Intervention de Jean-Charles Larsonneur

Séance en hémicycle du mardi 22 juin 2021 à 15h00
Déclaration du gouvernement relative à la programmation militaire suivie d'un débat et d'un vote

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Charles Larsonneur :

Avant d'aborder le sujet qui nous réunit aujourd'hui, je voudrais d'emblée, au nom du groupe Agir ensemble, exprimer la gratitude et le respect que nous devons à nos militaires. C'est d'abord pour eux que le Parlement se doit d'exercer ses prérogatives en matière de défense.

Sur les sujets militaires, les vaines polémiques servent rarement l'intérêt commun, bien au contraire ; la constante recherche d'un consensus national demeure un atout précieux pour la crédibilité de notre défense. Nos échanges aujourd'hui y contribuent.

« Sommes-nous responsables de l'avenir ? » Tel était le sujet qu'avaient à traiter les lycéens à l'épreuve de philosophie du baccalauréat. S'il est un texte qui prépare l'avenir et fixe une politique de long terme, c'est bien la loi de programmation militaire. À son article 7 était prévu un point d'étape dans la mise en œuvre de cette LPM. La présente déclaration du Gouvernement, à défaut d'un texte de loi, nous permet d'en discuter. Elle revêt aussi une importance particulière alors que le Président de la République a initié la fin de l'opération Barkhane et un profond changement dans notre posture au Sahel.

S'agissant de l'ambitieux effort budgétaire amplifié depuis 2008, nos militaires ont besoin d'être rassurés sur sa crédibilité dans la durée et nos concitoyens sur sa soutenabilité dans le contexte de la crise sanitaire.

Mon intervention portera sur quatre points.

Premièrement, ainsi que vous l'avez rappelé, monsieur le Premier ministre, le monde actuel est instable, complexe, lourd de menaces. Certains États espèrent conjurer celles-ci par un pacifisme unilatéral, par un alignement sur les États-Unis, oubliant que la paix ne peut reposer que sur l'équilibre des forces. Tel n'est pas le cas de la France. Sous l'autorité du Président de la République, nos armées ont défendu avec détermination les droits de l'homme partout où cela a été utile, comme en Syrie, après les attaques chimiques de Douma, ou au Sahel. Elles n'ont jamais baissé la garde et ont dissuadé nombre d'agressions. Elles ont participé au maintien de la paix en Centrafrique, au Liban, au Mali, et à des missions humanitaires et sanitaires, y compris sur le territoire national. Grâce à elles, la France a tenu son rang.

Deuxièmement, les promesses faites en 2018 sont aujourd'hui des engagements tenus. Le respect de la LPM a restauré un lien de confiance avec nos armées, fondé sur la transparence.

Beaucoup a déjà été dit par mes collègues sur les avancées qu'a planifiées cette LPM, j'irai donc à l'essentiel : la condition des militaires a été améliorée, et cela se voit. Dans ma circonscription, à titre d'exemple, j'ai pu visiter les nouveaux casernements du bataillon de fusiliers marins Amyot d'Inville. Cela se voit aussi, et c'est d'ailleurs la moindre des choses, sur le bulletin de solde. Le honteux épisode Louvois est bien derrière nous ; ce dossier a été pris en main de façon énergique. Un effort de modernisation qui se traduit aussi par la nouvelle politique de rémunération des militaires et le déploiement de Source solde.

La transformation de la DGA, la création d'une Agence de l'innovation de défense ont également placé le ministère à la pointe de la réforme de l'État et surtout replacé fermement la défense dans son rôle, je dirais, colbertiste de grand contributeur à l'innovation et au progrès technologique, qui irriguent l'ensemble des techniques civiles et militaires. Le dynamisme du bassin d'emploi de Brest-Lorient-Saint-Nazaire en est un bon témoin.

Nous poursuivons la modernisation de nos armements, et ce sans faire d'impasse, je crois, contrairement, hélas, à nombre d'autres pays. Pour le dire en langage militaire, nous réalisons sans faute un contrat capacitaire à même de consolider notre modèle d'armée complet.

Concrètement, les nouveaux armements arrivent dans tous les domaines, des grands aux petits équipements. Le renouvellement des deux composantes de notre dissuasion est financé et le Brestois que je suis a porté une attention particulière à notre composante océanique.

Dans cet effort, nous ne sommes pas seuls. Depuis 2017, l'Europe de la défense a enfin connu des avancées concrètes. De nombreux programmes ont été lancés, le plus souvent dans un cadre européen. Avec la coopération structurée permanente et le Fonds européen de la défense, nous avons posé les jalons d'une véritable politique d'équipement européenne, j'y reviendrai. Notre industrie de défense, sans doute l'une des principales qu'il nous reste, a su évoluer, coopérer, et les succès engrangés à l'export témoignent d'ailleurs de sa vitalité.

