien. Mais de légers décalages en légers surcoûts, la situation se détériore inexorablement. Déjà, la fin du financement interministériel des OPEX constituait une première encoche sérieuse à la LPM et les contretemps, par définition imprévisibles, se sont multipliés. Ils finissent par peser lourd. L'excellent travail du Sénat réalisé sous l'égide de Christian Cambon nous permet de prendre la mesure de l'ampleur de ces difficultés. Le moins que l'on puisse dire est qu'il ne s'agit pas de détails. Alors que le ministère évalue à un milliard l'actualisation de la LPM sur les années 2019 à 2021, le rapport d'information sénatorial montre qu'en réalité, on se situe au-delà de 3 milliards. Les sénateurs vont plus loin : de façon argumentée et prudente, ils évaluent à 8,6 milliards l'ensemble des surcoûts imprévus d'ici à 2025. C'est bien l'ensemble de l'édifice de la LPM qui est d'ores et déjà ébranlé.

Ces graves dérapages justifieraient à eux seuls un examen bien plus important qu'une simple déclaration du Gouvernement.

Mais un autre élément commande des discussions approfondies : chacun sait que, depuis son adoption, la fragilité de la LPM tient à la trajectoire prévue pour ces trois dernières années. Ce sont trois hausses annuelles consécutives de 3 milliards d'euros qui nous attendent. Déjà très ambitieux avant la survenue de la crise sanitaire, ces montants sont-ils encore crédibles dans le nouveau contexte économique ? Pourtant, ces objectifs ne relèvent pas du luxe : il s'agit du strict minimum pour atteindre le modèle d'armée souhaité. J'ajoute que les chefs d'état-major nous disent désormais qu'un effort supplémentaire s'imposera si nous voulons prendre en compte le risque d'un conflit de haute intensité.

Le Gouvernement nous explique qu'il a bien travaillé et qu'il souhaite continuer. Bravo ! Très bien ! Mais le mur financier se rapproche dangereusement et le Gouvernement ne nous dit pas comment il compte le franchir. Or il n'y a que deux solutions : soit on confirme sans ambiguïté l'ambition initiale, mais alors il faut dès à présent engager des moyens financiers supplémentaires ; soit on accepte que l'ambition initiale est hors de portée, mais alors il faut rapidement redéfinir un nouveau modèle d'armée.

Remettre à plus tard, maintenir les ambiguïtés, faire comme si le problème n'existait pas est la pire des solutions. Cela nous conduirait, le jour très prochain où nous serons dans l'impasse, à procéder dans l'urgence à des ajustements aussi brutaux qu'incohérents.

N'y a-t-il pas une autre voie à explorer ? Notre modèle d'armée complet auquel vous avez fait référence, prêt pour le combat de haute intensité, est sans doute rassurant mais est-il aussi parfait que nous l'affirmons ? Ne comporte-t-il pas des failles béantes que nous refusons de voir ? N'est-ce pas notre nouvelle ligne Maginot, la formule magique qui masque nos carences et nous empêche de réfléchir ?

Si l'on prend un peu de recul, notre effort de défense semble principalement guidé – ce n'est pas le fait de ce gouvernement en particulier, c'est une tendance historique –, par le souci de tenir notre rang. Cette volonté de prestige ne conduit-elle à pas une mauvaise perception des réalités géostratégiques ? C'est ainsi que nous avons raté le tournant des drones. Sommes-nous en train de commettre des erreurs comparables ? De ce point de vue, les moyens accordés à l'espace sont-ils à la hauteur des défis du moment ?

À l'inverse, si le porte-avions est assurément un outil diplomatique, sur le plan militaire, son rapport efficacité-coût n'est-il déjà pas discutable et ne le sera-t-il pas davantage encore en 2050 ? Je n'ai pas la prétention de détenir les réponses à ces questions…

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