Intervention de Roselyne Bachelot

Séance en hémicycle du mardi 22 juin 2021 à 22h30
Accès aux œuvres culturelles à l'ère numérique — Présentation commune

Roselyne Bachelot, ministre de la culture :

Les secteurs audiovisuel et cinématographique ont connu, ces dernières années, des transformations profondes et des mutations de toute nature : mutation des usages, d'abord, avec l'apparition de nouveaux modes de diffusion – il est désormais possible de regarder un film ou une série quand on le veut, où on le veut, sur l'écran de son téléphone, de sa tablette, de son ordinateur ou de son téléviseur ; mutation du paysage, ensuite, avec l'irruption d'acteurs géants, aux capacités d'investissement considérables et à l'offre de programmes globalisée, installés en dehors de notre territoire et de notre périmètre de régulation. Ces mutations multiplient les possibilités d'accès aux œuvres et facilitent leur circulation auprès de publics toujours plus nombreux ; elles constituent des chances pour la création française, mais également des menaces : elles fragilisent en effet des mécanismes de régulation initialement conçus pour des opérateurs nationaux proposant une offre linéaire, et elles risquent de rompre l'équilibre historique entre les diffuseurs, les producteurs et les auteurs.

De telles révolutions renforcent manifestement le besoin d'intervention publique : il est vital pour nos industries audiovisuelle et cinématographique de se doter de règles adaptées aux mutations en cours et à une économie beaucoup plus ouverte et compétitive. Il ne s'agit pas de préserver des modèles incompatibles avec l'évolution des usages, mais au contraire de renforcer la compétitivité économique et créative d'une filière d'excellence où les talents français sont nombreux, pour maintenir une ambition industrielle et culturelle dans le cinéma et l'audiovisuel.

Ces nouvelles règles résultent en partie de la profonde réforme des mécanismes de soutien du financement de la création que j'ai engagée, avec la révision en cours du décret relatif aux services de médias audiovisuels à la demande (SMAD) et du décret relatif à la contribution à la production d'œuvres cinématographiques et audiovisuelles des services de télévision diffusés par voie hertzienne terrestre – dit décret TNT –, qui fixent les obligations d'investissement dans la production des télévisions et des plateformes, et ayant pour corollaire une évolution de la chronologie des médias. Ces règles découleront également du projet de loi soumis à votre examen. Vous le savez, je me suis battue pour obtenir un créneau parlementaire au sein duquel inscrire le texte à l'ordre du jour – et si je me suis battue, c'est parce que ce projet est déterminant, ambitieux et même vital pour les secteurs de l'audiovisuel et du cinéma. Il était donc indispensable qu'il soit soumis à votre examen rapidement.

Le projet de loi apporte des réponses concrètes à trois enjeux majeurs des secteurs de l'audiovisuel et du cinéma.

Tout d'abord, il renforce la protection des droits des auteurs, artistes, producteurs, diffuseurs et fédérations sportives, en accentuant la lutte contre le piratage. Il prévoit ainsi que soit dressée une liste noire des sites internet dont le modèle économique repose sur l'exploitation massive de contenus contrefaits, et permettra de lutter plus efficacement contre les sites dits miroirs, qui reprennent de façon illicite, en totalité ou de manière substantielle, les contenus d'autres sites. Très attendu dans le monde sportif, il instaure un dispositif spécifique de référé sportif innovant, tenant compte de l'urgence inhérente aux retransmissions audiovisuelles en direct des manifestations sportives.

Il engage par ailleurs une modernisation de la régulation, en fusionnant le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) et la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (HADOPI) dans l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM). La création d'un nouveau régulateur est en effet nécessaire pour accommoder la convergence progressive de l'audiovisuel et du numérique : elle nous dotera d'une instance compétente dans l'ensemble du champ de la régulation des contenus audiovisuels et numériques, qu'il s'agisse de lutter contre le piratage, de protéger les mineurs ou de défendre les publics contre la désinformation et la haine en ligne.

Enfin, le texte protégera l'accès du public aux œuvres cinématographiques et audiovisuelles françaises, à travers un dispositif qui permettra, en cas de cession d'une de ces œuvres, de vérifier que l'acheteur, même s'il ne s'agit pas d'un producteur établi en France, présente toutes les garanties pour que l'œuvre soit exploitée, donc vue par le public en France et à l'étranger. Nous parlons souvent de la protection des actifs stratégiques face à la convoitise des capitaux étrangers ; le secteur culturel, qui contribue sept fois plus que l'industrie automobile au PIB de la France, doit bénéficier d'une telle protection : c'est le sens de l'article 17, auquel je suis très attachée et qui permettra de préserver notre souveraineté culturelle.