Mais, et c'est là ma troisième observation, des ajustements capacitaires en cohérence avec le nouveau diagnostic stratégique sont nécessaires. C'est le sens de la clause de rendez-vous du fameux article 7. J'observe que la pandémie n'a pas affecté les dépenses militaires mondiales. Bien au contraire, les États continuent d'investir les nouveaux espaces comme le spatial, la haute mer, les fonds, le cyber. Tout près de nous, le Royaume-Uni renforce même son arsenal nucléaire. Nous sommes donc à un tournant stratégique.

Nos ajustements capacitaires donnent la priorité à la fonction « connaissance et anticipation » ainsi qu'aux domaines spatial et cyber. Comme l'actualité le démontre, c'est indispensable pour exister sur la scène internationale. Vous tirez aussi les leçons de la crise sanitaire et des conflits récents en renforçant le domaine NRBC ainsi que la lutte antidrones. Enfin, face à un risque de crise majeure de plus en plus probable, vous choisissez de porter vos efforts sur la préparation opérationnelle.

Je souscris bien évidemment sans réserve à ces orientations qui ne remettent pas en cause les grands équilibres de la LPM. Cependant, des points d'attention et de vigilance demeurent, et c'est là mon quatrième point.

Commençons par le domaine maritime. Le 5 juin dernier, à bord du Charles de Gaulle, monsieur le Premier ministre, vous avez posé « l'ambition que la France occupe la première place dans le grand siècle maritime qui s'ouvre devant nous ». Le Breton que je suis ne peut que souscrire pleinement à vos propos, mais avons-nous les moyens de nos ambitions avec dix-huit patrouilleurs et quinze frégates de premier rang à l'horizon 2025 ? N'en faudrait-il pas davantage pour défendre notre zone économique exclusive, notamment dans la zone indo-pacifique ? Mme la ministre pourra faire état de l'avancement de la réflexion du Gouvernement sur ce dossier.

J'en viens à une autre dimension. Un point d'attention majeur qui ressort de notre débat concerne le dimensionnement de notre flotte de combat, crucial pour notre souveraineté comme pour la haute intensité. L'ambition 2030 est séduisante sur le papier, avec 185 Rafale pour l'armée de l'air et de l'espace, dont 129 en 2025. Or, après la Grèce, l'armée de l'air croate vient prélever à son tour douze Rafale en service au sein de nos forces, mais, à la différence du premier contrat, ces avions ne seront pas remplacés. En tout état de cause, il faudra faire un choix structurant pour nos forces en maintenant ou non la commande de trente Rafale en 2023. La question est de savoir si l'ambition 2030 reste à notre portée.

Par ailleurs, notre participation à différents théâtres d'opération a révélé des points sur lesquels nous devons porter nos efforts. Je pense notamment au transport stratégique ou à l'aéromobilité, particulièrement sollicités en opération. Dans le premier cas, nous compensons la faiblesse de nos capacités patrimoniales par la mise en commun avec nos partenaires ou le recours à des prestataires externes. Dans le second cas, des commandes doivent être formalisées auprès d'Airbus cette année en vue des premières livraisons en 2026 : 169 Guépard doivent être commandés et la marine nationale devrait louer prochainement des hélicoptères civils. Mme la ministre pourra nous confirmer ces informations.

À l'approche d'un vote décisif du Bundestag sur notre projet d'avion en commun, je voudrais aborder dans un dernier temps les coopérations européennes. Je comprends bien la nécessité de développer des équipements avec nos partenaires, mais pas à n'importe quel prix : les compromis ne doivent pas mettre en péril nos intérêts industriels et technologiques ou l'autonomie et l'efficacité opérationnelle de nos forces. Pour ce faire, des prérequis doivent être établis. Nos projets industriels doivent reposer sur une harmonisation préalable des besoins opérationnels et sur un calendrier concordant. Ensuite, il est indispensable de définir un maître d'ouvrage clairement identifié et des maîtres d'œuvre sélectionnés sur la base de leurs seules compétences. Enfin, l'engagement des États doit être garanti dans le temps long. À ces conditions seulement l'avion et peut-être le char du futur seront des succès.

Chers collègues, j'ai ouvert mon propos sur la question de la préparation de l'avenir. Ambitieuse et volontariste, la programmation militaire a enrayé la lente érosion de nos capacités militaires, parce que la France a besoin d'une défense forte. Notre sécurité est la condition de notre indépendance. « Les grands pays le sont pour l'avoir voulu », disait très justement le général de Gaulle. Monsieur le Premier ministre, vous l'aurez compris, vous pouvez compter sur notre soutien vigilant.

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