Deuxième mise en garde : la menace d'un conflit de haute intensité jette une ombre de plus en plus prégnante. L'usage décomplexé de la force pourrait à tout moment faire glisser le monde dans un conflit majeur : ayons garde que ne se renouvelle pas le cauchemar de 1914, si bien décrit par Christopher Clark dans Les somnambules, celui d'une guerre que personne n'avait voulue et qui, pourtant, est advenue. Sommes-nous préparés à cette éventualité ? Avons-nous suffisamment anticipé le remplacement de la logique de flux par une logique de stock ? Sommes-nous certains que nous ne disposerons pas demain d'une armée de prototypes, là où il nous faudrait une masse critique ?
Troisième mise en garde : chacun d'entre nous mesure la nécessité d'une dimension européenne, mais la guerre n'est que la continuation de la politique par d'autres moyens. Or, aujourd'hui, la politique extérieure de l'Europe marque le pas : nos voisins d'outre-Rhin font preuve d'une inquiétante frilosité. L'élection du président Biden renforce leur tropisme otanien. L'autonomie stratégique chère au Président de la République est ensablée, la ministre de la défense allemande l'aurait même qualifiée d'illusion funeste. Prenons garde à ne pas lâcher la proie pour l'ombre, à ne pas sacrifier notre industrie ou nos équipements pour d'illusoires réalisations européennes ! Oui au SCAF et au MGCS, monsieur le Premier ministre, mais pas si cela nous pousse à brader nos industries nationales. Oui au financement du véhicule blindé d'aide à l'engagement (VBAE) par le Fonds européen de la défense, mais pas au prix d'un retard dans la réalisation d'un véhicule vital comme celui-là, véhicule dont nous avons tant besoin.
Enfin, notre BITD est une composante essentielle de notre défense et de notre souveraineté. Sous les coups de boutoir de critères RSE – responsabilité sociétale des entreprises – de plus en plus vigoureux, notre industrie de défense a du mal à se financer. L'écolabel prévu dans le cadre de la taxonomie européenne, qui exclurait toute entreprise réalisant plus de 5 % de son activité dans la défense, est source d'une grande inquiétude : la France devrait être à la pointe d'un combat contre ces pratiques délétères.
Monsieur le Premier ministre, madame la ministre des armées, entendez nos inquiétudes ! Eu égard à ces incertitudes, mon groupe s'abstiendra, mais, eu égard à ce qui a été accompli et à l'engagement de mieux faire à l'avenir, il s'agira d'une abstention positive.