À travers ses trois grands volets, le projet de loi dotera les secteurs audiovisuel et cinématographique de règles modernisées, étendues aux nouveaux acteurs et adaptées aux nouveaux usages. D'aucuns ont regretté la grande loi défendue par mon prédécesseur, dont l'examen a été suspendu par la crise sanitaire ; mais le texte que je défends est tout aussi ambitieux que celui qu'a examiné la commission des affaires culturelles il y a un an. Certes, il est amputé des dispositions transposant la directive dite services de médias audiovisuels (SMA), la directive sur le droit d'auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique (DAMUN), et la directive dite câble et satellite, adoptées par voie d'ordonnance grâce à la promulgation du projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière économique et financière (DDADUE) à l'automne dernier. La réforme du secteur audiovisuel public n'y figure pas non plus, mais le renforcement des coopérations entre les différentes entreprises a été prévu dans les contrats d'objectifs et de moyens que j'ai signés il y a quelques mois.

Grâce aux enrichissements introduits par le Sénat puis par la commission des affaires culturelles de l'Assemblée nationale, la plupart des autres sujets couverts par le projet de loi de 2020 se retrouvent dans le texte actuel. Au-delà des trois volets que j'ai évoqués, nous débattrons en effet de la modernisation de la télévision numérique terrestre (TNT) – plus ambitieuse que celle qui avait été envisagée en 2020, puisqu'elle traite aussi de la spécification technique Hybrid broadcast broadband television, dite HBBTV –, tout comme nous traiterons des relations entre les éditeurs et les distributeurs, y compris de l'accès aux données du must-carry de l'audiovisuel public – c'est-à-dire des obligations de diffusion des opérateurs concernés – et de la reprise des déclinaisons locales de France 3.

Nous débattrons en outre des règles anticoncentration, non seulement en radio, comme dans le projet de loi de 2020, mais également en télévision locale ; et enfin de la réforme du soutien à la création, en revoyant la définition de la production audiovisuelle indépendante. En définitive, la plupart des sujets qui étaient abordés dans le texte de 2020 se retrouvent dans celui que nous nous apprêtons à examiner, à l'exception de quelques dispositions peu nombreuses et de moindre importance.

C'est donc bien la grande loi audiovisuelle du quinquennat qui vous est soumise. Elle permettra d'adapter une nouvelle fois la loi du 30 septembre 1986 aux nouvelles réalités économiques et aux enjeux de régulation – si je précise « une nouvelle fois », c'est que cette loi a été modifiée quatre-vingt-dix fois depuis trente-cinq ans. Ainsi, c'est principalement par une succession de réformes de plus ou moins grande ampleur, et non par un big-bang législatif impliquant une réécriture complète, que la loi de 1986 a été modernisée jusqu'à présent – nous l'oublions parfois.

Cependant, le temps d'un big-bang législatif n'est pas encore venu. C'est probablement la perspective de décisions sur l'avenir de la diffusion de la télévision par voie hertzienne terrestre à l'horizon de 2030 – elles-mêmes conditionnées aux négociations internationales et à l'évolution de la consommation des médias par les Français – qui appellera une remise à plat de plus grande ampleur de la fameuse loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication.

Avant de conclure, je voudrais très sincèrement remercier Mmes les rapporteures pour le dialogue nourri que nous avons eu et le travail constructif et de qualité que nous avons mené, sans oublier, évidemment, M. le président de la commission des affaires culturelle.

Je vous ai exposé les grands objectifs du projet de loi et les raisons pour lesquelles il vous est proposé par le Gouvernement : il apporte des réponses concrètes à trois enjeux majeurs dans les domaines de la communication audiovisuelle, de la protection des droits des auteurs, artistes, producteurs, diffuseurs et fédérations sportives, de l'organisation de la régulation – qui doit être rationalisée et modernisée –, et de l'accès du public aux œuvres cinématographiques et audiovisuelles françaises, dans un contexte où la demande n'a jamais été aussi forte. C'est un texte essentiel pour la défense de la création française. Je me réjouis du large consensus dont il a fait l'objet lors de son examen en commission la semaine dernière ; si des divergences demeurent nécessairement avec certains d'entre vous, je forme le vœu qu'il nous rassemble à l'issue de nos débats dans l'hémicycle.

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