Il est grand temps que l'État français soit à la hauteur du sacrifice consenti par l'ensemble de ses soldats.
Si la crise sanitaire du covid-19 a profondément bouleversé notre pays, elle a également déclenché une crise économique vertigineuse. Alors que la trajectoire budgétaire de la LPM devait nous permettre de porter nos efforts de défense à 2 % du produit intérieur brut à l'horizon de 2025, nous constatons que cet objectif est d'ores et déjà atteint, par simple effet comptable. Notre groupe, par la voix de Yannick Favennec-Bécot, a déjà eu l'occasion de faire part de ses regrets et de ses inquiétudes quant à l'absence d'actualisation législative. Il était donc indispensable, à nos yeux, d'entendre vos arguments dans cet hémicycle et d'en débattre, et même si nous aurions préféré un débat plus long, la déclaration du Gouvernement relative à la programmation militaire le permet aujourd'hui.
Le PIB français étant anormalement bas, nous comprenons qu'une actualisation visant à consolider les ressources de notre outil de défense après 2023 n'est, pour l'heure, pas envisageable. Nous avons cependant besoin d'un engagement du Gouvernement quant au maintien du volume de dépenses de défense consacré par la LPM, au bénéfice de notre industrie de défense. Il y va de la confiance des armées dans les représentants de la nation.
Nous n'oublions pas, cependant, que beaucoup reste à faire. Alors que la défense nationale constitue l'assurance vie de notre nation et la garantie que nos concitoyens pourront continuer de vivre libres, nous ne pouvons plus nous permettre de transiger avec les moyens dont elle a besoin. Si la menace terroriste persiste, les risques d'un conflit majeur opposant des États et la menace nucléaire elle-même réapparaissent. De même, de nouvelles tensions se profilent, liées aux bouleversements climatiques, à la densification des populations et à la démocratisation de certaines technologies utilisées à titre militaire.
Des pays tels que la Russie et la Chine poursuivent leur montée en puissance et n'hésitent plus à imposer leurs vues et leurs intérêts par le rapport de force et la politique du fait accompli. Ainsi, dans la zone indo-pacifique, nos navires sont systématiquement suivis et contraints d'effectuer des manœuvres afin d'éviter les collisions avec les bâtiments chinois, au mépris des règles de la liberté de navigation. À l'avenir, il est fort probable que la marine française n'ait plus la possibilité de franchir un détroit sans avoir à constater la présence ou l'entrave de frégates chinoises, ce que nous ne pouvons évidemment pas accepter.
D'autres pays comme l'Iran ou la Turquie se saisissent de toutes les opportunités pour conforter leur statut de puissances régionales, imposer leurs intérêts et parfois étendre leur territoire, même s'il leur faut pour cela piétiner les normes internationales ou d'anciennes alliances – je pense, en particulier, à la Turquie.
N'oublions pas, enfin, que l'Europe elle-même a vu éclater, à ses portes, de véritables conflits armés, engageant des moyens lourds. Nous le savons désormais : l'hypothèse d'un engagement de la France dans des conflits de haute intensité, face à des adversaires disposant de moyens sophistiqués, devient de plus en plus probable. Or les moyens dont nous disposons et le format de nos armées ne nous permettraient pas d'affronter une telle éventualité.
Selon moi, l'élection présidentielle devra rapidement déboucher sur la publication d'un nouveau livre blanc de la défense et de la sécurité. Constatons ensemble que le livre blanc de 2013, dont ont découlé la revue stratégique de 2017, ses corrections de 2021 et la LPM elle-même, n'est plus en adéquation avec la situation opérationnelle et géostratégique du globe. Nous ne pourrons pas nous préparer à un conflit de haute intensité avec la stratégie et la trajectoire actuelles. Nous ne pourrons pas engager notre pays dans la haute intensité en nous appuyant sur un format d'armée comportant seulement 200 chars modernisés, une artillerie automotrice d'à peine plus de 100 pièces, une aviation comptant 180 chasseurs sans moyens de guerre électroniques ni moyens de suppression des forces anti-aérienne, et sur une marine limitée à un seul porte-avions – j'ai déjà exprimé le souhait que la France programme la construction d'un second –, quatre sous-marins nucléaires lanceurs d'engins, six sous-marins nucléaires d'attaque et seulement quinze véritables frégates – alors que nous avons tant de théâtres d'opération à couvrir, ne serait-ce que pour protéger nos propres intérêts nationaux.
Comme l'a dit l'amiral Pierre Vandier, chef d'état-major de la marine, dans toutes ses composantes, l'armée française est aujourd'hui comparable à une épicerie de luxe, qui propose certes d'excellents produits, mais en trop petite quantité. Si nous souhaitons défendre notre territoire, y compris le territoire ultramarin et notre zone économique exclusive, et être en capacité de porter secours ou de protéger nos alliés, tout en pesant sur l'ordre mondial, la superficie de ladite épicerie de luxe et la quantité de produits proposés doivent augmenter de façon significative.
De plus, si un certain nombre de programmes du futur ont été lancés afin de répondre aux menaces, leur entrée en service n'aura pas lieu avant de nombreuses années. Or la réalité de la menace est immédiate. Nous craignons fort que la France n'ait pas le loisir d'attendre dix ou quinze ans pour être engagée dans des conflits d'un autre niveau que celui du Sahel. Monsieur le Premier ministre, la question du calendrier des mesures à prendre pour faire face à ces menaces et du niveau de notre effort de défense doit être rapidement posée. L'élection présidentielle de l'an prochain en sera l'occasion.
Si de réels efforts ont été entrepris par le Gouvernement pour rendre plus sincères les budgets consacrés aux OPEX et aux missions intérieures (MISSINT), il est urgent que la solidarité interministérielle soit systématiquement appliquée dès que des surcoûts se présentent. Lorsque nos armées sont engagées, c'est la nation tout entière qui doit l'être et pas seulement le ministère des armées. Pourquoi donc devrait-il être le seul à en faire les frais, obérant ainsi notre sécurité future ? Si, en outre, en 2015, chacun a compris la nécessité d'un engagement de nos militaires pour assumer les missions de sécurité intérieure dans l'urgence, des recrutements au sein de la police nationale devraient en réalité permettre de soulager l'armée après les efforts consentis.
Enfin, nous considérons que notre logiciel de pensée politique doit rapidement évoluer. Non, soutenir l'industrie de la défense ne constitue pas une dépense supplémentaire ; c'est un investissement particulièrement efficace du point de vue économique, technologique, social et territorial – mais je manque de temps pour développer cette idée.
Ces perspectives et ces ambitions étant tracées, je conclurai en indiquant que le groupe UDI et indépendants votera en faveur de la déclaration du Gouvernement, tout en demeurant, comme il l'est depuis le début de la législature, particulièrement exigeant quant aux capacités et aux perspectives définies pour nos armées, tout en demandant que l'on réfléchisse à un nouveau livre blanc de la défense et de la sécurité. C'est une urgence !